Texte intégral
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues,
On se demande, après avoir entendu Jacques Chirac il y a quelques jours proposer le quinquennat, ce qu'a bien pu vouloir dire le Président de la République lorsqu'il a prétendu qu'il n'entendait pas modifier la Constitution.
Le Président Chirac aura, en effet, présidé à six modifications de la Constitution, soit presque autant, en cinq ans, que ses quatre prédécesseurs au cours des trente-quatre années précédentes, choisissant ainsi de nous faire vivre dans un état d'instabilité constitutionnelle tout à fait inédit depuis le début de la Ve République.
La Constitution de 1958 malmenée, ses principes fondamentaux bafoués, il ne restait plus qu'à brûler notre texte constitutionnel au bûcher des vanités d'une fausse modernité !
Après avoir abdiqué notre souveraineté, voilà qu'on s'attaque au souverain, garant de l'intégrité territoriale et du bon fonctionnement des pouvoirs publics.
En effet, après avoir transféré notre souveraineté monétaire avec le traité de Maastricht, puis notre souveraineté législative avec le traité d'Amsterdam, on nous propose de porter directement atteinte à l'autorité de l'Etat. En d'autres termes, après avoir démoli l'édifice, on piétine la clé de voûte !
Cette logique est indéniablement celle de ceux qui ne croient plus en la souveraineté nationale et qui ont cessé de croire en la France, la France, la nation devenues pour ceux-là des mots tabous, gênants, honteux, auxquels il est de meilleur ton de préférer aujourd'hui ceux d'Europe, de fédéralisme et de mondialisation.
Après avoir spolié le peuple français des attributs de la souveraineté qu'il avait confiés à la représentation nationale au nom de la Constitution et en vertu de l'élection, nous, les représentants du peuple, allons cette fois-ci lui demander, sous couvert de modernité, le régime qu'il incarne au profit d'un système plus apte à se fondre dans l'architecture fédéraliste de l'Union européenne.
Les tenants de cette eurocratie veulent en effet en finir avec nos singularités. D'ailleurs, vous l'avez dit tout à l'heure, madame la garde des sceaux, nous sommes les seuls à être dans la situation où nous sommes, il faut donc nous aligner sur les autres. Assez des singularités françaises, assez des singularités culturelles, scientifiques, sanitaires, économiques, monétaires, et, aujourd'hui, assez des singularités institutionnelles.
La réforme qui nous est proposée bouleverse - je dis bien bouleverse - tout l'équilibre de nos institutions, et cela pour trois raisons, trois raisons au moins, car il faudrait compter par avance celles que la pratique pourrait révéler au fil de cette grande dérive intellectuelle et politique : d'abord, elle porte atteinte au principe cardinal qui inspire la fonction, c'est-à-dire la durée ; ensuite, le Président de la République se trouve ainsi ravalé au rang de Premier ministre ; et, enfin, si l'on veut que cette réforme atteigne son objectif, à savoir éliminer les risques de cohabitation, il faut alors supprimer l'une des armes qui permet au chef de l'Etat d'assurer sa fonction d'arbitre suprême, à savoir le droit de dissolution.
Je reprendrai ces trois points, dont chacun me paraît d'une importance capitale quant
à la logique, je dirai même la philosophie de la Ve République,
Mais, avant de les développer, je voudrais redire que le filigrane de nos institutions me semble être l'idée d'assurer l'autorité du bien commun, la respublica, par rapport aux intérêts particuliers et aux féodalités de toute nature et à leur encontre, et face aux empires extérieurs et à ces modernes empires cachés derrière le concept assez fumeux de mondialisation, les hégémonies modernes.
En France, faire prévaloir l'autorité du bien commun ne fut jamais chose facile, tout simplement parce que la France n'a pas d'unité naturelle. A la différence, par exemple, de la Grande-Bretagne ou du continent nord-américain, ou même de l'Allemagne, fondée sur le concept de Volk, elle ne peut trouver d'unité que politique, je dirai même par la politique, et, plus précisément encore, par le rassemblement de son peuple, dans la très grande diversité de ses composantes, autour d'un Etat qui porte un bien supérieur, seul capable de dépasser des divisions sans cesse renaissantes. Pour cela, il faut que l'Etat soit représenté, figuré, par un arbitre incontestable, impartial, au-dessus de la mêlée, incarnant l'Etat au sens précis du verbe incarner, et dont, disait Périclès, le visage tranche.
C'est le principe fondamental de notre constitution que d'assurer la prééminence de l'autorité de l'Etat, expression d'une nation selon les deux principes d'indivisibilité pour ce qui est des affaires intérieures et de souveraineté pour ce qui est des affaires extérieures.
Ce principe d'autorité est incarné par un arbitre incontestable, et cet arbitre, c'est le Président de la République.
Certains, sur ces bancs, devraient se souvenir de ce qu'écrivit un homme peu suspect de vouloir instaurer le pouvoir personnel, Léon Blum, dans un court ouvrage qu'il écrivit en captivité, en 1941 : A l'échelle humaine.
Léon Blum y constatait que, si la France roula au désastre en 1940, c'est à cause " d'institutions trop chétives, incapables d'assurer assez de stabilité et de continuité du pouvoir pour mener une politique à laquelle le peuple puisse clairement s'identifier. "
On a souvent dit, à mon avis à juste titre, que de Gaulle, à Bayeux, n'a fait que reprendre, du moins pour l'essentiel, le raisonnement que Blum tenait dans cet ouvrage, qui semble préfigurer ce que sera, une quinzaine d'années plus tard, la Ve République.
Ainsi, par delà les clivages traditionnels tout à fait légitimes qui peuvent exister dans cet hémicycle, il semble bien que toutes les traditions françaises républicaines se retrouvent sur la nécessité de placer à la tête de l'Etat un arbitre, et de lui donner tous les attributs de la continuité et de l'impartialité, afin de lui permettre précisément d'exercer cette fonction arbitrale, sans laquelle l'Etat perd sa légitimité qui l'autorise à exercer la contrainte.
Cela, c'est notre histoire qui nous le dicte, et, je le répète, la complexion même de la France, un pays dont la politique doit toujours parvenir à faire de la diversité naturelle une unité politique.
Ce problème n'est pas nécessairement transposable ailleurs. A chacun son histoire. Et je n'ai jamais trouvé, personnellement, même en entendant tout à l'heure Mme Guigou, que l'on éclairait le débat constitutionnel en faisant référence à des modèles étrangers, qui sont toujours les mêmes, le modèle parlementaire britannique ou le modèle présidentiel américain.
Comme celui de la Ve République, ces modèles ne se comprennent que par l'histoire des peuples qui les ont adoptés.
Le modèle présidentiel, qui n'existe à proprement parler qu'aux Etats-Unis, est l'héritage d'une situation où les délégués des Etats confédérés, réunis dans un congrès, devaient cohabiter avec un président, non de la République, mais de la fédération des Etats-Unis, qui fut d'abord George Washington. D'ailleurs, ce système présidentiel, que beaucoup décrivent comme adaptable à la France, convient précisément à un système fédéral, qui a peu de rapport avec l'Etat-nation à la française.
Quant au système parlementaire britannique, il ne se comprend que dans un cadre bien défini, avec une unité bien définie, laquelle est acquise par principe, et même par nature, grâce à l'insularité, et aussi par la présence de la couronne, laquelle incarne la continuité, la pérennité, l'unité du Royaume-Uni.
Si les constituants de 1958 ont choisi ce qu'on a appelé la " monarchie républicaine " - je crois que l'expression est de Georges Vedel -, c'est précisément parce qu'ils ont écarté à la fois la formule fédérale à l'américaine, le parlementarisme à l'anglaise et l'anarchie vécue sous la IVe République, c'est-à-dire une absence de pouvoir, le pouvoir étant disséminé partout. C'est d'ailleurs l'essence, le ressort de la Ve République telle que l'a voulue le général de Gaulle,
Et c'est précisément ce que propose de détruire l'actuel Président de la République, héritier ô combien infidèle à la figure dont il prétend s'inspirer,... ... en sapant les trois attributs cardinaux de la fonction présidentielle : la durée, la suprématie, la fonction arbitrale.
En face des risques que fait courir cette réforme hasardeuse, les arguments avancés par le Président de la République et le Premier ministre, ainsi que par les partisans du quinquennat, paraissent bien faibles.
J'ai beau les écouter, relire leurs interventions, j'ai entendu tout à l'heure Mme la garde des sceaux, je ne trouve aucun argument véritable, juridique ou politique, qui assoie le quinquennat.
On n'entend plus qu'un mot autour de nous, "la modernité ".
Le quinquennat, alors, serait moderne. Quel bel argument!
Ce mot, a été, inventé par Baudelaire, qui l'appliquait aux défilés de mode.
La vraie modernité, n'est pas une affaire de mode, encore moins un slogan, c'est l'adaptation d'un ordre à une nécessité. A cet égard, je voudrais dire avec force et tranquillité qu'une réforme institutionnelle ne doit rien à des arguments de circonstance. Elle ne peut et elle ne doit répondre à des mouvements d'humeur, à des calculs personnels, à des querelles d'ambition nourries par une classe politique qui ne parvient plus à se renouveler et qui, pour se rajeunir, ne trouve qu'à bouleverser l'ordre institutionnel à l'abri duquel elle étale son insignifiance.
La réforme de nos institutions ne peut et ne doit pas être le prétexte à des règlements de comptes ou à une surenchère politicienne démagogique.
Elle ne devrait surtout pas être le miroir de projections biologiques personnelles.
Je comprends, disais-je, que, si une majorité d'entre nous en est arrivée à ce stade, si une majorité d'entre nous confond parfois l'intérêt suprême de la nation avec ses propres intérêts du moment, si une majorité d'entre nous confond la stabilité nationale garantie par des institutions en lien avec notre histoire et notre culture avec sa propre réélection ou son élection, la majorité de nos compatriotes se désintéressent totalement de la vie politique et se détournent des urnes.
La vraie réforme moderne serait de redonner aux Français les moyens de leur souveraineté.
Cette réforme-là est indépendante du quinquennat car la vraie question est la suivante : à quoi servirait-il donc d'élire tous les cinq ans un Président de la République qui n'aurait plus de pouvoirs ? La modernité, c'est un argument d'apprenti intellectuel en mal d'inspiration, et il ne faut d'ailleurs pas être mieux inspiré pour justifier pareillement cette réforme par l'accélération du temps que nous vivons au quotidien.
Il y a d'autant moins de lien entre la vitesse du TGV, Internet, l'économie de marché et la durée d'un mandat présidentiel que notre nation a su s'insérer dans ce mouvement d'échanges intercontinentaux parce qu'elle a précisément pour elle la stabilité, parce qu'elle a avec elle le temps.
Le rôle et la fonction du Président de la République ne peuvent pas être de nature circonstancielle.
Le Président de la République incarne, à son corps défendant parfois, l'unité nationale, la durée et la stabilité. Il doit être au-dessus de la mêlée et il se doit de prendre en toutes circonstances le recul nécessaire à ses jugements pour le bien commun.
Il ne doit pas participer aux querelles des partis, il ne doit pas s'inscrire dans des courses qui brouillent toute vision, toute perspective.
Bien au contraire, il a le devoir de se tenir en juste retrait et de regarder fixement la ligne d'horizon que son poste élevé devrait lui permettre mieux que quiconque d'observer.
Il y a quelque sagesse dans la fonction présidentielle telle que notre Constitution l'a définie, Une sagesse qui s'exerce dans et avec la durée.
C'est avec cette même intention - je vais vous faire bondir que nos collègues sénateurs sont élus pour neuf ans à l'instar des juges du Conseil constitutionnel, parce que neuf ans, pour comprendre pratiquement et sereinement tout l'esprit et toute la portée de nos institutions.
On ne peut pas tout ramener, dans un pays, au même temps, à la même unité de temps.
La mode du zapping ne s'impose pas à nos institutions.
Cette réforme, elle est inutile, elle est dangereuse, mais d'abord elle est inopportune.
Le moment ne semble pas bon, parce que pendant qu'on parlera du quinquennat, on ne parlera pas du reste.
Et le reste, c'est quoi ? C'est tout simplement les six mois de présidence française de l'Union européenne. Le débat national qui va mobiliser dans les six mois à venir la classe politique tout entière, nos médias et, par ricochet, l'opinion publique - si tant est qu'on puisse l'y intéresser - rendra inaudible toute parole sur l'action de la France à la tête des Quinze, éclipsera tout débat sur les mesures qui seront prises durant ces six mois. Je pense tout particulièrement, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs, à la mise en place de la monnaie unique, à la charte européenne des droits fondamentaux et à la réforme des institutions de l'Union européenne.
Ainsi, un débat peut-il en cacher un autre, en occulter un autre.
Cette réforme est motivée par des raisons sans lien avec l'intérêt général,
nous voilà engagés en pleine aventure institutionnelle. Après la dissolution de convenance, le quinquennat d'opportunité.
Il s'agit d'une aventure institutionnelle délibérée, qui vise à servir des intérêts personnels de réélection. On fait d'une affaire institutionnelle une affaire politicienne. Et l'on voit, en masse, des leaders politiques se soumettre, finalement contre leur gré, à l'idée du quinquennat. Pourquoi ? Tout simplement pour ne pas déplaire. Pour ne pas déplaire à ceux qui sont les grands leaders, et qui distribueront le jour venu les portefeuilles et les investitures.
C'est une lamentable et désastreuse logique, qui fut celle déjà, il n'est pas bien difficile de s'en souvenir, de Maastricht.
La vraie question aujourd'hui pour les Français, et pour chacun d'entre nous, n'est pas : un mandat pour combien de temps ? Elle est : un mandat, pour quoi faire ?
Un jour viendra, je le dis en conscience et sans esprit polémique, où les Français demanderont à l'actuel Président de la République : qu'avez-vous fait de votre septennat ? Réponse : j'ai dissous.
Il a tout dissous : dissolution du creuset civique du service national, dissolution de sa majorité, dissolution de notre souveraineté monétaire, dissolution de notre souveraineté législative, dissolution de nos institutions. C'était la dernière, celle qui manquait.
Celle de M. Chirac sur le quinquennat rappelle étrangement celle qu'il avait faite pour annoncer la dissolution, elle était fondée sur la même évidence paradoxale à partir d'un raisonnement tellement subtil qu'il a perdu en route les Français. Le syllogisme est à peu près le suivant : ma majorité est trop importante ; je décide de la dissoudre ; donnez-moi une majorité moins importante pour mieux gouverner.
Parallélisme des formes pour le quinquennat, pour celui qui n'aurait rien compris : sept ans, c'est trop long, il faut donc passer à cinq ans pour que je puisse faire dix ans.
En d'autres termes, j'aurai plus de soutien si j'ai moins de députés pour me soutenir c'était en 1997 ; ou encore, aujourd'hui : avec un mandat plus court, je pourrai faire un mandat plus long.
Il n'est pas impossible, que l'histoire aventureuse du quinquennat trouve le même épilogue que le coup de la dissolution.
En élisant le chef de l'Etat pour cinq ans au lieu de sept, nous allons rompre un équilibre institutionnel bien établi et entraîner notre pays dans les abîmes trop connus de l'instabilité et du régime des partis.
Il faut cesser de faire croire le contraire aux Français, comme trop d'entre nous l'ont fait au moment de Maastricht et d'Amsterdam. Il faut cesser de faire croire aux Français que cette réforme ne changera rien à l'équilibre de nos institutions.
Le quinquennat aura des conséquences très graves pour l'avenir de notre pays. Je le dis haut et fort aux Français, qu'on soit ou non d'accord, il faut savoir que le quinquennat modifiera en profondeur la pratique démocratique de notre pays. Et il ne la modifiera pas dans le bon sens, loin s'en faut.
On dit à nos concitoyens que le quinquennat est sans danger - c'est ce qu'a affirmé Jacques Chirac à la télévision - mais nul ne leur explique les tenants et les aboutissants d'une réforme bâtarde, qui met fin à l'harmonie architecturale de notre Constitution sans proposer de nouveaux modèles. Nous voilà au milieu du gué. Ce fameux " quinquennat sec ", comme il est devenu d'usage de le nommer, c'est-à-dire sans autre réforme concomittante que la modification de la durée du mandat du Président de la République, est un grain de sable dans la mécanique institutionnelle de notre pays et une réforme hypocrite qui n'ose pas avouer son objet : l'instauration du régime présidentiel.
Le quinquennat est une réforme gigogne, calquée sur le modèle des poupées russes. Aujourd'hui, on ouvre une boîte : le quinquennat sec. Demain, ce sera le retrait du droit de dissolution pour le Président de la République. Après-demain, ce sera la suppression du Premier ministre.
En fin de compte, quelles seraient, très concrètement, les conséquences immédiates du quinquennat sec ? D'abord, et à l'évidence, c'est l'arme de la durée que l'on écorne en ramenant le mandat de sept à cinq ans.
Cette séquence quinquennale ramène le mandat présidentiel à un mandat classique d'élu local. ou d'élu parlementaire. Nous savons tous - parlementaires, présidents de conseils généraux, maires, présidents de structures intercommunales - que la première année est une année de rodage, peu propice aux grandes entreprises, et que la dernière année, pour ne pas dire les deux dernières années, sont presque exclusivement accaparées par les grandes ou les petites nécessités de la réélection.
Bref, le quinquennat, c'est deux ou trois ans de présidence effective.
Etes-vous sûrs que c'est ce que veulent les Français ? Etes-vous sûrs de vouloir faire du Président de la République un " super député " dont la circonscription serait le territoire national ? Je n'en suis pas sûr ! C'est en tout cas exactement contraire au sens, à l'exigence de la Ve République.
La réduction du mandat du Président de la République comporte le risque non seulement de la banalisation de son élection, ramenée au rythme électoral de l'Assemblée nationale, mais aussi un risque plus important encore - même si cela peut faire sourire certains d'entre nous -, celui de l'abaissement symbolique de son autorité, qui, en cas de crise, peut s'avérer très grave.
Je sais bien que dans leur passion de détruire l'Etat, qui est moderne, bien des hommes politiques, bien des hommes de parti, bien des thuriféraires d'un nouveau système qui effacerait l'Etat-nation au bénéfice de l'Europe ou des régions, ne rêvent précisément que de décapiter l'Etat une nouvelle fois en le privant de son sommet.
Ils savent ce qu'ils font, ils savent que toutes les grandes entreprises - Vergennes l'a montré en matière diplomatique, comme Colbert ou de Gaulle l'ont montré pour ce qui est des grandes réformes économiques notamment ont besoin de temps.
Il n'y a pas de vrai pouvoir en dehors de la durée, pas de pouvoir au sens où la politique est participation à l'Histoire. L'Histoire, cela tombe sous le sens, requiert en effet des rythmes absolument irréductibles aux petits rythmes de la politique dans ce qu'elle a de plus quotidien, cette politique à la petite semaine qui fait tellement l'affaire des politiciens, car ils savent que plus aucun pouvoir suprême assuré de durer ne les regarde, ne les juge, ne les rappelle à l'ordre de l'intérêt supérieur de la nation.
Mais l'on voit bien ici la seconde raison de notre opposition au raccourcissement du mandat présidentiel : il supprime le sommet de l'Etat, qui devient comme une pyramide privée de son faîte, l'hôte de l'Elysée n'étant qu'une sorte de second Premier ministre, c'est-à-dire en somme le chef de la majorité parlementaire, pour ne pas dire le chef d'un parti. En sorte que la logique du quinquennat voudrait - et l'on y arrivera - que l'on supprime purement et simplement le Premier ministre, car elle perd de vue la distinction que la Ve République a opérée entre ces deux pouvoirs : d'un côté, à l'Elysée, un pouvoir stable, et de l'autre, à Matignon, un pouvoir plus éphémère, reflétant la majorité parlementaire, avec les aléas que cela comporte, y compris les caprices de l'opinion.
Le président de la République devenu Premier ministre ou second Premier ministre, je vous laisse déterminer ce que sera alors l'équilibre de nos institutions et leur cohérence.
Le quinquennat agira sur nos institutions conformément au principe de la théorie des dominos, l'un entraînant l'autre dans sa chute. Il aboutira rapidement à un régime dans lequel le Premier ministre n'aura plus vraiment de rôle et où le Président se retrouvera le chef de la majorité parlementaire.
On parle de régime présidentiel. Ce peut être la visée de cette réforme, mais c'est sans doute aussi et plus sûrement encore vers le régime parlementaire qu'elle va nous conduire.
Le quinquennat ramènera la France au régime des partis et de l'Etat partisan qu'elle a dénoncé et fui en 1958.
Le général de Gaulle, le 31 janvier 1964, soulevait directement cette question en affirmant ceci : " Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérant le caractère et abrégeant la durée de sa fonction de chef de l'Etat. "
Observons d'ailleurs en passant que, pendant les vingt-cinq premières années de la Ve République, les Premiers ministres disposaient eux-mêmes d'une durée de quatre ou cinq ans Ce fut le cas de Michel Debré, de Raymond Barre, de Georges Pompidou, qui a dirigé le gouvernement pendant cinq ans et demi.
Quant au Premier ministre actuel, on pourrait lui poser cette question :
" Monsieur le Premier ministre, ne prétendez-vous pas être Premier ministre pendant cinq ans ? " Il répondrait oui. Cela veut dire simplement que le quinquennat, ou le quadriennat, est à Matignon, mais pas à l'Elysée. Et c'est bien ainsi puisqu'il y a deux durées : l'une pour l'éphémère, pour le quotidien, pour le Gouvernement ; et l'autre pour le Président, c'est-à-dire pour l'arbitre.
La troisième raison de mon opposition, qui est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Non seulement le quinquennat rate son objectif consistant à écarter les risques de cohabitation - ce qui suffit d'ailleurs à disqualifier cette réforme, car désormais toute dissolution est interdite au chef de l'Etat puisqu'elle aboutirait à ce que les élections législatives et présidentielles soient de nouveau désynchronisées -, mais plus profondément, c'est l'impartialité, c'est la fonction d'arbitrage attachées à la fonction suprême qui disparaissent avec l'abandon, ou du moins l'obsolescence pratique, du droit de dissolution.
Armé de ce droit, le Président de la République garde un moyen de dénouer toute crise. Et lorsque Jacques Chirac l'a utilisé à contretemps voici trois ans - sans qu'aucune raison ne puisse être invoquée si ce n'est les intérêts de son parti ou de son camp -, il a bien montré à quel point cette fonction suprême, cette fonction arbitrale, cette fonction impartiale lui était inaccessible, a vouant ainsi son incompréhension totale de la Ve République.
Par cette réforme, qui bouleverse l'équilibre constitutionnel de la Ve République, Jacques Chirac va au bout de son ignorance ou de son mépris de ce qui constitue la philosophie propre du gaullisme.
Or, avec la disparition programmée du droit de dissolution, nous allons au-devant de blocages lourds pour l'avenir, car le risque de cohabitation ne disparaîtra pas avec le quinquennat.
On ne retrouve pas la cohérence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire simplement parce que l'on change la durée d'un mandat. C'est tout bonnement tricher avec la souveraineté populaire que d'oser tenir de tels propos.
C'est au peuple, et à lui seul, qu'il appartient de décider, de sanctionner. Si demain le quinquennat entre en vigueur, rien, absolument rien, ne nous permet d'affirmer que ne sortira pas des urnes une majorité parlementaire hostile au Président de la République. Rien non plus ne nous permet d'affirmer que les deux mandats - présidentiel et législatif - continueront de coïncider.
Dans ce cas, la France serait plongée dans une situation de campagne électorale permanente.
Les Français attendent d'autres réformes, et, s'il y a lieu, d'autres consultations référendaires qu'institutionnelles pour notre pays et pour leur avenir.
Je ne crois pas que la réponse à la désaffection des Français pour la politique réside dans le quinquennat ou dans toute autre réforme institutionnelle.
Les taux d'abstention diminuent-ils ? Non ! Au contraire ils croissent à chaque nouvelle élection ! Ces taux d'abstention ne sont pas liés à la nature de nos institutions, mais directement aux gouvernants et à la déception qu'ils provoquent et nourrissent chez les Français. Ce n'est pas la machine qui est mauvaise, c'est plutôt l'ouvrier qui ne sait pas s'en servir.
Il faut désormais renouer le pacte avec les Français ; ce n'est pas en bradant nos institutions - ou ce qu'il en reste - et notre souveraineté que nous y parviendrons.
En réalité, le quinquennat n'est pas du tout une priorité aux yeux des Français.
Si une grosse majorité de nos concitoyens - de l'ordre de 80 % d'entre eux, nous dit-on - semble à ce jour préférer le quinquennat au septennat, la participation à un éventuel référendum serait très faible : 36 % environ. Seuls 4 % des Français considèrent cette réforme comme une priorité.
Ce sondage appelle au moins deux réflexions.
D'abord, on constate qu'un clivage inquiétant se dessine entre les Français et la classe politique.
Alors que, pour les Français, les priorités de l'heure sont la sécurité et le chômage, notamment, ils ont vu la classe politique tout entière, ou presque tout entière, se jeter avec ardeur et dans un consensus troublant dans la bataille du quinquennat. Une fois de plus, les Français vont dire que les hommes politiques s'occupent de ce qui les amusent, de ce qui amuse les médias, ou des derniers sujets sur lesquels ils peuvent donner l'impression d'avoir du pouvoir, mais pas des problèmes concrets.
Deuxième réflexion : le pourcentage élevé des Français favorables au quinquennat est en fait largement pollué, faussé par les jugements personnels inexprimés envers le Président de la République actuel - ou celui qui pourrait lui succéder. S'il avait mené une bonne politique depuis son élection, le pourcentage favorable serait-il aussi élevé ? Peut-être les Français se prononceraient-ils en faveur d'un deuxième septennat ?
Il est fort probable qu'une grande partie des Français qui se déclarent favorables au quinquennat sont en réalité influencés par leur déception à l'égard de l'actuel Président. A tout prendre, pensent-ils sans doute, mieux vaut un quinquennat pour rien qu'un septennat pour rien. Et si on leur proposait un " biennat ", ils y seraient encore plus favorables. (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
Car les Français attendent du politique qu'il réalise le
" vivre ensemble " que l'on veut chaque jour effacer un peu plus de notre conscience collective au profit du communautarisme.
La mondialisation telle que certains la pratiquent et le village planétaire ne sont que les planches d'appel d'une exacerbation croissante des individualismes et des communautarismes, contraires, par nature, au principe de la France.
Si nous retirons aux Français leur dernier grand repère institutionnel, si nous leur proposons de calquer les rythmes de la vie politique sur les rythmes de la vie médiatique, c'est-à-dire sur les rythmes du monde, si nous leur donnons l'exemple du politique fuyant les charges qui lui sont confiés pour jouer avec son image et se soumettre aux modes passagères, alors je crains que nous ne parvenions plus jamais à réconcilier nos compatriotes avec la politique.
Ce que les Français attendent, mes chers collègues, c'est tout simplement que le Président de la République les consulte sur les grands sujets qui engagent leur avenir, celui de leurs enfants, celui de notre société. La sécurité, la famille, le maintien de notre monnaie nationale, l'immigration, l'école.
On peut en imaginer d'autres.
C'est sur ces sujets, et non pas sur des débats institutionnels dépourvus de tout caractère prioritaire, qui s'apparentent, à leurs yeux, à des débats internes au microcosme politique, tournant sur lui-même !
Or ces grandes réformes tant attendues ne peuvent se réaliser que dans la stabilité, favorisée par la durée.
Le septennat est indéniablement le temps institutionnel le plus propice à la France, tant à l'équilibre de ses institutions qu'à la mise en place des grandes réformes, qui nécessitent en effet un contexte particulier de durée et de sérénité pour prendre forme, réussir, c'est-à-dire pour désarmer les oppositions d'intérêt.
Le septennat est le temps institutionnel qui permet au Président de la République d'exercer avec hauteur son rôle d'arbitrage, à la bonne altitude, avec le plus d'autorité, dans la conduite des affaires internationales et aussi en cas de crise intérieure. Nous le savons, certaines expériences passées nous l'ont montré, en cas de non coïncidence des majorités, cette fonction arbitrale n'est pas dénuée d'importance.
En outre, la force symbolique contenue dans cette fonction arbitrale, qui place le chef de l'Etat au-dessus des partis, la durée dont il bénéficie et qui lui permet de se prévaloir de cette posture en surplomb, pâtiraient naturellement d'un raccourcissement du mandat présidentiel.
Le comité consultatif pour la révision de la Constitution l'a judicieusement écrit dans un rapport courageux remis au Président de la République : " La force symbolique que revêt la fonction arbitrale dans notre tradition nationale ne doit pas être sous-estimée. La supprimer risquerait de modifier si profondément la perception qu'ont les Français de la charge suprême que ce serait là porter une atteinte certaine à la réalité même de nos institutions. "
Enfin, je rappellerai que c'est une erreur de prétendre que le chef de l'Etat ne connaît pas, durant sept ans, de sanction à son action.
Les tenants de la thèse quinquennale semblent heurtés par ce qu'ils dénoncent comme une sorte de cumul - en temps normal - de l'autorité et de l'irresponsabilité.
Or non seulement le Président de la République peut recourir systématiquement au référendum de responsabilité en cours de mandat, mais les élections législatives, tous les cinq ans, sont l'occasion de confirmer ou d'infirmer ses orientations politiques.
Quand il mutile nos institutions, l'actuel Président de la République n'est que trop obéissant, hélas, à sa logique de sabordage de ce qui fit la Ve République, c'est-à-dire l'affirmation haut et clair du principe de souveraineté nationale. Par le suivisme diplomatique qui caractérise sa carrière - je pense à la réintégration dans l'OTAN, dont l'affaire du Kosovo fut la triste mise en scène - ou par le suivisme européen qu'il manifesta, en 1992, par son incroyable ralliement, contre son électorat, d'ailleurs, à la logique de Maastricht puis à celle d'Amsterdam, Jacques Chirac a jeté aux orties le souci de l'indépendance nationale.
Après avoir abandonné en matière de diplomatie et de monnaie, de politique de l'immigration, de souveraineté juridique et constitutionnelle - oeuvre du funeste traité d'Amsterdam -, il ne lui restait plus qu'à démolir les institutions, et c'est ce qu'il fait sous nos yeux aujourd'hui. Après avoir pillé ce bel édifice, feu la Ve République, il restait au cambrioleur en chef à jeter les clefs au ruisseau.
Comme il arrive parfois d'être happé par le vide, on ne peut finalement qu'être fasciné par une si parfaite continuité dans la faiblesse, dans la logique d'abandon et, à la fin des fins, dans la lâcheté.
Tel est le bilan de M. Jacques Chirac, et c'est bien pourquoi, une fois encore, une ultime fois, je demande solennellement aux gaullistes qui siègent dans cette assemblée, s'il en reste, je demande aux esprits sensés qui siègent dans cette assemblée, s'il en reste de dire non au quinquennat.
Non ! de la part des gaullistes, qui veulent préserver les institutions fondatrices de notre stabilité. Non ! de la part des esprits sensés, car nous allons dans une impasse.
Non ! Il faut rejeter dès à présent, sans attendre le référendum dont personne, du reste, ne peut encore certifier qu'il aura bien lieu -, ce projet de loi constitutionnelle, en approuvant l'exception d'irrecevabilité que j'ai l'honneur de vous présenter.
Le vrai problème institutionnel de la France, aujourd'hui, c'est que la Constitution est peu à peu vidée de son contenu.
La souveraineté française ressemble de plus en plus à un décor de façade. A quoi servirait-il d'élire un Président de la République pour cinq ans plutôt que sept, si la France devait être, demain, prisonnière d'un noyau dur fédéral, où l'Allemagne serait prépondérante ? A quoi servirait-il d'élire un président pour cinq ans plutôt que sept, si les autorités françaises se reconnaissaient impuissantes à influer en quoi que ce soit sur les conséquences du marché mondial sur la France ? Le quinquennat risque bien, hélas, mes chers collègues, de servir de paravent pour détourner l'attention des vrais problèmes, en particulier du vrai problème institutionnel.
C'est un effet pervers, peut-être voulu.
Le référendum éventuel sur le quinquennat servirait à esquiver le référendum nécessaire sur le futur traité de Nice, qui, d'après ce qui commence à se dessiner, va encore se traduire par un abandon supplémentaire de la liberté des Français à une Europe supranationale.
On peut aisément deviner que, demain, le Président de la République et le Gouvernement nous diront : " Pourquoi réclamez-vous donc un référendum sur le traité de Nice ? Vous venez d'en avoir un sur le quinquenant, sujet bien plus important ! "
Mais nous n'avons pas besoin d'un référendum sur le quinquennat, parce que nous n'avons pas besoin du quinquennat ! Au contraire, nous aurons besoin d'un référendum sur le traité de Nice, comme il en aurait fallu un sur le traité d'Amsterdam.
Mes chers collègues, il y a, en politique, une logique implacable de la stabilité. Mais il y a aussi une logique implacable de l'instabilité et du désordre. Tous les juristes, constitutionnalistes et philosophes du droit reconnaissent la pertinence de la formule de Bernanos : " Ce n'est pas nous qui tenons la règle, c'est la règle qui nous tient. " Ce ne sont pas les hommes qui font les institutions, ce sont les institutions qui font les hommes.
Les institutions de la Ve République ont pour objectif simple mais fondamental de sauvegarder l'intérêt supérieur de la nation vis-à-vis des féodalités, à l'intérieur - féodalités de l'argent, féodalités locales, féodalité s partisanes -, mais aussi son indépendance vis-à-vis des puissances extérieures.
La Ve République ne fut conçue ainsi que pour permettre à la France de sortir du suivisme atlantique dans lequel l'a maintenue, douze ans durant, de 1946 à 1958, une succession de gouvernements, à ce point inaccessibles aux grandes choses, c'est-à-dire à l'affirmation d'une politique française qui brillât de quelque éclat dans le monde, qu'ils étaient condamnés à suivre la puissance du jour, Washington. Les hommes n'étaient ni pires ni meilleurs qu'aujourd'hui. La logique des institutions de l'époque les portait à la soumission.
La Ve République et sa clé de voûte, le Président de la République, sont incompréhensibles sans la volonté de l'indépendance nationale, dont la restauration fut voulue par les fondateurs de la Ve République. L'enjeu de cette réforme est donc simple ; le retour à la IVe , souhaité par beaucoup d'entre vous ; le retour à un système de partis, qui se jouent de la France et se moquent des Français.
Et derrière cet enjeu, il me semble qu'il y a un message envoyé par les Français aux hommes politiques : " Attaquez-vous à nos problèmes ! Ne touchez pas à ce qui marche, à ce qui marche encore ! "
" Réformez, réparez, retouchez ce qui ne marche pas en France. Ce qui nous intéresse, pour nous et pour nos enfants, ce n'est pas la durée de vos mandats, c'est la durée de la France, sa survie. "
La question n'est plus de savoir si les hommes politiques sont renouvelables, mais si la France millénaire est encore renouvelable, si elle survivra en tant que communauté humaine, en tant que nation, en tant que prototype de l'Etat-nation, c'est-à-dire en tant que projet, en tant qu'oeuvre de paix nécessaire à l'ordre du monde. Bref, si la France est une exception dans l'histoire, s'il doit y avoir encore une exception française, si vous croyez à cette exception, vous voterez cette motion d'irrecevabilité, parce que l'abaissement de la France et le désordre institutionnel sont des propositions inacceptables, et par conséquent irrecevables.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 22 mai 2002)
On se demande, après avoir entendu Jacques Chirac il y a quelques jours proposer le quinquennat, ce qu'a bien pu vouloir dire le Président de la République lorsqu'il a prétendu qu'il n'entendait pas modifier la Constitution.
Le Président Chirac aura, en effet, présidé à six modifications de la Constitution, soit presque autant, en cinq ans, que ses quatre prédécesseurs au cours des trente-quatre années précédentes, choisissant ainsi de nous faire vivre dans un état d'instabilité constitutionnelle tout à fait inédit depuis le début de la Ve République.
La Constitution de 1958 malmenée, ses principes fondamentaux bafoués, il ne restait plus qu'à brûler notre texte constitutionnel au bûcher des vanités d'une fausse modernité !
Après avoir abdiqué notre souveraineté, voilà qu'on s'attaque au souverain, garant de l'intégrité territoriale et du bon fonctionnement des pouvoirs publics.
En effet, après avoir transféré notre souveraineté monétaire avec le traité de Maastricht, puis notre souveraineté législative avec le traité d'Amsterdam, on nous propose de porter directement atteinte à l'autorité de l'Etat. En d'autres termes, après avoir démoli l'édifice, on piétine la clé de voûte !
Cette logique est indéniablement celle de ceux qui ne croient plus en la souveraineté nationale et qui ont cessé de croire en la France, la France, la nation devenues pour ceux-là des mots tabous, gênants, honteux, auxquels il est de meilleur ton de préférer aujourd'hui ceux d'Europe, de fédéralisme et de mondialisation.
Après avoir spolié le peuple français des attributs de la souveraineté qu'il avait confiés à la représentation nationale au nom de la Constitution et en vertu de l'élection, nous, les représentants du peuple, allons cette fois-ci lui demander, sous couvert de modernité, le régime qu'il incarne au profit d'un système plus apte à se fondre dans l'architecture fédéraliste de l'Union européenne.
Les tenants de cette eurocratie veulent en effet en finir avec nos singularités. D'ailleurs, vous l'avez dit tout à l'heure, madame la garde des sceaux, nous sommes les seuls à être dans la situation où nous sommes, il faut donc nous aligner sur les autres. Assez des singularités françaises, assez des singularités culturelles, scientifiques, sanitaires, économiques, monétaires, et, aujourd'hui, assez des singularités institutionnelles.
La réforme qui nous est proposée bouleverse - je dis bien bouleverse - tout l'équilibre de nos institutions, et cela pour trois raisons, trois raisons au moins, car il faudrait compter par avance celles que la pratique pourrait révéler au fil de cette grande dérive intellectuelle et politique : d'abord, elle porte atteinte au principe cardinal qui inspire la fonction, c'est-à-dire la durée ; ensuite, le Président de la République se trouve ainsi ravalé au rang de Premier ministre ; et, enfin, si l'on veut que cette réforme atteigne son objectif, à savoir éliminer les risques de cohabitation, il faut alors supprimer l'une des armes qui permet au chef de l'Etat d'assurer sa fonction d'arbitre suprême, à savoir le droit de dissolution.
Je reprendrai ces trois points, dont chacun me paraît d'une importance capitale quant
à la logique, je dirai même la philosophie de la Ve République,
Mais, avant de les développer, je voudrais redire que le filigrane de nos institutions me semble être l'idée d'assurer l'autorité du bien commun, la respublica, par rapport aux intérêts particuliers et aux féodalités de toute nature et à leur encontre, et face aux empires extérieurs et à ces modernes empires cachés derrière le concept assez fumeux de mondialisation, les hégémonies modernes.
En France, faire prévaloir l'autorité du bien commun ne fut jamais chose facile, tout simplement parce que la France n'a pas d'unité naturelle. A la différence, par exemple, de la Grande-Bretagne ou du continent nord-américain, ou même de l'Allemagne, fondée sur le concept de Volk, elle ne peut trouver d'unité que politique, je dirai même par la politique, et, plus précisément encore, par le rassemblement de son peuple, dans la très grande diversité de ses composantes, autour d'un Etat qui porte un bien supérieur, seul capable de dépasser des divisions sans cesse renaissantes. Pour cela, il faut que l'Etat soit représenté, figuré, par un arbitre incontestable, impartial, au-dessus de la mêlée, incarnant l'Etat au sens précis du verbe incarner, et dont, disait Périclès, le visage tranche.
C'est le principe fondamental de notre constitution que d'assurer la prééminence de l'autorité de l'Etat, expression d'une nation selon les deux principes d'indivisibilité pour ce qui est des affaires intérieures et de souveraineté pour ce qui est des affaires extérieures.
Ce principe d'autorité est incarné par un arbitre incontestable, et cet arbitre, c'est le Président de la République.
Certains, sur ces bancs, devraient se souvenir de ce qu'écrivit un homme peu suspect de vouloir instaurer le pouvoir personnel, Léon Blum, dans un court ouvrage qu'il écrivit en captivité, en 1941 : A l'échelle humaine.
Léon Blum y constatait que, si la France roula au désastre en 1940, c'est à cause " d'institutions trop chétives, incapables d'assurer assez de stabilité et de continuité du pouvoir pour mener une politique à laquelle le peuple puisse clairement s'identifier. "
On a souvent dit, à mon avis à juste titre, que de Gaulle, à Bayeux, n'a fait que reprendre, du moins pour l'essentiel, le raisonnement que Blum tenait dans cet ouvrage, qui semble préfigurer ce que sera, une quinzaine d'années plus tard, la Ve République.
Ainsi, par delà les clivages traditionnels tout à fait légitimes qui peuvent exister dans cet hémicycle, il semble bien que toutes les traditions françaises républicaines se retrouvent sur la nécessité de placer à la tête de l'Etat un arbitre, et de lui donner tous les attributs de la continuité et de l'impartialité, afin de lui permettre précisément d'exercer cette fonction arbitrale, sans laquelle l'Etat perd sa légitimité qui l'autorise à exercer la contrainte.
Cela, c'est notre histoire qui nous le dicte, et, je le répète, la complexion même de la France, un pays dont la politique doit toujours parvenir à faire de la diversité naturelle une unité politique.
Ce problème n'est pas nécessairement transposable ailleurs. A chacun son histoire. Et je n'ai jamais trouvé, personnellement, même en entendant tout à l'heure Mme Guigou, que l'on éclairait le débat constitutionnel en faisant référence à des modèles étrangers, qui sont toujours les mêmes, le modèle parlementaire britannique ou le modèle présidentiel américain.
Comme celui de la Ve République, ces modèles ne se comprennent que par l'histoire des peuples qui les ont adoptés.
Le modèle présidentiel, qui n'existe à proprement parler qu'aux Etats-Unis, est l'héritage d'une situation où les délégués des Etats confédérés, réunis dans un congrès, devaient cohabiter avec un président, non de la République, mais de la fédération des Etats-Unis, qui fut d'abord George Washington. D'ailleurs, ce système présidentiel, que beaucoup décrivent comme adaptable à la France, convient précisément à un système fédéral, qui a peu de rapport avec l'Etat-nation à la française.
Quant au système parlementaire britannique, il ne se comprend que dans un cadre bien défini, avec une unité bien définie, laquelle est acquise par principe, et même par nature, grâce à l'insularité, et aussi par la présence de la couronne, laquelle incarne la continuité, la pérennité, l'unité du Royaume-Uni.
Si les constituants de 1958 ont choisi ce qu'on a appelé la " monarchie républicaine " - je crois que l'expression est de Georges Vedel -, c'est précisément parce qu'ils ont écarté à la fois la formule fédérale à l'américaine, le parlementarisme à l'anglaise et l'anarchie vécue sous la IVe République, c'est-à-dire une absence de pouvoir, le pouvoir étant disséminé partout. C'est d'ailleurs l'essence, le ressort de la Ve République telle que l'a voulue le général de Gaulle,
Et c'est précisément ce que propose de détruire l'actuel Président de la République, héritier ô combien infidèle à la figure dont il prétend s'inspirer,... ... en sapant les trois attributs cardinaux de la fonction présidentielle : la durée, la suprématie, la fonction arbitrale.
En face des risques que fait courir cette réforme hasardeuse, les arguments avancés par le Président de la République et le Premier ministre, ainsi que par les partisans du quinquennat, paraissent bien faibles.
J'ai beau les écouter, relire leurs interventions, j'ai entendu tout à l'heure Mme la garde des sceaux, je ne trouve aucun argument véritable, juridique ou politique, qui assoie le quinquennat.
On n'entend plus qu'un mot autour de nous, "la modernité ".
Le quinquennat, alors, serait moderne. Quel bel argument!
Ce mot, a été, inventé par Baudelaire, qui l'appliquait aux défilés de mode.
La vraie modernité, n'est pas une affaire de mode, encore moins un slogan, c'est l'adaptation d'un ordre à une nécessité. A cet égard, je voudrais dire avec force et tranquillité qu'une réforme institutionnelle ne doit rien à des arguments de circonstance. Elle ne peut et elle ne doit répondre à des mouvements d'humeur, à des calculs personnels, à des querelles d'ambition nourries par une classe politique qui ne parvient plus à se renouveler et qui, pour se rajeunir, ne trouve qu'à bouleverser l'ordre institutionnel à l'abri duquel elle étale son insignifiance.
La réforme de nos institutions ne peut et ne doit pas être le prétexte à des règlements de comptes ou à une surenchère politicienne démagogique.
Elle ne devrait surtout pas être le miroir de projections biologiques personnelles.
Je comprends, disais-je, que, si une majorité d'entre nous en est arrivée à ce stade, si une majorité d'entre nous confond parfois l'intérêt suprême de la nation avec ses propres intérêts du moment, si une majorité d'entre nous confond la stabilité nationale garantie par des institutions en lien avec notre histoire et notre culture avec sa propre réélection ou son élection, la majorité de nos compatriotes se désintéressent totalement de la vie politique et se détournent des urnes.
La vraie réforme moderne serait de redonner aux Français les moyens de leur souveraineté.
Cette réforme-là est indépendante du quinquennat car la vraie question est la suivante : à quoi servirait-il donc d'élire tous les cinq ans un Président de la République qui n'aurait plus de pouvoirs ? La modernité, c'est un argument d'apprenti intellectuel en mal d'inspiration, et il ne faut d'ailleurs pas être mieux inspiré pour justifier pareillement cette réforme par l'accélération du temps que nous vivons au quotidien.
Il y a d'autant moins de lien entre la vitesse du TGV, Internet, l'économie de marché et la durée d'un mandat présidentiel que notre nation a su s'insérer dans ce mouvement d'échanges intercontinentaux parce qu'elle a précisément pour elle la stabilité, parce qu'elle a avec elle le temps.
Le rôle et la fonction du Président de la République ne peuvent pas être de nature circonstancielle.
Le Président de la République incarne, à son corps défendant parfois, l'unité nationale, la durée et la stabilité. Il doit être au-dessus de la mêlée et il se doit de prendre en toutes circonstances le recul nécessaire à ses jugements pour le bien commun.
Il ne doit pas participer aux querelles des partis, il ne doit pas s'inscrire dans des courses qui brouillent toute vision, toute perspective.
Bien au contraire, il a le devoir de se tenir en juste retrait et de regarder fixement la ligne d'horizon que son poste élevé devrait lui permettre mieux que quiconque d'observer.
Il y a quelque sagesse dans la fonction présidentielle telle que notre Constitution l'a définie, Une sagesse qui s'exerce dans et avec la durée.
C'est avec cette même intention - je vais vous faire bondir que nos collègues sénateurs sont élus pour neuf ans à l'instar des juges du Conseil constitutionnel, parce que neuf ans, pour comprendre pratiquement et sereinement tout l'esprit et toute la portée de nos institutions.
On ne peut pas tout ramener, dans un pays, au même temps, à la même unité de temps.
La mode du zapping ne s'impose pas à nos institutions.
Cette réforme, elle est inutile, elle est dangereuse, mais d'abord elle est inopportune.
Le moment ne semble pas bon, parce que pendant qu'on parlera du quinquennat, on ne parlera pas du reste.
Et le reste, c'est quoi ? C'est tout simplement les six mois de présidence française de l'Union européenne. Le débat national qui va mobiliser dans les six mois à venir la classe politique tout entière, nos médias et, par ricochet, l'opinion publique - si tant est qu'on puisse l'y intéresser - rendra inaudible toute parole sur l'action de la France à la tête des Quinze, éclipsera tout débat sur les mesures qui seront prises durant ces six mois. Je pense tout particulièrement, quoi qu'on puisse en penser par ailleurs, à la mise en place de la monnaie unique, à la charte européenne des droits fondamentaux et à la réforme des institutions de l'Union européenne.
Ainsi, un débat peut-il en cacher un autre, en occulter un autre.
Cette réforme est motivée par des raisons sans lien avec l'intérêt général,
nous voilà engagés en pleine aventure institutionnelle. Après la dissolution de convenance, le quinquennat d'opportunité.
Il s'agit d'une aventure institutionnelle délibérée, qui vise à servir des intérêts personnels de réélection. On fait d'une affaire institutionnelle une affaire politicienne. Et l'on voit, en masse, des leaders politiques se soumettre, finalement contre leur gré, à l'idée du quinquennat. Pourquoi ? Tout simplement pour ne pas déplaire. Pour ne pas déplaire à ceux qui sont les grands leaders, et qui distribueront le jour venu les portefeuilles et les investitures.
C'est une lamentable et désastreuse logique, qui fut celle déjà, il n'est pas bien difficile de s'en souvenir, de Maastricht.
La vraie question aujourd'hui pour les Français, et pour chacun d'entre nous, n'est pas : un mandat pour combien de temps ? Elle est : un mandat, pour quoi faire ?
Un jour viendra, je le dis en conscience et sans esprit polémique, où les Français demanderont à l'actuel Président de la République : qu'avez-vous fait de votre septennat ? Réponse : j'ai dissous.
Il a tout dissous : dissolution du creuset civique du service national, dissolution de sa majorité, dissolution de notre souveraineté monétaire, dissolution de notre souveraineté législative, dissolution de nos institutions. C'était la dernière, celle qui manquait.
Celle de M. Chirac sur le quinquennat rappelle étrangement celle qu'il avait faite pour annoncer la dissolution, elle était fondée sur la même évidence paradoxale à partir d'un raisonnement tellement subtil qu'il a perdu en route les Français. Le syllogisme est à peu près le suivant : ma majorité est trop importante ; je décide de la dissoudre ; donnez-moi une majorité moins importante pour mieux gouverner.
Parallélisme des formes pour le quinquennat, pour celui qui n'aurait rien compris : sept ans, c'est trop long, il faut donc passer à cinq ans pour que je puisse faire dix ans.
En d'autres termes, j'aurai plus de soutien si j'ai moins de députés pour me soutenir c'était en 1997 ; ou encore, aujourd'hui : avec un mandat plus court, je pourrai faire un mandat plus long.
Il n'est pas impossible, que l'histoire aventureuse du quinquennat trouve le même épilogue que le coup de la dissolution.
En élisant le chef de l'Etat pour cinq ans au lieu de sept, nous allons rompre un équilibre institutionnel bien établi et entraîner notre pays dans les abîmes trop connus de l'instabilité et du régime des partis.
Il faut cesser de faire croire le contraire aux Français, comme trop d'entre nous l'ont fait au moment de Maastricht et d'Amsterdam. Il faut cesser de faire croire aux Français que cette réforme ne changera rien à l'équilibre de nos institutions.
Le quinquennat aura des conséquences très graves pour l'avenir de notre pays. Je le dis haut et fort aux Français, qu'on soit ou non d'accord, il faut savoir que le quinquennat modifiera en profondeur la pratique démocratique de notre pays. Et il ne la modifiera pas dans le bon sens, loin s'en faut.
On dit à nos concitoyens que le quinquennat est sans danger - c'est ce qu'a affirmé Jacques Chirac à la télévision - mais nul ne leur explique les tenants et les aboutissants d'une réforme bâtarde, qui met fin à l'harmonie architecturale de notre Constitution sans proposer de nouveaux modèles. Nous voilà au milieu du gué. Ce fameux " quinquennat sec ", comme il est devenu d'usage de le nommer, c'est-à-dire sans autre réforme concomittante que la modification de la durée du mandat du Président de la République, est un grain de sable dans la mécanique institutionnelle de notre pays et une réforme hypocrite qui n'ose pas avouer son objet : l'instauration du régime présidentiel.
Le quinquennat est une réforme gigogne, calquée sur le modèle des poupées russes. Aujourd'hui, on ouvre une boîte : le quinquennat sec. Demain, ce sera le retrait du droit de dissolution pour le Président de la République. Après-demain, ce sera la suppression du Premier ministre.
En fin de compte, quelles seraient, très concrètement, les conséquences immédiates du quinquennat sec ? D'abord, et à l'évidence, c'est l'arme de la durée que l'on écorne en ramenant le mandat de sept à cinq ans.
Cette séquence quinquennale ramène le mandat présidentiel à un mandat classique d'élu local. ou d'élu parlementaire. Nous savons tous - parlementaires, présidents de conseils généraux, maires, présidents de structures intercommunales - que la première année est une année de rodage, peu propice aux grandes entreprises, et que la dernière année, pour ne pas dire les deux dernières années, sont presque exclusivement accaparées par les grandes ou les petites nécessités de la réélection.
Bref, le quinquennat, c'est deux ou trois ans de présidence effective.
Etes-vous sûrs que c'est ce que veulent les Français ? Etes-vous sûrs de vouloir faire du Président de la République un " super député " dont la circonscription serait le territoire national ? Je n'en suis pas sûr ! C'est en tout cas exactement contraire au sens, à l'exigence de la Ve République.
La réduction du mandat du Président de la République comporte le risque non seulement de la banalisation de son élection, ramenée au rythme électoral de l'Assemblée nationale, mais aussi un risque plus important encore - même si cela peut faire sourire certains d'entre nous -, celui de l'abaissement symbolique de son autorité, qui, en cas de crise, peut s'avérer très grave.
Je sais bien que dans leur passion de détruire l'Etat, qui est moderne, bien des hommes politiques, bien des hommes de parti, bien des thuriféraires d'un nouveau système qui effacerait l'Etat-nation au bénéfice de l'Europe ou des régions, ne rêvent précisément que de décapiter l'Etat une nouvelle fois en le privant de son sommet.
Ils savent ce qu'ils font, ils savent que toutes les grandes entreprises - Vergennes l'a montré en matière diplomatique, comme Colbert ou de Gaulle l'ont montré pour ce qui est des grandes réformes économiques notamment ont besoin de temps.
Il n'y a pas de vrai pouvoir en dehors de la durée, pas de pouvoir au sens où la politique est participation à l'Histoire. L'Histoire, cela tombe sous le sens, requiert en effet des rythmes absolument irréductibles aux petits rythmes de la politique dans ce qu'elle a de plus quotidien, cette politique à la petite semaine qui fait tellement l'affaire des politiciens, car ils savent que plus aucun pouvoir suprême assuré de durer ne les regarde, ne les juge, ne les rappelle à l'ordre de l'intérêt supérieur de la nation.
Mais l'on voit bien ici la seconde raison de notre opposition au raccourcissement du mandat présidentiel : il supprime le sommet de l'Etat, qui devient comme une pyramide privée de son faîte, l'hôte de l'Elysée n'étant qu'une sorte de second Premier ministre, c'est-à-dire en somme le chef de la majorité parlementaire, pour ne pas dire le chef d'un parti. En sorte que la logique du quinquennat voudrait - et l'on y arrivera - que l'on supprime purement et simplement le Premier ministre, car elle perd de vue la distinction que la Ve République a opérée entre ces deux pouvoirs : d'un côté, à l'Elysée, un pouvoir stable, et de l'autre, à Matignon, un pouvoir plus éphémère, reflétant la majorité parlementaire, avec les aléas que cela comporte, y compris les caprices de l'opinion.
Le président de la République devenu Premier ministre ou second Premier ministre, je vous laisse déterminer ce que sera alors l'équilibre de nos institutions et leur cohérence.
Le quinquennat agira sur nos institutions conformément au principe de la théorie des dominos, l'un entraînant l'autre dans sa chute. Il aboutira rapidement à un régime dans lequel le Premier ministre n'aura plus vraiment de rôle et où le Président se retrouvera le chef de la majorité parlementaire.
On parle de régime présidentiel. Ce peut être la visée de cette réforme, mais c'est sans doute aussi et plus sûrement encore vers le régime parlementaire qu'elle va nous conduire.
Le quinquennat ramènera la France au régime des partis et de l'Etat partisan qu'elle a dénoncé et fui en 1958.
Le général de Gaulle, le 31 janvier 1964, soulevait directement cette question en affirmant ceci : " Parce que la France est ce qu'elle est, il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérant le caractère et abrégeant la durée de sa fonction de chef de l'Etat. "
Observons d'ailleurs en passant que, pendant les vingt-cinq premières années de la Ve République, les Premiers ministres disposaient eux-mêmes d'une durée de quatre ou cinq ans Ce fut le cas de Michel Debré, de Raymond Barre, de Georges Pompidou, qui a dirigé le gouvernement pendant cinq ans et demi.
Quant au Premier ministre actuel, on pourrait lui poser cette question :
" Monsieur le Premier ministre, ne prétendez-vous pas être Premier ministre pendant cinq ans ? " Il répondrait oui. Cela veut dire simplement que le quinquennat, ou le quadriennat, est à Matignon, mais pas à l'Elysée. Et c'est bien ainsi puisqu'il y a deux durées : l'une pour l'éphémère, pour le quotidien, pour le Gouvernement ; et l'autre pour le Président, c'est-à-dire pour l'arbitre.
La troisième raison de mon opposition, qui est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Non seulement le quinquennat rate son objectif consistant à écarter les risques de cohabitation - ce qui suffit d'ailleurs à disqualifier cette réforme, car désormais toute dissolution est interdite au chef de l'Etat puisqu'elle aboutirait à ce que les élections législatives et présidentielles soient de nouveau désynchronisées -, mais plus profondément, c'est l'impartialité, c'est la fonction d'arbitrage attachées à la fonction suprême qui disparaissent avec l'abandon, ou du moins l'obsolescence pratique, du droit de dissolution.
Armé de ce droit, le Président de la République garde un moyen de dénouer toute crise. Et lorsque Jacques Chirac l'a utilisé à contretemps voici trois ans - sans qu'aucune raison ne puisse être invoquée si ce n'est les intérêts de son parti ou de son camp -, il a bien montré à quel point cette fonction suprême, cette fonction arbitrale, cette fonction impartiale lui était inaccessible, a vouant ainsi son incompréhension totale de la Ve République.
Par cette réforme, qui bouleverse l'équilibre constitutionnel de la Ve République, Jacques Chirac va au bout de son ignorance ou de son mépris de ce qui constitue la philosophie propre du gaullisme.
Or, avec la disparition programmée du droit de dissolution, nous allons au-devant de blocages lourds pour l'avenir, car le risque de cohabitation ne disparaîtra pas avec le quinquennat.
On ne retrouve pas la cohérence entre majorité présidentielle et majorité parlementaire simplement parce que l'on change la durée d'un mandat. C'est tout bonnement tricher avec la souveraineté populaire que d'oser tenir de tels propos.
C'est au peuple, et à lui seul, qu'il appartient de décider, de sanctionner. Si demain le quinquennat entre en vigueur, rien, absolument rien, ne nous permet d'affirmer que ne sortira pas des urnes une majorité parlementaire hostile au Président de la République. Rien non plus ne nous permet d'affirmer que les deux mandats - présidentiel et législatif - continueront de coïncider.
Dans ce cas, la France serait plongée dans une situation de campagne électorale permanente.
Les Français attendent d'autres réformes, et, s'il y a lieu, d'autres consultations référendaires qu'institutionnelles pour notre pays et pour leur avenir.
Je ne crois pas que la réponse à la désaffection des Français pour la politique réside dans le quinquennat ou dans toute autre réforme institutionnelle.
Les taux d'abstention diminuent-ils ? Non ! Au contraire ils croissent à chaque nouvelle élection ! Ces taux d'abstention ne sont pas liés à la nature de nos institutions, mais directement aux gouvernants et à la déception qu'ils provoquent et nourrissent chez les Français. Ce n'est pas la machine qui est mauvaise, c'est plutôt l'ouvrier qui ne sait pas s'en servir.
Il faut désormais renouer le pacte avec les Français ; ce n'est pas en bradant nos institutions - ou ce qu'il en reste - et notre souveraineté que nous y parviendrons.
En réalité, le quinquennat n'est pas du tout une priorité aux yeux des Français.
Si une grosse majorité de nos concitoyens - de l'ordre de 80 % d'entre eux, nous dit-on - semble à ce jour préférer le quinquennat au septennat, la participation à un éventuel référendum serait très faible : 36 % environ. Seuls 4 % des Français considèrent cette réforme comme une priorité.
Ce sondage appelle au moins deux réflexions.
D'abord, on constate qu'un clivage inquiétant se dessine entre les Français et la classe politique.
Alors que, pour les Français, les priorités de l'heure sont la sécurité et le chômage, notamment, ils ont vu la classe politique tout entière, ou presque tout entière, se jeter avec ardeur et dans un consensus troublant dans la bataille du quinquennat. Une fois de plus, les Français vont dire que les hommes politiques s'occupent de ce qui les amusent, de ce qui amuse les médias, ou des derniers sujets sur lesquels ils peuvent donner l'impression d'avoir du pouvoir, mais pas des problèmes concrets.
Deuxième réflexion : le pourcentage élevé des Français favorables au quinquennat est en fait largement pollué, faussé par les jugements personnels inexprimés envers le Président de la République actuel - ou celui qui pourrait lui succéder. S'il avait mené une bonne politique depuis son élection, le pourcentage favorable serait-il aussi élevé ? Peut-être les Français se prononceraient-ils en faveur d'un deuxième septennat ?
Il est fort probable qu'une grande partie des Français qui se déclarent favorables au quinquennat sont en réalité influencés par leur déception à l'égard de l'actuel Président. A tout prendre, pensent-ils sans doute, mieux vaut un quinquennat pour rien qu'un septennat pour rien. Et si on leur proposait un " biennat ", ils y seraient encore plus favorables. (Rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)
Car les Français attendent du politique qu'il réalise le
" vivre ensemble " que l'on veut chaque jour effacer un peu plus de notre conscience collective au profit du communautarisme.
La mondialisation telle que certains la pratiquent et le village planétaire ne sont que les planches d'appel d'une exacerbation croissante des individualismes et des communautarismes, contraires, par nature, au principe de la France.
Si nous retirons aux Français leur dernier grand repère institutionnel, si nous leur proposons de calquer les rythmes de la vie politique sur les rythmes de la vie médiatique, c'est-à-dire sur les rythmes du monde, si nous leur donnons l'exemple du politique fuyant les charges qui lui sont confiés pour jouer avec son image et se soumettre aux modes passagères, alors je crains que nous ne parvenions plus jamais à réconcilier nos compatriotes avec la politique.
Ce que les Français attendent, mes chers collègues, c'est tout simplement que le Président de la République les consulte sur les grands sujets qui engagent leur avenir, celui de leurs enfants, celui de notre société. La sécurité, la famille, le maintien de notre monnaie nationale, l'immigration, l'école.
On peut en imaginer d'autres.
C'est sur ces sujets, et non pas sur des débats institutionnels dépourvus de tout caractère prioritaire, qui s'apparentent, à leurs yeux, à des débats internes au microcosme politique, tournant sur lui-même !
Or ces grandes réformes tant attendues ne peuvent se réaliser que dans la stabilité, favorisée par la durée.
Le septennat est indéniablement le temps institutionnel le plus propice à la France, tant à l'équilibre de ses institutions qu'à la mise en place des grandes réformes, qui nécessitent en effet un contexte particulier de durée et de sérénité pour prendre forme, réussir, c'est-à-dire pour désarmer les oppositions d'intérêt.
Le septennat est le temps institutionnel qui permet au Président de la République d'exercer avec hauteur son rôle d'arbitrage, à la bonne altitude, avec le plus d'autorité, dans la conduite des affaires internationales et aussi en cas de crise intérieure. Nous le savons, certaines expériences passées nous l'ont montré, en cas de non coïncidence des majorités, cette fonction arbitrale n'est pas dénuée d'importance.
En outre, la force symbolique contenue dans cette fonction arbitrale, qui place le chef de l'Etat au-dessus des partis, la durée dont il bénéficie et qui lui permet de se prévaloir de cette posture en surplomb, pâtiraient naturellement d'un raccourcissement du mandat présidentiel.
Le comité consultatif pour la révision de la Constitution l'a judicieusement écrit dans un rapport courageux remis au Président de la République : " La force symbolique que revêt la fonction arbitrale dans notre tradition nationale ne doit pas être sous-estimée. La supprimer risquerait de modifier si profondément la perception qu'ont les Français de la charge suprême que ce serait là porter une atteinte certaine à la réalité même de nos institutions. "
Enfin, je rappellerai que c'est une erreur de prétendre que le chef de l'Etat ne connaît pas, durant sept ans, de sanction à son action.
Les tenants de la thèse quinquennale semblent heurtés par ce qu'ils dénoncent comme une sorte de cumul - en temps normal - de l'autorité et de l'irresponsabilité.
Or non seulement le Président de la République peut recourir systématiquement au référendum de responsabilité en cours de mandat, mais les élections législatives, tous les cinq ans, sont l'occasion de confirmer ou d'infirmer ses orientations politiques.
Quand il mutile nos institutions, l'actuel Président de la République n'est que trop obéissant, hélas, à sa logique de sabordage de ce qui fit la Ve République, c'est-à-dire l'affirmation haut et clair du principe de souveraineté nationale. Par le suivisme diplomatique qui caractérise sa carrière - je pense à la réintégration dans l'OTAN, dont l'affaire du Kosovo fut la triste mise en scène - ou par le suivisme européen qu'il manifesta, en 1992, par son incroyable ralliement, contre son électorat, d'ailleurs, à la logique de Maastricht puis à celle d'Amsterdam, Jacques Chirac a jeté aux orties le souci de l'indépendance nationale.
Après avoir abandonné en matière de diplomatie et de monnaie, de politique de l'immigration, de souveraineté juridique et constitutionnelle - oeuvre du funeste traité d'Amsterdam -, il ne lui restait plus qu'à démolir les institutions, et c'est ce qu'il fait sous nos yeux aujourd'hui. Après avoir pillé ce bel édifice, feu la Ve République, il restait au cambrioleur en chef à jeter les clefs au ruisseau.
Comme il arrive parfois d'être happé par le vide, on ne peut finalement qu'être fasciné par une si parfaite continuité dans la faiblesse, dans la logique d'abandon et, à la fin des fins, dans la lâcheté.
Tel est le bilan de M. Jacques Chirac, et c'est bien pourquoi, une fois encore, une ultime fois, je demande solennellement aux gaullistes qui siègent dans cette assemblée, s'il en reste, je demande aux esprits sensés qui siègent dans cette assemblée, s'il en reste de dire non au quinquennat.
Non ! de la part des gaullistes, qui veulent préserver les institutions fondatrices de notre stabilité. Non ! de la part des esprits sensés, car nous allons dans une impasse.
Non ! Il faut rejeter dès à présent, sans attendre le référendum dont personne, du reste, ne peut encore certifier qu'il aura bien lieu -, ce projet de loi constitutionnelle, en approuvant l'exception d'irrecevabilité que j'ai l'honneur de vous présenter.
Le vrai problème institutionnel de la France, aujourd'hui, c'est que la Constitution est peu à peu vidée de son contenu.
La souveraineté française ressemble de plus en plus à un décor de façade. A quoi servirait-il d'élire un Président de la République pour cinq ans plutôt que sept, si la France devait être, demain, prisonnière d'un noyau dur fédéral, où l'Allemagne serait prépondérante ? A quoi servirait-il d'élire un président pour cinq ans plutôt que sept, si les autorités françaises se reconnaissaient impuissantes à influer en quoi que ce soit sur les conséquences du marché mondial sur la France ? Le quinquennat risque bien, hélas, mes chers collègues, de servir de paravent pour détourner l'attention des vrais problèmes, en particulier du vrai problème institutionnel.
C'est un effet pervers, peut-être voulu.
Le référendum éventuel sur le quinquennat servirait à esquiver le référendum nécessaire sur le futur traité de Nice, qui, d'après ce qui commence à se dessiner, va encore se traduire par un abandon supplémentaire de la liberté des Français à une Europe supranationale.
On peut aisément deviner que, demain, le Président de la République et le Gouvernement nous diront : " Pourquoi réclamez-vous donc un référendum sur le traité de Nice ? Vous venez d'en avoir un sur le quinquenant, sujet bien plus important ! "
Mais nous n'avons pas besoin d'un référendum sur le quinquennat, parce que nous n'avons pas besoin du quinquennat ! Au contraire, nous aurons besoin d'un référendum sur le traité de Nice, comme il en aurait fallu un sur le traité d'Amsterdam.
Mes chers collègues, il y a, en politique, une logique implacable de la stabilité. Mais il y a aussi une logique implacable de l'instabilité et du désordre. Tous les juristes, constitutionnalistes et philosophes du droit reconnaissent la pertinence de la formule de Bernanos : " Ce n'est pas nous qui tenons la règle, c'est la règle qui nous tient. " Ce ne sont pas les hommes qui font les institutions, ce sont les institutions qui font les hommes.
Les institutions de la Ve République ont pour objectif simple mais fondamental de sauvegarder l'intérêt supérieur de la nation vis-à-vis des féodalités, à l'intérieur - féodalités de l'argent, féodalités locales, féodalité s partisanes -, mais aussi son indépendance vis-à-vis des puissances extérieures.
La Ve République ne fut conçue ainsi que pour permettre à la France de sortir du suivisme atlantique dans lequel l'a maintenue, douze ans durant, de 1946 à 1958, une succession de gouvernements, à ce point inaccessibles aux grandes choses, c'est-à-dire à l'affirmation d'une politique française qui brillât de quelque éclat dans le monde, qu'ils étaient condamnés à suivre la puissance du jour, Washington. Les hommes n'étaient ni pires ni meilleurs qu'aujourd'hui. La logique des institutions de l'époque les portait à la soumission.
La Ve République et sa clé de voûte, le Président de la République, sont incompréhensibles sans la volonté de l'indépendance nationale, dont la restauration fut voulue par les fondateurs de la Ve République. L'enjeu de cette réforme est donc simple ; le retour à la IVe , souhaité par beaucoup d'entre vous ; le retour à un système de partis, qui se jouent de la France et se moquent des Français.
Et derrière cet enjeu, il me semble qu'il y a un message envoyé par les Français aux hommes politiques : " Attaquez-vous à nos problèmes ! Ne touchez pas à ce qui marche, à ce qui marche encore ! "
" Réformez, réparez, retouchez ce qui ne marche pas en France. Ce qui nous intéresse, pour nous et pour nos enfants, ce n'est pas la durée de vos mandats, c'est la durée de la France, sa survie. "
La question n'est plus de savoir si les hommes politiques sont renouvelables, mais si la France millénaire est encore renouvelable, si elle survivra en tant que communauté humaine, en tant que nation, en tant que prototype de l'Etat-nation, c'est-à-dire en tant que projet, en tant qu'oeuvre de paix nécessaire à l'ordre du monde. Bref, si la France est une exception dans l'histoire, s'il doit y avoir encore une exception française, si vous croyez à cette exception, vous voterez cette motion d'irrecevabilité, parce que l'abaissement de la France et le désordre institutionnel sont des propositions inacceptables, et par conséquent irrecevables.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 22 mai 2002)