Déclarations et conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur le bilan de la commission mixte et la signature de conventions entre la France et la Côte d'Ivoire, la coopération décentralisée, la politique des visas et l'accueil des étudiants étrangers, l'arrimage des pays de la zone franc à l'euro, la lutte contre la pauvreté, l'aide aux malades du SIDA, Abidjan les 14 et 15 décembre 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Josselin en Côte d'Ivoire les 14 et 15 décembre 1998 à l'occasion de la réunion de la Commission mixte franco-ivoirienne

Texte intégral

Toast lors du diner offert par les autorités ivoiriennes (Abidjan, le 14 décembre 1998)
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
Madame la Ministre, Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je ne souhaite pas que le plaisir de la table soit alourdi de propos trop copieux mais je voudrais remercier personnellement le ministre des Affaires étrangères Amara Essy de l'accueil qu'il m'a réservé ainsi qu'à toute la délégation qui m'accompagne.
Cher Amara,
J'ai maintes fois pu apprécier cette délicatesse qui vous caractérise, à laquelle vous savez donner le tour qui convient à nos relations amicales et particulièrement confiantes. Vous avez bien voulu avoir à mon adresse des propos aimables, je vous en remercie, mais je voudrais - et ce n'est pas par convenance - souligner les talents de grand diplomate que vous déployez, dont je suis témoin à chaque rencontre internationale. Hier, c'était le Sommet Afrique-France à Paris, puis la réunion des ministres de la Francophonie à Bucarest ; mais j'ai déjà beaucoup d'autres références. Je sais, et ici beaucoup savent, le rôle extraordinairement positif que vous avez joué dans la recherche d'une solution, en particulier dans le conflit de la Guinée Bissau, mais chacun se souvient de la manière dont vous avez, à New York, assumé les responsabilités considérables qui furent les vôtres quand vous y avez présidé.
Ce soir, c'est l'ami que je salue et avec lui tous ses collègues et tous ses collaborateurs qui ont préparé un rendez-vous qui, pour être bref dans sa phase conclusive, n'en a pas moins nécessité des mois d'échanges et de réflexion.
Et si je veux reparler un peu de cette commission mixte, c'est seulement pour en retenir un trait qui me paraît la caractériser : c'est à ma connaissance la première fois que nous travaillons sur des documents pensés à deux voix, écrits à deux mains. C'est la preuve tangible de ce qu'il était nécessaire mais aussi de ce qu'il est possible de concevoir désormais quand on veut une coopération où chacun tienne sa place, ni assistant, ni assisté, mais partenaires d'une cause commune. Et c'est vrai que cette commission mixte, la manière dont elle a été préparée, dont elle se tient, illustre bien la volonté de réforme que portait le projet de Lionel Jospin, que nous essayons, avec Hubert Védrine, de réussir.
Merci de la compréhension que vous avez, dès le début, exprimée vis-à-vis de cette réforme, qui suscitait chez certains un certain nombre d'inquiétudes. Merci d'avoir compris que cette réforme, c'était aussi, dans une certaine mesure, le désenclavement de l'Afrique francophone. C'était notre volonté de prendre la mesure, il ne devait plus y avoir entre nous de relations obligées, mais simplement des relations volontaires. Merci d'avoir compris que la France voulait s'ouvrir à toute l'Afrique, et ce faisant, offrait à tous les Africains de s'ouvrir à tous les autres Africains.
Faut-il rappeler que le Sommet Afrique-France qui vient, je crois, de connaître un succès reconnu par tous, n'aurait pas eu la même ampleur, et n'aurait pas permis les mêmes débats, s'il n'avait pas été ouvert à toute l'Afrique. Et chacun voit bien à quel conflit singulier je songe, quand j'évoque ce débat qui a opposé dans des conditions si particulières ceux qui aujourd'hui se font la guerre et dont nous espérons que ce dialogue les aura un peu rapprochés de la paix.
Il fallait passer, quand on évoque cette idée de partenariat, des formules incantatoires à l'acte.
Je sais gré à mes collaborateurs d'être allés aussi loin que possible dans cet exercice qu'il convenait de réaliser en Côte d'Ivoire.
Je le voulais aussi tout simplement parce qu'ici, le partenariat coule de source. Notre culture commune, nos aînés l'ont forgée ensemble, sur les bancs de l'assemblée en France, sur ceux de nos écoles et de nos universités, à Paris, à Strasbourg, à Bordeaux ... mais aussi à Abidjan. Nous ne sommes pas des nostalgiques. J'ai eu l'occasion, concluant il y a quelques jours un colloque consacré, à l'Assemblée nationale, à la nouvelle politique africaine, de dire que le temps de la nostalgie était terminé, celui de la culpabilité aussi. Il faut que nous soyons capables d'assumer tranquillement ce que nous faisons, et de parler tranquillement de ce que nous avons fait.
Nous ne souhaitons pas que la sève qui a nourri notre histoire se perde. L'arbre renaît chaque jour. Et dans un monde compétitif, la Côte d'Ivoire a toute sa place. Beaucoup de nos partenaires le lui disent et ils ont raison.
Nous sommes un de ces partenaires-là et je n'ai aucune peine à souligner que si la France fait aussi sa mue, s'adapte à un monde hautement concurrentiel, elle le fait aussi pour son propre développement et pour sa propre image. L'un et l'autre dans cette partie du monde surtout, ne s'entendent pourtant jamais sans une constante détermination pour que la construction d'un monde global se fasse dans le respect de tous ceux qui le composent. Notre engagement européen porte cette préoccupation, vous le savez. Et l'espace francophone est également pour nous celui de cette solidarité.
J'en ai fait la proposition à Bucarest ; je souhaite d'ailleurs que cet espace francophone soit pleinement utilisé comme lieu d'échange et de partenariat, aussi sur ces grands objectifs que vous rappeliez, qui sont ceux qu'affiche et que veut la Côte d'Ivoire, de Droits de l'Homme, de démocratie. Je pense que nous avons, au sein de l'espace francophone, des choses à nous dire, des choses à apprendre les uns des autres, y compris ce que votre culture peut nous enseigner en matière de convivialité, de recherche du dialogue, de respect de l'autre aussi.
Sur le débat autour du libéralisme, vous savez la distinction que nous essayons d'introduire entre le marché comme mode d'échange, et la société de marché. Mais je sais que nous ne sommes pas si loin pour convenir ensemble que la régulation par l'Etat est indispensable pour éviter les dérapages ou les excès que le libéralisme peut parfois porter en lui ; et que quand nous voulons être vos partenaires pour consolider vos institutions, et que vous le souhaitez de votre côté, c'est parce que nous partageons ce souci de trouver l'équilibre entre le besoin de liberté et de sécurité. Je pense d'ailleurs que l'Europe, de ce point de vue, a des choses à dire, et le dialogue politique que nous allons nouer autour de Lomé sera aussi l'occasion d'échanger sur ce point.
Mais, la fidélité ne se résume pas au charme jauni des photographies d'antan. Elle n'est pas non plus la force de l'habitude. Elle est tournée vers l'avenir, vers la modernité et la volonté de réussir ensemble. Les signes que vous nous adressez en ce sens avec l'humour et le tact qui caractérisent votre culture, nous les recevons, soyez-en sûrs, parfaitement. Et votre pays avec sa jeunesse, son dynamisme, ses aspirations, ses forces et ses fragilités aussi, sans doute, nous donne dans cette tâche immense, les certitudes et l'humilité qui entrent dans les vraies réussites.
Cher Amara, chers amis, si vous le voulez bien, je vais lever mon verre à mon tour ; le lever à une amitié entre la Côte d'Ivoire et la France qui n'a d'égal que notre profond désir de l'approfondir chaque jour davantage.
Discours lors de la réception à la résidence de France (Abidjan le 14 décembre 1998)
Madame, Messieurs les Ministres,
Monsieur l'Ambassadeur de France
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs
et Représentants des institutions multilatérales,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs les Représentants de la communauté française,
Chers amis,
Pardon d'abord pour ce retard qui est dû à l'intérêt que revêtait à mes yeux, et je crois aussi aux siens, l'entretien que je viens d'avoir avec le président de la République, a été plus long que prévu.
Mais si je suis désolé de vous avoir fait attendre, vous comprendrez aussi que personnellement, je sois heureux d'avoir pu avoir ce long entretien avec M. Konan Bédié. Je regrette d'ailleurs, d'une manière générale et Abidjan va confirmer la règle, de passer si peu de temps parmi vous d'autant que l'agenda de notre Grande commission mixte, déjà serré, a dû s'ajuster à ma propre contrainte puisque dès mercredi matin j'accompagnerai le Premier ministre dans sa visite officielle au Canada et au Québec. L'accueil ivoirien ne fait qu'accroître ma propre frustration.
Le Premier ministre rappelait que lors de la dernière Commission mixte, qui était en 1988, le président de la République était alors ministre de l'Economie et des Finances, et la délégation française avait été en quelque sorte récompensée du bon travail qu'elle avait fait à l'occasion de la Commission mixte en se faisant offrir un voyage à l'intérieur du pays .
Je n'aurai pas cette chance, en tout cas pas cette fois. Mais je n'en apprécie que davantage la disponibilité de notre ambassadeur et de Mme de la Rochère qui vous ont tous réunis pour ce moment amical d'échanges.
Vous savez que nos deux gouvernements étaient convenus de tenir cette Commission mixte depuis longtemps. Je le rappelais, la dernière remonte à 1988. Pour le dire brièvement, nous avons ces dix dernières années été quotidiennement côte à côte, Ivoiriens et Français pour passer le cap de moments difficiles ; ceux de la crise économique, dont la dévaluation, chacun s'en souvient, a indiqué la sortie et selon des modalités qui ne furent pas simples, ceux aussi de la disparition du président Houphouët-Boigny et d'une vie politique intérieure à laquelle le président Konan Bédié a donné son nouveau visage. Années difficiles années de confiance années de fraternité de constantes dont nous pouvons aujourd'hui mieux faire le bilan pour envisager l'avenir de notre coopération.
Celle-ci est dense, variée, appliquée à la plupart des domaines d'activité du pays, dont la France n'a cessé de souhaiter la réussite au plan intérieur comme au plan sous-régional. Les efforts du gouvernement ivoirien ont été, durant cette période délicate, considérables. L'accord de partenariat que nous signerons demain pointe les programmes de coopération faits justement pour remédier aux fragilités qui dans les domaines économiques et social, pourraient compromettre ces acquis.
Vous le savez la France a entrepris de moderniser son dispositif de coopération.
Certains ont parfois voulu y voir le signe d'une relativisation de la place que nous accordons à l'Afrique. Ce sont parfois les mêmes qui d'ailleurs critiquaient une trop grande étroitesse de nos Tiens avec ce continent.
Dans tous les cas, la réalité d'un monde ouvert, concurrentiel, exigeant, dénonçait l'incapacité de notre dispositif à répondre correctement à ce que nos partenaires attendent: plus de respect de leurs propres responsabilités dans un échange égal, plus d'exigences mutuelles pour que notre coopération renforce les capacités nationales et soit attentive à ce qui fait un Etat moderne et responsable : le droit, le cadre et les règles de l'échange économique et de l'investissement, des politiques sociales attentives aux fractures qui menacent la cohésion nationale lorsque le libéralisme va trop loin.
Nous avons durant ces derniers mois travaillé main dans la main avec les autorités ivoiriennes pour faire le bilan de dix années d'échanges intenses et inscrire notre coopération dans des perspectives de développement où elle démontre son utilité, son efficacité, sa sensibilité aussi.
Aussi, prenons-nous acte de notre volonté commune d'ouverture. La France en Côte d'Ivoire sera d'autant plus estimée et appréciée que son offre de coopération sera adaptée aux attentes d'une société jeune et moderne, et au redressement de l'économie, dont les résultats sont par l'effort du Premier ministre et de son gouvernement redevenus encourageants.
Mais la France sera d'autant plus estimée en Côte d'Ivoire que sa coopération, lorsqu'elle vise au renforcement de l'Etat, dans son rôle régulateur de la vie politique et sociale, contribuera à produire des effets sur le renforcement d'un édifice institutionnel garant des droits, de la citoyenneté et de la sécurité individuelle et collective, mais aussi soucieux de conforter tous les investisseurs par un cadre juridique simplifié, transparent et respecté.
Vous le savez dans ces domaines extrêmement sensibles la position du gouvernement français est sans équivoque : nous préférons être du côté des bâtisseurs, attentifs certes, exigeants, que du côté des censeurs auxquels une posture plus confortable ne laisse le bénéfice de la vérité qu'après coup. Cela est conforme à une tradition de fidélité au peuple ivoirien avec lequel nous partageons tout le quotidien. Et cela est conforme à une tradition de respect de la nation ivoirienne dont avec ses gouvernants, nous souhaitons garantir et renforcer la cohésion' l'unité et la sérénité mais aussi l'image à l'extérieur.
Une coopération rajeunie, c'est enfin une offre concurrentielle qui en matière de formation, d'audiovisuel, de recherche procure à la Côte d'Ivoire le creuset de son renouveau mais garantisse à la France, l'image de modernité que certains se plaisent à lui disputer.
Je veux terminer Chers amis, par un triple hommage : A notre ambassadeur, Christian Dutheil de la Rochère, qui quittera bientôt cette fonction, je souhaite dire combien j'apprécie la solidité des liens qu'il a su conserver à la France en Côte d'Ivoire. Il l'a fait et le fait encore avec la très grande intelligence de l'expérience ; vous faites partie, Monsieur l'ambassadeur, de ces responsables dont la perspicacité a permis de pointer, au jour le jour, les domaines où la France se devait d'agir : la recherche, le développement des terroirs, la santé publique, la jeunesse, les institutions.
Cette Commission mixte est un peu le testament que vous laisserez ; il est aussi riche et prometteur que votre engagement l'a fait ; un engagement discret et résolu, qui fait, sans tintamarre mais avec efficacité, les meilleurs résultats.
J'associe naturellement à votre travail Mme de la Rochère dont l'accueil comme pour toute épouse d'ambassadeur, est un vrai métier. Otez la convivialité, et il n'y a plus de France ! Mais je sais aussi tout votre intérêt pour la société ivoirienne qui en a reçu les marques d'attention et de tout cela, je veux vous remercier, Madame de la Rochère, profondément
A Jean Boulogne, chef de mission, artisan de notre coopération, je dirai tout simplement qu'il fait partie de nos "grands" chefs de mission attentif, disponible et d'une rare efficacité, ainsi qu'en témoigne cette commission mixte. Il rejoindra bientôt la Direction générale de la Coopération internationale et du Développement où une responsabilité à la mesure de ses talents lui est réservée. Ne le retenez pas trop, nous l'attendons. A lui et à son épouse, je dis déjà un grand merci pour ce qu'ils ont fait ici, avec une générosité et un sens du service public dont je voulais publiquement témoigner.
C'est peut-être le moment pour moi de dire la compréhension que j'ai trouvée chez le président Konan Bédié quand je l'ai entretenu de cette question des cartes de résident Plusieurs d'entre vous s'étaient émus des conditions nouvelles, notamment en ce qui concerne le prix à payer pour ces cartes de résident ; M. l'ambassadeur vous donnera, dans les jours qui viennent, plus de précisions.
Retenez simplement que le président Bédié, faisant référence au principe de réciprocité, a demandé, a promis, que les conditions de durée et de coût de cette carte seraient modifiées pour se rapprocher précisément des conditions que la France fait aux résidents ivoiriens. C'était une demande exprimée par beaucoup d'entre vous et à laquelle M. l'ambassadeur attachait une importance particulière.
Je crois que comme moi, il était très satisfait de la réponse que M. le Président de la République vient de nous faire il y a quelques instants.
Je ne saurais terminer sans un salut et un hommage à toute la communauté française dont je sais l'attachement profond à la Côte d'Ivoire : ce pays qui s'est construit et auquel elle apporte sa pierre est pour beaucoup de nos compatriotes une seconde patrie. Ce qu'ils lui donnent d'eux-mêmes les rend d'autant plus exigeants sur les progrès qu'ils en attendent.
Ce que la Côte d'Ivoire et les Ivoiriens leur donnent d'eux-mêmes les rend d'autant plus dépositaires d'une responsabilité dont ils doivent faire le meilleur usage : il n'y a de fraternité que dans l'exigence mutuelle. Il n'y a de progrès vrai, ensemble, que dans le respect de chacun.
Je vous remercie pour votre attention, je vous souhaite bonne chance à tous.
Discours d'ouverture (Abidjan le 14 décembre 1998)
Monsieur le Ministre des Affaires étrangères,
Monsieur le Ministre délégué, chargé de la Coopération internationale,
Madame et Messieurs les Ministres, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Madame la Délégué de l'Union européenne,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Institutions multilatérales,
Mesdames et Messieurs les Chefs d'entreprises,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Nous n'avons pas, nous Français, l'équivalent exact de votre chaleureux Akwaba. J'y vais une supériorité de votre culture dont avec toute la délégation qui m'accompagne, j'apprécie une fois de plus la traduction, au travers des attentions que vous nous témoignez.
Elles me touchent d'autant plus cette fois-ci qu'elles entourent un moment particulier des relations entre la Côte d'Ivoire et la France, auquel vous avez souhaité donner un caractère de solennité qui correspond bien, dans mon entendement à la profondeur et à la qualité des réflexions engagées ensemble depuis des mois pour préparer cette Commission mixte.
Les marins diraient - mais je n'oublie pas que je suis breton - que nous allons "faire le point". Et je filerais volontiers la métaphore pour rappeler que dans notre navigation au long cours, nous avons depuis notre dernière Commission mixte, il y a dix ans, vous le rappeliez à l'instant, essuyé quelques coups de vent qui nous ont en quelque sorte obligés à naviguer au plus près.
Mais nous voilà en eaux plus calmes et prêts à regarder l'avenir avec le recul et la sérénité acquis au fil des épreuves. Nous avons ensemble traversé en effet une crise économique profonde dont l'issue a commencé d'être trouvée avec la dévaluation du Franc CFA de 1994, dont la Côte d'Ivoire a su tirer le meilleur parti. Votre pays connaissait en même temps l'épreuve du deuil avec la disparition de son père fondateur, le présent Houphouët-Boigny. Fidèle à lui-même, il devait retrouver courageusement tous ses repères, et la voie de son équilibre économique, politique et social. Nous sommes à vos côtés pour contribuer à la consolidation de votre effort.
Je retiendrai de ces années-là que la clé de nos réussites communes, et j'affirme qu'elles sont nombreuses, doit tout à la confiance réciproque ; à aucun moment elle n'a fait défaut à nos deux communautés nationales.
Il est probablement peu d'exemples dans le monde de relations entre deux pays qui soient aussi denses que les nôtres. Le pari pris ensemble sur la construction et la réussite de la Côte d'Ivoire explique aisément que votre pays soit au tout premier rang de l'aide française et que nos échanges soient également en tête de tous ceux que la France entretient avec les pays de la zone franc.
Mais les chiffres n'ont d'intérêt que par la volonté qu'ils manifestent.
Vous savez que le gouvernement français, en accord avec le président de la République achève en ce moment de moderniser et de reconfigurer son dispositif de coopération ; vous y avez aussi fait allusion. Cet acte, dont la portée politique n'a échappé à aucun de nos partenaires, je voudrais vous en redire le sens ici, en Côte d'Ivoire, où j'observe qu'avec votre pleine adhésion nous avons maintenant le traduire dans le faits. Nos deux pays, également confiants l'un dans l'autre et résolus à adapter leur dialogue aux enjeux du monde actuel ont tous les atouts en main pour franchir ce pas.
Je ne crois pas trahir l'intention qui animait notre Premier ministre, Lionel Jospin, en soulignant qu'un triple souci de fidélité, d'ouverture et de responsabilité l'a guidé en lançant cette réforme.
La fidélité est à la base de notre contrat moral et affectif. Nous héritons de relations humaines anciennes et renouvelées au fil des générations, qui ont sédimenté une culture commune entre Français et Ivoiriens dont certains peuvent nous envier l'alchimie. Cette fidélité, c'est elle qui a permis de surmonter les épreuves récentes. Et c'est elle qui entre dans le ciment de l'avenir. Mais la fidélité et la solidarité, comme toute forme de contrat humain doivent avoir la jeunesse de leur temps. Vous vous êtes transformés, nous nous transformons. Une nouvelle génération, partout émerge, disponible au monde qui l'entoure, accueillante aux idées nouvelles, de plus en plus certaine que sa capacité d'initiative est la plume de son propre destin.
C'est au rythme de cette exigence que notre fidélité réciproque doit maintenant accorder tout acte de coopération aux attentes d'une jeunesse qui monte : curieuse de l'autre, mais comptable de ce qu'il apporte, prête à entreprendre mais attentive à un échange égal et respectueux, disponible au dialogue pourvu qu'il sache l'enrichir, dans le meilleur sens du terme, pour entrer dans un monde extraordinaire difficile. Au premier rang de nos préoccupations il y a cela : la construction d'une société active et juste avec une jeunesse ouverte à l'espoir, et reconnaissant que notre effort commun entre pour une part dans ses chances de réussite.
Car l'ouverture, et c'est mon second point, n'est pas un concept que seule cultiverait une petite élite. Le monde est ouvert, il se reconstruit à vive allure en espaces régionaux et sous-régionaux dont chaque Etat conçoit le parti qu'il en peut tirer pourvu qu'il y soit présent en posture favorable.
L'interdépendance des économies s'accroît avec la libéralisation des échanges, la gravité des enjeux humains et environnementaux exige des ensembles de décision politique efficaces, sans pourtant qu'ils sacrifient les aspirations identitaires.
Tout cela ne peut se faire sans une mobilisation des forces collectives sous l'impulsion d'Etats décidés, institutionnellement forts pour répondre à l'exigence de liberté, de sécurité et de démocratie, éviter les frustrations, réguler les attentes du corps social.
Cette ouverture des espaces économiques, politiques, diplomatiques a son pendant dans la disparition de toute frontière mentale : un citoyen français est européen ; un citoyen ivoirien a conscience de s'inscrire dans une citoyenneté africaine dont les cadres se dessinent, les règles de droit s'écrivent peu à peu. Mais il est aussi citoyen du monde.
C'est tout cela qui guide notre approche : d'abord, une coopération bilatérale comme la nôtre n'a de sens qu'étroitement coordonnée à toutes celles auxquelles la France et la Côte d'Ivoire ont remis un mandat et prêté leur concours et j'ai plaisir de ce point de vue à souligner la qualité des relations qui prévalent avec l'Union européenne, la Banque mondiale, mais aussi la Banque africaine de développement.
Mais c'est aux actes que nous sommes jugés et je souhaite que cette coordination s'approfondisse, se systématise, qu'elle sache sur l'essentiel agir dans la plus totale unité pour le bien de ce pays.
D'un autre côté, l'avenir de votre pays se joue aussi à l'extérieur de ses frontières : sa participation active à la CEDEAO et l'UEMOA exigent un investissement auquel nous participons avec d'autant plus de convictions que nous avons une vision claire de ses effets ; pas de sous-région forte sans une Côte d'Ivoire dynamique, mais point non plus de paix régionale sans une Côte d'Ivoire active dans la recherche de la paix et de la sécurité collective. Votre participation essentielle au dispositif de maintien de la paix RECAMP est une pierre angulaire de la stabilité de cette partie du monde.
Enfin l'ouverture, pour être une obligation partout dans le monde, et parce qu'elle doit aller vite, ne saurait nous exonérer d'une attention de chaque instant, pour ceux qui en feraient si on n'y prenait garde le sacrifice. La richesse d'un pays se lit peut-être à la croissance de son PIB. Mais on serait loin du compte si on était inattentif aux indicateurs sociaux. La France, et cette Commission mixte est faite pour le montrer, attache le sens de son effort à des programmes qui respecte le sens de la construction nationale ivoirienne : unité nationale renouvelée par l'accès à l'école et aux soins, unité nationale augmentée par le dynamisme des producteurs et des entrepreneurs qui créent l'emploi, unité nationale enfin manifestée par le respect des cultures dont chaque région est dépositaire.
Je le répète, aucun des aspects de notre coopération ne peut échapper à la visée politique que nous lui donnons : une Côte d'Ivoire forte dans un monde ouvert et concurrentiel, une solidarité accrue à l'égard de toutes les composantes d'une société en pleine mutation.
Certes ce qu'on appelait le champ de notre coopération a disparu et avec lui ce que le terme véhiculait d'inadaptation au monde moderne. Mais notre Premier ministre a bien précisé que notre solidarité se manifesterait de façon claire au nom de la fidélité, du développement mais aussi justement de l'ouverture. La Côte d'Ivoire, sur le chemin d'une croissance encourageante, ne peut pourtant se passer d'un flux d'aide publique qui consolide son effort. Je le souligne avec solennité et sans ambiguïté.
Responsabilité enfin : ce qui a fait la spécificité de l'aide française, c'est entre autres l'investissement humain en Côte d'Ivoire. Cette forme d'aide, qui peut-être demeure subsidiairement nécessaire selon les projets, n'aura de sens qu'en prenant acte de capacités nationales fortes, construites ensemble, et qui doivent maintenant prendre la main. J'ai bien noté de ce point de vue le souhait de la Côte d'Ivoire d'acter ce besoin de transfert et cette idée je la fais mienne. Elle correspond à l'esprit d'une réforme de nos concours fondées sur une capacité de décision nationale et donc une ressource humaine préparée à la mission.
Nous en récoltons déjà le fruit puisque l'analyse contextuelle de notre commission mixte résulte d'abord de l'investissement de votre expertise dont j'ai plaisir à souligner ici le sérieux, l'engagement et la parfaite compréhension de cette stratégie nouvelle.
Mais je vous rends attentifs ce faisant à la nécessité d'oeuvrer ensemble et d'arrache-pied pour que ce transfert progressivement puisse impliquer davantage, de bout en bout, vos administrations. C'est ce qui explique notre préoccupation commune pour ce que nous appelons le développement institutionnel. Il y a là un travail de grande conséquence pour que, comme cela vaut partout nécessairement, les moyens de l'action soient consommés en toute transparence et selon des procédures communes qui les rendent visibles et efficaces.
Mais ce qui fait aussi la spécificité de notre apport, c'est le dialogue direct avec la société civile. Ici, l'Etat se transforme à vive allure : il transfère des pans de responsabilités, s'appuie sur les acteurs locaux, veut donner vigueur à la vie associative. Ce mouvement est profond et il est difficile. Je souhaite que cette commission mixte soit l'occasion de décliner vos attentes et manifester l'offre de la société française à la Côte d'Ivoire : c'est aussi une forme de solidarité, celle du terrain, de l'expérience partagée, des responsabilités apprises main dans la main. Parce que l'Etat était fort et l'économie ivoirienne propice à son rôle régulateur, la Côte d'Ivoire a eu moins de part à ces échanges sauf quelques exemples illustres comme ceux que nous offre la région de l'Ouest avec la Franche Comté. Je serai personnellement votre avocat pour multiplier les contacts qui devraient devenir l'un des substrats de votre décentralisation. Cela est vrai de façon générale pour la coopération non gouvernementale.
Madame et Messieurs les Ministres, Chers collègues,
Pardonnez la longueur de ce développement. Mais la solennité du moment excluait le formalisme du propos. On ne peut s'accorder sur une feuille de route sans se demander ensemble où on va, pourquoi on le fait, et comme on investira ensemble sur ce que nous avons de plus cher : notre avenir, celui de nos liens, et celui de nos sociétés. Un partenariat tel que nous le cosignerons demain, exige des choix raisonnés, parfois délicats mais qui le sont davantage encore quand on fait l'économie de la réflexion.
Je voudrais en terminant, Mesdames et Messieurs les ministres, saluer la disponibilité de vos collaborateurs pour préparer ce travail qui a demandé des mois d'études, d'échanges avant d'arriver à des textes qui traduisent une vision commune claire et utile des choses. Je ne sache pas que la porte ait jamais été fermée aux questions de notre ambassadeur et de notre chef de mission qui eux aussi se sont dépensés sans compter.
Oserais-je dire que le gouvernement de Côte d'Ivoire a joué pleinement le jeu d'une réforme que la France a souhaité pour être au diapason de vos attentes, et que vous y avez votre part ?
Mes remerciements très chaleureux vont enfin au ministre des Affaires étrangères. Cher Amara Essy, vous dirigez le ministère des Affaires étrangères avec une sagesse que j'admire beaucoup. En saluant si vous le permettez l'énergie et l'engagement de Mme Tanoé, qui ne s'est pas ménagée pour préparer cette réunion, c'est toute votre équipe que j'associe à la satisfaction, commune je crois, de notre rencontre.
Permettez-moi, à mon tour, de dire avec force et conviction : Vive l'amitié entre la Côte d'Ivoire et la France !
discours à l'occasion de la signature des conventions de financement (Abidjan le 15 décembre 1998)
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs les Directeurs,
Nous achevons notre Commission mixte dont les grands axes orienteront notre coopération dans les années à venir. Il s'agira de développer et valoriser les ressources humaines nationales, de renforcer le cadre institutionnel du pays, d'appuyer son développement économique et social, et de réformer son outil de défense. J'ai le sentiment que les intervenants que nous venons d'entendre partagent ces préoccupations.
Cette instance a également posé en principe majeur de cette coopération un nouveau mode opératoire : un partenariat rénové qui, sur des programmes concentrés, associe pleinement tous les acteurs et s'articule harmonieusement avec les bailleurs de fonds poursuivant les mêmes objectifs.
L'occasion de ce grand rendez-vous franco-ivoirien se prête justement à la matérialisation d'engagements que je souhaite faire passer dès aujourd'hui de la parole aux actes. Ainsi allons-nous signer cinq conventions de financement, pour un montant total de 5,1 milliards de Francs CFA. Cette aide financière sera accompagnée, comme c'est notre spécificité, d'une assistance techniques permanente d'une cinquantaine d'agents affectés dans les secteurs concernés, et de bourses de formation pour assurer la relève ou le perfectionnement des cadres nationaux, soit une aide complémentaire de l'ordre de 2,5 milliards de Francs CFA par an.
S'inscrivant par anticipation dans le droit fil du cadrage général arrêté lors de cette grande Commission mixte, les cinq projets que nous nous proposons de mettre en oeuvre avec vous forment un ensemble dont la cohérence est forte, puisqu'il s'agit de protéger le milieu naturel qui sert de substrat aux pays, d'y favoriser le développement économique et social par une bonne gestion des ressources, l'accès à un enseignement de qualité, et une meilleure garantie de sécurité publique.
Peut-être trouvons-nous là ce qui fait l'originalité et la pertinence de la Coopération française : des interventions sur des secteurs-clés, stratégiquement ciblés afin que, par effet de levier et d'entraînement, l'ensemble du tissu économique et du corps social soit bénéficiaire des améliorations recherchées.
Avec le programme d'appui à la gestion du littoral, des aires protégées et du domaine forestier, et pour un mont de 1,2 milliards de francs CFA, nous souhaitons aider les populations à gérer elles-mêmes les ressources naturelles, sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins. Ce projet de 1,2 milliards est le plus important consenti à un pays partenaire dans le domaine de l'environnement et du développement durable.
Dans le domaine des parcs et aires protégés, le projet privilégie la coopération d'institutions à institutions en proposant que les parcs nationaux et régionaux français soient les partenaires naturels, illustrant notre volonté commune, ma collègue, Mme Voynet - en charge de l'environnement - et moi-même, de travailler à renforcer un pôle d'expertise et d'intervention dans le cadre de notre nouveau dispositif de coopération.
La France a largement contribué à la création du Fonds pour l'environnement mondial et a créé un instrument bilatéral obéissant aux mêmes préoccupations, le Fonds français pour l'environnement mondial, dont la gestion a été confiée à l'Agence française de développement. Doré de 440 millions de francs en 1994, il intervient aujourd'hui dans 72 projets, dont 57 concernent l'Afrique sub-saharienne.
La protection de l'environnement n'est pas une conception confinée à un espace déterminé ; tout au contraire, il s'agit de le considérer comme élément du progrès humain et social. Comment terminer l'évocation de ce domaine, sans rappeler cette pensée du président Houphouët-Boigny, je le cite :
"l'homme sait aller sur la Lune, mais il ne sait pas encore fabriquer un flamboyant ou un chant d'oiseau ; gardons notre chère planète d'excès qui lui feraient regretter, un jour, de ne plus entendre les oiseaux ou voir fleurir les flamboyants".
Avec le projet Ecole 2002, d'un montant de 1,5 milliards de francs CFA, nous tenons notre promesse de septembre 1997 à Yamoussoukro : appuyer le plan national de développement du secteur éducation/formation en améliorant la qualité et l'efficacité des écoles primaires ivoiriennes.
Le programme d'appui aux administrations financières et économiques (PAAFIE) vous accompagnera dans votre démarche de sortie de l'ajustement et d'amélioration de la gestion des finances publiques, afin que vous puissiez conduire une politique attrayante pour les investisseurs et bien adaptée aux enjeux, notamment sociaux, du XXIème siècle. Je souhaite, à cet égard, insister sur l'importance des efforts à accomplir pour que soit conduit avec succès le programme d'ajustement en cours, condition indispensable pour la Côte d'Ivoire bénéficie, en 2001, des réductions de dette de l'initiative multilatérale pour les pays pauvres très endettés.
Je réserverai aux projets d'appui à l'ordre public et à la formation de la police ivoirienne d'une part, et d'appui à la sécurité publique (gendarmerie) d'autre part, un commentaire particulier. Leur montant est de 600 000 millions de francs CFA chacun. La France propose ainsi d'aider à consolider la sécurité publique et de renforcer les structures de l'Etat de droit, tant à Abidjan où l'effort principal est à la charge de la police, qu'à l'intérieur du pays où est essentiellement déployée la gendarmerie territoriale, aidée ponctuellement par la gendarmerie mobile.
En soulignant que la société ivoirienne, ses hôtes extérieurs, les investisseurs ivoiriens et étrangers attendent beaucoup d'une vie publique assurée d'une sécurité réelle, je sais que je suis dans le domaine de l'évidence. Mais le quotidien est là, avec ses événements douloureux et des alertes que chacun perçoit avec inquiétude. Je sais la vigilance des pouvoirs publics mais je leur redis notre grande attention à ces questions, dont j'ai eu, au cours de ma visite, l'occasion de m'entretenir très précisément avec elles.
Aussi, dix ans après notre précédente rencontre à ce niveau de décision, pouvons-nous faire état non seulement d'un bilan satisfaisant mais aussi de perspectives concrètes inscrites dans les chiffres. Cela résulte d'une volonté jamais démentie de marquer la solidarité pleine et entière de la France envers un pays qui a lui-même démontré sa ferme résolution sur le chemin du développement.
Ce devoir de solidarité peut aussi être partagé, sur un thème qui recouvre des dimensions beaucoup plus larges, et qui nous avait déjà réuni ici-même à Abidjan il y a exactement un an. A l'occasion de la Xème conférence internationale sur le Sida et les MST en Afrique, le président Jacques Chirac et mon collègue Bernard Kouchner avaient lancé l'idée d'un fonds de solidarité thérapeutique international ayant pour vocation de rétablir l'équité dans l'accès aux médicaments antirétroviraux. Il s'agissait de redonner une espérance de salut aux plus pauvres et aux plus vulnérables des malades touchés par le Sida.
J'ai le plaisir aujourd'hui de vous annoncer que le Fonds de solidarité thérapeutique international a désormais une existence et que la contribution de la France est de l'ordre de 2,5 milliards de francs CFA destinés à aider à la mise en place de projets démonstratifs dans les pays en développement. Le président Bédié s'était associé immédiatement à l'initiative proposée par la France. Le projet proposé par les équipes ivoiriennes a été retenu par le Conseil d'orientation international du FSTI. La Côte d'Ivoire en sera donc le premier bénéficiaire. A n'en pas douter, cette démarche devrait rapidement permettre la mobilisation d'autres ressources internationales.
En marge de ces préoccupations importantes, et sans en minimiser la portée, nous signerons également un avenant à la convention de sécurité sociale entre la France et la Côte d'Ivoire relative à l'assurance vieillesse des salariés français exerçant momentanément leur activité professionnelle sur votre territoire. Ils pourront désormais transférer leurs cotisations sur le régime français et cette garantie nouvelle devrait à la fois clarifier leur situation et faciliter l'implantation des investisseurs français.
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs les Directeurs,
Ces projets sont des témoignages concrets, de la relation intense, construite et déterminée que nous entretenons. Puissent-ils permettre à la Côte d'Ivoire d'aller davantage de l'avant sur le chemin qu'elle s'est tracé : celui de la prospérité, de l'équilibre social et du rayonnement du pays à l'extérieur.
Discours de clôture (Abidjan le 15 décembre 1998)
Au moment où s'achèvent les travaux de la Commission mixte franco-ivoirienne, je veux à mon tour saluer la qualité et la convivialité des échanges organisés depuis de nombreux mois entre experts ivoiriens et français et dont le document-cadre de partenariat au développement, que nous allons signer, illustre l'esprit. Mais il arrive que les ministres eux-mêmes s'impliquent et ce fut le cas et pour nombre d'entre eux.
Je voudrais rappeler le rôle évidemment essentiel qu'auront joué dans la préparation de ces accords le ministre des Affaires étrangères, le ministre délégué à la Coopération internationale, le ministre de l'Economie et des Finances, le ministre de l'Emploi, de la Fonction publique et de la Prévoyance sociale qui sont à mes côtés à cette tribune, mais je n'oublie pas non plus ceux qui sont devant moi, au risque d'en oublier, ce qui serait tout à fait catastrophique. Je voudrais rappeler que le ministre du Plan, le ministre de l'Education, de la Santé, de la Sécurité, de la Défense, mais aussi de l'Environnement et de la Forêt se sont aussi beaucoup impliqués, sans oublier un certain nombre d'élus que je ne prendrai pas le risque de citer tous, mais on comprendra que j'aie une pensée particulière pour le maire du Grand Abidjan, M. Mobio, que je suis heureux de saluer à nouveau ce matin.
Au cours des vingt dernières années, la France a contribué pour plus de la moitié à l'aide publique reçue par la Côte d'Ivoire pour son développement. Les évaluations réalisées ont montré que les réalisations de notre coopération ont été particulièrement positives dans de nombreux domaines, formation et recherche, coopération militaire, appui au rétablissement des équilibres financiers, développement des infrastructures, pour n'en citer que quelques-uns.
Au cours des travaux de la Commission mixte, la Côte d'Ivoire et la France se sont attachées à consolider ces résultats, à préciser les axes qui donneront à la poursuite de notre partenariat la dynamique et l'efficacité nécessaires. Le document-cadre de partenariat résume les orientations majeures et les modalités du nouveau partenariat franco-ivoirien. Je n'en citerai que quelques éléments, au risque de commettre quelques redondances par rapport aux propos que tenait à l'instant M. le Ministre d'Etat aux Affaires étrangères.
Une intégration plus poussée de nos programmes dans les politiques mises en oeuvre par la Côte d'Ivoire sera recherchée. Elle a pour objet de les servir. Avec les autorités ivoiriennes, la Coopération française cherchera la meilleure coordination possible avec les autres bailleurs de fonds, au premier rang desquels l'Union Européenne dont le principal outil d'intervention, le Fonds européen de développement, est financé, ceci se sait parfois mais pas toujours assez, à près de 25 % par la France.
Une bonne coopération doit aussi s'adapter à l'environnement qui bouge, elle a d'ailleurs vocation aussi à le faire bouger, nous évaluerons donc cette coopération régulièrement pour lui apporter, si besoin est, les corrections nécessaires.
La complémentarité entre les différentes composantes de la coopération sera développée afin de donner toute la place qui leur revient aux entreprises du secteur privé, aux associations et aux collectivités locales.
A cet égard, je suis particulièrement sensible au fait que dans le cadre de cette deuxième session de la Commission mixte, les secteurs privés, mais aussi les collectivités locales, les organisations non-gouvernementales de nos deux pays aient pu se concerter, débattre de l'avenir de leur coopération, des champs nombreux qui sont ouverts, avec la politique de décentralisation, le rôle nouveau et important dévolu au secteur privé et à la société civile, qui vont connaître des développements majeurs dans tous les domaines de la vie économique et sociale de la Côte d'Ivoire au cours des prochaines années et qui constituent, me semble-t-il, une garantie de durabilité en quelque sorte du progrès économique et social. La crise asiatique vient de nous rappeler que lorsque la croissance se contente de surfer sur la vague, lorsqu'elle ne s'enracine pas dans la profondeur du corps social, elle est extraordinairement fragile. Et l'implication de la société civile dans ces accords de partenariat me paraît de ce point de vue une garantie, une sécurité supplémentaires.
D'après le compte rendu qui en a été fait, les travaux sur la coopération décentralisée en effet doivent et peuvent encore progresser. Du côté des collectivités françaises, un important travail reste à faire pour mobiliser les régions, les villes et les communes de l'hexagone afin qu'elles viennent travailler en Côte d'Ivoire, en s'inspirant de ce que font déjà, et je sais qu'elles le font bien et à la satisfaction de l'Ouest-montagneux, les communes regroupées autour de Besançon. Je propose que soient organisées en France prochainement, des assises sur la coopération décentralisée avec la Côte d'Ivoire, auxquelles seront invitées les grandes régions et collectivités françaises.
Je le répète, la décentralisation s'apprend. La confiance entre élus, l'expérience qu'ils partagent, sont des atouts qu'on ne peut pas négliger. Faut-il rappeler le rôle, la relation étroite qu'il y a aussi entre l'approfondissement de la démocratie locale et la vie démocratique tout court.
Le format de ces réunions s'est par ailleurs prêté à des échanges directs entre les collectivités locales ivoiriennes et leurs tutelles. Les débats ont montré que la décentralisation est un processus en pleine évolution, dont les enjeux politiques, économiques, financiers et sociaux sont immenses à tous égards. Félicitons-nous que la Commission mixte franco-ivoirienne ait pu contribuer à faire progresser ces débats. Et puis je n'oublie pas qu'il y a quelques mois, Abidjan accueillait cette grande manifestation d'"Africités 1998" que j'ai vécue personnellement comme un grand moment dans l'histoire de ce continent, et en tout cas un moment porteur d'une extraordinaire espérance et je souhaite que nous puissions là aussi accompagner les développements qu'il portait en lui.
Je tiens également à saluer la décision ivoirienne, prise au plus haut niveau, et je tiens à en remercier personnellement le président Bédié, de régler dans un esprit d'ouverture le problème des cartes de séjour pour les Français résidant en Côte d'Ivoire en se basant sur les critères de réciprocité et d'égalité de traitement. Cette décision sera sans nul doute de nature à favoriser le climat des investissements et des affaires en Côte d'Ivoire.
J'en profite pour souligner notre attention aux Ivoiriens qui souhaitent venir en France. Des mesures ont été prises notamment pour que les acteurs de la vie économique, de la vie sociale, de la vie culturelle voient faciliter leurs conditions d'obtention des visas qu'ils sollicitent.
J'y insiste, cela ne se sait peut-être pas non plus assez encore, le gouvernement français y accorde une grande importance et nous mobilisons des moyens nouveaux pour faciliter cette démarche.
Notre coopération va donc s'organiser au cours des prochaines années autour des quatre axes prioritaires qui ont été définis par la Commission mixte : développement des ressources humaines nationales, renforcement du cadre institutionnel, développement économique et social et réforme de l'outil de défense. Nous répondons ainsi aux demandes prioritaires exprimées par la Côte d'Ivoire dans les secteurs où nous pouvons apporter une réelle valeur ajoutée.
En 2001, la Côte d'Ivoire entrera dans une nouvelle étape de son développement grâce aux allégements de dette prévus dans le cadre de l'initiative multilatérale. La France est heureuse d'avoir soutenu l'éligibilité de la Côte d'Ivoire à cette facilité, mais celle-ci doit encore être confirmée et c'est bien pour cela qu'il importe de ne pas relâcher l'effort, de respecter les engagements que vous avez souscrits dans le cadre du programme en cours avec le FMI, et ceci jusqu'à son terme, afin de bénéficier pleinement de tous ses effets.
L'échéance n'est pas si lointaine, nous resterons pendant ce temps à vos côtés pour accompagner vos efforts et mettre en oeuvre les actions et les programmes qui découlent du présent accord-cadre de partenariat. A mi-parcours, dans dix-huit mois, nous mesurerons le chemin parcouru et nous tiendrons compte du nouveau contexte dans lequel nos deux pays auront évolué.
Je voudrais terminer mon propos en formant ici les voeux les plus chaleureux pour que les actions mises en oeuvre au cours des années qui viennent, dans les cadres que nous nous sommes mutuellement et conjointement fixés, le soient dans l'esprit de responsabilité, de maturité et d'espoir qui a présidé à nos travaux.
A vous, cher Amara Essy, à vous, Messieurs les Ministres, à vous tous, Mesdames et Messieurs, je voudrais, en cette fin d'année, vous adresser mes voeux les plus chaleureux de bonnes et heureuses fêtes, mais aussi de bonne année 1999 et, au risque de vivre dangereusement, je suis prêt à dire à Amara Essy mon intention, avant la fin de ce millénaire, de venir à Kouassi-Datekro, s'il veut bien m'y inviter.
Point de presse (Abidjan le 15 décembre 1998)
Q - Monsieur le Ministre, lors de votre allocution d'hier après-midi, vous indiquiez que votre pays achevait de moderniser, de reconfigurer son dispositif de coopération. Alors je voudrais que vous nous en parliez un peu. Ensuite, l'anti-corruption et la bonne gouvernance sont devenus des thèmes forts en ce moment ; est-ce que justement, votre nouveau dispositif de coopération en tiendra compte ?
R - S'agissant de la réorganisation de la coopération, il y a eu fusion entre Affaires étrangères et Coopération, et nous constituons une Direction de la Coopération internationale et du Développement, par rapprochement, dans une seule Direction générale, des services de la Coopération culturelle, scientifique et technique qui étaient au Quai d'Orsay, donc côté Affaires étrangères, et de la Direction du développement qui était elle rue Monsieur, côté Coopération. Cette grande Direction générale, la plus importante du ministère des Affaires étrangères français, sera l'interlocuteur des pays en développement, et en particulier des pays qui vont être au sein de la zone de solidarité prioritaire, vers laquelle va aller le flux le plus important d'aide publique au développement. Cette zone de solidarité prioritaire - une ZSP comme on dit dans le jargon - sera dessinée, fin janvier, lors d'un comité interministériel consacré à la coopération et au développement sous la présidence du Premier ministre. D'ores et déjà, je tiens à affirmer que la Côte d'Ivoire sera au sein de cette zone de solidarité prioritaire. Voilà pour la réorganisation.
Sur l'esprit de la coopération, nous avons longuement discuté de cela au cours de ces dernières 48 heures ; le principe du partenariat prévaut désormais, ce n'est plus la logique de l'offre de coopération, mais la logique de la demande qui doit prévaloir. Nous apportons notre coopération en fonction des demandes que nous présentent nos partenaires. Il est vrai que parmi les objectifs et les priorités que nous entendons poursuivre, il y a, ce qui me paraît essentiel, la consolidation de l'Etat de droit. Pour qu'il y ait développement, il faut qu'il y ait la paix à l'extérieur comme à l'intérieur. Cela veut dire qu'il faut un Etat ayant des pouvoirs régaliens organisés, et quand nous disons pouvoirs régaliens, cela veut aussi dire police, cela veut dire justice. Il faut un pouvoir qui soit capable d'avoir ses propres ressources, cela veut dire finances publiques, cela veut dire fiscalité. Il n'y a pas de développement s'il n'y a pas d'abord des Etats. Et l'appui institutionnel reste un peu une spécialité de la coopération française.
La lutte contre la pauvreté me paraît également un élément essentiel. C'est vers là aussi que notre préoccupation de bonne gouvernance va être de plus en plus importante, à la mesure de la sensibilité de notre opinion publique, laquelle est très attentive, et de plus en plus, à ces questions de bonne gouvernance. C'est ce que nous disons d'ailleurs à nos amis africains quand nous nous parlons de ces questions. Ce n'est pas si simple parce qu'il faut du temps pour que tout ceci s'enracine, mais cela fait partie désormais, c'est vrai, du dialogue politique entre nous. Voilà ce que je voulais dire en réponse à votre seconde question.
Q - Vous avez parlé de politique de la demande et non plus de l'offre. Est-ce que malgré tout on peut avoir une idée de l'aide qui pourrait être apportée au cours des prochaines années à la Côte d'Ivoire, puisque vous avez parlé d'une moyenne de 1,6 milliards de francs, mais ce sont des fonds qui vont quand même en décroissant, donc sur quels montants la Côte d'Ivoire pourra-t-elle compter au cours des prochaines années ?
Ma deuxième question concerne les cartes de séjour ; vous avez parlé du principe de réciprocité, donc cela veut dire une carte de séjour pour les Français vivant en Côte d'Ivoire à quel prix et valable pour combien de temps ?
R - Sur la question des engagements financiers, je n'ai pas l'intention de répondre parce que cela n'aurait pas grande signification de dire à l'avance, par exemple, l'aide budgétaire susceptible d'être accordée sans savoir à l'avance si les besoins budgétaires de la Côte d'Ivoire le justifieront. C'est ce qu'on appelle l'aide à l'ajustement structurel.
Par contre, nous allons essayer de maintenir à niveau tout ce qui tourne autour de l'aide-projet, du fonds d'aide et de coopération, de manière à ce que l'Agence française de développement, sur un certain nombre de secteurs qui ont été identifiés au cours de cette Commission mixte, continue d'intervenir. Je peux vous dire ce qu'on faisait hier, au cours des années passées, y compris les annulations de dettes auxquelles nous avons procédé, on était presque au niveau du milliard de francs par an. Je crois que pour 1997 on va être exactement à 946 millions de francs, qui comprenaient à la fois une annulation de dette pour 400 millions, plus des crédits directement versés par le ministère de la Coopération, au titre à la fois de l'assistance technique et de l'aide-projet, et puis il y avait les opérations conduites par l'Agence française de développement. Voilà en ce qui concerne les ordres de grandeur. Mais vous comprenez pourquoi je ne peux pas vous dire ce que je donnerai, demain, sur des dossiers comme celui-là, puisque cela va dépendre de la réalité financière, budgétaire, du pays partenaire.
Sur la question des cartes de séjour, le communiqué final y fait allusion et je vous renvoie à la formule qu'il contient. Je veux simplement rappeler qu'hier soir, le président Bédié a tenu à parler spontanément de cette question - dont il avait été, évidemment, déjà tenu informé -, pour souhaiter que le principe de réciprocité soit respecté. Ce qui signifiait que des aménagements seraient trouvés, à la fois sur la durée de validité du titre de séjour, et sur son coût. Je sais qu'une réunion est prévue - le travail est déjà commencé si je puis dire - entre les deux parties pour trouver les modalités pratiques qui vont mettre en oeuvre, en quelque sorte, cette volonté exprimée par le président Bédié. Voilà ce que je voulais vous dire. En tout cas, cette double orientation, à la fois de donner une plus longue durée au titre de séjour et d'en réduire le coût, va bien dans le sens que souhaitait, évidemment, la communauté française.
Q - Ma question a trait à la proposition que le ministre évoquait tout-à-l'heure dans son intervention ; il a souhaité la tenue en France d'assises sur la coopération décentralisée entre la Côte d'Ivoire et la France. Je voudrais savoir quelles seront les modalités de ces assises, et de quoi s'agit-il précisément.
R - On a quelques précédents. Nous avons, au cours des derniers mois, organisé ainsi à Poitiers une réunion consacrée à la coopération décentralisée avec le Vietnam ; nous avons, à Saint-Brieuc et à Juvisy, organisé une rencontre sur la coopération avec le Niger ; en ce moment même, en Haïti, il y a une réunion des collectivités françaises qui coopèrent avec Haïti. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'échanger des expériences, de dialoguer avec les partenaires potentiels, mais aussi ceux avec lesquels on a l'habitude de travailler. S'agissant de la Côte d'Ivoire, j'observe qu'il n'y a pas assez de coopération décentralisée, c'est-à-dire qu'il n'y a pas suffisamment de départements, de villes ou de régions françaises qui se soient déclarées candidates, en quelque sorte, à des fiançailles, ou à des mariages - j'espère consommés - avec des villes ou des collectivités territoriales ivoiriennes. En organisant une telle rencontre, on donne un coup de projecteur sur la Côte d'Ivoire et sur les régions ou les collectivités ivoiriennes susceptibles de nouer, justement, des relations de coopération avec des collectivités françaises. Donc, il y a un rôle un peu de marieur qu'il va falloir jouer, et la rencontre que je préconise va dans cette direction.
Q - Monsieur le Ministre, les relations entre la France et la Côte d'Ivoire sont excellentes, vous l'avez dit hier, mais le problème des visas reste une véritable préoccupation. Comment comptez-vous résoudre ce problème pour que les Ivoiriens puissent aller effectivement en France, pour que les hommes d'affaires puissent réellement travailler ensemble ? Deuxième préoccupation, Monsieur le Ministre, c'est au niveau de la coopération militaire. Est-ce que vous pouvez nous faire le point ? Et avec l'avènement de l'euro dans quelques jours, est-ce que la France ne risque pas de regarder la Côte d'Ivoire à travers un oeil européen ? Je vous remercie.
R - Il y a trois questions, alors. On va essayer d'y répondre en faisant le plus court possible.
Sur les visas, d'abord. Nous savons les plaintes qui s'expriment, qui viennent de nombreux pays et qui, toutes, évoquent la longueur des procédures, parfois - mais là j'espère que ce n'est pas le cas ici - les mauvaises conditions dans lesquelles les candidats au visa sont accueillis : ils doivent attendre... Cela est évidemment contradictoire avec le développement, surtout lorsque les candidats au visa sont des acteurs économiques, mais cela peut être aussi des étudiants, cela peut être aussi des professeurs. Alors nous avons d'abord fait le choix, dès le budget de l'an dernier - et cela va continuer - d'augmenter les crédits destinés à améliorer les conditions d'accueil, les locaux. Nous avons commencé - ce n'est pas si simple - à augmenter les moyens en personnel de façon à traiter plus rapidement les demandes de visa. Et puis, nous avons encouragé les ambassadeurs à regarder, avec les autorités locales, la possibilité de faciliter les démarches - j'y ai fait allusion tout-à-l'heure - à ceux qui ont plus besoin encore que d'autres d'avoir ces visas. Enfin, parmi les procédures que nous mettons en place, il y a le visa, j'allais dire " multi-séjour ". C'est-à-dire qu'au lieu d'avoir obligation de demander un visa pour un seul séjour, on peut avoir un visa valable sur une certaine durée et qui autorise, à l'intérieur de cette durée, à venir deux fois, trois fois en France, en particulier pour des raisons professionnelles. Voilà des mesures que nous allons décider.
L'ambassadeur de France en Côte d'Ivoire me fait remarquer qu'il y a moins de 5 % de refus de visas scolaires ; mais pour ceux qui se le voient refuser, même s'ils sont statistiquement peu nombreux, c'est toujours désagréable. En tout cas, voilà la direction que nous prenons. Nous sommes désireux, en particulier, que les étudiants qui souhaitent faire leurs études en France ne soient pas contraints, par un refus de visa, à aller voir si l'herbe est plus verte du côté du Wyoming ou du Canada ; sans pour autant, évidemment, refuser aux Africains le droit d'aller là-bas s'ils le souhaitent. Mais nous pensons que la France a une vocation presque naturelle à les accueillir, notamment pour terminer des études supérieures. Nous entendons bien, dans le cadre du projet Edufrance que nous avons lancé avec le ministre de l'Education nationale, M. Allègre, le ministre des Affaires étrangères, M. Védrine, et moi-même, favoriser, promouvoir l'offre de formation supérieure en France. Si on veut promouvoir la formation supérieure en France, il faut que par voie de conséquence, notre politique de visa tienne compte de cette ambition à accueillir davantage. D'où les réformes que je viens de rappeler.
La question de la coopération militaire : aujourd'hui, c'est une quarantaine de coopérants militaires qui sont actuellement en Côte d'Ivoire. Nous savons la volonté de la Côte d'Ivoire, et elle en fait la preuve, de jouer un rôle plus important dans la prévention des conflits au niveau de la sous-région, où elle joue déjà un rôle diplomatique important. C'est pour nous une raison supplémentaire d'aider évidemment la Côte d'Ivoire dans les efforts qu'elle fait pour organiser ses moyens de défense. Et nous ne le faisons pas seulement dans le cadre bilatéral, il y a aussi une école régionale à Zambakro, dont la première pierre sera posée demain. J'aurais été très heureux de pouvoir le faire, malheureusement demain je serai dans l'avion du Premier ministre en direction d'Ottawa, donc je ne pourrai pas être à Zambakro. Le général Roux et l'ambassadeur de France poseront la première pierre de cette école régionale dont nous attendons beaucoup, car elle répond bien à cette volonté des Africains de prendre en charge, en quelque sorte, la sécurité et la gestion des conflits.
Juste un mot, enfin, sur l'euro. Ce n'est pas par les lunettes de l'Europe que la France regardera demain l'Afrique au prétexte qu'il y aurait l'euro. Je crois qu'il faut vivre l'euro comme étant une chance pour la zone franc. C'est même, à mon avis, une chance pour les pays africains qui ne sont pas dans la zone franc, et qui sont voisins des pays de la zone franc, parce que c'est une sécurité de plus, surtout pour les investisseurs français et européens ; puisqu'aussi bien l'Europe s'annonce comme étant, dans un monde économiquement très bouleversé, encore incertain, comme un pôle de relative stabilité, l'arrimage de la zone franc à l'Europe via l'euro est une bonne chose. Je crois que maintenant, les Africains sont enfin convaincus que ce n'était pas seulement la France qui voulait cet arrimage, mais que ce sont bien les Européens dans leur ensemble qui le souhaitent ; ceci a été confirmé par la présence du ministre autrichien qui présidait le Conseil ECOFIN - c'est-à-dire la réunion des ministres de l'Economie et des Finances - lors de la rencontre que nous avons organisée à Paris, Dominique Strauss-Kahn et moi, précisément sur la question de l'euro. L'euro, c'est dans quelques jours comme vous le savez, c'est un dossier important, qui soulève une question également importante, celle du dialogue entre les autorités politiques et les autorités monétaires européennes. Les politiques se sont donné comme priorité l'emploi, la lutte contre le chômage, il faut que les autorités monétaires comprennent aussi cet objectif, même si leur responsabilité première c'est d'assurer la stabilité de la monnaie. Et de la qualité du dialogue entre les deux niveaux d'autorité dépend, me semble-t-il, assez largement la solution, précisément, aux problèmes économiques et sociaux que nous aussi nous connaissons.
Q - J'aimerais revenir sur la Francophonie. Quelles sont les mesures prises pour assurer une plus grande puissance à cette institution pour qu'elle ne soit pas seulement réduite aux rencontres ponctuelles ou aux sommets où on voit les chefs d'Etat en grande pompe ?
R - La Francophonie, si on veut qu'elle vive en continu et pas seulement à l'occasion des rencontres ministérielles - même si je les trouve intéressantes puisqu'elles permettent de rencontrer Amara Essy, comme à Bucarest il y a quelques jours - doit s'appuyer me semble-t-il sur deux éléments essentiels :
- l'audiovisuel, et c'est pour cela que nous avons entrepris la réforme de TV5, et c'est pour cela que nous avons, à Bucarest, mobilisé des crédits et des moyens spécifiques pour financer TV5 Afrique en particulier, car c'est de cette manière qu'on fait vivre aussi la pratique de la langue, et aussi la culture, ce qui nous rattache un peu les uns aux autres ;
- la formation supérieure, et c'est toute la logique de ce projet Edufrance dont je parlais à l'instant, mais c'est aussi le réseau universitaire que nous voudrions dynamiser, les relations inter-universités entre pays francophones. Cela sur la pratique de la langue et l'aspect culturel.
Je crois en outre qu'il faut que les jeunes aient en quelque sorte intérêt à parler français. C'est-à-dire qu'il faut que dans leur projet professionnel, ils se disent que le fait de parler français est un plus. Cela vaut dans les pays francophones, cela peut valoir dans les pays anglophones où le fait de parler français, au Nigeria, doit être considéré comme un plus. Et c'est bien pour cela que les Nigérians nous demandent du français ; nous essayons d'ailleurs, en aidant les Béninois à mettre en place des professeurs, à donner du français aux Nigérians. Mais cela vaut pour tous les pays de la zone.
J'en ai parlé avec Monsieur Rawlings il n'y a pas très longtemps : le Ghana sait qu'il est environné de pays francophones, et le Ghana a besoin d'enseigner le français. Nous allons nous en préoccuper. Cela me paraît un élément très, très important. Mais il est vrai que la présence d'entreprises françaises dans un pays donné donne aux jeunes de ce pays l'envie de parler français, car pour eux, cela veut dire une chance de plus de pouvoir travailler dans cette entreprise.
Il faut que la Francophonie sache aussi mieux organiser les relations sud-sud ; élément important, on ne sait pas assez - j'espère qu'à Monaco où il va y avoir une conférence ministérielle au mois d'avril sur les questions économiques francophones, on va parler de cette expérience des Vietnamiens qui, en Côte d'Ivoire et à Madagascar font, en quelque sorte, du transfert technologique, et font part de leur expérience de production de riz chez eux à ces pays-là. Voyez, c'est ce type d'échanges qu'il faut aussi qu'on sache organiser entre francophones.
Et puis, j'ai fait cette proposition à Bucarest et elle a été retenue, je crois qu'il faut qu'entre francophones on puisse aussi parler de démocratie et de Droits de l'Homme. Il faut que nous sachions parfois mieux comprendre certaines réalités africaines ; il faut aussi que les Africains comprennent le poids des opinions publiques, des ONG, des associations qui sont très attentives à l'évolution des questions de droit. Je crois que la Francophonie peut aussi parler de cela. Bref, il faut savoir, comme vous le souhaitez vous-même, la faire vivre pour qu'elle ne soit pas, comme on dit, un souvenir, il faut que la Francophonie soit un avenir, pas un souvenir, c'est très important.
Q - On parle de l'évolution de la collaboration entre la Côte d'Ivoire et la France. Est-ce qu'on peut dire que concrètement, c'est une collaboration équilibrée, parce qu'en fait on pense plus aux échanges nord-sud que sud-nord ?
R - S'il vous plaît, laissez-moi espérer que ce déséquilibre, grâce aux actions de coopération que nous avons décidé de revivifier au travers de cette commission mixte, va se réduire. Je rappelle - on peut en débattre - que sur le plan économique, sur le plan des échanges commerciaux, l'équilibre est à peu près parfait entre ce que nous importons et ce que nous exportons. Je connais des pays où la relation est beaucoup plus déséquilibrée. Mais il est vrai que le déséquilibre est encore dans des niveaux de vie différents de part et d'autre, dans des niveaux de richesse différents de part et d'autre. Et il faut que la solidarité s'exprime aussi pour que cette inégalité-là se réduise. C'est cela, finalement, la vraie raison de la coopération.
Q - Pouvez-vous nous dire un mot sur le 43ème BIMA ? Et un mot sur les accords de défense entre la Côte d'Ivoire et la France ?
R - Je crois qu'en ce qui concerne l'avenir, le 43ème BIMA n'est pas menacé. La réorganisation de la présence des troupes françaises en Afrique est maintenant connue. Il y a eu suppression, en Centrafrique, d'un certain nombre de bases, il y a eu reformatage, comme on dit, de l'armée française ; l'avenir des troupes positionnées va peut-être être, ici ou là, légèrement modifié. Mais s'agissant de la présence en Côte d'Ivoire des quelque presque 600 hommes qui sont ici pré-positionnés, ils ont vocation à y rester. Merci beaucoup.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 septembre 2001)