Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Pour lutter contre l'exclusion, pour réduire la fracture sociale, notre meilleure arme, c'est la Sécurité Sociale.
L'enjeu du débat qui nous réunit aujourd'hui va donc bien au-delà du seul souci de rééquilibrer nos comptes sociaux. Ce n'est pas principalement un débat budgétaire ou comptable. Ce n'est pas le simple respect de l'obligation faite au Gouvernement par la loi du 25 juillet 1994 de présenter au Parlement un rapport sur l'évolution des régimes obligatoires de Sécurité Sociale. C'est d'abord et avant tout un débat de société, le grand débat de la société française face à elle-même et au monde qui l'entoure.
Je résumerai ainsi la question qui nous est posée : la communauté nationale est-elle décidée à tout faire pour assurer l'avenir d'un système original de protection sociale qui, depuis un demi-siècle, a - malgré ses défauts - réussi à préserver la cohésion de notre pays et la solidarité entre les Français ?
Car la Sécurité Sociale a réussi.
Née dans l'enthousiasme de la Libération, elle a donné son sens, sa force, son visage au troisième terme de la devise républicaine : le visage de la fraternité qui construit un peuple en une nation rassemblée.
Elle a mis fin à la plus intolérable des inégalités, celle qu'engendre l'insécurité du lendemain. Elle a remplacé l'aléa de l'assistance, la charité du don par l'organisation de la solidarité de tous envers chacun et de chacun envers tous. Elle a été l'uvre de tous les Français, de leur engagement, de leur volonté, de leur énergie.
Rares sont les périodes où un pays s'assigne si haute ambition. Rares sont celles où il réussit à lui donner vie. Plus rares encore, celles où, pour reprendre l'expression de Napoléon, sont jetés ces " blocs de granit " sur lesquels se construisent l'avenir et le progrès.
Progrès en matière de santé d'abord. Pour ne prendre qu'un seul exemple qui les résume tous, depuis les années 50, l'espérance de vie des hommes a gagné 10 ans et celle des femmes plus de 12 ans.
Progrès radical aussi dans la situation des personnes âgées. La mise en place du système de retraite par répartition a permis de faire progressivement disparaître une situation intolérable qui condamnait un grand nombre de nos aînés à la misère. Aujourd'hui, même si des disparités subsistent globalement, le niveau de vie des retraités a rattrapé celui des actifs.
Progrès considérable dans la prise en charge des besoins des familles. Conçue initialement pour compenser le coût d'entretien de l'enfant, la politique familiale a su s'adapter au fil des ans. Elle s'est attachée dans les années 1970 à aider plus particulièrement les familles modestes, notamment pour leur logement. Elle a su évoluer encore dans les années 1980 pour répondre au nouvel enjeu de la société moderne : la réconciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Mais aujourd'hui la Sécurité Sociale est en crise.
Crise financière, bien sûr : tous les Français en ont désormais pris clairement conscience.
Au risque de surprendre, je dirai que ce n'est peut-être pas le plus grave.
Ce qui est en cause, c'est la capacité du système à combattre deux fléaux qui minent notre société : le chômage et l'exclusion.
Notre Sécurité Sociale a été créée à une époque où le chômage n'existait pas.
Jusqu'aux années 1960, la croissance rapide de l'économie et la hausse de la productivité ont permis de dégager chaque année les ressources nécessaires à la progression des dépenses sociales.
La crise économique a brisé le cercle vertueux dans lequel le progrès social et le progrès économique s'entraînaient l'un l'autre.
L'alourdissement des prélèvements sociaux a contribué à son tour au développement du chômage, et notamment du chômage de longue durée.
Notre système de protection sociale n'a pas su réagir efficacement. Certes, s'il n'y avait pas la Sécurité Sociale, on n'ose imaginer ce qu'auraient été les effets de la crise économique sur les plus fragiles de nos concitoyens.
Mais l'exclusion n'en a pas moins gagné continuellement du terrain, au point de frapper 5 millions de nos compatriotes. Nous voyons croître sans cesse le nombre des personnes en situation d'errance, s'ouvrir sans cesse de nouveaux dispensaires de soins gratuits à l'initiative des associations d'action humanitaire d'urgence, augmenter sans cesse les placements d'enfants confrontés à des situations familiales intolérables.
C'est bien d'une crise d'efficacité et d'identité que souffre d'abord la Sécurité Sociale. Bien que notre pays consacre une part toujours plus importante de sa richesse nationale à sa protection sociale, les résultats ne sont plus à la hauteur des espérances.
Je voudrais prendre un seul exemple : la santé.
La France occupe la troisième place mondiale et la première en Europe pour les dépenses de santé qui sont, par habitant, supérieures de 25 % à celles de l'Allemagne et de 60 % à celles du Royaume-Uni. Pour autant, l'état sanitaire des Français n'est pas significativement meilleur que celui des autres pays européens. La France a même des résultats très moyens en matière d'espérance de vie masculine ou de mortalité périnatale pour laquelle elle n'occupe que le 13ème rang dans l'OCDE.
Qu'y a-t-il, en fait, derrière ces statistiques ? L'insuffisance de la prévention, l'existence de gaspillages et l'absence d'évaluation et de contrôle des coûts dans notre système de soins. Le coût d'une même opération chirurgicale peut varier de 50 % selon l'établissement où elle a lieu. Le nombre d'analyses de biologie par hospitalisé peut varier du simple au triple selon les régions. Sans parler bien sûr de la surconsommation de médicaments qui singularise notre pays : on consomme ainsi en France 4 fois plus de neuroleptiques qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni.
La Sécurité Sociale, les Français l'ont trop souvent oublié, est le bien de tous. Elle n'est pas une administration lointaine et étrangère, elle ne se réduit pas à un guichet sans visage, sans voix et sans regard. Elle n'existe que parce que chacun y contribue pour aider l'autre. Elle est la forme la plus achevée de la responsabilité collective. Or, elle est devenue la responsabilité de personne. La gestion ? Nul ne sait plus quels sont les rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux. Le financement ? C'est comme si une " main invisible " y pourvoyait, alors que c'est l'argent de chacun. Les prestations ? Nul n'a le sentiment d'abuser. Les excès, c'est toujours les autres. Selon une étude récente, aux yeux des Français, la première cause du déficit de la Sécurité Sociale, c'est le comportement des assurés sociaux eux-mêmes. Mais 98 % des personnes interrogées affirment ne pas avoir tendance à abuser des prestations médicales.
Quoi qu'il en soit, le constat est irréfutable : les déficits s'emballent.
De 1990 à 1993, en quatre ans seulement, le déficit des comptes sociaux est passé de près de 10 à près de 60 milliards de Francs. Certes, des efforts de redressement ont été entrepris : reprise de la dette accumulée jusqu'en 1993, limitation des remboursements, réforme du régime général de vieillesse. Ces réformes étaient nécessaires. Elles sont toutefois restées insuffisantes. Elles n'ont permis que de ralentir l'inexorable progression des déficits, pas de l'inverser.
Le poids du passé se lit dans les chiffres : la dette accumulée en 92, 93, 94 et 95 atteint 230 milliards de Francs. Voilà le fardeau qu'il nous faut aujourd'hui supporter. Ce bilan devrait inciter, ici ou là, à plus de retenue dans la critique ou dans le conseil !
Dès son installation en mai dernier, le Gouvernement a pris des mesures immédiates en restituant à l'assurance vieillesse la remise forfaitaire de 42 F, qui depuis son institution, avait privé les régimes de retraite de près de 30 milliards de Francs de recettes. Il a fixé l'évolution du taux directeur hospitalier pour 1996 à 2,1 %. Si nous n'avions pas pris ces décisions d'urgence, le déficit aurait frôlé les 70 milliards de Francs en 1995 et le déficit prévisionnel pour 1996 aurait été du même ordre de grandeur.
Notre pays a certes traversé en 1992-1993 une récession économique sans précédent depuis 1945 qui s'est traduite par un affaissement considérable des recettes provenant des cotisations.
Mais les causes de la dégradation financière de Sécurité sociale dépassent les seuls facteurs conjoncturels. Ce qui est en cause, c'est notre incapacité collective à maîtriser l'équilibre global du système.
Il nous a fallu 10 ans de rapports et de livres blancs pour faire les choix nécessaires à la sauvegarde du régime de retraite des salariés en 1993. Mais nous n'avons pas étendu cet effort à l'ensemble des régimes de répartition.
En matière de santé, l'instauration du budget global à l'hôpital avait certes vocation à stabiliser les dépenses. Depuis quelques mois, notre pays s'est, il est vrai, engagé dans la voie originale et prometteuse de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Mais ces efforts ne se sont pas inscrits dans un cadre global et cohérent et n'ont pas été poussés jusqu'au terme de leur logique. On est allé, au fil des ans, de replâtrage en replâtrage. On n'a pas osé sauter le pas de la vraie réforme structurelle dont la Sécurité Sociale a impérativement besoin pour assurer son avenir.
Mesdames et Messieurs les Députés, nous sommes donc aujourd'hui à la croisée des chemins. Il nous faut sauver notre système de protection sociale. Il nous faut construire pour nos enfants la protection sociale du 21ème siècle. Il nous faut imaginer un nouveau contrat de sécurité et de solidarité sociale entre les Français.
C'est pourquoi j'ai voulu que la réforme de la sécurité sociale soit l'affaire de tous. C'est la condition de sa légitimité, c'est la condition de sa réussite.
J'ai refusé, comme certains le souhaitaient, d'imposer des choix dès l'installation du Gouvernement en mai, sans avoir organisé une véritable concertation.
Depuis le mois de mai dernier, j'ai rencontré à plusieurs reprises les partenaires sociaux particulièrement impliqués dans la gestion de notre système de protection sociale. Les ministres concernés ont entretenu avec eux un dialogue permanent.
Mais au-delà, ce sont les Français que j'ai entendu directement consulter au travers des acteurs locaux de la protection sociale.
Des forums de la protection sociale se sont ainsi déroulés du 9 au 30 octobre dans chacune des 22 régions métropolitaines et dans les quatre départements d'outre-mer. Ils ont réuni plus de 6.000 personnes : partenaires sociaux, syndicats professionnels, représentants des organismes de sécurité sociale et des institutions mutualistes, mais aussi représentants du mouvement associatif et notamment des familles et des retraités, ainsi bien sûr que des élus et des personnalités qualifiées.
Ces forums ont été conçus, non pour annoncer des décisions, mais pour poser les questions essentielles, même si elles pouvaient être jugées tabous par certains.
Au-delà d'un inévitable formalisme, un vrai débat s'est à chaque fois instauré. Parfois vif, le plus souvent digne. Une réelle prise de conscience est née.
Enfin, le Parlement s'est largement engagé dans cette démarche en créant une mission d'information pour préparer le débat qui s'ouvre aujourd'hui.
Le Gouvernement retire de cette concertation de nombreux enseignements. D'abord la certitude que les Français sont aujourd'hui prêts à faire les efforts nécessaires pour sauvegarder notre système de protection sociale. Mais à condition que ces efforts soient équitablement répartis. A condition également que ces efforts s'intègrent dans le cadre d'une réforme de structure qui permette une maîtrise durable de la dépense, et qui rende notre système de protection sociale plus juste et plus efficace.
En matière de famille d'abord. Les Français sont très attachés aux principes qui fondent notre politique familiale : l'universalité et l'aide aux familles modestes.
Mais cet attachement n'est pas synonyme de conservatisme. Les Français ont conscience, en effet, que notre politique familiale est devenue trop complexe et que cette complexité est source d'inégalités au détriment des familles qui en ont le plus besoin.
Ce qui ressort aussi très clairement des forums régionaux, c'est le souhait de voir notre politique familiale retrouver rapidement sa dynamique pour mieux répondre à l'évolution des structures familiales et relever le défi de la baisse dramatique de la natalité dans notre pays.
En matière de retraite, les Français sont parfaitement lucides. Ils savent que les perspectives démographiques fragilisent, si rien n'est fait, les régimes de répartition auxquels tous tiennent résolument. Ils ont conscience que des efforts seront nécessaires pour les préserver.
En matière de santé, les Français n'acceptent pas que la pauvreté et l'exclusion puissent se traduire par des difficultés d'accès aux soins. Ils aspirent à l'égalité de tous devant les soins. Ils sont attachés au principe de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, car celle-ci place la qualité des soins au cur du fonctionnement de notre système sanitaire. Mais nos concitoyens savent aussi qu'il faut développer au plus vite les instruments nécessaires à l'efficacité de cette politique en faisant appel à la responsabilité de tous les acteurs du système de santé. Enfin, si les Français sont attachés profondément à leur hôpital, ils ont conscience qu'il faut sortir de " l'hospitalocentrisme " et développer des synergies entre la médecine hospitalière et la médecine de ville pour améliorer la qualité des soins.
Dernier enseignement important que je tire de ces forums : les Français souhaitent une réforme du mode de financement de notre système de protection sociale. Pour que l'effort soit équitablement partagé entre tous les revenus. Pour que le mode de financement de notre protection sociale ne soit plus défavorable à l'emploi.
La parole est maintenant à la représentation nationale.
Vous disposez, Mesdames et Messieurs les Députés, du rapport du Gouvernement, du rapport de la Cour des Comptes, du rapport de la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale. Les travaux de votre mission d'information vous permettent d'éclairer les enjeux, d'enrichir les analyses et les propositions. En un mot, de dessiner les évolutions souhaitables pour notre protection sociale et aussi de dégager les principes sur lesquels la représentation nationale entend voir se fonder la réforme.
Le Gouvernement sera particulièrement attentif à vos débats.
Quand ils seront parvenus à leur terme, ce sera le temps de décider : je vous proposerai mercredi après-midi la réforme de la Sécurité Sociale que nous aurons ensemble élaborée.
Cette réforme est nécessaire, nous venons de dire pourquoi.
Elle doit être juste : les efforts inévitables devront être équitablement répartis ; l'idéal de solidarité qui inspire toute l'uvre de protection sociale édifiée depuis 50 ans doit demeurer vivace ; il doit être le principe actif de toutes nos mesures.
La réforme doit être durable : elle ira en profondeur, traitera des questions structurelles, mettra en place des mécanismes garantissant l'équilibre à moyen terme des différents régimes. Il s'agit, je l'ai dit, de construire la Sécurité Sociale du 21ème siècle.
Elle doit aussi porter des fruits à court terme. Vous connaissez l'objectif : réduire le déficit prévisionnel de moitié en 1996, le supprimer en 1997 et naturellement les années suivantes.
Elle doit être cohérente avec notre politique économique d'ensemble : elle comportera, à côté des indispensables mesures de recettes, des économies importantes, conçues avec le souci de maintenir et de stimuler l'activité économique.
Je sais enfin qu'elle sera difficile. Pour la réussir, le gouvernement aura d'abord besoin de l'appui de toute sa majorité. C'est un rendez-vous essentiel pour les deux ans qui viennent. Au moment où nous allons demander aux Français un effort décisif pour l'avenir de notre pays, la majorité doit manifester clairement son unité.
Nous aurons aussi besoin de la cohésion de toute la Nation. Je sens que les Français sont, au fond d'eux-mêmes, convaincus de l'absolue nécessité d'une profonde réforme.
L'attachement aux principes fondateurs de la Sécurité Sociale, le refus des inégalités devant la protection sociale, le souci d'équité dans l'effort qui sera demandé à tous, la volonté de construire la Sécurité Sociale des années 2 000 pour nous et pour nos enfants, la conviction que l'intérêt général doit enfin l'emporter sur les intérêts particuliers, voilà ce qui est au cur de cette réforme.
Soyons audacieux. Les Français le veulent. Nous ne pouvons le leur refuser.
Quant à moi, j'y suis prêt.
Mesdames et Messieurs les députés,
Pour lutter contre l'exclusion, pour réduire la fracture sociale, notre meilleure arme, c'est la Sécurité Sociale.
L'enjeu du débat qui nous réunit aujourd'hui va donc bien au-delà du seul souci de rééquilibrer nos comptes sociaux. Ce n'est pas principalement un débat budgétaire ou comptable. Ce n'est pas le simple respect de l'obligation faite au Gouvernement par la loi du 25 juillet 1994 de présenter au Parlement un rapport sur l'évolution des régimes obligatoires de Sécurité Sociale. C'est d'abord et avant tout un débat de société, le grand débat de la société française face à elle-même et au monde qui l'entoure.
Je résumerai ainsi la question qui nous est posée : la communauté nationale est-elle décidée à tout faire pour assurer l'avenir d'un système original de protection sociale qui, depuis un demi-siècle, a - malgré ses défauts - réussi à préserver la cohésion de notre pays et la solidarité entre les Français ?
Car la Sécurité Sociale a réussi.
Née dans l'enthousiasme de la Libération, elle a donné son sens, sa force, son visage au troisième terme de la devise républicaine : le visage de la fraternité qui construit un peuple en une nation rassemblée.
Elle a mis fin à la plus intolérable des inégalités, celle qu'engendre l'insécurité du lendemain. Elle a remplacé l'aléa de l'assistance, la charité du don par l'organisation de la solidarité de tous envers chacun et de chacun envers tous. Elle a été l'uvre de tous les Français, de leur engagement, de leur volonté, de leur énergie.
Rares sont les périodes où un pays s'assigne si haute ambition. Rares sont celles où il réussit à lui donner vie. Plus rares encore, celles où, pour reprendre l'expression de Napoléon, sont jetés ces " blocs de granit " sur lesquels se construisent l'avenir et le progrès.
Progrès en matière de santé d'abord. Pour ne prendre qu'un seul exemple qui les résume tous, depuis les années 50, l'espérance de vie des hommes a gagné 10 ans et celle des femmes plus de 12 ans.
Progrès radical aussi dans la situation des personnes âgées. La mise en place du système de retraite par répartition a permis de faire progressivement disparaître une situation intolérable qui condamnait un grand nombre de nos aînés à la misère. Aujourd'hui, même si des disparités subsistent globalement, le niveau de vie des retraités a rattrapé celui des actifs.
Progrès considérable dans la prise en charge des besoins des familles. Conçue initialement pour compenser le coût d'entretien de l'enfant, la politique familiale a su s'adapter au fil des ans. Elle s'est attachée dans les années 1970 à aider plus particulièrement les familles modestes, notamment pour leur logement. Elle a su évoluer encore dans les années 1980 pour répondre au nouvel enjeu de la société moderne : la réconciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale.
Mais aujourd'hui la Sécurité Sociale est en crise.
Crise financière, bien sûr : tous les Français en ont désormais pris clairement conscience.
Au risque de surprendre, je dirai que ce n'est peut-être pas le plus grave.
Ce qui est en cause, c'est la capacité du système à combattre deux fléaux qui minent notre société : le chômage et l'exclusion.
Notre Sécurité Sociale a été créée à une époque où le chômage n'existait pas.
Jusqu'aux années 1960, la croissance rapide de l'économie et la hausse de la productivité ont permis de dégager chaque année les ressources nécessaires à la progression des dépenses sociales.
La crise économique a brisé le cercle vertueux dans lequel le progrès social et le progrès économique s'entraînaient l'un l'autre.
L'alourdissement des prélèvements sociaux a contribué à son tour au développement du chômage, et notamment du chômage de longue durée.
Notre système de protection sociale n'a pas su réagir efficacement. Certes, s'il n'y avait pas la Sécurité Sociale, on n'ose imaginer ce qu'auraient été les effets de la crise économique sur les plus fragiles de nos concitoyens.
Mais l'exclusion n'en a pas moins gagné continuellement du terrain, au point de frapper 5 millions de nos compatriotes. Nous voyons croître sans cesse le nombre des personnes en situation d'errance, s'ouvrir sans cesse de nouveaux dispensaires de soins gratuits à l'initiative des associations d'action humanitaire d'urgence, augmenter sans cesse les placements d'enfants confrontés à des situations familiales intolérables.
C'est bien d'une crise d'efficacité et d'identité que souffre d'abord la Sécurité Sociale. Bien que notre pays consacre une part toujours plus importante de sa richesse nationale à sa protection sociale, les résultats ne sont plus à la hauteur des espérances.
Je voudrais prendre un seul exemple : la santé.
La France occupe la troisième place mondiale et la première en Europe pour les dépenses de santé qui sont, par habitant, supérieures de 25 % à celles de l'Allemagne et de 60 % à celles du Royaume-Uni. Pour autant, l'état sanitaire des Français n'est pas significativement meilleur que celui des autres pays européens. La France a même des résultats très moyens en matière d'espérance de vie masculine ou de mortalité périnatale pour laquelle elle n'occupe que le 13ème rang dans l'OCDE.
Qu'y a-t-il, en fait, derrière ces statistiques ? L'insuffisance de la prévention, l'existence de gaspillages et l'absence d'évaluation et de contrôle des coûts dans notre système de soins. Le coût d'une même opération chirurgicale peut varier de 50 % selon l'établissement où elle a lieu. Le nombre d'analyses de biologie par hospitalisé peut varier du simple au triple selon les régions. Sans parler bien sûr de la surconsommation de médicaments qui singularise notre pays : on consomme ainsi en France 4 fois plus de neuroleptiques qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni.
La Sécurité Sociale, les Français l'ont trop souvent oublié, est le bien de tous. Elle n'est pas une administration lointaine et étrangère, elle ne se réduit pas à un guichet sans visage, sans voix et sans regard. Elle n'existe que parce que chacun y contribue pour aider l'autre. Elle est la forme la plus achevée de la responsabilité collective. Or, elle est devenue la responsabilité de personne. La gestion ? Nul ne sait plus quels sont les rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux. Le financement ? C'est comme si une " main invisible " y pourvoyait, alors que c'est l'argent de chacun. Les prestations ? Nul n'a le sentiment d'abuser. Les excès, c'est toujours les autres. Selon une étude récente, aux yeux des Français, la première cause du déficit de la Sécurité Sociale, c'est le comportement des assurés sociaux eux-mêmes. Mais 98 % des personnes interrogées affirment ne pas avoir tendance à abuser des prestations médicales.
Quoi qu'il en soit, le constat est irréfutable : les déficits s'emballent.
De 1990 à 1993, en quatre ans seulement, le déficit des comptes sociaux est passé de près de 10 à près de 60 milliards de Francs. Certes, des efforts de redressement ont été entrepris : reprise de la dette accumulée jusqu'en 1993, limitation des remboursements, réforme du régime général de vieillesse. Ces réformes étaient nécessaires. Elles sont toutefois restées insuffisantes. Elles n'ont permis que de ralentir l'inexorable progression des déficits, pas de l'inverser.
Le poids du passé se lit dans les chiffres : la dette accumulée en 92, 93, 94 et 95 atteint 230 milliards de Francs. Voilà le fardeau qu'il nous faut aujourd'hui supporter. Ce bilan devrait inciter, ici ou là, à plus de retenue dans la critique ou dans le conseil !
Dès son installation en mai dernier, le Gouvernement a pris des mesures immédiates en restituant à l'assurance vieillesse la remise forfaitaire de 42 F, qui depuis son institution, avait privé les régimes de retraite de près de 30 milliards de Francs de recettes. Il a fixé l'évolution du taux directeur hospitalier pour 1996 à 2,1 %. Si nous n'avions pas pris ces décisions d'urgence, le déficit aurait frôlé les 70 milliards de Francs en 1995 et le déficit prévisionnel pour 1996 aurait été du même ordre de grandeur.
Notre pays a certes traversé en 1992-1993 une récession économique sans précédent depuis 1945 qui s'est traduite par un affaissement considérable des recettes provenant des cotisations.
Mais les causes de la dégradation financière de Sécurité sociale dépassent les seuls facteurs conjoncturels. Ce qui est en cause, c'est notre incapacité collective à maîtriser l'équilibre global du système.
Il nous a fallu 10 ans de rapports et de livres blancs pour faire les choix nécessaires à la sauvegarde du régime de retraite des salariés en 1993. Mais nous n'avons pas étendu cet effort à l'ensemble des régimes de répartition.
En matière de santé, l'instauration du budget global à l'hôpital avait certes vocation à stabiliser les dépenses. Depuis quelques mois, notre pays s'est, il est vrai, engagé dans la voie originale et prometteuse de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Mais ces efforts ne se sont pas inscrits dans un cadre global et cohérent et n'ont pas été poussés jusqu'au terme de leur logique. On est allé, au fil des ans, de replâtrage en replâtrage. On n'a pas osé sauter le pas de la vraie réforme structurelle dont la Sécurité Sociale a impérativement besoin pour assurer son avenir.
Mesdames et Messieurs les Députés, nous sommes donc aujourd'hui à la croisée des chemins. Il nous faut sauver notre système de protection sociale. Il nous faut construire pour nos enfants la protection sociale du 21ème siècle. Il nous faut imaginer un nouveau contrat de sécurité et de solidarité sociale entre les Français.
C'est pourquoi j'ai voulu que la réforme de la sécurité sociale soit l'affaire de tous. C'est la condition de sa légitimité, c'est la condition de sa réussite.
J'ai refusé, comme certains le souhaitaient, d'imposer des choix dès l'installation du Gouvernement en mai, sans avoir organisé une véritable concertation.
Depuis le mois de mai dernier, j'ai rencontré à plusieurs reprises les partenaires sociaux particulièrement impliqués dans la gestion de notre système de protection sociale. Les ministres concernés ont entretenu avec eux un dialogue permanent.
Mais au-delà, ce sont les Français que j'ai entendu directement consulter au travers des acteurs locaux de la protection sociale.
Des forums de la protection sociale se sont ainsi déroulés du 9 au 30 octobre dans chacune des 22 régions métropolitaines et dans les quatre départements d'outre-mer. Ils ont réuni plus de 6.000 personnes : partenaires sociaux, syndicats professionnels, représentants des organismes de sécurité sociale et des institutions mutualistes, mais aussi représentants du mouvement associatif et notamment des familles et des retraités, ainsi bien sûr que des élus et des personnalités qualifiées.
Ces forums ont été conçus, non pour annoncer des décisions, mais pour poser les questions essentielles, même si elles pouvaient être jugées tabous par certains.
Au-delà d'un inévitable formalisme, un vrai débat s'est à chaque fois instauré. Parfois vif, le plus souvent digne. Une réelle prise de conscience est née.
Enfin, le Parlement s'est largement engagé dans cette démarche en créant une mission d'information pour préparer le débat qui s'ouvre aujourd'hui.
Le Gouvernement retire de cette concertation de nombreux enseignements. D'abord la certitude que les Français sont aujourd'hui prêts à faire les efforts nécessaires pour sauvegarder notre système de protection sociale. Mais à condition que ces efforts soient équitablement répartis. A condition également que ces efforts s'intègrent dans le cadre d'une réforme de structure qui permette une maîtrise durable de la dépense, et qui rende notre système de protection sociale plus juste et plus efficace.
En matière de famille d'abord. Les Français sont très attachés aux principes qui fondent notre politique familiale : l'universalité et l'aide aux familles modestes.
Mais cet attachement n'est pas synonyme de conservatisme. Les Français ont conscience, en effet, que notre politique familiale est devenue trop complexe et que cette complexité est source d'inégalités au détriment des familles qui en ont le plus besoin.
Ce qui ressort aussi très clairement des forums régionaux, c'est le souhait de voir notre politique familiale retrouver rapidement sa dynamique pour mieux répondre à l'évolution des structures familiales et relever le défi de la baisse dramatique de la natalité dans notre pays.
En matière de retraite, les Français sont parfaitement lucides. Ils savent que les perspectives démographiques fragilisent, si rien n'est fait, les régimes de répartition auxquels tous tiennent résolument. Ils ont conscience que des efforts seront nécessaires pour les préserver.
En matière de santé, les Français n'acceptent pas que la pauvreté et l'exclusion puissent se traduire par des difficultés d'accès aux soins. Ils aspirent à l'égalité de tous devant les soins. Ils sont attachés au principe de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, car celle-ci place la qualité des soins au cur du fonctionnement de notre système sanitaire. Mais nos concitoyens savent aussi qu'il faut développer au plus vite les instruments nécessaires à l'efficacité de cette politique en faisant appel à la responsabilité de tous les acteurs du système de santé. Enfin, si les Français sont attachés profondément à leur hôpital, ils ont conscience qu'il faut sortir de " l'hospitalocentrisme " et développer des synergies entre la médecine hospitalière et la médecine de ville pour améliorer la qualité des soins.
Dernier enseignement important que je tire de ces forums : les Français souhaitent une réforme du mode de financement de notre système de protection sociale. Pour que l'effort soit équitablement partagé entre tous les revenus. Pour que le mode de financement de notre protection sociale ne soit plus défavorable à l'emploi.
La parole est maintenant à la représentation nationale.
Vous disposez, Mesdames et Messieurs les Députés, du rapport du Gouvernement, du rapport de la Cour des Comptes, du rapport de la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale. Les travaux de votre mission d'information vous permettent d'éclairer les enjeux, d'enrichir les analyses et les propositions. En un mot, de dessiner les évolutions souhaitables pour notre protection sociale et aussi de dégager les principes sur lesquels la représentation nationale entend voir se fonder la réforme.
Le Gouvernement sera particulièrement attentif à vos débats.
Quand ils seront parvenus à leur terme, ce sera le temps de décider : je vous proposerai mercredi après-midi la réforme de la Sécurité Sociale que nous aurons ensemble élaborée.
Cette réforme est nécessaire, nous venons de dire pourquoi.
Elle doit être juste : les efforts inévitables devront être équitablement répartis ; l'idéal de solidarité qui inspire toute l'uvre de protection sociale édifiée depuis 50 ans doit demeurer vivace ; il doit être le principe actif de toutes nos mesures.
La réforme doit être durable : elle ira en profondeur, traitera des questions structurelles, mettra en place des mécanismes garantissant l'équilibre à moyen terme des différents régimes. Il s'agit, je l'ai dit, de construire la Sécurité Sociale du 21ème siècle.
Elle doit aussi porter des fruits à court terme. Vous connaissez l'objectif : réduire le déficit prévisionnel de moitié en 1996, le supprimer en 1997 et naturellement les années suivantes.
Elle doit être cohérente avec notre politique économique d'ensemble : elle comportera, à côté des indispensables mesures de recettes, des économies importantes, conçues avec le souci de maintenir et de stimuler l'activité économique.
Je sais enfin qu'elle sera difficile. Pour la réussir, le gouvernement aura d'abord besoin de l'appui de toute sa majorité. C'est un rendez-vous essentiel pour les deux ans qui viennent. Au moment où nous allons demander aux Français un effort décisif pour l'avenir de notre pays, la majorité doit manifester clairement son unité.
Nous aurons aussi besoin de la cohésion de toute la Nation. Je sens que les Français sont, au fond d'eux-mêmes, convaincus de l'absolue nécessité d'une profonde réforme.
L'attachement aux principes fondateurs de la Sécurité Sociale, le refus des inégalités devant la protection sociale, le souci d'équité dans l'effort qui sera demandé à tous, la volonté de construire la Sécurité Sociale des années 2 000 pour nous et pour nos enfants, la conviction que l'intérêt général doit enfin l'emporter sur les intérêts particuliers, voilà ce qui est au cur de cette réforme.
Soyons audacieux. Les Français le veulent. Nous ne pouvons le leur refuser.
Quant à moi, j'y suis prêt.