Texte intégral
A la suite de la remise du rapport de la commission Mauroy, Lionel Jospin, à Lille le 23 octobre dernier, a engagé le Gouvernement pour une nouvelle étape de la décentralisation en jetant les bases d'un débat national. Il a demandé à l'ensemble des ministères d'entreprendre les expérimentations qui devraient, à terme, dessiner le nouveau visage des compétences et des responsabilités respectives de l'Etat et des collectivités territoriales.
C'est déjà dans cet esprit que Catherine Tasca et moi-même vous présentions, en juillet dernier, nos objectifs en matière de décentralisation culturelle et que notre Conseil est saisi aujourd'hui d'un rapport sur l'état d'avancement des " protocoles de décentralisation culturelle ". Je mettrai en outre à profit notre réunion pour vous communiquer un point sur l'état d'avancement de nos réflexions et travaux relatifs à " l'Etablissement public local " que nous appelons désormais " Etablissement public de coopération culturelle ". " 20 ans après ", si je voulais m'amuser, pourrait être le titre de notre réunion d'aujourd'hui car " 20 ans après les premières lois de la décentralisation culturelle", le paysage culturel s'est considérablement modifié.
Nous pouvons unanimement l'observer, et mes nombreux déplacements en région le confirment sans cesse. C'est pourquoi je pense nécessaire, pour traiter de la décentralisation culturelle, d'en prendre la mesure et de tenir compte du foisonnement des initiatives, et des multiples partenariats croisés. On ne peut manifestement plus traiter de la décentralisation comme il y a 20 ans.
Nous nous engageons donc dans une démarche méthodique, pragmatique, respectueuse de l'expérience et des attentes de tous ceux qui façonnent le pays culturel. Car c'est ce que je crois le plus juste et le plus approprié.
I- Les protocoles de décentralisation culturelle, tout d'abord :
Les propositions formalisées des DRAC, toutes sollicitées dès le mois de septembre, ont été nombreuses - quatorze - et sont prometteuses, car toutes sont susceptibles à court et moyen terme de donner lieu à un protocole. Elles confirment donc la pertinence de cette démarche. La sélection des huit protocoles pour ce premier exercice budgétaire s'est effectuée selon un examen par le ministère des situations locales dans chacun des domaines proposés - le patrimoine et les enseignements artistiques - tant en DRAC qu'en administration centrale. Il était impératif que nos directeurs soient bien porteurs de chacun de ces protocoles. L'expérimentation ne veut pas dire moins de cohérence. Il a fallu distinguer les territoires porteurs de développement prévisible, et en mesure de s'engager dès 2001 dans une nouvelle configuration du partenariat.
Lorraine : à partir de l'exemple de la Moselle, étendre partenariat sur l'inventaire
Provence-Alpes Côte d'Azur : partage de la responsabilité sur les monuments inscrits
Aquitaine : numérisation des fonds patrimoniaux (archives, livre et lecture compris)
Nord-Pas-de-Calais : musique et danse
Pays de Loire : musique et danse, et arts plastiques
Isère et Lozère : l'ensemble du champs patrimonial
Seine Saint Denis : inventaire
On remarque d'emblée la prégnance du domaine patrimonial, proposé par six des huit sites retenus. Dans ces cas, les protocoles vont engager l'Etat dans une relation avec plusieurs conseils généraux pour construire un nouveau partage des responsabilités et pour aboutir, à terme, à une redéfinition du rôle respectif de l'Etat et de cette collectivité sur parfois l'ensemble du domaine patrimonial.
Il s'agira de clarifier pratiquement et progressivement la notion de chef de file de la collectivité, au regard de la délégation par l'Etat de responsabilités nouvelles. Ces protocoles permettront, en outre, de préciser enfin dans chacun de ces secteurs les missions qui demeureront à l'Etat au titre de l'intérêt national.
L'enseignement artistique qui est proposé dans deux régions implique une approche qui lui est spécifique.
Parce qu'il concerne de nombreux établissements répartis sur un territoire, et qu'il mobilise déjà l'ensemble des collectivités, les protocoles associeront progressivement très probablement plusieurs d'entre elles. Le protocole agira ainsi, à terme, sur l'ensemble de la chaîne du cursus de formation. D'emblée, l'Etat quant à lui, devra privilégier l'objectif prioritaire de consolidation et de développement de l'enseignement pré-professionnel et supérieur.
Dans ce cas, le protocole, par une approche régionale, redéfinira un schéma régional d'enseignement qui modifiera l'aménagement culturel des territoires concernés.
Dans les deux cas, protocoles et enseignement, les protocoles doivent jouer pleinement le jeu de la progressivité sur les 3 ans, de la gradation dans l'expérimentation, pour couvrir progressivement un territoire et définir, par l'expérience, " chemin faisant ", la meilleure répartition des responsabilités respectives.
Déjà, deux questions sont induites par la mise en uvre de cette démarche. Nous aurons à les traiter. La formation des hommes et les compétences d'une part ; la nécessité d'indicateurs conjoints d'observation permettant un suivi et une mesure de ces expérimentations d'autre part.
Nous saisirons avec Catherine Tasca les préfets concernés pour constituer un groupe de pilotage et de suivi de chacun des protocoles qui associe les élus et leurs services respectifs. Ces expérimentations " vers plus de décentralisation " devront être évaluées afin de tirer les enseignements nécessaires en prévision des décisions ultérieures pour la deuxième étape de la décentralisation culturelle.
Un groupe national de suivi présidé par René Rizzardo, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, se chargera d'éclairer le ministère de la Culture et, à travers votre Conseil l'ensemble des élus, en produisant des rapports d'étape qui vous seront communiqués régulièrement. Ils permettront notamment d'orienter les nouveaux choix à intervenir en 2002. René Rizzardo précisera dans quelques instants les conditions de fonctionnement de ce groupe.
Cette approche méthodique et pragmatique inscrite dans l'existant pose donc les jalons d'un processus solide et durable pour une nouvelle organisation des rapports entre collectivités publiques dans le champ culturel.
II- L'Etablissement Public de coopération Culturelle :
Il s'agit en l'espèce de faire devant vous le point de l'état d'avancement du dossier, depuis que Catherine Tasca et moi-même l'avons évoqué lors du précédent Conseil.
Depuis, l'idée de la création de l'établissement public local a été repris par la commission Mauroy, ce qui confirme l'importance politique de ce sujet. Mes multiples déplacements et contacts avec les élus ont conforté mon point de vue. Il est, en effet, nécessaire de proposer aux collectivités territoriales un outil d'individualisation et de gestion durable d'une activité ou d'un domaine culturels. Associées ou non à l'Etat, les collectivités auront ainsi la possibilité de s'organiser dans cet outil commun pour permettre la convergence des moyens et la lisibilité des interventions.
J'ai pu observer combien est forte cette impression de flou voire de déperdition, du financement culturel, et à quel point cela pouvait conduire à l'émiettement des objectifs. D'autre part, on constate la rigidité des formules de régies directes ou personnalisées qui souvent pénalisent le développement de projets culturels. J'ai entendu aussi nombre de remarques concernant la fragilité de l'association comme structure de partenariats entre l'Etat et les collectivités ou bien entre collectivités. Gestion de fait, inéligibilité, sont autant d'inquiétudes réelles que ce projet pourra permettre de dissiper.
Les grandes lignes du projet d'EPCC sont donc les suivantes :
L'initiative de la création d'un établissement de coopération culturelle appartient aux collectivités territoriales.
Les collectivités territoriales décident et délibèrent sur le statut de cet établissement qui peut être en effet, de caractère soit administratif soit industriel et commercial.
Outre la présence d'un conseil d'administration, un conseil culturel (d'orientation pédagogique, artistique ou scientifique) associant d'une part les professionnels, d'autre part les usagers, est prévu.
Quant à l'Etat :
Son représentant approuve la constitution de l'établissement par arrêté préfectoral auquel sont joints les statuts de l'établissement. L'Etat peut être membre de l'établissement (c'est d'ailleurs la possibilité de la présence de l'Etat qui fonde la création de cette nouvelle catégorie d'établissement par la loi) sans être la collectivité de rattachement de l'établissement. C'est sur cette base que je viens de dessiner à grands traits, que nous travaillons avec le ministère de l'Intérieur avec l'objectif de présenter un projet de texte susceptible d'être examiné par les assemblées dans le courant du premier semestre 2001.
Au terme de mon propos, je tiens à dire que ce sur quoi nous nous engageons - protocoles de décentralisation culturelle et établissement public de coopération - participe du souci pour l'Etat de se réformer dans ses modes d'organisation, participe de la volonté politique de tracer les termes d'une décentralisation comprise et assumée.
Il ne s'agit pas de remettre en cause ni de fragiliser le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales pas plus que d'introduire une hiérarchie implicite entre collectivités. Il ne s'agit pas non plus d'encourager les ruptures qui tendraient à remettre en cause globalement et systématiquement le rôle et les missions de l'Etat.
Ce travail d'expérimentation n'est certes pas spectaculaire.Nous serons soumis, je n'en doute pas, à des demandes de conclusions hâtives, à des simplifications hasardeuses. Je considère qu'il ne faut pas céder à ces sollicitations appauvrissantes. Nous partons d'un partenariat riche, mais complexe et souvent confus. " Sortir par le haut " de cette situation demande de la rigueur et du travail. Je suis persuadé que notre orientation est la bonne.
Je rappelle enfin, que nos sujets d'aujourd'hui ne constituent une politique que si et seulement si ils sont animés par l'ambition d'une démocratie culturelle revendiquée dans sa singularité, sa lisiblité, grâce à une plus grande proximité.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 13 décembre 2000)