Texte intégral
Monsieur le Président du Mouvement des entreprises de France,
Monsieur le Président du MEDEF international,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
En rebaptisant le CNPF, Mouvement des entreprises de France, vous avez voulu projeter à l'extérieur une image de dynamisme et de modernité qui a été logiquement bien accueillie. Je remercie M. Ernest Antoine Seillière et M. François Périgot de leur invitation à cette Assemblée générale à l'occasion de ce nouveau départ. Je dois dire, compte tenu, de la façon dont je conçois le rôle aujourd'hui du ministère des Affaires étrangères et de la façon dont je m'investis personnellement dans ces questions, tout en les remerciant beaucoup je ne trouve pas que l'idée soit saugrenue en réalité de m'avoir suggéré de venir vous parler. D'une part en raison de la présence de nombreux ambassadeurs, cela a été rappelé, mais tout simplement parce que nous sommes d'une certaine façon les uns et les autres engagés dans le même mouvement et là je reprends le mot qui appartient à tous parce qu'il définit pas que votre organisation.
Lors du lancement du MEDEF, à Strasbourg, M. Seillière a appelé de ces voeux une relation normale et confiante avec les pouvoirs publics. Je dois vous dire en ce qui me concerne et en ce qui concerne l'action dont j'ai la charge, à savoir de la politique étrangère de la France, c'est pour moi une évidence, une évidence qui est à mettre en pratique tous les jours mais qui doit s'alimenter aux sources d'une vision stratégique commune sur ce que nous voulons faire à long terme. Le thème que vous avez choisi d'ailleurs est au centre de cette réflexion, la stratégie internationale des entreprises françaises. Et ce qui me frappe c'est que votre horizon naturel de travail et de réflexion, c'est à dire le monde tel qui l'est aujourd'hui est aussi celui dans le cadre duquel nous avons à définir la façon pour notre pays de défendre ces intérêts, ces projets, ces valeurs, ces conceptions, tout ceci formant un tout car naturellement il n'y a pas à opposer les valeurs et les intérêts.
Un mot sur ce monde actuel. Naturellement, on parle de mondialisation tous les jours. C'est presque une banalité. Mais cette mondialisation appelle une première question : est-ce que nous sommes et est-ce que nous allons dans une mondialisation sauvage ou une mondialisation civilisée, ordonnée ? Ce n'est pas tout à fait la même chose et cela n'appelle tout à fait les mêmes réponses et les mêmes politiques. Cette mondialisation met en présence 185 pays. Il n'y a jamais eu autant d'acteurs de souveraineté dans le monde sans parler de souveraineté non étatique, je veux dire par là de ces entités qui grignotent la souveraineté traditionnellement étatique. Donc il y a d'un côté l'ensemble de ces pays avec lesquels nous sommes en train de négocier plus ou moins en permanence sur toute une série de sujets, et de l'autre le phénomène américain. A propos des Etats-Unis, j'emploie souvent l'expression d'hyperpuissance américaine pour bien dire que nous avons à faire à quelque chose de particulier. Ce n'est plus ce que l'on a appelé la grande puissance dans l'histoire, au sens congrès de Vienne, c'est plus que cela. C'est plus encore que la superpuissance de la guerre froide quand on opposait les Etats-Unis à l'union soviétique. Aujourd'hui, nous avons à faire à une puissance qui est prédominante dans toutes les catégories et nous avons à l'intégrer. Je parle directement et simplement; je sais qu'ici le langage réaliste est considéré comme allant de soit. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Les Etats-Unis d'aujourd'hui sont dominants en matière économique, en matière technologique. Ils l'étaient en matière monétaire jusqu'à la décision majeure stratégique de l'euro, dont on entrevoit déjà les effets. Mais ils le sont aussi en matière culturelle, linguistique, mentale en quelque sorte, et c'est un phénomène qui est frappant et qui est fort dans l'ensemble du monde. Les instruments de la puissance à cet égard sont autant CNN et Hollywood, la langue, les phénomènes culturels ou de mode de vie, que les porte-avions ou les missiles de croisière. Donc, il faut avoir ces deux idées à l'esprit : la mondialisation d'un côté avec un pullulement d'acteurs, et d'autre part ce phénomène américain. Il faut les avoir à l'esprit pour savoir sur quelles bases on travaille et comment nous nous organisons pour être les plus efficaces possibles et les plus performants possibles.
Comme votre action à vous, la diplomatie de la France doit inscrire dans son champ d'action l'ensemble des relations de notre pays avec le monde extérieur, que les relations soient nouées par les dirigeants politiques bien sûr, par les responsables, par les diplomates mais aussi par les chefs d'entreprises, par les chercheurs, par les intellectuels, par les gens de culture.
La diplomatie ne peut plus tirer son utilité et son prestige que d'une sorte de domaine réservé ou d'exclusivité, notion qui remonte à une époque ou ces catégories d'intervention étaient précisément distinctes. Mais elle doit, aujourd'hui, effectuer une synthèse de l'ensemble des formes d'interventions d'un pays pour préparer la hiérarchisation des interventions. Cela est vrai dans le domaine politique proprement dit, c'est vrai dans le domaine économique, c'est une évidence pour vous, c'est vrai dans le domaine culturel, c'est vrai dans le domaine juridique. Il faut avoir à l'esprit l'ensemble de ces plans parce que c'est surtout ces terrains que se joue, que se prépare l'influence de notre pays dans 10, 15, 20 ans. Et c'est à partir de l'ensemble de ces données, c'est à partir de l'ensemble de ces objectifs et de ces terrains que nous devons fixer des priorités, les transformer en objectifs de négociations et préparer les conclusions , les échéances, à tout moment, aujourd'hui, comme dans 1 an, comme dans 5 ans. Nous sommes engagés dans plusieurs négociations très importantes. C'est parfois stratégique, c'est parfois économique, cela porte parfois sur des normes techniques apparemment sans importance, mais qui auront une influence déterminante. Par exemple, il y a des comités techniques au sein de la FAO qui travaillent sur des normes sanitaires, on y accorde plus ou moins d'importance mais on s'apercevra dans quelques années que telle ou telle norme servira de base à un arbitrage au sein de l'Organisation mondiale du commerce qui pourra avoir des répercussions colossales pour notre économie, pour notre industrie, pour beaucoup de pans d'activités.
Je pense à ce petit exemple parmi des dizaines d'autres possibles pour dire que, dans la fonction de politique étrangère aujourd'hui et dans la fonction technique de diplomatie, il faut avoir une vigilance sans exclusive. Il faut pouvoir sur tous les terrains et à toutes les échéances, vérifier, observer tout ce qui peut intervenir dans la contribution des rapports des forces de demain. Et c'est comme ça que nous travaillons jour après jour à l'élaboration du cadre au sein duquel vous développez votre propre stratégie. Il n'y a plus de frontière entre les différentes formes classiques d'intervention : diplomatie classique, action économique ou autre. Tout est imbriqué. Vous le savez. On voit bien qu'il n'y a plus guère de questions politiques ne soient liées à une dimension ou à des intérêts économiques. Regardez par exemple la problématique des sanctions, des dimensions purement politiques, purement stratégiques pour ne pas dire morales dans certains cas, il y a un volet juridique et une dimension économique qui est colossale. Encore que ceci ne suffise pas à expliquer cela. On ne peut pas expliquer l'ensemble de ce qui se passe au Proche-Orient et au Moyen-Orient par des arrière-pensées ou des calculs économiques parce que souvent la prise en compte des intérêts économiques peut aboutir à un éventail de solutions politiques possibles. D'autres choses jouent mais en tout cas, l'imbrication est tout à fait évidente.
Ces quelques considérations pour vous dire que c'est ce type d'approche globale, interactive, imbriquée que je développe au sein de mon département ministériel qui naturellement ne m'a pas attendu pour avancer dans cette direction, pour avoir une direction économique active, mais en tout cas, en ce qui me concerne, j'essaie de donner une impulsion supplémentaire et d'imprimer ma marque à cette orientation.
Depuis que je suis dans ces fonctions, je l'ai fait en ayant des contacts très réguliers avec de nombreux chefs d'entreprises et j'ai entrepris, dans la limite de mon temps disponible qui est faible, comme vous l'imaginez, de rencontrer les responsables pour le moment des grands groupes. Je le fait méthodiquement et quand j'aurais fait ce tour des grands groupes, j'irai plus loin, pour croiser les analyses, pour croiser les informations : l'analyse que les grands groupes français font du monde, leurs rapports de forces, Qu'attendent-ils de l'administration, de la diplomatie, des Ambassadeurs ? Que peut-on fournir ? La relation est-elle satisfaisante ? Peut-on encore affiner les services que nous vous rendons ? Les services que vous nous rendez, c'est en apportant des éléments d'information et d'analyse sur une série de pays, sur l'évolution des rapports de forces, sur l'évolution dans certains secteurs, en mettant en commun ces informations pour mieux préparer les batailles de demain. En sens inverse, nous pouvons apporter notre aide pour certaines négociations, pour l'évaluation de certains risques, pour la gestion de certaines crises.
Au-delà des rencontres personnelles que j'ai fait méthodiquement, naturellement, toute mon administration, que ce soit le Cabinet, le Secrétaire général, la direction économique, et aussi les directions géographiques ou juridiques, sont en contact étroit avec elles. Mais, tout cela ne se fait pas dans une vision purement Affaires étrangères, puisqu'une des autres orientations que j'ai données depuis que je suis là, dans le cadre d'une modernisation d'ensemble de ce Ministère que là aussi je poursuis et j'intensifie, un des autres axes, c'est d'avoir des relations les plus étroites, de coopération avec les autres administrations concernées. Au tout premier chef naturellement, le ministère de l'Economie et des Finances et en premier lieu la DREE dont le nouveau directeur est ici. Il s'agit de M. Jean-François Stoll.
Ce serait absurde que nous n'appliquions pas au sein de l'appareil d'Etat, au sein des administrations, au sein du gouvernement, que nous n'appliquions pas tous les jours les préceptes dont nous disons qu'ils doivent nous guider maintenant dans la relation entre les administrations publiques et le monde de l'entreprise. Une approche qui doit dépasser les clivages anciens pour dégager des synergies nouvelles et pour que nous ayons tous ensemble cet esprit de mouvement sous le signe duquel vous vous placez, dorénavant.
Dans le débat qui va suivre, vous allez évoquer les efforts d'adaptation des entreprises à la mondialisation des marchés. Pour ma part, je voudrais vous soumettre quelques réflexions sur la nécessité d'une meilleure régulation internationale et sur les négociations qui doivent nous y conduire pour que la globalisation soit, comme je le disais tout à l'heure plus ordonnée que sauvage.
En d'autres temps, cela aurait pu paraître un peu hérétique devant une audience forcément et par construction libérale. Mais compte tenu des réflexions qui ont été menées dans le monde et notamment en Europe ces dernières semaines, à la faveur de la crise, si j'en juge par les observations et les réflexions faites à propos de la façon dont nous avons traité la question russe, si je vois ce que d'anciens responsables prestigieux américains, comme Henri Kissinger, disent de la fonction et du rôle du FMI, mes observations à mon avis risquent de ne choquer personne. Et je pense que nous avons là aussi une approche française très forte. Parce que loin d'être en contradiction avec la loi du marché, un renforcement des mécanismes de régulation mondiaux est indispensable pour assurer la stabilité et la confiance des acteurs économiques et surtout pour conforter les cadres juridiques sans lesquels les entreprises ne peuvent pas faire leur travail en sécurité. Donc, quelques remarques, d'abord sur les désordres du monde, sur l'instabilité liée à la mondialisation.
Il a des effets bénéfiques que personne ne conteste : le développement des échanges, la croissance économique (en particulier dans les pays que l'on appelait autrefois le tiers monde), l'essor d'une société de l'information qui est favorable au développement progressif et méthodique de l'état de droit, et donc finalement de la démocratie. Et surtout, je le citais mais j'insiste, l'impulsion formidable donnée à la croissance mondiale, grâce à cette capacité à trouver des financements appropriés. Mais il faut noter aussi que le dépérissement du pouvoir régulateur des Etats (et naturellement vous l'avez certainement salué sur certains plans parce que vous devez être convaincus qu'il y avait un excès d'encadrement, un excès d'intervention, un excès de réglementation n'a a pas été entièrement maîtrisé).
La crise financière qui a frappé l'Asie, par exemple, et qui s'est étendue à un certain nombre de pays dits émergents montre bien les imperfections de cette globalisation et les inconvénients de la libération totale et parfois mal préparée de mouvements de capitaux. Je pense aux flux de capitaux à court terme. Inconvénients lorsque les marchés financiers ne sont pas convenablement régulés, lorsque la transparence et les règles prudentielles sont insuffisantes, lorsque les relations entre l'Etat et les intérêts privés sont opaques et équivoques. Tout ceci favorise l'aveuglement, la précipitation et le comportement moutonnier des marchés dans certains cas. Comme le disait il y a quelques temps un analyste, les capitaux se comportent comme une foule prise au piège d'un bâtiment où l'incendie se déclare, ils se précipitent en cherchant la sortie et ne savent où trouver refuge en balayant sur leur passage beaucoup de politiques élaborées au fil des années, car nous avons aujourd'hui des masses financières disponibles pour ce type de mouvement qui n'ont rien à voir à ce qui était le cas en 1970 ou même en 1980, nous avons à faire à des masses véritablement cycloniques.
L'ultralibéralisme a eu aussi parfois tendance à mettre au second plan ou oublier d'autres objectifs des politiques publiques, les équilibres sociaux, le droit des personnes, et surtout à brûler les étapes. Prenez, par exemple, le cas de la Russie ou plutôt de l'URSS, d'une façon globale, le monde a stratégiquement bien réagi avec l'URSS, à partir de 1989-1990, quand il a été clair que l'Union soviétique avait perdu la guerre froide. La communauté internationale a eu l'intelligence de ne pas refaire avec l'URSS de 1990-1991 l'erreur stratégique tragique par ses conséquences qui avaient été commises en 1918, par rapport aux vaincus de la guerre de 1914-1918. Donc, il y a eu une sorte d'intelligence stratégique collective.
Mais en ce qui concerne la politique économique, on peut dire que la réaction générale, aussi bien des Etats-Unis que de l'Europe, a été de plaquer à l'époque -il faut dire que les Russes le demandaient eux-mêmes mais ce sont des erreurs cumulées - plaquer sur les décombres, les débris de l'économie soviétique, totalement déstructurée, des recettes ou des mécanismes ultralibéraux que les économies occidentales elles-mêmes n'avaient pu supporter et assumer, qu'à partir des années 1980 ou 1990, et après des dizaines d'années pour ne pas dire 2 ou 3 siècles, de développement économique continu et qui avait enraciné cette capacité. Donc, vous avez dans la période récente cet exemple qui est intéressant. Et aujourd'hui, on voit que finalement ce qui a manqué dans cette précipitation, dans ce plaquage, qui aboutit au fait que la Russie est obligée de reconstruire les choses aujourd'hui comme si elle était en 1991. Un élément majeur qui a manqué, c'est la reconstruction d'un Etat, qui soit capable non de se mêler de tout, comme les entreprises l'ont longtemps déploré quand c'était à leur détriment, mais qui soit capable tout simplement de fixer le cadre dans lequel les choses fonctionnent.
Donc, il ne faut pas être dogmatique, il faut avoir une réflexion sur cette question de la mondialisation qui soit capable d'intégrer en même temps l'analyse fine des situations de chaque pays. Ces phénomènes compliqués sont aggravés par des facteurs proprement politiques. Ce n'est pas l'objet principal de votre réunion et de mon intervention, mais je ne peux pas ne pas les mentionner.
Un des problèmes, je l'ai déjà cité, c'est le nombre d'acteurs, ce que l'on pourrait appeler par une formule : la prolifération de la souveraineté. Il est certain que quand vous avez 185 pays dans le monde, plus un grand nombre d'organisations qui sont elles-mêmes devenues des centres de décisions, la façon de travailler pour organiser au mieux les problèmes qui se posent dans ce monde global, ressemble à une sorte d'assemblée perpétuelle de copropriétaires qui ont la plus grande difficulté à se mettre d'accord sur les choses les plus simples, d'où une difficulté, une lenteur apparente de la décision publique pour justement créer les cadres dont vous-mêmes avez besoin.
C'est pour toutes ces raisons, qu'il me semble aujourd'hui, dans l'intérêt des acteurs économiques eux-mêmes, que les Etats et les organisations internationales prennent davantage leurs responsabilités. Il faudrait que sans remettre en cause naturellement le libre échange, bien au contraire, nous évitions l'avènement d'une société de pur marché où la puissance publique aurait renoncé à presque tout, où la fiscalité, les droits de la personne ou l'organisation sociale elle-même seraient soumis à la loi du marché, et où ce serait la loi du plus fort. Donc, je dirais que plus on est libéral, plus on souhaite que les entreprises soient capables de remplir au mieux leur fonction et de jouer leur rôle dans une vision large comme le disait tout à l'heure en préambule le Président Seillière, plus on doit souhaiter que ces régulations sur les points fondamentaux, soient en état de marche.
Dans cette vision, l'Europe doit être le pivot de cet effort de régulation. C'est à partir de l'Europe que nous devons présenter l'essentiel de nos propositions et c'est sur l'Europe telle qu'elle est, telle qu'elle devient que nous devons nous appuyer le plus. Le marché unique, l'harmonisation des règles économiques sur le territoire communautaire est une réalisation capitale, un facteur de compétitivité essentiel pour nos entreprises. Je n'y insiste pas, c'est évident pour vous, vous êtes déjà en train de maximiser cette opportunité. L'euro sera aussi un atout majeur et peut-être le plus grand changement stratégique intervenu dans le monde depuis 30 ou 40 ans, mis à part la fin de la guerre froide dont j'ai parlé tout à l'heure. L'Europe économique et monétaire contribue déjà à la stabilité et à la croissance. Elle conforte la confiance des investisseurs internationaux. Peu de régions au monde sont aujourd'hui aussi sûres pour les investisseurs que la zone euro. Les événements des derniers mois l'on redémontré, chaque jour, a contrario. Rappelez-vous les polémiques, les interrogations qui ont accompagné cette marche vers l'euro. Rappelez-vous ces flots de scepticisme, d'interrogations, de manque de confiance en soi. Tout cela est derrière nous.
Il nous faut maintenant aller au-delà d'un espace économique intégré, construire une Europe capable de faire des choix politiques et sociaux et de négocier d'égal à égal avec ses principaux partenaires étrangers. Au-delà de l'oeuvre accompli, il nous aller plus avant pour que l'opinion adhère davantage au projet européen. Par exemple, dans les domaines de l'harmonisation de la fiscalité et des réglementations sociales, c'est quelque chose qui a un impact absolument décisif dans les deux sens. Ce défi est particulièrement important à la veille d'un nouvel élargissement. Il ne faudra pas, à cette occasion, abaisser la norme européenne ni surtout paralyser la capacité de décision de l'Union.
Un mot justement sur la situation où nous en sommes par rapport à l'Europe. On a déjà, dans les interventions de ce matin, mis l'accent sur l'élément le plus positif, le plus fort et le plus structurant de ce qui se passe en ce moment dans l'Union européenne, c'est l'euro. L'euro qui aura - expression que j'emploie depuis longtemps, même avant d'être ministre - une sorte de puissance fédératrice. Non pas que je sois fédéraliste au sens du droit constitutionnel, mais parce que je pense que de fil en aiguille la réalité de l'euro va conduire à fédérer les initiatives, les comportements et amener la coordination des politiques économiques et sociales encore plus loin que l'on ne peut l'imaginer aujourd'hui. C'est une question dont les ministres de l'Economie et des Finances en Europe et au tout premier plan Dominique Strauss-Kahn sont très convaincus et très porteurs. Mais en même temps, nous avons devant nous une phase difficile et il vaut mieux en être conscients à l'avance, tout simplement parce que nous avons à négocier en même temps une série de sujets déjà très complexes séparément et encore plus difficiles quand on les interconnecte.
Nous avons à nous mettre d'accord dans les mois qui viennent sur la façon dont nous allons financer la poursuite de l'Union européenne dans les années 2000-2006, c'est ce que l'on appelle l'Agenda 2000. Nous avons à redéfinir une conception commune de la poursuite de l'élargissement de l'Union européenne alors que les points de vue sont divers. Nous avons -et c'est une exigence française forte - à réformer les institutions de l'Union européennes avant ces prochains élargissements pour que l'Europe ne se dilue pas. Nous avons à donner corps à la politique étrangère et de sécurité commune. Et tout cela nous avons à le faire en même temps, non pas parce que nous avons choisi d'accumuler les difficultés jusqu'à les rendre peut-être dans certains cas, momentanément insolubles, mais tout simplement parce que le calendrier, les engagements nous imposent cette négociation. Il faut que nous commencions par trouver une solution qui supposera un esprit de compromis et des gestes de la part de tous les participants sur l'Agenda 2000. Au point de départ, si on met des positions sur le papier, ce n'est pas soluble. On voit que l'Allemagne comme les contributeurs nets veulent payer beaucoup moins. On voit que les pays du sud, dits de la cohésion, ne veulent renoncer à rien, surtout pas dans le contexte des élargissements à venir, des fonds structurels qui sont essentiels pour leurs économies. On voit que la Grande-Bretagne ne veut pas que l'on remette en cause les arrangements de 1984 et nous la France nous ne voulons naturellement pas être la variable d'ajustement de l'ensemble des problèmes des autres et que la politique agricole commune soit remise en cause dans son principe. Voilà les positions de départ. Apparemment ce n'est pas soluble. Nous sommes engagés dans cette négociation. Elle a commencé sérieusement. Maintenant, nous allons essayer de la conclure sous la présidence allemande. C'est l'objectif que nous nous sommes donné. Nous allons essayer de la conclure même dès le Conseil européen spécial du mois de mars. Nous ferons tout pour y arriver. Nous ne pourrons y arriver que si chacun de ceux que j'ai cité et en réalité chacun des Quinze, y met du sien. Quant à l'élargissement, il s'agit pour l'essentiel de réduire la différence d'approche qui a pu apparaître dans les années passées, l'approche française consistant à dire élargissement oui parce que c'est un impératif, et une évidence historique, culturelle de civilisation pour l'Europe, mais élargissement bien négocié après avoir renforcé la capacité de l'Union européenne à fonctionner demain non pas à quinze, mais à 20, 25 ou 30, d'où les réformes institutionnelles avant.
Et ces dernières années, nous avions le sentiment que l'approche allemande était plutôt résumable par la formule : priorité à l'élargissement, et nous avions le sentiment d'une sous-estimation des conséquences de cet élargissement sur le fonctionnement de l'Union alors que quand nous posons ces problèmes ce n'est évidemment pas pour reparler de l'élargissement, c'est encore moins pour le compliquer, c'est tout au contraire pour faire en sorte que les problèmes qui pourraient se poser après cet élargissement soit aperçu avant ; réglés avant, et que l'Union continue à fonctionner et à travailler sur une base claire et assainie. Ce qui est encourageant sur ce point et ce qui est prometteur, c'est que l'actuel gouvernement allemand approche cette question avec toujours autant de détermination sur l'élargissement, mais nous semble-t-il en même temps avec réalisme et que quand on parle aujourd'hui avec les pays candidats, leur volonté politique d'intégrer cette Union européenne est évidemment toujours aussi grande qu'avant, mais ils nous comprennent quand on leur dit : vous voulez venir dans l'Union européenne parce que l'UE est forte, parce qu'elle marche, parce qu'elle est riche, parce qu'elle est capable d'avoir des politiques communes, par conséquent vous devez nous aider, vous devez soutenir de là où vous êtes aujourd'hui en attendant d'être dedans demain, vous devez soutenir les efforts de la France pour trouver une solution financière raisonnable, vous devez soutenir les efforts de la France pour qu'il y ait des réformes institutionnelles nous permettant de fonctionner demain et d'éviter la paralysie, vous devez nous aider à éviter la dilution de l'UE, quelle serait votre victoire si vous entriez dans une Union incapable de faire ce qui vous attire quand vous voulez y aller ? Et aujourd'hui ce discours et ce dialogue peut avoir lieu à Varsovie à Prague à Budapest et ailleurs, donc nous sommes en train de dépasser heureusement ce clivage qui semblait s'installer dans cette perception de l'élargissement.
Quant aux institutions, il y a tout un travail pragmatique à faire pour que les Conseils des ministres, le CAG, qui est global et qui coordonne, le Conseil européen, la Commission, le Parlement pour que tous ces organes de la décision au sein de l'UE soient plus efficaces et plus performants. Et il y a sur un certain nombre de points concernant la taille de la Commission, concernant la pondération des droits de vote, concernant le recours élargi au vote à la majorité qualifiée,. des réformes à faire, (le plus tôt sera le mieux et en tout cas avant l'élargissement suivant) qui viendront compléter les acquis du traité d'Amsterdam qui ne sont pas inexistants mais qui sont quand même insuffisants pour que nous puissions aborder l'avenir de l'Union élargie sur cette seule base. Voilà le travail européen actuel. Je suis venu vous parler de vos problèmes et je profite de la circonstance pour vous parler des nôtres parce que ce sont aussi les vôtres.
Vous voulez que d'une façon ou d'une autre l'UE soit forte et qu'elle soit porteuse de nos idées. Evidemment tout cela ce sont les questions que nous avons commencé à aborder d'emblée avec la nouvelle équipe allemande parce que ça ne se conçoit pas et on ne trouvera pas de compromis qui marche si nous ne rebâtissons pas les bases de l'entente franco-allemande sur tous ces points et il ne s'agit de prendre des initiatives marginales sur des sujets intéressants mais un peu périphériques. Il s'agit de prendre le taureau par les cornes. Il y a des sujets qui se posent qui sont compliqués, qui sont ceux que nous avons, que j'ai énumérés tout à l'heure et c'est de cela dont parlent le chancelier et le Président, le chancelier et le Premier ministre, les ministres des Finances, les ministres des Affaires étrangères ensemble.
J'en viens à mon point suivant, à un marché mieux régulé. Cela passe aussi par le renforcement des organisations multilatérales.
La France a fait des propositions pour une meilleure régulation financière internationale ; elle l'a fait par la voix du Président de la République, par les initiatives du ministre de l'Economie et des Finances qui a présenté un mémorandum et j'ai eu moi-même l'occasion de présenter ces idées françaises à l'Assemblée générale des Nations unies. Sans le Fonds monétaire international, la situation récente aurait été pire mais il est vrai aussi que le Fond n'a pas eu dans certains pays les moyens, l'ambition, ni peut-être la légitimité politique suffisante pour imposer certaines réformes de structure, certaines réformes politiques difficiles qui auraient rendu ces interventions plus efficaces. Il faut donc, pour faire face à l'instabilité financière, que les règles soient à la hauteur du phénomène actuel de globalisation.
Lorsque dans un pays particulier, l'opacité, les collusions, l'absence de surveillance prudentielle se perpétuent, c'est l'ensemble du système financier international qui peut être en péril par contagion, lorsque ce chaînon cède. C'est pourquoi la France a préconisé un renforcement de la transparence des opérations des institutions financières, mais aussi des opérateurs privés ainsi que le renforcement des mécanismes de surveillance sur ces opérateurs, y compris les fonds les plus spéculatifs. Elle a aussi recommandé une approche plus ordonnée et progressive de la libéralisation des mouvements de capitaux, notamment à court terme. Elle a enfin proposé la mise en place d'un véritable gouvernement politique du FMI, approuvant par vote les orientations stratégiques afin de renforcer sa légitimité. Nous avons proposé ces aménagements (le Président comme le Gouvernement) parce que nous sommes convaincus que le FMI garde un rôle essentiel pour soutenir les économies saines attaquées par des spéculateurs et qu'il faut lui apporter des ressources et des moyens d'action indispensables. Mais le FMI doit aussi tirer les leçons de ce qui s'est passé ces derniers mois et se livrer à une analyse véritable de sujets comme celui de la Russie dont je parlais tout à l'heure pour peut-être intégrer des leçons, pas uniquement économiques mais également politiques dans la façon dont il faut qu'il aborde les crises qui se reproduiront sans doute malheureusement.
Dans le domaine des échanges internationaux, de nouvelles négociations vont s'ouvrir au sein de l'Organisation mondiale du Commerce à partir de la fin 1999 et nous les avons à l'esprit ; il faut ensemble s'y préparer.
La France devra s'engager de façon constructive dans ces négociations. L'OMC est un progrès en soi. La France y défendra ses intérêts, que ce soit dans le domaine agricole, dans le domaine des services et dans les secteurs industriels. Mais, même si certaines de ses négociations s'annoncent difficiles, il est de notre intérêt de faire en sorte qu'elles aient lieu dans ce cadre qui offre la garantie du multilatéralisme et d'un règlement des différends équilibré et qui jusqu'à présent à pu contenir certaines tentations unilatérales - je dis bien certaines, parce que naturellement, les Etats-Unis, de par leur poids particulier, de par l'idée qu'ils se font de leur mission - sont évidemment tentés chaque matin d'employer des pratiques plus unilatérales que multilatérales ou négociées. Ce cadre nous paraît le plus pertinent pour progresser dans l'ouverture des échanges que nous souhaitons poursuivre mais d'une façon maîtrisée. C'est pourquoi nous avions refusé la proposition d'un accord de libre échange transatlantique que nous avait présenté la Commission - plus exactement un commissaire qui s'était automandaté sans qu'aucune instance politique européenne ne lui en ait donné l'orientation -, mais nous sommes prêts à approfondir le plan d'action transatlantique. La nouvelle proposition de partenariat économique (TEP) devrait être approuvée au prochain sommet Etats-Unis/Union européenne, mais il n'a pas les inconvénients du projet précédent, il est tout à fait différent, et notamment il ne crée pas un mécanisme d'arbitrage ou de résolution des différends concurrent de l'OMC; il n'a pas l'ambition d'arriver à un traité, comme c'était le cas dans le projet précédent, nous étions dans un embrouillamini qui n'était pas qu'économique, parce que sur le plan européen aussi, un des objectifs de notre politique c'est de reprendre le contrôle de la décision de ce qui se passe dans cet ensemble européen qui est devenu trop souvent une "usine à gaz". Or il faut une décision politique claire et que n'importe quelle initiative prise à n'importe quel niveau ne puisse pas nous mettre dans des engrenages que nous n'avons pas souhaités. Il faut que nous puissions mener et pas simplement réagir.
Cependant, même dans l'OMC qui est un cadre meilleur, préférable, un équilibre devra être trouvé, plus que dans le passé peut-être, entre les progrès de la libéralisation et ceux de la régulation. L'OMC, comme naguère l'OCDE, lorsqu'elle s'est enlisée dans la mauvaise voie de la négociation de l'AMI (même si sur un plan théorique, on pourrait considérer que sur certains plans nous avions intérêt à des progrès) risque en effet d'être à son tour critiquée et neutralisée si elle ignore certaines attentes de l'opinion publique en ce qui concerne des sujets aussi divers que la protection du consommateur, l'environnement, la diversité culturelle, le respect des normes sociales, la lutte contre la corruption, sujets divers mais que vous connaissez très bien parce que c'est une composante maintenant permanente du contexte dans lequel vous avez à agir.
Certaines de ses décisions récentes - je parle de l'OMC (par exemple sur la viande aux hormones) peuvent évidemment susciter des inquiétudes à cet égard. Il faudra aussi selon nous que le système multilatéral de règlement des différends soit renforcé pour faire clairement échec aux sanctions unilatérales extraterritoriales - je fais allusion à ces lois votées à l'initiative de sénateurs américains dans certains cas pour des raisons tenant souvent à leurs circonscriptions, mais qui par le biais des pouvoirs que le Sénat américain voudrait s'attribuer, ont des conséquences sur le reste du monde et finissent par poser des problèmes carrément diplomatiques ; c'est évidemment le contraire de ce qu'il faut faire.
Il faudra enfin que l'Organisation mondiale du Commerce, en particulier dans le domaine de l'investissement, s'attaque aux obstacles réels qui affectent les projets des entreprises plutôt que de s'engager dans des voies qui portent atteinte de façon irrémédiable à la souveraineté des Etats, sans que l'économie mondiale en bénéficie véritablement.
Je voudrais dire maintenant que la coopération multilatérale doit aussi s'élargir à de nouveaux enjeux.
Vous allez je crois traiter du commerce électronique. La société de l'information est aujourd'hui un domaine sans règle. S'il convient évidemment de préserver le caractère convivial, sympathique, décentralisé des nouveaux réseaux, il n'en faut pas moins un cadre juridique minimal pour protéger les consommateurs et les citoyens. Internet ne peut pas être un espace de non-droit au moment où tous les jours, que ce soit dans nos sociétés et plus encore dans celles qui ont encore un long chemin à parcourir, on parle de renforcement de l'état de droit.
L'environnement ensuite : La lutte contre le réchauffement du climat est évidemment un enjeu fondamental, vital, tout simplement pour les générations futures. Les négociations en cours dans ce domaine sont trop peu ambitieuses, il y a un décalage entre l'analyse que nous livre maintenant de façon de plus en plus convergente et de plus en plus inquiète l'ensemble de la communauté scientifique mondiale et des objectifs que nous fixons à nos négociations et que nous n'arrivons même pas à atteindre ; c'est un décalage trop grand, dangereux, qui ne pourra pas durer. Une des difficultés est peut-être qu'il n'y a pas d'organisation multilatérale capable de dégager une vision d'ensemble dans ce domaine et surtout de faire avancer les discussions. Il est vrai que les enjeux sont multiples et complexes et que les répercussions sur les entreprises sont potentiellement considérables. C'est une question qui va revenir à l'ordre du jour de façon de plus en plus insistante et nous aurons sur ce sujet en particulier à établir une vraie coopération, une vraie coordination de négociations entre les pouvoirs publics : le ministère de l'Economie et des Finances, des Affaires étrangères, l'Environnement et d'autre part les entreprises, ce à quoi s'ajoutera ensuite la coordination européenne, parce que ce sont des négociations (Kyoto, Buenos Aires, etc.) qui se traitent au niveau européen.
La question des sanctions économiques ensuite : Elles sont prises en général au nom de considérations de sécurité nationale ou de protection des droits de l'homme. Cette question est clairement du ressort du Conseil de Sécurité des Nations unies. Or, il y a eu au cours de ces derniers temps un recours abusif à des sanctions unilatérales - peut-être même à des sanctions multilatérales, légitimes mais peut-être inopportunes, même quand elles sont légitimes - en tout cas un recours abusif à cette politique. Nous combattons le recours unilatéral à des sanctions de ce genre, elles sont souvent inefficaces, souvent contre-productives, et c'est une façon critiquable de tenter de régler les crises mondiales en prétendant imposer sa loi de loin sans avoir à s'investir véritablement dans la recherche des solutions.
Je voudrais terminer cette intervention devant vous en évoquant rapidement le rôle que les entreprises peuvent jouer dans la préparation de toutes ces négociations et plus généralement dans ce que j'appelle notre diplomatie économique qui est la combinaison de nos actions et des vôtres. Dans la plupart des domaines ce sont certes des fonctionnaires qui conduisent les négociations, souvent M. Stoll qui est là par exemple ou ses représentants ou ceux de mon département, le plus souvent la combinaison des deux. Mais le rôle des acteurs économiques, des ONG, des groupes d'expression est devenu essentiel. S'agissant des entreprises, il est capital qu'elles suivent de très près, nous le souhaitons, nous le demandons, les négociations qui les concernent et qu'elles fassent connaître le plus tôt possible leur position, qu'elles participent à l'élaboration des positions et qu'elles en suivent ensuite le déroulement ; parce qu'une chose est de définir les conditions au départ, une chose est de conduire à la négociation. Dans toutes les négociations, (on voit bien ce que je vous disais tout à l'heure sur l'Agenda 2000), il y a une phase de préparation, d'affichage, de posture, dans laquelle chacun dit : "nous n'accepterons jamais ceci, nous exigeons cela, nous ne bougerons jamais", et après la négociation commence et elle est marquée par le mouvement bien sûr, donc les choses bougent. C'est là où l'arbitrage est à faire entre ce qui est vital et ce qui est secondaire, ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas. C'est quelque chose qui n'est pas fait tous les quinze jours, cela peut changer en quinze minutes.
Il y a un temps d'accélération. Je pense que la concertation entre les entreprises et l'administration est maintenant devenue dans notre pays excellente, en période normale. Mais en période d'accélération de négociations, il peut y avoir une sorte de coordination de crises à perfectionner. C'est en tout cas la proposition que je vous fais.
Ces considérations s'appliquent tout à fait à ce qui se passe dans les enceintes de normalisation, que ce soit au sein de l'UE ou dans le cadre multilatéral. Mais c'est vrai aussi dans d'autres domaines, par exemple, pour la gestion d'Internet que j'ai cité, pour la négociation des règles de protection du consommateur ou de la propriété intellectuelle. Les entreprises, malheureusement surtout américaines aujourd'hui, comme l'a montré récemment la conférence d'Ottawa sur le commerce électronique, jouent un rôle leader, parfois même exclusif, en élaborant des codes de conduite qui sont faits sur mesure et qui seront ensuite éventuellement repris par les négociateurs des Etats. Il faut être très attentif à tout cela. Il est très important que les entreprises françaises s'efforcent d'être plus présentes encore dans les forum de discussions, de consultation, qui forgent l'humus de tout cela, qui préparent l'opinion internationale dominante, qu'elles participent activement aux différents forums d'hommes d'affaires, comme le TABD, le forum de dialogue transatlantique, c'est un exemple parmi tant d'autres, ou celui de l'ASEM ou encore aux diverses rencontres bilatérales qui facilitent le développement des échanges et les investissements de part et d'autre. Je sais bien que pour le entreprises c'est comme pour l'administration, on est invité à un colloque, à un forum et on a toujours quelque chose de plus urgent à faire que d'y aller mais nous sommes dans un monde où les idées qui vont nous régenter dans cinq ou dix ans sont en train de germer un peu partout dans des institutions, des rencontres de ce type. Donc, je lance cet appel, cette suggestion, comme je le fais à nous-mêmes et comme nous essayons dans nos administrations de le faire. Il faut être plus présent sur tous ces terrains en amont.
Je sais d'ailleurs que le MEDEF international est très actif, c'est impressionnant même, remarquable, très actif sur ce terrain et qu'il apporte globalement une contribution précieuse à la diplomatie de la France dans son volet économique. Je saisis cette occasion de l'en remercier encore et notamment le président Périgot avec lequel j'ai le plaisir d'avoir des échanges et professionnels et amicaux depuis des années et nos routes se croisent souvent sur ces chemins de conquêtes multiples.
En tout cas, et ce sera ma conclusion, les portes de mon ministère sont ouvertes aux entreprises pour confronter nos analyses notamment sur le risque politique, j'en ai parlé tout à l'heure, pour préparer les multiples négociations qui vous concernent et qui nous concernent. Dans cet esprit j'ai créé une mission Entreprises au sein de la direction des Affaires économiques et financières, direction qui travaille la main dans la main avec la DREE, comme avec les autres administrations du Ministère de l'Economie et des Finances et les autres services concernées notamment toutes les directions internationales des différents Ministères techniques. Le temps des clivages sur ce plan est vraiment terminé, le temps des bisbilles est terminé. Nous sommes engagés ensemble dans une même action. Ce que nous voulons tous, c'est que dans ce monde difficile dont j'ai parlé notre pays et l'Europe et une Europe dans laquelle nous souhaitons qu'il y ait beaucoup d'idées françaises qui entrent en pratique, notre pays et l'Europe demain dans le monde de demain puissent avoir le maximum d'influence, d'influence utile, d'influence pacifique, d'influence créatrice et qu'elle soit utile pour les gens, les citoyens de la France, de l'Europe et qu'elle soit utile au monde et nous savons que tout cela nous pouvons le faire que vraiment ensemble.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2001)
Monsieur le Président du MEDEF international,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
En rebaptisant le CNPF, Mouvement des entreprises de France, vous avez voulu projeter à l'extérieur une image de dynamisme et de modernité qui a été logiquement bien accueillie. Je remercie M. Ernest Antoine Seillière et M. François Périgot de leur invitation à cette Assemblée générale à l'occasion de ce nouveau départ. Je dois dire, compte tenu, de la façon dont je conçois le rôle aujourd'hui du ministère des Affaires étrangères et de la façon dont je m'investis personnellement dans ces questions, tout en les remerciant beaucoup je ne trouve pas que l'idée soit saugrenue en réalité de m'avoir suggéré de venir vous parler. D'une part en raison de la présence de nombreux ambassadeurs, cela a été rappelé, mais tout simplement parce que nous sommes d'une certaine façon les uns et les autres engagés dans le même mouvement et là je reprends le mot qui appartient à tous parce qu'il définit pas que votre organisation.
Lors du lancement du MEDEF, à Strasbourg, M. Seillière a appelé de ces voeux une relation normale et confiante avec les pouvoirs publics. Je dois vous dire en ce qui me concerne et en ce qui concerne l'action dont j'ai la charge, à savoir de la politique étrangère de la France, c'est pour moi une évidence, une évidence qui est à mettre en pratique tous les jours mais qui doit s'alimenter aux sources d'une vision stratégique commune sur ce que nous voulons faire à long terme. Le thème que vous avez choisi d'ailleurs est au centre de cette réflexion, la stratégie internationale des entreprises françaises. Et ce qui me frappe c'est que votre horizon naturel de travail et de réflexion, c'est à dire le monde tel qui l'est aujourd'hui est aussi celui dans le cadre duquel nous avons à définir la façon pour notre pays de défendre ces intérêts, ces projets, ces valeurs, ces conceptions, tout ceci formant un tout car naturellement il n'y a pas à opposer les valeurs et les intérêts.
Un mot sur ce monde actuel. Naturellement, on parle de mondialisation tous les jours. C'est presque une banalité. Mais cette mondialisation appelle une première question : est-ce que nous sommes et est-ce que nous allons dans une mondialisation sauvage ou une mondialisation civilisée, ordonnée ? Ce n'est pas tout à fait la même chose et cela n'appelle tout à fait les mêmes réponses et les mêmes politiques. Cette mondialisation met en présence 185 pays. Il n'y a jamais eu autant d'acteurs de souveraineté dans le monde sans parler de souveraineté non étatique, je veux dire par là de ces entités qui grignotent la souveraineté traditionnellement étatique. Donc il y a d'un côté l'ensemble de ces pays avec lesquels nous sommes en train de négocier plus ou moins en permanence sur toute une série de sujets, et de l'autre le phénomène américain. A propos des Etats-Unis, j'emploie souvent l'expression d'hyperpuissance américaine pour bien dire que nous avons à faire à quelque chose de particulier. Ce n'est plus ce que l'on a appelé la grande puissance dans l'histoire, au sens congrès de Vienne, c'est plus que cela. C'est plus encore que la superpuissance de la guerre froide quand on opposait les Etats-Unis à l'union soviétique. Aujourd'hui, nous avons à faire à une puissance qui est prédominante dans toutes les catégories et nous avons à l'intégrer. Je parle directement et simplement; je sais qu'ici le langage réaliste est considéré comme allant de soit. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. Les Etats-Unis d'aujourd'hui sont dominants en matière économique, en matière technologique. Ils l'étaient en matière monétaire jusqu'à la décision majeure stratégique de l'euro, dont on entrevoit déjà les effets. Mais ils le sont aussi en matière culturelle, linguistique, mentale en quelque sorte, et c'est un phénomène qui est frappant et qui est fort dans l'ensemble du monde. Les instruments de la puissance à cet égard sont autant CNN et Hollywood, la langue, les phénomènes culturels ou de mode de vie, que les porte-avions ou les missiles de croisière. Donc, il faut avoir ces deux idées à l'esprit : la mondialisation d'un côté avec un pullulement d'acteurs, et d'autre part ce phénomène américain. Il faut les avoir à l'esprit pour savoir sur quelles bases on travaille et comment nous nous organisons pour être les plus efficaces possibles et les plus performants possibles.
Comme votre action à vous, la diplomatie de la France doit inscrire dans son champ d'action l'ensemble des relations de notre pays avec le monde extérieur, que les relations soient nouées par les dirigeants politiques bien sûr, par les responsables, par les diplomates mais aussi par les chefs d'entreprises, par les chercheurs, par les intellectuels, par les gens de culture.
La diplomatie ne peut plus tirer son utilité et son prestige que d'une sorte de domaine réservé ou d'exclusivité, notion qui remonte à une époque ou ces catégories d'intervention étaient précisément distinctes. Mais elle doit, aujourd'hui, effectuer une synthèse de l'ensemble des formes d'interventions d'un pays pour préparer la hiérarchisation des interventions. Cela est vrai dans le domaine politique proprement dit, c'est vrai dans le domaine économique, c'est une évidence pour vous, c'est vrai dans le domaine culturel, c'est vrai dans le domaine juridique. Il faut avoir à l'esprit l'ensemble de ces plans parce que c'est surtout ces terrains que se joue, que se prépare l'influence de notre pays dans 10, 15, 20 ans. Et c'est à partir de l'ensemble de ces données, c'est à partir de l'ensemble de ces objectifs et de ces terrains que nous devons fixer des priorités, les transformer en objectifs de négociations et préparer les conclusions , les échéances, à tout moment, aujourd'hui, comme dans 1 an, comme dans 5 ans. Nous sommes engagés dans plusieurs négociations très importantes. C'est parfois stratégique, c'est parfois économique, cela porte parfois sur des normes techniques apparemment sans importance, mais qui auront une influence déterminante. Par exemple, il y a des comités techniques au sein de la FAO qui travaillent sur des normes sanitaires, on y accorde plus ou moins d'importance mais on s'apercevra dans quelques années que telle ou telle norme servira de base à un arbitrage au sein de l'Organisation mondiale du commerce qui pourra avoir des répercussions colossales pour notre économie, pour notre industrie, pour beaucoup de pans d'activités.
Je pense à ce petit exemple parmi des dizaines d'autres possibles pour dire que, dans la fonction de politique étrangère aujourd'hui et dans la fonction technique de diplomatie, il faut avoir une vigilance sans exclusive. Il faut pouvoir sur tous les terrains et à toutes les échéances, vérifier, observer tout ce qui peut intervenir dans la contribution des rapports des forces de demain. Et c'est comme ça que nous travaillons jour après jour à l'élaboration du cadre au sein duquel vous développez votre propre stratégie. Il n'y a plus de frontière entre les différentes formes classiques d'intervention : diplomatie classique, action économique ou autre. Tout est imbriqué. Vous le savez. On voit bien qu'il n'y a plus guère de questions politiques ne soient liées à une dimension ou à des intérêts économiques. Regardez par exemple la problématique des sanctions, des dimensions purement politiques, purement stratégiques pour ne pas dire morales dans certains cas, il y a un volet juridique et une dimension économique qui est colossale. Encore que ceci ne suffise pas à expliquer cela. On ne peut pas expliquer l'ensemble de ce qui se passe au Proche-Orient et au Moyen-Orient par des arrière-pensées ou des calculs économiques parce que souvent la prise en compte des intérêts économiques peut aboutir à un éventail de solutions politiques possibles. D'autres choses jouent mais en tout cas, l'imbrication est tout à fait évidente.
Ces quelques considérations pour vous dire que c'est ce type d'approche globale, interactive, imbriquée que je développe au sein de mon département ministériel qui naturellement ne m'a pas attendu pour avancer dans cette direction, pour avoir une direction économique active, mais en tout cas, en ce qui me concerne, j'essaie de donner une impulsion supplémentaire et d'imprimer ma marque à cette orientation.
Depuis que je suis dans ces fonctions, je l'ai fait en ayant des contacts très réguliers avec de nombreux chefs d'entreprises et j'ai entrepris, dans la limite de mon temps disponible qui est faible, comme vous l'imaginez, de rencontrer les responsables pour le moment des grands groupes. Je le fait méthodiquement et quand j'aurais fait ce tour des grands groupes, j'irai plus loin, pour croiser les analyses, pour croiser les informations : l'analyse que les grands groupes français font du monde, leurs rapports de forces, Qu'attendent-ils de l'administration, de la diplomatie, des Ambassadeurs ? Que peut-on fournir ? La relation est-elle satisfaisante ? Peut-on encore affiner les services que nous vous rendons ? Les services que vous nous rendez, c'est en apportant des éléments d'information et d'analyse sur une série de pays, sur l'évolution des rapports de forces, sur l'évolution dans certains secteurs, en mettant en commun ces informations pour mieux préparer les batailles de demain. En sens inverse, nous pouvons apporter notre aide pour certaines négociations, pour l'évaluation de certains risques, pour la gestion de certaines crises.
Au-delà des rencontres personnelles que j'ai fait méthodiquement, naturellement, toute mon administration, que ce soit le Cabinet, le Secrétaire général, la direction économique, et aussi les directions géographiques ou juridiques, sont en contact étroit avec elles. Mais, tout cela ne se fait pas dans une vision purement Affaires étrangères, puisqu'une des autres orientations que j'ai données depuis que je suis là, dans le cadre d'une modernisation d'ensemble de ce Ministère que là aussi je poursuis et j'intensifie, un des autres axes, c'est d'avoir des relations les plus étroites, de coopération avec les autres administrations concernées. Au tout premier chef naturellement, le ministère de l'Economie et des Finances et en premier lieu la DREE dont le nouveau directeur est ici. Il s'agit de M. Jean-François Stoll.
Ce serait absurde que nous n'appliquions pas au sein de l'appareil d'Etat, au sein des administrations, au sein du gouvernement, que nous n'appliquions pas tous les jours les préceptes dont nous disons qu'ils doivent nous guider maintenant dans la relation entre les administrations publiques et le monde de l'entreprise. Une approche qui doit dépasser les clivages anciens pour dégager des synergies nouvelles et pour que nous ayons tous ensemble cet esprit de mouvement sous le signe duquel vous vous placez, dorénavant.
Dans le débat qui va suivre, vous allez évoquer les efforts d'adaptation des entreprises à la mondialisation des marchés. Pour ma part, je voudrais vous soumettre quelques réflexions sur la nécessité d'une meilleure régulation internationale et sur les négociations qui doivent nous y conduire pour que la globalisation soit, comme je le disais tout à l'heure plus ordonnée que sauvage.
En d'autres temps, cela aurait pu paraître un peu hérétique devant une audience forcément et par construction libérale. Mais compte tenu des réflexions qui ont été menées dans le monde et notamment en Europe ces dernières semaines, à la faveur de la crise, si j'en juge par les observations et les réflexions faites à propos de la façon dont nous avons traité la question russe, si je vois ce que d'anciens responsables prestigieux américains, comme Henri Kissinger, disent de la fonction et du rôle du FMI, mes observations à mon avis risquent de ne choquer personne. Et je pense que nous avons là aussi une approche française très forte. Parce que loin d'être en contradiction avec la loi du marché, un renforcement des mécanismes de régulation mondiaux est indispensable pour assurer la stabilité et la confiance des acteurs économiques et surtout pour conforter les cadres juridiques sans lesquels les entreprises ne peuvent pas faire leur travail en sécurité. Donc, quelques remarques, d'abord sur les désordres du monde, sur l'instabilité liée à la mondialisation.
Il a des effets bénéfiques que personne ne conteste : le développement des échanges, la croissance économique (en particulier dans les pays que l'on appelait autrefois le tiers monde), l'essor d'une société de l'information qui est favorable au développement progressif et méthodique de l'état de droit, et donc finalement de la démocratie. Et surtout, je le citais mais j'insiste, l'impulsion formidable donnée à la croissance mondiale, grâce à cette capacité à trouver des financements appropriés. Mais il faut noter aussi que le dépérissement du pouvoir régulateur des Etats (et naturellement vous l'avez certainement salué sur certains plans parce que vous devez être convaincus qu'il y avait un excès d'encadrement, un excès d'intervention, un excès de réglementation n'a a pas été entièrement maîtrisé).
La crise financière qui a frappé l'Asie, par exemple, et qui s'est étendue à un certain nombre de pays dits émergents montre bien les imperfections de cette globalisation et les inconvénients de la libération totale et parfois mal préparée de mouvements de capitaux. Je pense aux flux de capitaux à court terme. Inconvénients lorsque les marchés financiers ne sont pas convenablement régulés, lorsque la transparence et les règles prudentielles sont insuffisantes, lorsque les relations entre l'Etat et les intérêts privés sont opaques et équivoques. Tout ceci favorise l'aveuglement, la précipitation et le comportement moutonnier des marchés dans certains cas. Comme le disait il y a quelques temps un analyste, les capitaux se comportent comme une foule prise au piège d'un bâtiment où l'incendie se déclare, ils se précipitent en cherchant la sortie et ne savent où trouver refuge en balayant sur leur passage beaucoup de politiques élaborées au fil des années, car nous avons aujourd'hui des masses financières disponibles pour ce type de mouvement qui n'ont rien à voir à ce qui était le cas en 1970 ou même en 1980, nous avons à faire à des masses véritablement cycloniques.
L'ultralibéralisme a eu aussi parfois tendance à mettre au second plan ou oublier d'autres objectifs des politiques publiques, les équilibres sociaux, le droit des personnes, et surtout à brûler les étapes. Prenez, par exemple, le cas de la Russie ou plutôt de l'URSS, d'une façon globale, le monde a stratégiquement bien réagi avec l'URSS, à partir de 1989-1990, quand il a été clair que l'Union soviétique avait perdu la guerre froide. La communauté internationale a eu l'intelligence de ne pas refaire avec l'URSS de 1990-1991 l'erreur stratégique tragique par ses conséquences qui avaient été commises en 1918, par rapport aux vaincus de la guerre de 1914-1918. Donc, il y a eu une sorte d'intelligence stratégique collective.
Mais en ce qui concerne la politique économique, on peut dire que la réaction générale, aussi bien des Etats-Unis que de l'Europe, a été de plaquer à l'époque -il faut dire que les Russes le demandaient eux-mêmes mais ce sont des erreurs cumulées - plaquer sur les décombres, les débris de l'économie soviétique, totalement déstructurée, des recettes ou des mécanismes ultralibéraux que les économies occidentales elles-mêmes n'avaient pu supporter et assumer, qu'à partir des années 1980 ou 1990, et après des dizaines d'années pour ne pas dire 2 ou 3 siècles, de développement économique continu et qui avait enraciné cette capacité. Donc, vous avez dans la période récente cet exemple qui est intéressant. Et aujourd'hui, on voit que finalement ce qui a manqué dans cette précipitation, dans ce plaquage, qui aboutit au fait que la Russie est obligée de reconstruire les choses aujourd'hui comme si elle était en 1991. Un élément majeur qui a manqué, c'est la reconstruction d'un Etat, qui soit capable non de se mêler de tout, comme les entreprises l'ont longtemps déploré quand c'était à leur détriment, mais qui soit capable tout simplement de fixer le cadre dans lequel les choses fonctionnent.
Donc, il ne faut pas être dogmatique, il faut avoir une réflexion sur cette question de la mondialisation qui soit capable d'intégrer en même temps l'analyse fine des situations de chaque pays. Ces phénomènes compliqués sont aggravés par des facteurs proprement politiques. Ce n'est pas l'objet principal de votre réunion et de mon intervention, mais je ne peux pas ne pas les mentionner.
Un des problèmes, je l'ai déjà cité, c'est le nombre d'acteurs, ce que l'on pourrait appeler par une formule : la prolifération de la souveraineté. Il est certain que quand vous avez 185 pays dans le monde, plus un grand nombre d'organisations qui sont elles-mêmes devenues des centres de décisions, la façon de travailler pour organiser au mieux les problèmes qui se posent dans ce monde global, ressemble à une sorte d'assemblée perpétuelle de copropriétaires qui ont la plus grande difficulté à se mettre d'accord sur les choses les plus simples, d'où une difficulté, une lenteur apparente de la décision publique pour justement créer les cadres dont vous-mêmes avez besoin.
C'est pour toutes ces raisons, qu'il me semble aujourd'hui, dans l'intérêt des acteurs économiques eux-mêmes, que les Etats et les organisations internationales prennent davantage leurs responsabilités. Il faudrait que sans remettre en cause naturellement le libre échange, bien au contraire, nous évitions l'avènement d'une société de pur marché où la puissance publique aurait renoncé à presque tout, où la fiscalité, les droits de la personne ou l'organisation sociale elle-même seraient soumis à la loi du marché, et où ce serait la loi du plus fort. Donc, je dirais que plus on est libéral, plus on souhaite que les entreprises soient capables de remplir au mieux leur fonction et de jouer leur rôle dans une vision large comme le disait tout à l'heure en préambule le Président Seillière, plus on doit souhaiter que ces régulations sur les points fondamentaux, soient en état de marche.
Dans cette vision, l'Europe doit être le pivot de cet effort de régulation. C'est à partir de l'Europe que nous devons présenter l'essentiel de nos propositions et c'est sur l'Europe telle qu'elle est, telle qu'elle devient que nous devons nous appuyer le plus. Le marché unique, l'harmonisation des règles économiques sur le territoire communautaire est une réalisation capitale, un facteur de compétitivité essentiel pour nos entreprises. Je n'y insiste pas, c'est évident pour vous, vous êtes déjà en train de maximiser cette opportunité. L'euro sera aussi un atout majeur et peut-être le plus grand changement stratégique intervenu dans le monde depuis 30 ou 40 ans, mis à part la fin de la guerre froide dont j'ai parlé tout à l'heure. L'Europe économique et monétaire contribue déjà à la stabilité et à la croissance. Elle conforte la confiance des investisseurs internationaux. Peu de régions au monde sont aujourd'hui aussi sûres pour les investisseurs que la zone euro. Les événements des derniers mois l'on redémontré, chaque jour, a contrario. Rappelez-vous les polémiques, les interrogations qui ont accompagné cette marche vers l'euro. Rappelez-vous ces flots de scepticisme, d'interrogations, de manque de confiance en soi. Tout cela est derrière nous.
Il nous faut maintenant aller au-delà d'un espace économique intégré, construire une Europe capable de faire des choix politiques et sociaux et de négocier d'égal à égal avec ses principaux partenaires étrangers. Au-delà de l'oeuvre accompli, il nous aller plus avant pour que l'opinion adhère davantage au projet européen. Par exemple, dans les domaines de l'harmonisation de la fiscalité et des réglementations sociales, c'est quelque chose qui a un impact absolument décisif dans les deux sens. Ce défi est particulièrement important à la veille d'un nouvel élargissement. Il ne faudra pas, à cette occasion, abaisser la norme européenne ni surtout paralyser la capacité de décision de l'Union.
Un mot justement sur la situation où nous en sommes par rapport à l'Europe. On a déjà, dans les interventions de ce matin, mis l'accent sur l'élément le plus positif, le plus fort et le plus structurant de ce qui se passe en ce moment dans l'Union européenne, c'est l'euro. L'euro qui aura - expression que j'emploie depuis longtemps, même avant d'être ministre - une sorte de puissance fédératrice. Non pas que je sois fédéraliste au sens du droit constitutionnel, mais parce que je pense que de fil en aiguille la réalité de l'euro va conduire à fédérer les initiatives, les comportements et amener la coordination des politiques économiques et sociales encore plus loin que l'on ne peut l'imaginer aujourd'hui. C'est une question dont les ministres de l'Economie et des Finances en Europe et au tout premier plan Dominique Strauss-Kahn sont très convaincus et très porteurs. Mais en même temps, nous avons devant nous une phase difficile et il vaut mieux en être conscients à l'avance, tout simplement parce que nous avons à négocier en même temps une série de sujets déjà très complexes séparément et encore plus difficiles quand on les interconnecte.
Nous avons à nous mettre d'accord dans les mois qui viennent sur la façon dont nous allons financer la poursuite de l'Union européenne dans les années 2000-2006, c'est ce que l'on appelle l'Agenda 2000. Nous avons à redéfinir une conception commune de la poursuite de l'élargissement de l'Union européenne alors que les points de vue sont divers. Nous avons -et c'est une exigence française forte - à réformer les institutions de l'Union européennes avant ces prochains élargissements pour que l'Europe ne se dilue pas. Nous avons à donner corps à la politique étrangère et de sécurité commune. Et tout cela nous avons à le faire en même temps, non pas parce que nous avons choisi d'accumuler les difficultés jusqu'à les rendre peut-être dans certains cas, momentanément insolubles, mais tout simplement parce que le calendrier, les engagements nous imposent cette négociation. Il faut que nous commencions par trouver une solution qui supposera un esprit de compromis et des gestes de la part de tous les participants sur l'Agenda 2000. Au point de départ, si on met des positions sur le papier, ce n'est pas soluble. On voit que l'Allemagne comme les contributeurs nets veulent payer beaucoup moins. On voit que les pays du sud, dits de la cohésion, ne veulent renoncer à rien, surtout pas dans le contexte des élargissements à venir, des fonds structurels qui sont essentiels pour leurs économies. On voit que la Grande-Bretagne ne veut pas que l'on remette en cause les arrangements de 1984 et nous la France nous ne voulons naturellement pas être la variable d'ajustement de l'ensemble des problèmes des autres et que la politique agricole commune soit remise en cause dans son principe. Voilà les positions de départ. Apparemment ce n'est pas soluble. Nous sommes engagés dans cette négociation. Elle a commencé sérieusement. Maintenant, nous allons essayer de la conclure sous la présidence allemande. C'est l'objectif que nous nous sommes donné. Nous allons essayer de la conclure même dès le Conseil européen spécial du mois de mars. Nous ferons tout pour y arriver. Nous ne pourrons y arriver que si chacun de ceux que j'ai cité et en réalité chacun des Quinze, y met du sien. Quant à l'élargissement, il s'agit pour l'essentiel de réduire la différence d'approche qui a pu apparaître dans les années passées, l'approche française consistant à dire élargissement oui parce que c'est un impératif, et une évidence historique, culturelle de civilisation pour l'Europe, mais élargissement bien négocié après avoir renforcé la capacité de l'Union européenne à fonctionner demain non pas à quinze, mais à 20, 25 ou 30, d'où les réformes institutionnelles avant.
Et ces dernières années, nous avions le sentiment que l'approche allemande était plutôt résumable par la formule : priorité à l'élargissement, et nous avions le sentiment d'une sous-estimation des conséquences de cet élargissement sur le fonctionnement de l'Union alors que quand nous posons ces problèmes ce n'est évidemment pas pour reparler de l'élargissement, c'est encore moins pour le compliquer, c'est tout au contraire pour faire en sorte que les problèmes qui pourraient se poser après cet élargissement soit aperçu avant ; réglés avant, et que l'Union continue à fonctionner et à travailler sur une base claire et assainie. Ce qui est encourageant sur ce point et ce qui est prometteur, c'est que l'actuel gouvernement allemand approche cette question avec toujours autant de détermination sur l'élargissement, mais nous semble-t-il en même temps avec réalisme et que quand on parle aujourd'hui avec les pays candidats, leur volonté politique d'intégrer cette Union européenne est évidemment toujours aussi grande qu'avant, mais ils nous comprennent quand on leur dit : vous voulez venir dans l'Union européenne parce que l'UE est forte, parce qu'elle marche, parce qu'elle est riche, parce qu'elle est capable d'avoir des politiques communes, par conséquent vous devez nous aider, vous devez soutenir de là où vous êtes aujourd'hui en attendant d'être dedans demain, vous devez soutenir les efforts de la France pour trouver une solution financière raisonnable, vous devez soutenir les efforts de la France pour qu'il y ait des réformes institutionnelles nous permettant de fonctionner demain et d'éviter la paralysie, vous devez nous aider à éviter la dilution de l'UE, quelle serait votre victoire si vous entriez dans une Union incapable de faire ce qui vous attire quand vous voulez y aller ? Et aujourd'hui ce discours et ce dialogue peut avoir lieu à Varsovie à Prague à Budapest et ailleurs, donc nous sommes en train de dépasser heureusement ce clivage qui semblait s'installer dans cette perception de l'élargissement.
Quant aux institutions, il y a tout un travail pragmatique à faire pour que les Conseils des ministres, le CAG, qui est global et qui coordonne, le Conseil européen, la Commission, le Parlement pour que tous ces organes de la décision au sein de l'UE soient plus efficaces et plus performants. Et il y a sur un certain nombre de points concernant la taille de la Commission, concernant la pondération des droits de vote, concernant le recours élargi au vote à la majorité qualifiée,. des réformes à faire, (le plus tôt sera le mieux et en tout cas avant l'élargissement suivant) qui viendront compléter les acquis du traité d'Amsterdam qui ne sont pas inexistants mais qui sont quand même insuffisants pour que nous puissions aborder l'avenir de l'Union élargie sur cette seule base. Voilà le travail européen actuel. Je suis venu vous parler de vos problèmes et je profite de la circonstance pour vous parler des nôtres parce que ce sont aussi les vôtres.
Vous voulez que d'une façon ou d'une autre l'UE soit forte et qu'elle soit porteuse de nos idées. Evidemment tout cela ce sont les questions que nous avons commencé à aborder d'emblée avec la nouvelle équipe allemande parce que ça ne se conçoit pas et on ne trouvera pas de compromis qui marche si nous ne rebâtissons pas les bases de l'entente franco-allemande sur tous ces points et il ne s'agit de prendre des initiatives marginales sur des sujets intéressants mais un peu périphériques. Il s'agit de prendre le taureau par les cornes. Il y a des sujets qui se posent qui sont compliqués, qui sont ceux que nous avons, que j'ai énumérés tout à l'heure et c'est de cela dont parlent le chancelier et le Président, le chancelier et le Premier ministre, les ministres des Finances, les ministres des Affaires étrangères ensemble.
J'en viens à mon point suivant, à un marché mieux régulé. Cela passe aussi par le renforcement des organisations multilatérales.
La France a fait des propositions pour une meilleure régulation financière internationale ; elle l'a fait par la voix du Président de la République, par les initiatives du ministre de l'Economie et des Finances qui a présenté un mémorandum et j'ai eu moi-même l'occasion de présenter ces idées françaises à l'Assemblée générale des Nations unies. Sans le Fonds monétaire international, la situation récente aurait été pire mais il est vrai aussi que le Fond n'a pas eu dans certains pays les moyens, l'ambition, ni peut-être la légitimité politique suffisante pour imposer certaines réformes de structure, certaines réformes politiques difficiles qui auraient rendu ces interventions plus efficaces. Il faut donc, pour faire face à l'instabilité financière, que les règles soient à la hauteur du phénomène actuel de globalisation.
Lorsque dans un pays particulier, l'opacité, les collusions, l'absence de surveillance prudentielle se perpétuent, c'est l'ensemble du système financier international qui peut être en péril par contagion, lorsque ce chaînon cède. C'est pourquoi la France a préconisé un renforcement de la transparence des opérations des institutions financières, mais aussi des opérateurs privés ainsi que le renforcement des mécanismes de surveillance sur ces opérateurs, y compris les fonds les plus spéculatifs. Elle a aussi recommandé une approche plus ordonnée et progressive de la libéralisation des mouvements de capitaux, notamment à court terme. Elle a enfin proposé la mise en place d'un véritable gouvernement politique du FMI, approuvant par vote les orientations stratégiques afin de renforcer sa légitimité. Nous avons proposé ces aménagements (le Président comme le Gouvernement) parce que nous sommes convaincus que le FMI garde un rôle essentiel pour soutenir les économies saines attaquées par des spéculateurs et qu'il faut lui apporter des ressources et des moyens d'action indispensables. Mais le FMI doit aussi tirer les leçons de ce qui s'est passé ces derniers mois et se livrer à une analyse véritable de sujets comme celui de la Russie dont je parlais tout à l'heure pour peut-être intégrer des leçons, pas uniquement économiques mais également politiques dans la façon dont il faut qu'il aborde les crises qui se reproduiront sans doute malheureusement.
Dans le domaine des échanges internationaux, de nouvelles négociations vont s'ouvrir au sein de l'Organisation mondiale du Commerce à partir de la fin 1999 et nous les avons à l'esprit ; il faut ensemble s'y préparer.
La France devra s'engager de façon constructive dans ces négociations. L'OMC est un progrès en soi. La France y défendra ses intérêts, que ce soit dans le domaine agricole, dans le domaine des services et dans les secteurs industriels. Mais, même si certaines de ses négociations s'annoncent difficiles, il est de notre intérêt de faire en sorte qu'elles aient lieu dans ce cadre qui offre la garantie du multilatéralisme et d'un règlement des différends équilibré et qui jusqu'à présent à pu contenir certaines tentations unilatérales - je dis bien certaines, parce que naturellement, les Etats-Unis, de par leur poids particulier, de par l'idée qu'ils se font de leur mission - sont évidemment tentés chaque matin d'employer des pratiques plus unilatérales que multilatérales ou négociées. Ce cadre nous paraît le plus pertinent pour progresser dans l'ouverture des échanges que nous souhaitons poursuivre mais d'une façon maîtrisée. C'est pourquoi nous avions refusé la proposition d'un accord de libre échange transatlantique que nous avait présenté la Commission - plus exactement un commissaire qui s'était automandaté sans qu'aucune instance politique européenne ne lui en ait donné l'orientation -, mais nous sommes prêts à approfondir le plan d'action transatlantique. La nouvelle proposition de partenariat économique (TEP) devrait être approuvée au prochain sommet Etats-Unis/Union européenne, mais il n'a pas les inconvénients du projet précédent, il est tout à fait différent, et notamment il ne crée pas un mécanisme d'arbitrage ou de résolution des différends concurrent de l'OMC; il n'a pas l'ambition d'arriver à un traité, comme c'était le cas dans le projet précédent, nous étions dans un embrouillamini qui n'était pas qu'économique, parce que sur le plan européen aussi, un des objectifs de notre politique c'est de reprendre le contrôle de la décision de ce qui se passe dans cet ensemble européen qui est devenu trop souvent une "usine à gaz". Or il faut une décision politique claire et que n'importe quelle initiative prise à n'importe quel niveau ne puisse pas nous mettre dans des engrenages que nous n'avons pas souhaités. Il faut que nous puissions mener et pas simplement réagir.
Cependant, même dans l'OMC qui est un cadre meilleur, préférable, un équilibre devra être trouvé, plus que dans le passé peut-être, entre les progrès de la libéralisation et ceux de la régulation. L'OMC, comme naguère l'OCDE, lorsqu'elle s'est enlisée dans la mauvaise voie de la négociation de l'AMI (même si sur un plan théorique, on pourrait considérer que sur certains plans nous avions intérêt à des progrès) risque en effet d'être à son tour critiquée et neutralisée si elle ignore certaines attentes de l'opinion publique en ce qui concerne des sujets aussi divers que la protection du consommateur, l'environnement, la diversité culturelle, le respect des normes sociales, la lutte contre la corruption, sujets divers mais que vous connaissez très bien parce que c'est une composante maintenant permanente du contexte dans lequel vous avez à agir.
Certaines de ses décisions récentes - je parle de l'OMC (par exemple sur la viande aux hormones) peuvent évidemment susciter des inquiétudes à cet égard. Il faudra aussi selon nous que le système multilatéral de règlement des différends soit renforcé pour faire clairement échec aux sanctions unilatérales extraterritoriales - je fais allusion à ces lois votées à l'initiative de sénateurs américains dans certains cas pour des raisons tenant souvent à leurs circonscriptions, mais qui par le biais des pouvoirs que le Sénat américain voudrait s'attribuer, ont des conséquences sur le reste du monde et finissent par poser des problèmes carrément diplomatiques ; c'est évidemment le contraire de ce qu'il faut faire.
Il faudra enfin que l'Organisation mondiale du Commerce, en particulier dans le domaine de l'investissement, s'attaque aux obstacles réels qui affectent les projets des entreprises plutôt que de s'engager dans des voies qui portent atteinte de façon irrémédiable à la souveraineté des Etats, sans que l'économie mondiale en bénéficie véritablement.
Je voudrais dire maintenant que la coopération multilatérale doit aussi s'élargir à de nouveaux enjeux.
Vous allez je crois traiter du commerce électronique. La société de l'information est aujourd'hui un domaine sans règle. S'il convient évidemment de préserver le caractère convivial, sympathique, décentralisé des nouveaux réseaux, il n'en faut pas moins un cadre juridique minimal pour protéger les consommateurs et les citoyens. Internet ne peut pas être un espace de non-droit au moment où tous les jours, que ce soit dans nos sociétés et plus encore dans celles qui ont encore un long chemin à parcourir, on parle de renforcement de l'état de droit.
L'environnement ensuite : La lutte contre le réchauffement du climat est évidemment un enjeu fondamental, vital, tout simplement pour les générations futures. Les négociations en cours dans ce domaine sont trop peu ambitieuses, il y a un décalage entre l'analyse que nous livre maintenant de façon de plus en plus convergente et de plus en plus inquiète l'ensemble de la communauté scientifique mondiale et des objectifs que nous fixons à nos négociations et que nous n'arrivons même pas à atteindre ; c'est un décalage trop grand, dangereux, qui ne pourra pas durer. Une des difficultés est peut-être qu'il n'y a pas d'organisation multilatérale capable de dégager une vision d'ensemble dans ce domaine et surtout de faire avancer les discussions. Il est vrai que les enjeux sont multiples et complexes et que les répercussions sur les entreprises sont potentiellement considérables. C'est une question qui va revenir à l'ordre du jour de façon de plus en plus insistante et nous aurons sur ce sujet en particulier à établir une vraie coopération, une vraie coordination de négociations entre les pouvoirs publics : le ministère de l'Economie et des Finances, des Affaires étrangères, l'Environnement et d'autre part les entreprises, ce à quoi s'ajoutera ensuite la coordination européenne, parce que ce sont des négociations (Kyoto, Buenos Aires, etc.) qui se traitent au niveau européen.
La question des sanctions économiques ensuite : Elles sont prises en général au nom de considérations de sécurité nationale ou de protection des droits de l'homme. Cette question est clairement du ressort du Conseil de Sécurité des Nations unies. Or, il y a eu au cours de ces derniers temps un recours abusif à des sanctions unilatérales - peut-être même à des sanctions multilatérales, légitimes mais peut-être inopportunes, même quand elles sont légitimes - en tout cas un recours abusif à cette politique. Nous combattons le recours unilatéral à des sanctions de ce genre, elles sont souvent inefficaces, souvent contre-productives, et c'est une façon critiquable de tenter de régler les crises mondiales en prétendant imposer sa loi de loin sans avoir à s'investir véritablement dans la recherche des solutions.
Je voudrais terminer cette intervention devant vous en évoquant rapidement le rôle que les entreprises peuvent jouer dans la préparation de toutes ces négociations et plus généralement dans ce que j'appelle notre diplomatie économique qui est la combinaison de nos actions et des vôtres. Dans la plupart des domaines ce sont certes des fonctionnaires qui conduisent les négociations, souvent M. Stoll qui est là par exemple ou ses représentants ou ceux de mon département, le plus souvent la combinaison des deux. Mais le rôle des acteurs économiques, des ONG, des groupes d'expression est devenu essentiel. S'agissant des entreprises, il est capital qu'elles suivent de très près, nous le souhaitons, nous le demandons, les négociations qui les concernent et qu'elles fassent connaître le plus tôt possible leur position, qu'elles participent à l'élaboration des positions et qu'elles en suivent ensuite le déroulement ; parce qu'une chose est de définir les conditions au départ, une chose est de conduire à la négociation. Dans toutes les négociations, (on voit bien ce que je vous disais tout à l'heure sur l'Agenda 2000), il y a une phase de préparation, d'affichage, de posture, dans laquelle chacun dit : "nous n'accepterons jamais ceci, nous exigeons cela, nous ne bougerons jamais", et après la négociation commence et elle est marquée par le mouvement bien sûr, donc les choses bougent. C'est là où l'arbitrage est à faire entre ce qui est vital et ce qui est secondaire, ce qui est prioritaire et ce qui ne l'est pas. C'est quelque chose qui n'est pas fait tous les quinze jours, cela peut changer en quinze minutes.
Il y a un temps d'accélération. Je pense que la concertation entre les entreprises et l'administration est maintenant devenue dans notre pays excellente, en période normale. Mais en période d'accélération de négociations, il peut y avoir une sorte de coordination de crises à perfectionner. C'est en tout cas la proposition que je vous fais.
Ces considérations s'appliquent tout à fait à ce qui se passe dans les enceintes de normalisation, que ce soit au sein de l'UE ou dans le cadre multilatéral. Mais c'est vrai aussi dans d'autres domaines, par exemple, pour la gestion d'Internet que j'ai cité, pour la négociation des règles de protection du consommateur ou de la propriété intellectuelle. Les entreprises, malheureusement surtout américaines aujourd'hui, comme l'a montré récemment la conférence d'Ottawa sur le commerce électronique, jouent un rôle leader, parfois même exclusif, en élaborant des codes de conduite qui sont faits sur mesure et qui seront ensuite éventuellement repris par les négociateurs des Etats. Il faut être très attentif à tout cela. Il est très important que les entreprises françaises s'efforcent d'être plus présentes encore dans les forum de discussions, de consultation, qui forgent l'humus de tout cela, qui préparent l'opinion internationale dominante, qu'elles participent activement aux différents forums d'hommes d'affaires, comme le TABD, le forum de dialogue transatlantique, c'est un exemple parmi tant d'autres, ou celui de l'ASEM ou encore aux diverses rencontres bilatérales qui facilitent le développement des échanges et les investissements de part et d'autre. Je sais bien que pour le entreprises c'est comme pour l'administration, on est invité à un colloque, à un forum et on a toujours quelque chose de plus urgent à faire que d'y aller mais nous sommes dans un monde où les idées qui vont nous régenter dans cinq ou dix ans sont en train de germer un peu partout dans des institutions, des rencontres de ce type. Donc, je lance cet appel, cette suggestion, comme je le fais à nous-mêmes et comme nous essayons dans nos administrations de le faire. Il faut être plus présent sur tous ces terrains en amont.
Je sais d'ailleurs que le MEDEF international est très actif, c'est impressionnant même, remarquable, très actif sur ce terrain et qu'il apporte globalement une contribution précieuse à la diplomatie de la France dans son volet économique. Je saisis cette occasion de l'en remercier encore et notamment le président Périgot avec lequel j'ai le plaisir d'avoir des échanges et professionnels et amicaux depuis des années et nos routes se croisent souvent sur ces chemins de conquêtes multiples.
En tout cas, et ce sera ma conclusion, les portes de mon ministère sont ouvertes aux entreprises pour confronter nos analyses notamment sur le risque politique, j'en ai parlé tout à l'heure, pour préparer les multiples négociations qui vous concernent et qui nous concernent. Dans cet esprit j'ai créé une mission Entreprises au sein de la direction des Affaires économiques et financières, direction qui travaille la main dans la main avec la DREE, comme avec les autres administrations du Ministère de l'Economie et des Finances et les autres services concernées notamment toutes les directions internationales des différents Ministères techniques. Le temps des clivages sur ce plan est vraiment terminé, le temps des bisbilles est terminé. Nous sommes engagés ensemble dans une même action. Ce que nous voulons tous, c'est que dans ce monde difficile dont j'ai parlé notre pays et l'Europe et une Europe dans laquelle nous souhaitons qu'il y ait beaucoup d'idées françaises qui entrent en pratique, notre pays et l'Europe demain dans le monde de demain puissent avoir le maximum d'influence, d'influence utile, d'influence pacifique, d'influence créatrice et qu'elle soit utile pour les gens, les citoyens de la France, de l'Europe et qu'elle soit utile au monde et nous savons que tout cela nous pouvons le faire que vraiment ensemble.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2001)