Texte intégral
Interview à France-Inter du 22 novembre :
Q - Gaza d'abord. Que peut faire l'Europe ? Que peut-elle dire ? Elle est bien silencieuse.
R - Non, l'Europe n'est pas silencieuse. Il y a eu la semaine dernière un sommet euroméditerranéen - il est vrai que certains pays arabes comme la Syrie et le Liban n'étaient pas là - qui justement a montré le besoin de l'Europe de parler, pour faire savoir aux uns et aux autres, pour les appeler au sens des responsabilités et du dialogue. L'Union européenne l'a encore répété lundi, où elle a donné une déclaration sur le Proche-Orient. Il faut effectivement que chacun fasse un pas vers l'autre, que ce soit du côté des Israéliens qui doivent procéder au retrait total de leurs forces armées des positions occupées, qui doivent aussi ne pas utiliser des armes mortelles - car on voit bien le très grand danger ; et puis aussi du côté de l'Autorité palestinienne qui doit faire en sorte que les violences cessent. Donc nous soutenons complètement les efforts qui sont entrepris par les uns et par les autres, par le Secrétaire général des Nations unies, par l'administration américaine. Dominique Bromberger en parlait à l'instant : c'est vrai qu'il peut y avoir des contradictions, y compris au sein de tel ou tel homme - je pense à Ehud Barak. Mais nous avons été si près de la paix cet été à Camp David que je ne désespère pas qu'on reprenne le terrain de la négociation. Cela dit, nous sommes aujourd'hui dans un engrenage dont il faut sortir et pour en sortir, il faut que chacun fasse preuve de très grande responsabilité.
Q - Venons-en à nos affaires strictement européennes : on savait que prendre la présidence de l'Union européenne ne serait pas une sinécure pour la France, mais avec la crise de la vache folle cela tourne au cauchemar. Non seulement la France fait figure d'accusée mais elle n'a pas obtenu gain de cause en ce qui concerne l'interdiction des farines carnées dans toute l'Europe et elle a dû réviser à la baisse ses ambitions en matière de test de dépistage, ajouter à cela les mesures d'embargo partielles ou totales sur le boeuf français prises par certains de nos partenaires. On se demande si c'est l'Europe agricole qui est en train de se défaire où si, décidément, c'est nous qui sommes très mauvais ? Et quand je dis nous, c'est vous.
R - On pourra peut-être reparler de la présidence française dans son ensemble qui est loin de se résumer au traitement d'une crise, aussi grave soit-elle. Car un travail considérable a été fait depuis ces six mois, que ce soit pour la sécurité maritime, que ce soit dans le domaine économique, que ce soit dans le domaine social. Bref, il y a quand même un travail considérable qui se fait.
Q - C'est discuté...
R - C'est discuté mais parlons-en. Je crois indéniablement que cette présidence aura à la fin un des bilans les plus conséquents des dix dernières années parce qu'elle a été confrontée à un très grand nombre de défis. Je ne parle pas des services publics sur lesquels, par exemple, nous agissons. Mais je reviens quand même à votre question. C'est vrai que nous avons frôlé hier matin une crise agricole d'une très grande ampleur au sein de l'Union européenne. Jean Glavany qui est resté toute la nuit à négocier, a su trouver un compromis qui préserve l'essentiel, ce qui en réalité était loin d'être acquis. Car nous étions effectivement dans une situation à l'origine un peu inconfortable. Nous souhaitions l'interdiction généralisée des farines animales - que nous-mêmes avions prises il y a peu de jours -, un certain nombre de nos partenaires ne le souhaitaient pas, même s'il est faux de dire que nous sommes isolés. Des pays comme l'Espagne et l'Italie sont avec nous, pour des raisons sanitaires parce que les contrôles ne suffisent pas - on ne peut placer un contrôleur derrière chaque producteur - et aussi pour de raisons économiques. Parce que même s'il peut y avoir des coûts à l'interdiction des farines animales, c'est aussi la condition pour relancer la demande. Mais il n'y a pas unité aujourd'hui. Et le système dans lequel fonctionne l'Union européenne, c'est l'unanimité, c'est le compromis. Donc nous n'avons pas pu être suivis là-dessus. En revanche, nous avons réussi à imposer, ou en tout cas à obtenir des autres, qu'on mette en place un système de tests de dépistage extrêmement étendu - on les a plus que doublés - sur les animaux à risques de plus de 30 mois. Donc nous avons pu, en quelque sorte, amener le niveau d'exigence européen jusqu'à ce qui était notre propre attitude.
Q - Vous conviendrez que nous nous sommes mis nous-mêmes dans le pétrin ?
R - Diriger c'est extrêmement compliqué, surtout dans nos sociétés qui sont devenues très contradictoires. Nous nous sommes mis dans le pétrin parce que nous avons suivi les demandes des consommateurs qui étaient inquiets pour la santé publique et qui demandaient l'interdiction des farines animales. Et je crois que nous avons eu raison parce que c'est le principe de précaution, c'est la santé qui doit prévaloir sur tout le reste. Ce faisant, nous avons aussi ouvert d'autres fronts, on le voit bien. Je pense notamment à tout ce qui se passe avec la filière bovine qui, du coup, demande de façon légitime qu'on pense à son avenir et qu'on l'a préserve. Et il y a le fait que maintenant il faut convaincre les Européens - et cela ne peut pas se faire en un jour - que notre attitude est la plus justifiée. Mais là où sommes victimes de pratiques assez injustes, c'est au sujet de l'embargo qui est fait à nos viandes parce que nous sommes le pays qui a le plus fait en matière de précaution et de protection. Il est tout de même paradoxal que ce soit contre nous que l'on se tourne, justement parce que nous avons eu les mesures de protection les plus étendues.
Q - Les Anglais peuvent dire la même chose à notre encontre ?
R - C'est assez exact, je dois l'avouer. En même temps, nous n'avons pas été dans cette matière respectueux des règles communautaires qui, je crois, n'étaient pas adaptées à une situation. Comme l'a dit Jean Glavany : "nous sommes face à un assez grand désordre en matière d'embargo..."
Q - Le Sommet de Nice, c'est dans quinze jours. C'est le sommet qui devrait se conclure par une réforme des institutions européennes. Vous avez dit quand vous avez commencé un peu avant la prise de présidence : "mieux vaut pas d'accord du tout plutôt qu'un mauvais accord." N'est-ce pas un mauvais accord qui est en train de se préparer avec ce compromis boiteux sur le nombre de commissaires européens par exemple ?
R - Je voudrais faire comprendre quelque chose à nos auditeurs sur l'Europe. L'Europe est justement victime de ses contradictions : d'un côté, on lui demande tout et de l'autre côté, quand elle fait quelque chose, ce n'est jamais assez. Et pourtant, comme disait Galilée à propos de la planète : "elle tourne !" Je crois pour ma part que parvenir à un compromis sur la réforme des institutions européennes, permettre de cette façon qu'on puisse aller vers l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent, ce sera déjà faire une très grande oeuvre pour l'Europe.
Q - Est-ce que le compromis ne va pas être : "on ne règle pas les problèmes, on les réglera plus tard" ?
R - Non, à condition - j'allais y venir - que ce Traité de Nice soit un traité satisfaisant. Cela veut dire que nous devons effectivement faire le point d'équilibre entre nos ambitions qui sont intactes - vous parliez de la Commission : nous souhaitons une commission qui soit efficace, qui soit légitime et pour se faire, elle ne doit pas être trop nombreuse - et les préoccupations de certains de nos partenaires qui disent : "attention, pour nous, avoir un commissaire, c'est très important." D'où l'idée qui vient de dire : il y a aura un commissaire pour un certain temps - 8 ou 10 ans - et au bout d'un moment, on va revenir à une Commission moins nombreuse, plus restreinte qui fera sans doute 20 membres. Voilà comment on fabrique un compromis. Il n'y a pas d'autres manières de faire. On fait souvent des reproches à la France - j'ai cru comprendre que c'était un petit peu le sens de ce que vous disiez au début -, on lui dit : "vous défendez vos intérêts nationaux, vous êtes un peu impérialistes, vous avez une attitude arrogante." Quand nous avons cette attitude qui est de dire : "voilà ce que sont les ambitions européennes", on nous fait des reproches. Quand en revanche nous écoutons les autres, on nous dit : "vous êtes faibles." Non, nous sommes simplement honnêtes dans cette affaire-là. La France est un peu l'honnête courtière du compromis. Mais je crois que ce compromis se fait sur des bases saines, sur des bases élevées. Je pense qu'il y aura à Nice un bon traité. Mais attention, ce n'est pas acquis, la fin de la négociation est très difficile. Je répète que si l'accord ne nous paraît pas à la hauteur des exigences requises, il n'y aura pas d'accord.
Q - Tout à l'heure vous allez voir vos collègues de pays candidats à Sochaux. Qu'est-ce que vous allez leur dire ? Allez-vous leur dire : "si on n'arrive pas à un bon accord, il va vous falloir encore patienter" ?
R - Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Je vais leur dire que je pense que nous sommes en train de parvenir à un bon accord, que cet accord permettra un élargissement de l'Union européenne mais il faut aussi leur dire d'autres choses. A savoir que cet élargissement est difficile, risqué, il comporte des chances extraordinaires. Je crois que c'est notre devoir historique après la chute du mur de Berlin. Il y a des chances magnifiques : ce sont des chances culturelles, ce sont des chances économiques, ce sont des chances politiques, c'est une Europe plus vaste, ce sera une puissance continentale. Mais en même temps, il faut aussi qu'ils fassent l'effort de s'adapter car, encore une fois, c'est un mouvement qu'ils font vers l'Union européenne. L'Union européenne s'ouvre à l'Est mais l'Est doit aussi adopter toutes les valeurs européennes et toutes les politiques communes auxquelles nous tenons car l'Europe ne peut pas être qu'une zone de libre-échange
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)
Interview dans "Le Monde" du 23 novembre 2000 :
Q - Au-delà de la question de la réforme des institutions, le Conseil européen de Nice va aborder le problème plus large de l'organisation future de l'Europe. Lionel Jospin s'est montré timoré après les discours du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, et du président Jacques Chirac. Quelles sont les raisons de ce silence ?
R - Les discours que vous évoquez ont eu un effet utile, mais aussi quelques effets pervers : la notion d"'avant-garde", de "groupe pionnier", de "coeur de l'Europe", toutes notions auxquelles je crois, ont eu pour effet de faire craindre aux petits pays qu'ils n'en seraient pas, et donc de durcir leurs revendications dans le cadre de la CIG (Conférence intergouvernementale, chargée de la réforme des institutions européennes) sur des points certes essentiels, mais qui ne sont que des "points de pouvoir". A partir du moment où on a évoqué l'idée que l'Europe ne serait pas seulement hétérogène mais à deux vitesses, beaucoup ont craint d'être dans la deuxième division. Je veux vous rassurer : des idées, nous en avons, le Premier ministre en a. Les deux raisons pour lesquelles il a choisi de ne pas s'exprimer avant le mois de janvier sont - et c'est lié à la cohabitation - de ne pas donner l'impression qu'il y avait deux conceptions françaises en matière d'Europe, ensuite de ne pas compliquer le processus de négociation. Une fois passée la présidence française, l'Europe sera un des principaux enjeux de notre débat politique, en France, parce que, tout en ayant des conceptions qui ne sont pas incompatibles, nous ne pensons pas la même chose de l'avenir de la construction européenne.
Q - Cette prudence intègre-t-elle l'idée que l'opinion publique française ne veut pas brusquer les étapes de la construction européenne ?
R - Les Français sont très européens. C'est vrai s'agissant de l'euro et de la politique sociale, ça l'est peut-être moins à propos de l'élargissement, un thème qui pâtit d'un déficit de communication préoccupant. Il existe à ce sujet une majorité d'idées dans les partis politiques, mais pas dans l'opinion. Il n'empêche que les Français ont intégré l'idée que l'Europe est leur espace naturel, le lieu où désormais la France, qui est attachée à une certaine image d'elle-même, peut déployer sa puissance. Il y a donc de la place pour un grand dessein européen, mais celui-ci ne doit pas nécessairement déplacer les équilibres. Il ne faut pas plus accepter une "dérive intergouvernementale" qu'une "dérive communautaire". Ce qu'il faut, c'est rehausser, améliorer et réformer en profondeur chacune des trois institutions européennes, qui sont en crise, et les faire fonctionner avec des pouvoirs et des compétences plus importants.
Q - Au fond, c'est un super statu quo...
R - C'est une façon de voir. A titre personnel, je suis un militant politique et un militant européen et, à ce titre, je peux vouloir des transferts de souveraineté, cela ne me gêne pas. J'appartiens au parti socialiste, qui n'a jamais eu honte d'évoquer le mot fédéralisme. En même temps, je constate qu'il est vraisemblable que, compte tenu de l'état de l'Europe, de son déficit de fonctionnement, et de ce que sont les peurs, parfois les psychoses de nos concitoyens, il n'y a pas dans le peuple un appétit formidable pour de nouveaux transferts de souveraineté. Dès lors, il faut faire une Europe qui marche, tout simplement, qui soit capable d'attirer. Si ces conditions sont remplies, des transferts de souveraineté seront possibles.
De toute façon, à qui, aujourd'hui, transférer des pouvoirs, des compétences, des responsabilités ? A une Commission qui a connu plusieurs crises et des difficultés de fonctionnement ? A un Parlement européen qui représente une formidable richesse, mais qui pour le moment est trop centré sur ses propres pouvoirs ? A un conseil des ministres qui ne fonctionne pas ? Qui est à la fois pléthorique et incapable de décider ? Il faut avoir une machine qui retrouve le sens de la marche en avant pour être capable d'envisager de nouvelles étapes. Disant cela, je ne suis pas frileux : c'est d'ailleurs le sens profond du concept de fédération d'Etats-nations défendu par Jacques Delors. C'est une Europe qui assume complètement ses compétences fédérales, lesquelles doivent être développées.
Il faudra à un moment donné passer à des formes de fédéralisme budgétaire, avec un budget européen qui dépasse le seuil actuel des 1,27 % du PIB. Encore faut-il montrer à nos concitoyens que la dépense communautaire est plus efficace que la dépense nationale. Je suis donc pour un fédéralisme d'Etats-nations. Etre européen, ce n'est pas seulement être pour toujours plus de pouvoirs pour le Parlement et la Commission, car il faut aussi davantage de pouvoirs pour le Conseil. Il faut restaurer le triangle institutionnel dans un équilibre plus dynamique. Fondamentalement, de toute façon, je ne pense pas que la Commission puisse devenir l'"exécutif européen".
Q - Le débat sur l'avenir de l'Europe ne pourra s'engager sérieusement que si le Conseil de Nice trouve un accord sur la réforme institutionnelle. Le président de la République met l'accent sur l'avenir de la Commission et la repondération des voix au Conseil, alors que le gouvernement privilégie l'extension des voix à la majorité qualifiée...
R - Il n'y a pas de contradiction. Le vote à la majorité qualifiée est sans doute plus important pour l'avenir de l'Union, car il s'agit bien de restaurer notre capacité de décision. Mais il est certain que du point de vue du pouvoir et de la perception de la souveraineté, le binôme Commission-repondération est sans doute le plus visible, et aussi celui qui fait le plus problème chez ceux qu'on appelle, de manière impropre, les "petits pays", qui font de la présence d'un commissaire de leur nationalité une condition représentative de leur légitimité.
L'enjeu, c'est de savoir de quelle Commission nous parlons : est-ce qu'elle va rester - ce qu'elle n'est déjà plus tout à fait - un organe original chargé d'impulser les politiques européennes, ou va-t-elle devenir une sorte d'organe intergouvernemental où sont représentés chacun des intérêts nationaux ? Si le second cas de figure l'emporte, il risque d'y avoir une forte redondance avec le Conseil. En même temps, la Commission risque de perdre son originalité et sa légitimité, et aussi son efficacité si elle devient trop nombreuse. C'est pour cela que nous militons pour un plafonnement de la Commission, car si c'est le principe de "un commissaire par Etat membre" qui prévaut dans une Union à vingt-sept ou trente, alors chacun pourra se targuer d'avoir un commissaire, mais cette Commission ne sera plus rien !
Q - Les "coopérations renforcées", est-ce au fond un outil permettant de passer outre aux blocages ?
R - Elles sont un élément indispensable de souplesse pour l'avenir, mais elles ne doivent pas devenir le mode d'emploi ordinaire de l'Union européenne. Il ne doit y avoir coopération renforcée que lorsqu'on a envie d'aller un peu plus loin sur tel ou tel sujet, en dehors du champ des strictes politiques communautaires. On arrive aujourd'hui à un accord sur ce point. Leur souplesse doit être dans le nombre de participants, mais aussi dans les règles de fonctionnement
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)
Interview dans "Paris-Match" le 23 novembre 2000 :
Q - Vous recevez, à Sochaux, les pays candidats à l'Union européenne ; qu'avez-vous donc de nouveau à leur dire ?
R - Il faut d'abord les associer à l'avenir commun de l'Europe. Nous devons ensuite faire avec eux le point de la réforme des institutions nécessaires avant l'élargissement. Nous discutons aussi de la façon dont nous devrons vivre ensemble. Ils attendent encore qu'on leur explique comment et quand nous comptons les faire entrer dans l'Europe.
Q - Ils piétinent devant la porte ?
R - C'est vrai, ils sont impatients. Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, ils espèrent adhérer à l'Europe. Ils voient les dates de 2003, 2004, 2005 qui approchent. Nous sommes dans la dernière ligne droite. Alors même si, pour eux, deux ou trois ans c'est important, à l'échelle historique ce n'est rien.
Q - Certains des pays candidats, comme la Pologne, ayant décidé de boycotter notre viande de boeuf, y aura-t-il de la vache folle au menu ?
R - Certains en parleront peut-être dans les couloirs, mais ce n'est pas le sujet. Nous avons besoin de parler de l'E.s.b. entre les Quinze pour mettre au point une meilleure sécurité alimentaire. Les consommateurs attendent des garanties. Elles seront utiles à tous, y compris à l'égard des pays candidats.
Q - Kostunica frappe désormais, lui-aussi, à la porte de l'Europe, cela vous paraît-il jouable ?
R - Nous avons commencé l'Europe à six, aujourd'hui nous sommes en train de passer une nouvelle frontière. Avec la Turquie, nous arriverons à vingt-huit. Si les pays des Balkans réussissent à retrouver leur unité et une certaine sérénité, ils ont vocation à entrer dans l'Europe. Mais il leur faudra effectuer le "parcours du combattant". La perspective d'une Europe à trente-cinq existe, mais pas avant l'horizon 2015.
Q - Les pays des Balkans, de par leur histoire et leur culture, ne devraient-ils pas entrer avant la Turquie ?
R - La Turquie reste un cas particulier. Elle était candidate, dès 1963, avant les autres. Son adhésion est un pari et il n'est pas gagné. C'est clair, ce n'est pas l'Europe qui s'écartera de ses principes démocratiques pour faire entrer la Turquie, mais la Turquie qui doit faire sienne nos valeurs. Et il est possible que certains pays des Balkans accèdent à l'Union européenne avant elle.
Q - Mais avant l'élargissement, les Quinze doivent réformer les institutions et là, cela patine, non ?
R - C'est sûr, l'Europe aurait beaucoup de problèmes à trente. C'est pourquoi nous devons absolument aboutir à Nice, sinon cela compliquera le processus d'élargissement.
Q - La France, qui préside l'Union européenne, parviendra-t-elle à influencer les Quatorze ?
R - Nous sommes dans le schéma classique des négociations européennes. Actuellement, nous commençons les discussions intenses. Nous entrerons dans la phase décisive avec le Sommet de Nice en décembre. Les chefs d'Etat et de gouvernement auront à dénouer les derniers blocages. Ce sera le temps de la confrontation, avec ses moments de tension, voire de crise, puis celui de la solution. J'ai confiance.
Q - Quels sont les problèmes les plus difficiles à résoudre ?
R- Nous n'avons toujours pas réglé le problème de la taille de la Commission et celui de la pondération des voix. Ce seront les sujets les plus compliqués. Reste encore le vote à la majorité qualifiée. Nous avons devant nous trois semaines décisives. La tournée que le président de la République, Hubert Védrine et moi-même effectuerons la semaine prochaine dans les capitales européennes devrait nous permettre d'avancer. N'oublions surtout pas que, il y a trois ans, à Amsterdam, nous n'étions pas parvenus à un accord. Cette fois, la France préfère pas de traité du tout plutôt qu'un mauvais accord. Nous voulons une vraie réforme ou rien. Mais nous espérons aboutir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)
Q - Gaza d'abord. Que peut faire l'Europe ? Que peut-elle dire ? Elle est bien silencieuse.
R - Non, l'Europe n'est pas silencieuse. Il y a eu la semaine dernière un sommet euroméditerranéen - il est vrai que certains pays arabes comme la Syrie et le Liban n'étaient pas là - qui justement a montré le besoin de l'Europe de parler, pour faire savoir aux uns et aux autres, pour les appeler au sens des responsabilités et du dialogue. L'Union européenne l'a encore répété lundi, où elle a donné une déclaration sur le Proche-Orient. Il faut effectivement que chacun fasse un pas vers l'autre, que ce soit du côté des Israéliens qui doivent procéder au retrait total de leurs forces armées des positions occupées, qui doivent aussi ne pas utiliser des armes mortelles - car on voit bien le très grand danger ; et puis aussi du côté de l'Autorité palestinienne qui doit faire en sorte que les violences cessent. Donc nous soutenons complètement les efforts qui sont entrepris par les uns et par les autres, par le Secrétaire général des Nations unies, par l'administration américaine. Dominique Bromberger en parlait à l'instant : c'est vrai qu'il peut y avoir des contradictions, y compris au sein de tel ou tel homme - je pense à Ehud Barak. Mais nous avons été si près de la paix cet été à Camp David que je ne désespère pas qu'on reprenne le terrain de la négociation. Cela dit, nous sommes aujourd'hui dans un engrenage dont il faut sortir et pour en sortir, il faut que chacun fasse preuve de très grande responsabilité.
Q - Venons-en à nos affaires strictement européennes : on savait que prendre la présidence de l'Union européenne ne serait pas une sinécure pour la France, mais avec la crise de la vache folle cela tourne au cauchemar. Non seulement la France fait figure d'accusée mais elle n'a pas obtenu gain de cause en ce qui concerne l'interdiction des farines carnées dans toute l'Europe et elle a dû réviser à la baisse ses ambitions en matière de test de dépistage, ajouter à cela les mesures d'embargo partielles ou totales sur le boeuf français prises par certains de nos partenaires. On se demande si c'est l'Europe agricole qui est en train de se défaire où si, décidément, c'est nous qui sommes très mauvais ? Et quand je dis nous, c'est vous.
R - On pourra peut-être reparler de la présidence française dans son ensemble qui est loin de se résumer au traitement d'une crise, aussi grave soit-elle. Car un travail considérable a été fait depuis ces six mois, que ce soit pour la sécurité maritime, que ce soit dans le domaine économique, que ce soit dans le domaine social. Bref, il y a quand même un travail considérable qui se fait.
Q - C'est discuté...
R - C'est discuté mais parlons-en. Je crois indéniablement que cette présidence aura à la fin un des bilans les plus conséquents des dix dernières années parce qu'elle a été confrontée à un très grand nombre de défis. Je ne parle pas des services publics sur lesquels, par exemple, nous agissons. Mais je reviens quand même à votre question. C'est vrai que nous avons frôlé hier matin une crise agricole d'une très grande ampleur au sein de l'Union européenne. Jean Glavany qui est resté toute la nuit à négocier, a su trouver un compromis qui préserve l'essentiel, ce qui en réalité était loin d'être acquis. Car nous étions effectivement dans une situation à l'origine un peu inconfortable. Nous souhaitions l'interdiction généralisée des farines animales - que nous-mêmes avions prises il y a peu de jours -, un certain nombre de nos partenaires ne le souhaitaient pas, même s'il est faux de dire que nous sommes isolés. Des pays comme l'Espagne et l'Italie sont avec nous, pour des raisons sanitaires parce que les contrôles ne suffisent pas - on ne peut placer un contrôleur derrière chaque producteur - et aussi pour de raisons économiques. Parce que même s'il peut y avoir des coûts à l'interdiction des farines animales, c'est aussi la condition pour relancer la demande. Mais il n'y a pas unité aujourd'hui. Et le système dans lequel fonctionne l'Union européenne, c'est l'unanimité, c'est le compromis. Donc nous n'avons pas pu être suivis là-dessus. En revanche, nous avons réussi à imposer, ou en tout cas à obtenir des autres, qu'on mette en place un système de tests de dépistage extrêmement étendu - on les a plus que doublés - sur les animaux à risques de plus de 30 mois. Donc nous avons pu, en quelque sorte, amener le niveau d'exigence européen jusqu'à ce qui était notre propre attitude.
Q - Vous conviendrez que nous nous sommes mis nous-mêmes dans le pétrin ?
R - Diriger c'est extrêmement compliqué, surtout dans nos sociétés qui sont devenues très contradictoires. Nous nous sommes mis dans le pétrin parce que nous avons suivi les demandes des consommateurs qui étaient inquiets pour la santé publique et qui demandaient l'interdiction des farines animales. Et je crois que nous avons eu raison parce que c'est le principe de précaution, c'est la santé qui doit prévaloir sur tout le reste. Ce faisant, nous avons aussi ouvert d'autres fronts, on le voit bien. Je pense notamment à tout ce qui se passe avec la filière bovine qui, du coup, demande de façon légitime qu'on pense à son avenir et qu'on l'a préserve. Et il y a le fait que maintenant il faut convaincre les Européens - et cela ne peut pas se faire en un jour - que notre attitude est la plus justifiée. Mais là où sommes victimes de pratiques assez injustes, c'est au sujet de l'embargo qui est fait à nos viandes parce que nous sommes le pays qui a le plus fait en matière de précaution et de protection. Il est tout de même paradoxal que ce soit contre nous que l'on se tourne, justement parce que nous avons eu les mesures de protection les plus étendues.
Q - Les Anglais peuvent dire la même chose à notre encontre ?
R - C'est assez exact, je dois l'avouer. En même temps, nous n'avons pas été dans cette matière respectueux des règles communautaires qui, je crois, n'étaient pas adaptées à une situation. Comme l'a dit Jean Glavany : "nous sommes face à un assez grand désordre en matière d'embargo..."
Q - Le Sommet de Nice, c'est dans quinze jours. C'est le sommet qui devrait se conclure par une réforme des institutions européennes. Vous avez dit quand vous avez commencé un peu avant la prise de présidence : "mieux vaut pas d'accord du tout plutôt qu'un mauvais accord." N'est-ce pas un mauvais accord qui est en train de se préparer avec ce compromis boiteux sur le nombre de commissaires européens par exemple ?
R - Je voudrais faire comprendre quelque chose à nos auditeurs sur l'Europe. L'Europe est justement victime de ses contradictions : d'un côté, on lui demande tout et de l'autre côté, quand elle fait quelque chose, ce n'est jamais assez. Et pourtant, comme disait Galilée à propos de la planète : "elle tourne !" Je crois pour ma part que parvenir à un compromis sur la réforme des institutions européennes, permettre de cette façon qu'on puisse aller vers l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale qui nous rejoignent, ce sera déjà faire une très grande oeuvre pour l'Europe.
Q - Est-ce que le compromis ne va pas être : "on ne règle pas les problèmes, on les réglera plus tard" ?
R - Non, à condition - j'allais y venir - que ce Traité de Nice soit un traité satisfaisant. Cela veut dire que nous devons effectivement faire le point d'équilibre entre nos ambitions qui sont intactes - vous parliez de la Commission : nous souhaitons une commission qui soit efficace, qui soit légitime et pour se faire, elle ne doit pas être trop nombreuse - et les préoccupations de certains de nos partenaires qui disent : "attention, pour nous, avoir un commissaire, c'est très important." D'où l'idée qui vient de dire : il y a aura un commissaire pour un certain temps - 8 ou 10 ans - et au bout d'un moment, on va revenir à une Commission moins nombreuse, plus restreinte qui fera sans doute 20 membres. Voilà comment on fabrique un compromis. Il n'y a pas d'autres manières de faire. On fait souvent des reproches à la France - j'ai cru comprendre que c'était un petit peu le sens de ce que vous disiez au début -, on lui dit : "vous défendez vos intérêts nationaux, vous êtes un peu impérialistes, vous avez une attitude arrogante." Quand nous avons cette attitude qui est de dire : "voilà ce que sont les ambitions européennes", on nous fait des reproches. Quand en revanche nous écoutons les autres, on nous dit : "vous êtes faibles." Non, nous sommes simplement honnêtes dans cette affaire-là. La France est un peu l'honnête courtière du compromis. Mais je crois que ce compromis se fait sur des bases saines, sur des bases élevées. Je pense qu'il y aura à Nice un bon traité. Mais attention, ce n'est pas acquis, la fin de la négociation est très difficile. Je répète que si l'accord ne nous paraît pas à la hauteur des exigences requises, il n'y aura pas d'accord.
Q - Tout à l'heure vous allez voir vos collègues de pays candidats à Sochaux. Qu'est-ce que vous allez leur dire ? Allez-vous leur dire : "si on n'arrive pas à un bon accord, il va vous falloir encore patienter" ?
R - Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Je vais leur dire que je pense que nous sommes en train de parvenir à un bon accord, que cet accord permettra un élargissement de l'Union européenne mais il faut aussi leur dire d'autres choses. A savoir que cet élargissement est difficile, risqué, il comporte des chances extraordinaires. Je crois que c'est notre devoir historique après la chute du mur de Berlin. Il y a des chances magnifiques : ce sont des chances culturelles, ce sont des chances économiques, ce sont des chances politiques, c'est une Europe plus vaste, ce sera une puissance continentale. Mais en même temps, il faut aussi qu'ils fassent l'effort de s'adapter car, encore une fois, c'est un mouvement qu'ils font vers l'Union européenne. L'Union européenne s'ouvre à l'Est mais l'Est doit aussi adopter toutes les valeurs européennes et toutes les politiques communes auxquelles nous tenons car l'Europe ne peut pas être qu'une zone de libre-échange
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)
Interview dans "Le Monde" du 23 novembre 2000 :
Q - Au-delà de la question de la réforme des institutions, le Conseil européen de Nice va aborder le problème plus large de l'organisation future de l'Europe. Lionel Jospin s'est montré timoré après les discours du ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer, et du président Jacques Chirac. Quelles sont les raisons de ce silence ?
R - Les discours que vous évoquez ont eu un effet utile, mais aussi quelques effets pervers : la notion d"'avant-garde", de "groupe pionnier", de "coeur de l'Europe", toutes notions auxquelles je crois, ont eu pour effet de faire craindre aux petits pays qu'ils n'en seraient pas, et donc de durcir leurs revendications dans le cadre de la CIG (Conférence intergouvernementale, chargée de la réforme des institutions européennes) sur des points certes essentiels, mais qui ne sont que des "points de pouvoir". A partir du moment où on a évoqué l'idée que l'Europe ne serait pas seulement hétérogène mais à deux vitesses, beaucoup ont craint d'être dans la deuxième division. Je veux vous rassurer : des idées, nous en avons, le Premier ministre en a. Les deux raisons pour lesquelles il a choisi de ne pas s'exprimer avant le mois de janvier sont - et c'est lié à la cohabitation - de ne pas donner l'impression qu'il y avait deux conceptions françaises en matière d'Europe, ensuite de ne pas compliquer le processus de négociation. Une fois passée la présidence française, l'Europe sera un des principaux enjeux de notre débat politique, en France, parce que, tout en ayant des conceptions qui ne sont pas incompatibles, nous ne pensons pas la même chose de l'avenir de la construction européenne.
Q - Cette prudence intègre-t-elle l'idée que l'opinion publique française ne veut pas brusquer les étapes de la construction européenne ?
R - Les Français sont très européens. C'est vrai s'agissant de l'euro et de la politique sociale, ça l'est peut-être moins à propos de l'élargissement, un thème qui pâtit d'un déficit de communication préoccupant. Il existe à ce sujet une majorité d'idées dans les partis politiques, mais pas dans l'opinion. Il n'empêche que les Français ont intégré l'idée que l'Europe est leur espace naturel, le lieu où désormais la France, qui est attachée à une certaine image d'elle-même, peut déployer sa puissance. Il y a donc de la place pour un grand dessein européen, mais celui-ci ne doit pas nécessairement déplacer les équilibres. Il ne faut pas plus accepter une "dérive intergouvernementale" qu'une "dérive communautaire". Ce qu'il faut, c'est rehausser, améliorer et réformer en profondeur chacune des trois institutions européennes, qui sont en crise, et les faire fonctionner avec des pouvoirs et des compétences plus importants.
Q - Au fond, c'est un super statu quo...
R - C'est une façon de voir. A titre personnel, je suis un militant politique et un militant européen et, à ce titre, je peux vouloir des transferts de souveraineté, cela ne me gêne pas. J'appartiens au parti socialiste, qui n'a jamais eu honte d'évoquer le mot fédéralisme. En même temps, je constate qu'il est vraisemblable que, compte tenu de l'état de l'Europe, de son déficit de fonctionnement, et de ce que sont les peurs, parfois les psychoses de nos concitoyens, il n'y a pas dans le peuple un appétit formidable pour de nouveaux transferts de souveraineté. Dès lors, il faut faire une Europe qui marche, tout simplement, qui soit capable d'attirer. Si ces conditions sont remplies, des transferts de souveraineté seront possibles.
De toute façon, à qui, aujourd'hui, transférer des pouvoirs, des compétences, des responsabilités ? A une Commission qui a connu plusieurs crises et des difficultés de fonctionnement ? A un Parlement européen qui représente une formidable richesse, mais qui pour le moment est trop centré sur ses propres pouvoirs ? A un conseil des ministres qui ne fonctionne pas ? Qui est à la fois pléthorique et incapable de décider ? Il faut avoir une machine qui retrouve le sens de la marche en avant pour être capable d'envisager de nouvelles étapes. Disant cela, je ne suis pas frileux : c'est d'ailleurs le sens profond du concept de fédération d'Etats-nations défendu par Jacques Delors. C'est une Europe qui assume complètement ses compétences fédérales, lesquelles doivent être développées.
Il faudra à un moment donné passer à des formes de fédéralisme budgétaire, avec un budget européen qui dépasse le seuil actuel des 1,27 % du PIB. Encore faut-il montrer à nos concitoyens que la dépense communautaire est plus efficace que la dépense nationale. Je suis donc pour un fédéralisme d'Etats-nations. Etre européen, ce n'est pas seulement être pour toujours plus de pouvoirs pour le Parlement et la Commission, car il faut aussi davantage de pouvoirs pour le Conseil. Il faut restaurer le triangle institutionnel dans un équilibre plus dynamique. Fondamentalement, de toute façon, je ne pense pas que la Commission puisse devenir l'"exécutif européen".
Q - Le débat sur l'avenir de l'Europe ne pourra s'engager sérieusement que si le Conseil de Nice trouve un accord sur la réforme institutionnelle. Le président de la République met l'accent sur l'avenir de la Commission et la repondération des voix au Conseil, alors que le gouvernement privilégie l'extension des voix à la majorité qualifiée...
R - Il n'y a pas de contradiction. Le vote à la majorité qualifiée est sans doute plus important pour l'avenir de l'Union, car il s'agit bien de restaurer notre capacité de décision. Mais il est certain que du point de vue du pouvoir et de la perception de la souveraineté, le binôme Commission-repondération est sans doute le plus visible, et aussi celui qui fait le plus problème chez ceux qu'on appelle, de manière impropre, les "petits pays", qui font de la présence d'un commissaire de leur nationalité une condition représentative de leur légitimité.
L'enjeu, c'est de savoir de quelle Commission nous parlons : est-ce qu'elle va rester - ce qu'elle n'est déjà plus tout à fait - un organe original chargé d'impulser les politiques européennes, ou va-t-elle devenir une sorte d'organe intergouvernemental où sont représentés chacun des intérêts nationaux ? Si le second cas de figure l'emporte, il risque d'y avoir une forte redondance avec le Conseil. En même temps, la Commission risque de perdre son originalité et sa légitimité, et aussi son efficacité si elle devient trop nombreuse. C'est pour cela que nous militons pour un plafonnement de la Commission, car si c'est le principe de "un commissaire par Etat membre" qui prévaut dans une Union à vingt-sept ou trente, alors chacun pourra se targuer d'avoir un commissaire, mais cette Commission ne sera plus rien !
Q - Les "coopérations renforcées", est-ce au fond un outil permettant de passer outre aux blocages ?
R - Elles sont un élément indispensable de souplesse pour l'avenir, mais elles ne doivent pas devenir le mode d'emploi ordinaire de l'Union européenne. Il ne doit y avoir coopération renforcée que lorsqu'on a envie d'aller un peu plus loin sur tel ou tel sujet, en dehors du champ des strictes politiques communautaires. On arrive aujourd'hui à un accord sur ce point. Leur souplesse doit être dans le nombre de participants, mais aussi dans les règles de fonctionnement
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)
Interview dans "Paris-Match" le 23 novembre 2000 :
Q - Vous recevez, à Sochaux, les pays candidats à l'Union européenne ; qu'avez-vous donc de nouveau à leur dire ?
R - Il faut d'abord les associer à l'avenir commun de l'Europe. Nous devons ensuite faire avec eux le point de la réforme des institutions nécessaires avant l'élargissement. Nous discutons aussi de la façon dont nous devrons vivre ensemble. Ils attendent encore qu'on leur explique comment et quand nous comptons les faire entrer dans l'Europe.
Q - Ils piétinent devant la porte ?
R - C'est vrai, ils sont impatients. Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, ils espèrent adhérer à l'Europe. Ils voient les dates de 2003, 2004, 2005 qui approchent. Nous sommes dans la dernière ligne droite. Alors même si, pour eux, deux ou trois ans c'est important, à l'échelle historique ce n'est rien.
Q - Certains des pays candidats, comme la Pologne, ayant décidé de boycotter notre viande de boeuf, y aura-t-il de la vache folle au menu ?
R - Certains en parleront peut-être dans les couloirs, mais ce n'est pas le sujet. Nous avons besoin de parler de l'E.s.b. entre les Quinze pour mettre au point une meilleure sécurité alimentaire. Les consommateurs attendent des garanties. Elles seront utiles à tous, y compris à l'égard des pays candidats.
Q - Kostunica frappe désormais, lui-aussi, à la porte de l'Europe, cela vous paraît-il jouable ?
R - Nous avons commencé l'Europe à six, aujourd'hui nous sommes en train de passer une nouvelle frontière. Avec la Turquie, nous arriverons à vingt-huit. Si les pays des Balkans réussissent à retrouver leur unité et une certaine sérénité, ils ont vocation à entrer dans l'Europe. Mais il leur faudra effectuer le "parcours du combattant". La perspective d'une Europe à trente-cinq existe, mais pas avant l'horizon 2015.
Q - Les pays des Balkans, de par leur histoire et leur culture, ne devraient-ils pas entrer avant la Turquie ?
R - La Turquie reste un cas particulier. Elle était candidate, dès 1963, avant les autres. Son adhésion est un pari et il n'est pas gagné. C'est clair, ce n'est pas l'Europe qui s'écartera de ses principes démocratiques pour faire entrer la Turquie, mais la Turquie qui doit faire sienne nos valeurs. Et il est possible que certains pays des Balkans accèdent à l'Union européenne avant elle.
Q - Mais avant l'élargissement, les Quinze doivent réformer les institutions et là, cela patine, non ?
R - C'est sûr, l'Europe aurait beaucoup de problèmes à trente. C'est pourquoi nous devons absolument aboutir à Nice, sinon cela compliquera le processus d'élargissement.
Q - La France, qui préside l'Union européenne, parviendra-t-elle à influencer les Quatorze ?
R - Nous sommes dans le schéma classique des négociations européennes. Actuellement, nous commençons les discussions intenses. Nous entrerons dans la phase décisive avec le Sommet de Nice en décembre. Les chefs d'Etat et de gouvernement auront à dénouer les derniers blocages. Ce sera le temps de la confrontation, avec ses moments de tension, voire de crise, puis celui de la solution. J'ai confiance.
Q - Quels sont les problèmes les plus difficiles à résoudre ?
R- Nous n'avons toujours pas réglé le problème de la taille de la Commission et celui de la pondération des voix. Ce seront les sujets les plus compliqués. Reste encore le vote à la majorité qualifiée. Nous avons devant nous trois semaines décisives. La tournée que le président de la République, Hubert Védrine et moi-même effectuerons la semaine prochaine dans les capitales européennes devrait nous permettre d'avancer. N'oublions surtout pas que, il y a trois ans, à Amsterdam, nous n'étions pas parvenus à un accord. Cette fois, la France préfère pas de traité du tout plutôt qu'un mauvais accord. Nous voulons une vraie réforme ou rien. Mais nous espérons aboutir
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 novembre 2000)