Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, sur l'extension de l'épidémie de SIDA en Afrique, le droit au séjour des immigrés africains en traitement en France, et l'initiative française de création du Fonds de solidarité thérapeutique international (FSTI), Paris le 21 novembre 1998.

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Circonstance : Colloque sur Les africains subsahariens face au Sida, organisé par l'association AIDES, à Paris le 21 novembre 1998

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
L'Afrique est malade. Malade du sida qui tue ses enfants, parfois même dès la naissance. Sur les 30 millions de personnes vivant aujourd'hui dans le monde avec le virus du VIH, les deux tiers, soit plus de 20 millions de personnes, se trouvent sur le continent africain. Et, pour la première fois, en 1997, le nombre de décès dû au sida, soit plus de deux millions, a dépassé le chiffre des décès dû au paludisme.
C'est dire l'ampleur de l'épidémie. C'est dire aussi la détermination qui doit être la nôtre pour combattre la maladie, ici, en France, au sein des communautés migrantes, par la mise en place d'une prévention et d'une législation appropriées mais aussi là-bas, en Afrique, par votre intermédiaire, et avec l'appui du Fonds de solidarité thérapeutique international dont je vous dirai quelques mots.
Aussi, je me réjouis de vous rencontrer, vous, représentants des associations d'Africains résidants en France afin que tous ensemble, avec vous d'abord, avec AIDES qui organise ce colloque, avec le secrétariat d'Etat à la Santé qui vous reçoit, nous faisions avancer la solidarité, et, à travers elle, la prévention et le traitement de la maladie.
Le rôle des associations, je pense aux associations d'hémophiles, d'homosexuels, de malades eux-mêmes, a été considérable, dans notre pays, pour élaborer les dispositifs de lutte contre le sida, pour agir en matière d'information des populations à risque, dans l'accompagnement des malades et jusque dans l'impulsion donnée à la recherche médicale.
En contribuant à intégrer les dimensions sociale et culturelle, qui vous sont spécifiques, dans la lutte contre cette maladie, qui touche à la sexualité et à l'organisation de la cellule familiale, votre rôle d'observateur, d'informateur et d'accompagnateur va être décisif car les communautés africaines, résidant en France, figurent parmi les plus touchées par le sida. Je pense tout particulièrement au rôle que peuvent jouer les femmes en tant qu'agents de prévention au sein de vos familles.
Les chiffres relevés par le Réseau national de santé publique, au 30 juin 1998, sont en effet inquiétants. Ils nous incitent à la mobilisation. Un tiers des malades atteints du sida, qui sont de nationalité étrangère et vivent en france, soit près de 2100 personnes, vient d'un pays d'Afrique sub-Saharienne. Le RNSP constate que, pour cette population, l'accès au dépistage est tardif et la prise en charge aléatoire. Résultat : alors que, depuis 1994, le nombre de nouveaux cas de sida a diminué de 42 % chez les sujets de nationalité française, il n'a baissé que ce 25 % chez les sujets de nationalité étrangère. C'est peu.
Des progrès peuvent donc encore être accomplis grâce à une collaboration accrue entre vos associations et le dispositif français de soins, qu'il soit de nature associatif lui aussi, comme AIDES et ses antennes locales, ou public, à travers les " chargés de mission sida " des DDASS, par exemple, que je vous invite à rencontrer plus souvent.
Je vous rappelle que la France a, cette année, mis en oeuvre les recommandations édictées par le Conseil national du sida et par le groupe de travail auquel un certain nombre d'entre vous a participé. Ainsi, la loi du 11 mai 1998 garantit le droit d'obtention d'un titre de séjour assorti d'une autorisation de travail aux personnes dont l'état de santé nécessite le maintien en France pendant la durée d'un traitement. Je veillerai personnellement à son application car je ne méconnais pas les difficultés pratiques que vous rencontrez dans la reconnaissance quotidienne de ce droit.
Je voudrais, pour conclure, pour parler du Fonds de solidarité thérapeutique international dont la France a pris l'initiative. Notre pays y a consacré 5 millions de francs en 1998 et y consacrera 20 millions de francs en 1999 auxquels s'ajouteront des fonds venus de l'Union européenne et d'organismes internationaux.
Le principal objectif du FSTI est de permettre, outre la prévention, l'accès aux traitements, y compris aux antirétroviraux, des personnes vivant avec le VIH dans vos pays d'origine. La priorité sera donnée, dans un premier temps, à la transmission mère-enfant et à la prise en charge ultérieure de la mère et du nouveau-né. Il faut en effet assurer le renouvellement des générations et donner un avenir au continent africain. D'autres populations seront progressivement concernées.
Alors que se met en place la mondialisation de l'économie accompagnée d'une libre circulation des hommes et des idées, notre action s'inscrit dans le refus de la logique d'une épidémie à deux vitesses. Ce fonds de solidarité marque notre volonté de ne pas abandonner les pays en voie de développement à la souffrance et à la mort tandis que les pays du Nord vivent dans une certaine opulence et peuvent bénéficier des soins les plus modernes.
C'est un devoir moral. Je veux que cela devienne aussi un combat, à la fois éthique et médical, qui unisse nos deux continents, l'Europe et l'Afrique. Rien ne pourra se faire sans la collaboration de vos associations.


(source http://www.sante.gouv.fr, le 24 septembre 2001)