Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le rôle des femmes dans la vie politique et spécialement dans les collectivités locales, la parité hommes femmes, son refus de quotas pour les femmes et sur la décentralisation, Nancy le 24 novembre 2000.

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Circonstance : Dîner-débat de l'Association Femmes Responsables Lorraine sur "Le rôle des collectivités locales dans la modernisation de la France" à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 24 novembre 2000

Texte intégral

Madame la Présidente, chère Josette STEINER,
Monsieur le Ministre, cher André ROSSINOT,
Monsieur le Sénateur, cher Philippe NACHBAR,
Monsieur le Député, cher Claude GAILLARD,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
C'est un réel plaisir de vous retrouver, ici à Nancy, dans cette Lorraine à laquelle je suis profondément attaché.
Je vais vous faire une confidence. Lorsque vous m'avez convié à venir m'exprimer devant vous, chère Josette STEINER, je n'ai pas hésité longtemps. Deux raisons m'ont poussé à accepter votre amicale invitation.
D'abord, j'estime que votre association " Femmes Responsables Lorraine " illustre parfaitement ma conception de l'engagement des femmes tant en politique qu'au sein de la société civile.
Ensuite, le sujet de cette soirée " Le rôle des collectivités locales dans la modernisation de la France " me donne l'occasion de m'exprimer sur ce qui fait la force du Sénat que j'ai l'honneur de présider.
Alors, tout simplement, je veux par avance vous remercier, Mme STEINER, les membres du bureau et Mme PETITDEMANGE, ma fidèle collaboratrice au Conseil général des Vosges d'avoir su nous réunir ce soir pour évoquer ensemble les bienfaits, mais aussi les inquiétudes, que m'inspire la décentralisation à la française.
En préambule, je veux lever toute ambiguïté sur l'attitude du Sénat dont il serait de bon ton, dans certains salons parisiens, de stigmatiser le manque de " modernisme ", notamment en ce qui concerne le rôle des femmes en politique.
Ces critiques, je ne peux les accepter car elles véhiculent une image pour le moins erronée de l'immense majorité des sénateurs.
De nos différences, nous devons faire une force. Dans un pays perclus d'individualisme où l'engagement et l'expression citoyenne connaissent une crise profonde, je crois que l'avenir de notre modèle démocratique passe par vous mesdames, par votre courage, votre opiniâtreté et votre sens des réalités !
Une démocratie qui méconnaîtrait plus de 51% de son corps électoral deviendrait une démocratie inerte, décalée d'une réalité qui lui échapperait un peu plus chaque jour. Or, notre engagement à tous a une seule et unique raison d'être, celui de se mettre au service de la cité afin d'en régler les affaires pour le bien de nos concitoyens.
Sans votre connaissance du terrain et des réalités, sans votre sensibilité, on ne peut durablement et efficacement comprendre les ressorts de notre société, on ne peut bien mesurer l'ampleur des mutations sociales et des besoins de nos concitoyens.
Alors, aujourd'hui, je veux vous le dire directement mais solennellement : nous avons besoin de vous, pour que dans tous les " cénacles " politiques, les femmes nous apportent leur supplément d'âme, insufflent à notre " vouloir-vivre ensemble " une nouvelle dimension, celle d'une modernité qui réconcilierait nos concitoyens avec la Politique.
Mais, pour nous au Sénat, cette exigence démocratique ne peut se concrétiser à n'importe quel prix.
En tant que républicain, je ne saurais tolérer une dérive communautariste de notre société. La République est une et indivisible : chaque citoyen quel que soit son sexe, sa religion ou sa couleur de peau a sa place et doit pouvoir être en mesure de s'engager.
C'est pourquoi, j'étais et demeure contre les quotas, car ils portent en eux les germes d'une remise en cause de l'universalité de notre République qui n'est pas une fédération de communautés mais une communauté de citoyens.
Néanmoins, on ne pouvait se satisfaire d'une situation où les femmes joueraient éternellement les " seconds rôles ", ou pis les " faire-valoir " d'une classe politique qui veut se donner bonne conscience à peu de frais. Aussi, au Sénat, nous nous sommes battus pour qu'on ne se contente pas de " chimères ".
Au delà des " grands discours incantatoires ", nous avons souhaité, au Sénat, instaurer un instrument favorisant réellement l'accès des femmes à la vie politique.
Aussi, avons-nous décidé d'inscrire dans la Constitution le principe d'une responsabilité des partis politiques en matière d'accession des femmes aux responsabilités et aux mandats électifs (article 4 de la Constitution relatif aux partis politiques).
Afin d'éviter une " parité de façade ", il fallait " contraindre " les différents mouvements politiques à assumer leurs responsabilités.
Grâce au Sénat, c'est désormais chose faite !
D'ailleurs, on ne le dit jamais assez, c'est le texte issu des travaux du Sénat qui a été adopté par le Parlement réuni en Congrès à Versailles.
Je souhaite maintenant que cette réforme porte ses fruits et permette l'éclosion de nouveaux talents afin de redonner ses " lettres de noblesse " à l'engagement citoyen.
Je suis persuadé que la Lorraine sera au premier rang de cette " nouvelle espérance démocratique ". Notre région peut d'ailleurs s'enorgueillir, même si elle est encore trop limitée, d'une participation des femmes à la vie politique locale plutôt supérieure à la moyenne nationale.
Ainsi, pour ne citer qu'eux, on compte 10,3% de maires femmes élues dans les Vosges en 1995 et 9,1% en Meurthe-et-Moselle1(*), alors que le taux de féminisation atteint seulement 7,5% au plan national.
Cette situation encourageante devrait s'améliorer, à n'en pas douter, avec le renouvellement de mars 2001.
Je ne peux que me réjouir de cette perspective, car pour moi l'apprentissage des responsabilités pour les femmes passe par un investissement accru au niveau communal.
Je suis persuadé que la démocratie de proximité y a tout à gagner.
Mesdames, la décentralisation a besoin de vous !
Cette décentralisation, c'est justement le deuxième thème que je veux évoquer devant vous maintenant, a permis l'éclosion de nouvelles dynamiques en libérant les énergies au niveau le plus proche des aspirations de nos concitoyens.
En tant que Président du Sénat, représentant constitutionnel des collectivités locales, je veux vous dire combien j'attends de vous, Mesdames, afin de pérenniser les bénéfices de bientôt vingt années de gestion locale et de démocratie de proximité.
Face à un Etat qui ne parvient pas à se moderniser, faire le pari du local, c'est faire le pari de la modernité et d'une citoyenneté renouvelée.
Car aujourd'hui, les collectivités locales, communes, départements, régions sont devenues des acteurs majeurs dans notre pays. Chaque niveau institutionnel, en dépit de " rhétoriques stériles " sur un hypothétique " optimum dimensionnel ", a su trouver sa place et concourt, très concrètement, à un aménagement harmonieux des territoires et au maintien des solidarités.
Et croyez-moi, nous n'avons pas à rougir de notre bilan !
Où en seraient nos villes et nos campagnes sans l'imagination créative de nos élus, sans leur investissement quotidien pour la formation des jeunes générations, les infrastructures routières ou la lutte contre les exclusions ?
Vous le savez bien, nos assemblées locales font plus et mieux aujourd'hui que l'Etat hier.
C'est aussi cela " l'alchimie " de la décentralisation, la libération des énergies et la concrétisation de projets au niveau le plus proche de la demande sociale.
Ce " principe de subsidiarité ", nous le faisons vivre chaque jour, je crois qu'il est donc temps que l'Etat se l'applique à lui-même. Dans un pays où les prélèvements obligatoires atteignent des niveaux quasiment confiscatoires, la réforme de l'Etat devient une " ardente obligation ".
Alors que le gouvernement bénéficie d'une conjoncture économique plutôt favorable, même si l'optimisme béat de certains m'apparaît douteux, il est incapable de réformer ses modes d'intervention. La seule ambition du gouvernement est de gérer fiscalement et budgétairement ses clientèles politiques, à l'exception de toute réforme de structure. Franchement, je crois que la France mérite un dessein plus ambitieux.
Je vais vous donner un exemple. Alors qu'il est de bon ton, dans certaines sphère de l'Etat, de stigmatiser la prétendue " gabegie " des élus locaux, il faut bien se rendre à l'évidence : les élus locaux se sont très largement montrés à la hauteur de leurs nouvelles responsabilités fiscales et financières. D'ailleurs, sans leurs choix de gestion éclairés, notre pays n'aurait pu se qualifier pour la monnaie unique.
Mais, à la différence de l'Etat, les élus locaux doivent voter leurs budgets en équilibre !
Pourtant, alors que les contraintes pesant sur les élus ne cessent de croître, les conditions d'exercice de leurs mandats et leur statut ne sont, à l'évidence, plus adaptées.
Pour le républicain que je suis, cette situation m'apparaît préoccupante. En tant que Président du Sénat, j'ai donc décidé de faire campagne pour que les choses changent.
Ainsi, sur les conditions d'exercice des mandats, le Sénat a pris ses responsabilités en faisant adopter une réforme du code pénal pour tous les décideurs, publics ou privés. L'objectif de la loi du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels est simple. Il s'agit de redonner espoir aux élus locaux bien souvent désemparés face à la pénalisation croissante de l'action publique. Cette loi devrait sécuriser davantage le cadre de leur engagement au quotidien. Alors, je ne puis que me réjouir de constater que les premières décisions rendues par le Tribunal de grande instance de La Rochelle et la Cour d'appel de Rennes, sur la base de ces nouvelles dispositions, vont dans le bon sens.
Et j'espère que notre action, au Sénat, rencontrera le même succès pour ce qui est de la promotion d'un statut de l'élu enfin digne de ce nom.
Car, aujourd'hui, il faut bien le reconnaître, la formation, la protection sociale, les indemnités, la réinsertion professionnelle sont totalement inadaptées aux responsabilités croissantes des élus locaux. Je crois que l'accession aux responsabilités de nouveaux élus et de nouvelles élues lors des prochaines élections municipales renforcera l'exigence d'un véritable statut.
Car, j'ai l'impression aujourd'hui que les français ne sont pas égaux en matière d'accession aux mandats électifs.
Je vais vous faire une confidence. Sur ce sujet, j'ai annoncé pas plus tard qu'hier, lors du Congrès des Maires de France, ma décision d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat, le 18 janvier 2001, la proposition de loi de mon collègue Alain VASSELLE visant à définir un véritable statut.
En dépit des atermoiements de certains, cette démarche est à mon sens prioritaire si l'on vent enrayer l'inquiétante " crise de vocations " qui traverse notre démocratie.
Car si le statut peut avoir un coût -d'ailleurs limité-, la démocratie, elle, n'a pas de prix !
Sans hommes et a fortiori sans femmes, la décentralisation n'est rien, si ce n'est une réforme octroyée par le " centre ". Je crois au contraire qu'il est temps de reconnaître nos plus fidèles serviteurs, qui incarnent chaque jour cette " République d'en bas ". C'est tout mon combat à la présidence du Sénat.
Vous l'aurez compris, le Sénat agit donc avec constance et détermination pour préserver cette belle aventure de la décentralisation et plus encore pour promouvoir une véritable " République territoriale ".
Car, face à la mondialisation, les 500.000 élus de proximité constituent un pôle de "rassurance", un réseau de solidarité irremplaçable.
D'ailleurs, les français ne s'y trompent pas. 70 % d'entre eux, selon une étude récente, se déclarent très satisfaits de l'action de leur maire. Ce chiffre, en forme de plébiscite, constitue le plus bel hommage que l'on puisse rendre à ces nouveaux " hussards de la République ", prêts à s'engager pour leurs concitoyens, pour une France moderne, dynamique et humaine.
Je vous remercie de votre attention et souhaite à tous un excellent appétit.
* 10,4% dans le département de la Meuse et 4,5% en Moselle (source DGCL, ministère de l'intérieur)
(source http://www.senat.fr, le 27 novembre 2000)