Déclaration de M. Michel Sapin, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, sur la mobilisation du corps préfectoral en matière de modernisation de l'administration notamment sur l'aménagement et la réduction du temps de travail, la réforme de l'Etat, la déconcentration et la résorption de la précarité, Paris le 9 novembre 2000.

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Circonstance : Célébration du bicentenaire la création de l'institution préfectorale, à Paris le 9 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Ministre
Mesdames et Messieurs les Préfets,
Je remercie Monsieur le ministre de l'Intérieur de m'avoir invité à intervenir devant vous pour vous faire part de l'état d'avancement d'un certain nombre de dossiers touchant à la fonction publique et à la modernisation de l'administration et qui appellent votre mobilisation.
Je souhaite aborder 4 dossiers principaux en réservant un temps d'échange entre nous sur ces questions.
1. L'aménagement et la réduction du temps de travail.
2. Les axes principaux de la réforme de l'Etat après le comité interministériel pour la réforme de l'Etat.
3. La déconcentration.
4. La résorption de la précarité
1. L'aménagement et la réduction du temps de travail
Daniel Vaillant vous a exposé la méthode retenue par le Ministère de l'Intérieur pour conduire ce vaste projet aux enjeux politiques et organisationnels très forts.
Le décret du 25 août 2000 fixe le cadre dans lequel l'ARTT va s'appliquer aux services de l'Etat au 1er janvier 2002. Les repères principaux sont :
- une durée hebdomadaire de référence de 35 heures sur la base d'un décompte annuel de 1600 heures, ce plafond ne pouvant être réduit que par arrêté interministériel et en justifiant de sujétions particulières
- la possibilité d'organiser le travail en cycles adaptés aux exigences du service, un cycle pouvant couvrir de une semaine à une année
- la fixation de garanties en termes d'amplitude maximale et de repos minimal sur la journée et sur la semaine
- des éléments de cadrage relatifs aux astreintes, au temps variable, à la situation de l'encadrement .
Il s'agit réellement d'un cadre normatif, qui laisse une part substantielle à la négociation ministérielle et à la négociation locale.
L'enjeu se pose donc maintenant largement en termes d'organisation et de management. Il s'agit d'adapter, parfois peut-être de revoir, l'organisation des services pour faire progresser à la fois globalement les conditions de travail et la qualité du service, c'est-à-dire notamment la cohérence locale de l'action administrative.
Les ministères entament donc tous, chacun pour ce qui les concerne, et en fonction de leur situation, leurs discussions, en commençant, comme il est normal, par l'établissement d'un diagnostic, dont je souhaite qu'il soit partagé avec les partenaires sociaux.
En termes interministériels, le pilotage national est assuré par un comité de pilotage au niveau des cabinets (présidé par mon directeur de cabinet) et un comité de projet au niveau des directions de personnel (présidé par le directeur général de la fonction publique). Ce dispositif est complété par un comité de coordination composé de la direction du budget et de la direction générale de la fonction publique, quia vocation a entendre, évaluer, et donner son accord aux projets des ministères en matière de négociation et de préparation de textes, et une cellule de veille juridique à la DGAFP.
Quant au pilotage interministériel local, il nous a semblé, au Ministre de l'intérieur et à moi-même, qu'il devait reposer largement et explicitement sur vous. C'est pourquoi nous venons de signer ensemble, avec l'accord de l'ensemble des ministres, une lettre vous confiant cette responsabilité, qui s'exercera très rapidement dans le cadre des formations départementales en cours d'organisation. Votre mission en la matière s'inscrit dans le cadre plus général de votre responsabilité de représentant de l'Etat dans la région ou le département : il s'agit d'animer le réseau départemental des chefs de projet de manière à mettre en uvre cette réforme au plan local de la manière la plus efficace et la plus cohérente possible.
J'ajoute, puisque ce qui se passe pour la fonction territoriale vous intéresse aussi, que le dernier article du projet de loi sur la résorption de la précarité, dont je vais vous parler dans quelques instants, pose les bases législatives nécessaires à la transposition du décret du 25 août 2000 aux collectivités territoriales.
Vous l'avez compris, tous les Ministères n'avanceront pas au même rythme. C'est pourquoi le tableau de bord de l'avancement des discussions, négociations, propositions nécessitera une rencontre d'étape avec vous au début de l'année prochaine afin de mieux évaluer les conditions d'avancement des projets.
Ce dossier est essentiel pour le Gouvernement : il est bien sûr une avancée sociale pour les agents, il est aussi une formidable occasion de repenser l'organisation des services, améliorer leur efficacité et mieux satisfaire les attentes des usagers. Il est de ce point de vue important que soient mis en valeur les sites et les services où, avant le 1er janvier 2002, la mise en uvre de l'ARTT sera anticipée ; c'est le souhait du Gouvernement que, dans la mesure du possible, cette réforme entre dans les faits avant la date limite fixée par le décret.
Cette vaste réforme est au cur du mouvement de modernisation de l'action publique dont le CIRE du 12 octobre dernier a arrêté les mesures phares pour répondre aux nouvelles attentes du citoyen, pour moderniser la gestion en s'appuyant sur les agents acteurs du changement.
2 - Les axes de modernisation de l'Etat
Vous avez reçu un document complet sur les décisions prises lors du dernier Comité Interministériel à la réforme de l'Etat. Je suis prêt à répondre lors de notre échange à des questions sur le contenu des mesures mais je souhaiterais appeler votre attention sur quelques points dont la mise en uvre rapide m'apparaît déterminante.
* En matière de qualité de l'accueil et de service rendu à l'usager, la CIRE a décidé que chaque service déconcentré doit s'engager d'ici la fin 2001 dans une procédure de définition de ses engagements en matière de qualité.
L'opportunité de l'ARTT doit vous permettre d'accélérer la réflexion sur ce thème. D'ailleurs un certain nombre de projets territoriaux élaborés sous votre responsabilité mentionnent avec justesse cette exigence à l'égard des usagers.
* Le développement des sites inter net et des services en ligne est source de simplification de l'accès des usagers aux administrations. Les téléprocédures sont à amplifier, de même que l'ouverture des SIT en relation avec les systèmes existants dans les collectivités locales.
* La rénovation des modes de gestion est une priorité. C'est la raison pour laquelle le CIRE a décidé d'engager la révision de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 à la fois pour accroître les prérogatives du Parlement et pour en tirer toutes les conséquences sur les modes de gestion des administrations de l'Etat.
J'apprécie l'expérience de globalisation des crédits menée dans quatre préfectures pilotes en 2000 et qui sera étendue à dix nouvelles préfectures en 2001. Je prendrai appui sur l'évaluation de ces expériences pour en tirer des enseignements à la fois sur la méthodologie, le nouveau rôle des gestionnaires, le développement de leur autonomie, l'organisation et le contenu de la délégation qui leur est consentie.
Je sais par ailleurs que dans ce domaine, des résistances que l'on peut qualifier de culturelles, persistent.
J'en veux pour exemple les obstacles pesant sur le développement des délégations inter-services, trop peu utilisées à ce jour. Nous allons nous employer à lever tous les obstacles administratifs dans les meilleurs délais.
* Le CIRE a enfin acté le principe de l'organisation du dialogue social au niveau local dans un cadre interministériel.
En effet, le champ du dialogue avec les représentants du personnel doit être élargi. L'élaboration des projets territoriaux en a manifesté d'ailleurs la nécessité pour l'évocation de questions interministérielles. La communication interne et externe de l'Etat s'en trouvera renforcée ainsi que la sensibilisation des organisations syndicales à des sujets d'évolution et de réforme des administrations non abordés ou abordés partiellement dans les instances paritaires ministérielles.
Les commissions locales interministérielles de coordination que vous aurez à mettre en place seront paritaires et il paraît raisonnable qu'elles n'aient pas plus de trente membres titulaires. Leur périmètre de compétence est celui des services déconcentrés relevant de votre autorité en application des décrets du10 mai 1982, à l'exception des services dépendant des ministères de la défense et de la justice, et des établissements scolaires. Ces commissions devraient se prononcer sur les problèmes généraux de coordination des services dans le cadre de l'élaboration des projets territoriaux, la mise en uvre des politiques publiques interministérielles, la création des SIT (systèmes d'information territoriaux),les modalités de coopération entre services, les aspects interministériels de la politique des ressources humaines, ainsi que les questions immobilières.
Vous recevrez prochainement une circulaire précisant le cadre et l'organisation de ces commissions, qui sont aux yeux du Gouvernement un élément essentiel du dialogue social local et donc de l'efficacité de l'Etat local.
* Enfin, le Gouvernement est engagé dans la rénovation de la gestion de l'encadrement supérieur.
Grâce à son travail de cotation des emplois, le ministère de l'intérieur va être le premier à faire bénéficier ses cadres de la NBI : 290 hauts fonctionnaires du ministère vont bénéficier de cette mesure (12 millions de francs en année pleine) qui s'inscrit dans l'ensemble des dispositions visant à améliorer et dynamiser la gestion de l'encadrement supérieur. Le décret est en cours de contreseing.
3 - La déconcentration
L'attachement de ce gouvernement à la déconcentration est une réalité car l'appréciation par les élus et les usagers du fonctionnement de l'Etat est souvent perçue à travers le fonctionnement de l'Etat local.
Des instruments juridiques d'organisation des services dans le département et la région existent, privilégiant notamment la collégialité entre les chefs de services autour du préfet.
De nouveaux outils ont été mis en place par les décrets d'octobre 1999. J'ai évoqué tout à l'heure la nécessité de les rendre rapidement plus opérationnels dans la perspective d'une mutualisation plus grande des ressources des services de l'Etat.
Préparer une nouvelle étape de la déconcentration s'avère aujourd'hui nécessaire, parce qu'on a pas su vraisemblablement tirer toutes les conséquences de la décentralisation et de l'émergence des collectivités aux compétences renforcées et dotée de nouvelles capacités d'expertise.
Cette nouvelle étape est également souhaitable pour la mise en uvre des politiques publiques dont la territorialisation implique des conditions d'application adaptées aux caractéristiques locales et dont l'efficacité peut souffrir d'une simple réflexion au niveau central.
Le CIRE a demandé au ministère de l'intérieur et au ministère de la fonction publique et de la réforme de l'Etat de procéder pour le 31 janvier, à une évaluation des mesures de déconcentration afin de préparer au printemps une série de mesures renforçant les moyens d'action de l'Etat déconcentré.
Je souhaite en particulier travailler sur la question des ressources humaines pour doter les échelons déconcentrés d'une politique interministérielle qui se heurte aujourd'hui aux verticalités ministérielles. La subsidiarité dans ce domaine est à privilégier.
Je connais vos attentes, je tenterai d'y répondre.
Le Premier ministre, dans son discours de Lille du 27 octobre a jugé "particulièrement pertinentes" les recommandations de la commission sur l'avenir de la décentralisation présidée par P.MAUROY, relatives à la déconcentration. Je cite : "le renforcement du rôle des préfectures de région, l'adaptation concertée de l'organisation des services de l'Etat, l'utilisation plus intensive encore des technologies de l'information et de la communication".
Ces idées nous guideront dans nos réflexions auxquelles je souhaite évidemment vous associer dans des formes dont nous conviendrons avec D. VAILLANT.
4. Résorption de la précarité
Vous le savez, le gouvernement a signé le 10 juillet dernier, avec six des sept organisations syndicales représentatives, un protocole de résorption de l'emploi précaire. Le projet de loi déposé au Sénat, qui sera discuté en première lecture le22 novembre prochain, en est la traduction législative.
Ce texte prend acte des acquis du plan précédent, le plan Perben, mais également de ses limites, dont la première est d'avoir, malgré quelques 55 000 titularisations sur l'ensemble des trois fonctions publiques, maintenu largement l'effectifs d'agents en situation de précarité.
Ainsi :
- il élargit les conditions d'éligibilité aux concours réservés, en réduisant l'ancienneté exigée mais également en ouvrant les possibilités de concours réservés aux trois catégories A, B, et C.
- il assouplit dans certains cas les modalités de ces concours par exemple en prévoyant des titularisations sur titres dans la fonction publique territoriale lorsque les concours ordinaires n'ont pas été organisés régulièrement, ou des examens professionnels pour les agents de catégorie C de l'Etat
- il limite dans certains cas le recours aux contractuels, notamment celui des contractuels à temps non complet dans les petites communes
- et, c'est très important à mes yeux, pose quelques jalons pour la modernisation du recrutement ; c'est ainsi que des modalités de type troisième voie et concours sur titres seront étendues, et que l'ouverture et l'organisation des concours seront simplifiées et déconcentrées ; pour la fonction publique territoriale, les centres de gestion seront encouragés à prendre l'initiative de concertations et de travaux avec les collectivités locales, avec l'objectif d'améliorer globalement la gestion prévisionnelle et la mutualisation des ressources dans un même département.
Le défi que nous devons relever dans les années qui viennent est en effet bien celui de la gestion prévisionnelle et du recrutement: vous le savez, 40% des fonctionnaires partiront en retraite d'ici 10ans, et notre problématique n'est pas aujourd'hui de savoir si l'Etat emploie trop d'agents, elle est de savoir comment nous parviendrons à recruter en cohérence avec les besoins de l'administration et les priorités de l'action publique.
Au-delà des débats d'ordre quasi-théologique sur le niveau de l'emploi public - niveau que l'on ne connaît d'ailleurs qu'avec une assez grande imprécision - c'est bien la qualité des politiques de recrutement, de formation et de gestion des personnels qui constituent le défi majeur pour l'Etat en matière de ressources humaines.

Je ne saurais achever mon propos sans évoquer l'actualité sociale immédiate, c'est-à-dire la question des salaires dans la fonction publique.
Je ne sais pas si je vais vous apprendre grand-chose - la presse en dit déjà tant !
Vous avez compris que des négociations s'ouvriront le 21 novembre prochain, et que, quel que soit le déroulement de ces négociations, les fonctionnaires seront augmentés au titre de l'année 2000: comme on se plaît à le répéter, " l'année2000 ne sera pas une année blanche ". Par ailleurs le congé de fin d'activité, dont le renouvellement n'allait pas de soi compte tenu des évolutions de l'ARPE qui est son équivalent dans le secteur privé, est bien reconduit à l'identique pour 2001.
Compte tenu de la date où nous sommes , cette augmentation ne tombera pas sur les feuilles de paye en décembre : elle sera donc versée vraisemblablement en janvier 2001.
Je sais, puisque vous l'avez largement relayé les uns et les autres, que des associations de fonctionnaires ou de retraités, des organisations syndicales, vous ont fait savoir leur préoccupation ou leur mécontentement. Je compte sur vous pour leur répondre avec ces quelques éléments, peu fournis j'en conviens, mais qui sont les seuls communicables dans cette période de pré-négociation.
Un mot cependant pour vous dire comment le Ministre que je suis, en accord avec le Premier Ministre, aborde cette négociation salariale:
- tout d'abord c'est un sujet important, car les fonctionnaires constituent ensemble 25% de l'emploi de ce pays, et que la manière dont l'Etat-patron traite la rémunération de ses salariés reste un signe fort pour l'ensemble des acteurs économiques
- ensuite c'est un sujet légitime pour les fonctionnaires, dont l'évolution du pouvoir d'achat ne doit pas " décrocher" de l'ensemble des évolutions en matière salariale: c'est un sujet d'équité et de cohésion sociale, c'est aussi un problème d'intérêt bien compris pour la fonction publique qui, sinon, ne pourra pas recruter les agents de valeur dont elle aura pourtant besoin dans les années qui viennent

- enfin ce n'est pas le seul sujet de dialogue social - nous en avons d'autres ! - mais cela reste l'un des points d'ancrage du dialogue avec les organisations syndicales. C'est pourquoi je m'attache, tout en prenant en considération ce point focal des accords que reste la valeur du point, à mettre dans la discussion des sujets tels que les carrières- au sens de la revalorisation catégorielle certes, mais aussi au sens de la gestion des carrières et des qualifications, car là aussi il me semble qu'il y a un terrain de dialogue stratégique et fructueux, à la fois pour l'Etat et pour les agents.
Ces dossiers sont lourds, et ils exigent la mobilisation de toute l'administration. Mais l'attention que vous allez leur porter est un gage de leur réussite. La réforme de l'Etat est une uvre de longue haleine et tout relâchement des efforts se traduit par un recul. Le Gouvernement compte sur vous pour être des moteurs de cette réforme, dont dépend la place que l'Etat continuera à occuper dans notre pays dans les décennies à venir.
(Source : http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 10 novembre 2000)