Texte intégral
Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui parmi vous. Je suis sensible au fait que vous ayez modifié le déroulement de vos débats pour me permettre d'y participer et je vous en remercie Monsieur le Président. En effet, je ne pouvais être des vôtres hier, retenue par le dernier conseil des ministres de la Culture de la Présidence française de l'Union Européenne. Je ne pourrai rester que peu de temps avec vous aujourd'hui. Je suis venue vous témoigner mon amitié et tout l'intérêt que le Gouvernement porte à la presse de notre pays. En cette occasion, je vous propose d'ajouter simplement mes réflexions aux vôtres sur le thème que vous avez choisi pour ces assises " Demain la Presse ".
Sachez que je serai très attentive à la moisson de vos travaux de ces deux jours. Faisons un bref retour en arrière. En 1991 à Montpellier, nous affirmions que la presse était un élément essentiel du débat démocratique. Un an avant, à Blois, j'avais proposé et fait accepter à nos partenaires européens l'idée qu'elle n'était pas un produit comme les autres. Dix ans après, ma conviction reste inchangée. Il m'est donc facile de renouer le dialogue fructueux entamé avec vous. Bien entendu le contexte technique et économique a beaucoup évolué et reconnaissons qu'il s'est plutôt amélioré sans que jamais l'aide de l'Etat fasse défaut. La reprise économique aidant, les journaux ont bénéficié de rentrées publicitaires qui ont atteint des niveaux importants.
L'année 2000 sera très positive. Cette tendance devrait se confirmer en 2001. Et même si les investissements publicitaires augmentent moins que cette année, les ressources de la presse devraient malgré tout continuer à croître. De toute évidence, la véritable et durable indépendance de la presse nécessite santé économique et rentabilité. Il faut donc se féliciter de cette situation économique plus favorable, même si nous ne devons jamais perdre de vue qu'elle est inégalement partagée.
Je rappelle ici que pour le Gouvernement, c'est toute la presse, quotidienne et magazine, qui doit pouvoir se développer dans de bonnes conditions, car elle contribue à la création d'un lien social fort, à l'information, à la formation et à l'éducation de nos concitoyens. La presse est un secteur clé pour un pays démocratique. Elle relève essentiellement de l'initiative privée.
Les choix économiques, les stratégies de développement sont de votre initiative de chefs d'entreprises. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour contribuer à créer notamment l'environnement juridique qui facilite le développement dans le respect de la libre concurrence. Aujourd'hui, si le bulletin de santé économique global de la presse est bon, en revanche, l'existence d'une presse d'information politique et générale est à l'évidence plus fragile. D'où le maintien et le développement d'un ensemble d'aides auxquelles je suis particulièrement attachée.
Pour les mêmes raisons, je considère que la presse a besoin des instruments spécifiques que sont en particulier l'AFP et les NMPP pour maintenir et développer son pluralisme. En effet, ces deux entreprises sont des outils indispensables à la profession pour assurer l'égalité de traitement de tous les titres dans deux domaines essentiels à la liberté de la presse et à son pluralisme : la fourniture d'informations et la distribution. Les aides de l'Etat demeurent prioritairement justifiées par le souci de maintenir la plus grande diversité de titres possibles, s'agissant de la presse d'information politique et générale.
Aider cette presse à se moderniser pour conserver et acquérir de nouveaux lecteurs, compenser la faiblesse des ressources publicitaires de certains de ses titres, contribuer à sa présence sur les nouveaux réseaux de communication : tels sont les objectifs légitimes pour une intervention publique. En un mot il s'agit de garantir effectivement le pluralisme. C'est là une première réponse au questionnement de ces assises : Demain la Presse.
La modernisation, et le développement de la presse sont d'autant plus nécessaires à l'heure de l'internationalisation des marchés et de la société de l'information. De plus en plus, la liberté d'informer passe à la fois par le papier et par la toile. Nous pouvons nous réjouir que la presse soit déjà bien présente sur l'Internet et les réseaux. C'est pour elle une chance d'intéresser un nouveau public et notamment les jeunes, et de les convaincre de venir, voire de revenir à la lecture des journaux. C'est une des raisons, peut-être la principale, qui font des sites Internet de la presse le complément nécessaire du journal papier. Le petit film que nous venons de voir posait la question : complément ou concurrent ? Je réponds avec confiance : " complément ". les deux supports s'organisent et se complètent au bénéfice de l'information.
Le paysage de la communication change de nature, avec de nouveaux moyens techniques, de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Il vous faut maintenant imaginer la place réelle que l'internet peut prendre au sein des stratégies des entreprises de presse. Il convient de souligner et saluer la qualité des sites de la presse française sur l'Internet. Vous avez su mettre en uvre des modèles innovants, riches et variés qui les mettent en bonne place sur ce nouveau mode de diffusion et en font une référence culturelle. Certes, il reste des interrogations sur la viabilité des modèles économiques de ces projets. La consultation gratuite vous obligera vraisemblablement à mettre en oeuvre une diversification de vos recettes. Etre présent sur les réseaux, ne doit bien évidemment pas se faire au détriment de la viabilité des entreprises ni de la qualité de l'information. La presse dispose d'atouts importants. Notamment son patrimoine, ses archives, qu'elle peut valoriser sous forme de banques de données. Il est intéressant de souligner que les premiers dossiers présentés au fonds de modernisation concernaient la numérisation des archives.
Etre présents sur les nouveaux réseaux, c'est là la deuxième réponse que vous êtes en train d'apporter à la problématique : Demain la presse. Bien entendu la réussite n'est pas obligatoirement au bout du chemin de chaque projet. Si certains ont dans un premier temps rencontré quelques déconvenues, celles-ci ne doivent pas avoir pour conséquences l'abandon des évolutions technologiques, surtout au moment où le réseau va connaître une nouvelle dynamique grâce au haut débit. Comment la presse peut-elle tirer parti des nouveaux usages qui sont à inventer ? quels sont les rapports nouveaux, sociaux et économiques, que l'information générale va entretenir avec l'information de proximité dans un paysage médiatique renouvelé ? Ce sont quelques-unes des questions qui vous sont déjà posées. Quelles que soient la diversité des réponses que vous y apporterez, je crois profondément qu'elles ne pourront être bénéfiques pour l'ensemble de la profession et des lecteurs que si elles ne brisent pas les solidarités qui, depuis de longues années, ont été préservées entre tous les éditeurs. Saluons la récente initiative de 19 titres de la presse quotidienne nationale, régionale et départementale de lancer le réseau de sites d'information de proximité Viapolis. Il faut poursuivre dans cette voie.
Enfin pour répondre au questionnement " Demain la presse ", la presse dispose d'un autre atout majeur dans la défense de l'écrit, son éthique.
En effet, loin de rendre inutiles les médiations, l'Internet, toile sans aucun centre, toile ouverte et dont l'ouverture même constitue la force, accroît chez le lecteur le besoin de sécurité, de validation de ce qu'il lit, d'accompagnement dans sa lecture. De ce point de vue, les résultats du sondage dont nous venons de prendre connaissance grâce à l'excellent travail d'IPSOS sont encourageants puisque 80 % des Français font ou feraient confiance à un site Internet développé à l'initiative de leur journal, tout comme ils seraient 72 % à lui faire confiance pour une télévision. On se rend bien compte que la réussite des sites Internet passe par la confiance qui existe entre le journal et son lecteur, par le fait qu'un journal est une marque, une référence. Dans un monde où l'information jouxte, à un clic près, le commentaire de l'information, parfois l'argument publicitaire ou l'analyse partisane, la presse doit plus que jamais, être un repère déontologique. Les internautes souhaitent de plus en plus trouver des repères. Dans ce cheminement, la presse joue un rôle majeur tant dans la richesse des contenus que dans le label qu'elle imprime au site. Si l'on se réfère à nouveau au même sondage, les attentes principales de nos concitoyens envers leurs supports de presse sont l'alerte et l'anticipation, suivies de près par la réflexion. Alerte, anticipation, réflexion, voilà un triptyque sur lequel se fonde le travail des journalistes et qui fait du combat de la presse, un combat de l'intelligence et de la culture. C'est pourquoi l'existence de titres nombreux et pluralistes est une nécessité.
Le rôle de la presse sera, au milieu d'une masse d'informations, d'apporter aux citoyens un contenu fiable et identifié. Je souhaite saluer l'initiative prise par certains d'entre vous de se regrouper et de se doter d'une charte destinée à garantir les droits des internautes, des éditeurs et des auteurs. Informer, c'est s'adresser au citoyen c'est-à-dire des hommes et des femmes autonomes responsables, capables de juger par eux-même et de s'attacher au bien commun. Informer c'est porter un événement à la connaissance d'un large public ; c'est diffuser, dans leur diversité, les courants de pensée et d'opinion nécessaires à l'instauration d'un vrai débat d'idées dans l'espace public ; c'est transmettre un savoir, une culture et contribuer à leur enrichissement, c'est nourrir le débat démocratique.
C'est là le rôle et la fonction de l'éditeur, la responsabilité du directeur de la publication. Ce sont ces principes essentiels que le Gouvernement a voulu transcrire dans les articles de la loi audiovisuelle relatifs à la responsabilité des hébergeurs sur l'internet. Ceux-ci ne sont pas des éditeurs. Ne confondons pas responsabilité technique et responsabilité éditoriale. Le journaliste, qu'il écrive sur le papier ou sur la toile, est un " médiateur " entre l'événement et son public. Il a certes sa subjectivité, son engagement personnel et en même temps l'obligation d'objectivité car s'il transmet l'information, il contribue aussi à la créer. Entre le papier et la toile, c'est une histoire de temps. D'une certaine façon, l'Internet abolit le temps de la communication, c'est d'ailleurs une de ses séductions. Certes on peut penser que la toile redonne le goût de l'écriture et qu'une nouvelle relation s'instaure entre le journaliste et son lecteur. Mais le papier permettra toujours davantage de recul, de distance sur laquelle s'appuie la délibération, se construit l'opinion.
Ne perdons jamais de vue que dans " Journaliste " comme dans journal, il y a " Jour ". Le jour, c'est la mesure de la distance, de la vérification, du traitement de l'information.
On peut regretter que, compte-tenu de leur rôle, les journalistes en France aient encore assez mauvaise presse ! Les sondages publiés chaque année par La Croix - Télérama confirment cette méfiance. En 2000, 60 % de nos concitoyens considèrent que les journalistes ne sont pas pleinement indépendants. Plus encourageant, un sondage paru dans " Le Point " montre que nos concitoyens placent au premier plan des qualités des journalistes l'impartialité et l'indépendance. Mais on peut aussi se réjouir que la presse écrite bénéficie d'un jugement plus favorable que les autres média puisque 47 % des français considèrent qu'elle présente différents points de vue et que 69 % sont satisfaits du fait qu'elle offre une diversité de thèmes. La liberté du journaliste implique une responsabilité équivalente.
Difficile équilibre que celui de la liberté d'expression et de la protection des droits fondamentaux de la personne humaine mais dont le respect scrupuleux fait la grandeur du métier de journaliste et la valeur de l'écrit que défendent vos entreprises. Il faut plus que jamais se garder de l'illusion de la transparence qui irait de pair avec l'interactivité mettant les acteurs aux deux bouts de la chaîne de l'information, celui qui la donne et celui qui la reçoit, sur un pied d'égalité. L'information ne peut se concevoir sans médiateur.
C'est lui qui donne du crédit à l'information, qui la hiérarchise, qui lui donne du sens.
Ce sont les journalistes qui, à l'époque du " toujours plus", et toujours plus vite, doivent rester fidèles au " toujours mieux "
Réfléchir à " Demain la presse " s'est forcément évoquer la question de leur formation.
Dans ce domaine la profession a su s'organiser.
Certains titres, certaines organisations professionnelles se sont en effet dotées de chartes d'autorégulation. Globalement ces chartes consistent surtout à rappeler les règles essentielles du journalisme - responsabilité, contrôle de l'information, respect de la vie privée et présomption d'innocence. Si elles ne prévoient que rarement des sanctions, ces règles ne sont pas figées et sont régulièrement remises à jour, à la faveur des événements de l'actualité.
Ceci prouve l'existence d'un débat permanent sur le sujet dans les rédactions concernées. Je ne peux que vous encourager à le poursuivre, soit en prenant l'initiative d'actions auprès des écoles de journalisme pour que l'enseignement du droit de la presse et de la déontologie y soit amélioré, soit en organisant une formation permanente à destination des journalistes non issus des écoles qui représentent aujourd'hui plus de 85 % des journalistes en fonction. A l'occasion de l'agrément de l'école de journalisme de Toulouse par exemple, syndicats de journalistes et éditeurs ont constaté la nécessité d'un examen du contenu des enseignements généraux dispensés dans le cursus de formation initiale des écoles agréées par la profession. Le but de cette " recherche de type référenciel de compétences " est de " garantir l'acquisition d'un ensemble de connaissances générales couvrant toutes les formes d'exercice des fonctions journalistiques. Voilà une initiative à souligner et à encourager.
Il me faut conclure.
Le Gouvernement s'est engagé sur la voie de la " Société de l'Information ". Nous savons bien que cette évolution ne suffit pas à garantir spontanément une société plus libre, plus fraternelle. Aucune technologie n'assure par elle-même un monde meilleur. Attention de ne pas confondre modernisation technique et progrès social, culturel, démocratique. Il dépend de nous tous, pouvoirs publics, éditeurs, journalistes que notre société soit avant tout une société de culture au singulier et au pluriel.
Quel peut être le projet d'une société techniquement et économiquement développée si ce n'est de viser à la fois l'émancipation individuelle et la cohésion sociale ? Dans ce projet, l'information est évidemment décisive. Il s'agit de rassembler dans la diversité et de faire en sorte, comme le dit Paul Valéry, que " le commerce des esprits soit le premier commerce du monde ".
Dans cette perspective la presse a un rôle essentiel à tenir. Pour terminer, je veux citer Hubert BEUVE MERY. Il disait : " Informer un homme, lui fournir les éléments d'une conviction et d'un jugement, c'est quand même tout autre chose que lui procurer un chapeau ou une paire de chaussures ".
J'en termine par le rappel de cet acte de foi en l'écrit qui est aussi une exigence pour l'avenir.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 novembre 2000)
Sachez que je serai très attentive à la moisson de vos travaux de ces deux jours. Faisons un bref retour en arrière. En 1991 à Montpellier, nous affirmions que la presse était un élément essentiel du débat démocratique. Un an avant, à Blois, j'avais proposé et fait accepter à nos partenaires européens l'idée qu'elle n'était pas un produit comme les autres. Dix ans après, ma conviction reste inchangée. Il m'est donc facile de renouer le dialogue fructueux entamé avec vous. Bien entendu le contexte technique et économique a beaucoup évolué et reconnaissons qu'il s'est plutôt amélioré sans que jamais l'aide de l'Etat fasse défaut. La reprise économique aidant, les journaux ont bénéficié de rentrées publicitaires qui ont atteint des niveaux importants.
L'année 2000 sera très positive. Cette tendance devrait se confirmer en 2001. Et même si les investissements publicitaires augmentent moins que cette année, les ressources de la presse devraient malgré tout continuer à croître. De toute évidence, la véritable et durable indépendance de la presse nécessite santé économique et rentabilité. Il faut donc se féliciter de cette situation économique plus favorable, même si nous ne devons jamais perdre de vue qu'elle est inégalement partagée.
Je rappelle ici que pour le Gouvernement, c'est toute la presse, quotidienne et magazine, qui doit pouvoir se développer dans de bonnes conditions, car elle contribue à la création d'un lien social fort, à l'information, à la formation et à l'éducation de nos concitoyens. La presse est un secteur clé pour un pays démocratique. Elle relève essentiellement de l'initiative privée.
Les choix économiques, les stratégies de développement sont de votre initiative de chefs d'entreprises. Vous pouvez compter sur le Gouvernement pour contribuer à créer notamment l'environnement juridique qui facilite le développement dans le respect de la libre concurrence. Aujourd'hui, si le bulletin de santé économique global de la presse est bon, en revanche, l'existence d'une presse d'information politique et générale est à l'évidence plus fragile. D'où le maintien et le développement d'un ensemble d'aides auxquelles je suis particulièrement attachée.
Pour les mêmes raisons, je considère que la presse a besoin des instruments spécifiques que sont en particulier l'AFP et les NMPP pour maintenir et développer son pluralisme. En effet, ces deux entreprises sont des outils indispensables à la profession pour assurer l'égalité de traitement de tous les titres dans deux domaines essentiels à la liberté de la presse et à son pluralisme : la fourniture d'informations et la distribution. Les aides de l'Etat demeurent prioritairement justifiées par le souci de maintenir la plus grande diversité de titres possibles, s'agissant de la presse d'information politique et générale.
Aider cette presse à se moderniser pour conserver et acquérir de nouveaux lecteurs, compenser la faiblesse des ressources publicitaires de certains de ses titres, contribuer à sa présence sur les nouveaux réseaux de communication : tels sont les objectifs légitimes pour une intervention publique. En un mot il s'agit de garantir effectivement le pluralisme. C'est là une première réponse au questionnement de ces assises : Demain la Presse.
La modernisation, et le développement de la presse sont d'autant plus nécessaires à l'heure de l'internationalisation des marchés et de la société de l'information. De plus en plus, la liberté d'informer passe à la fois par le papier et par la toile. Nous pouvons nous réjouir que la presse soit déjà bien présente sur l'Internet et les réseaux. C'est pour elle une chance d'intéresser un nouveau public et notamment les jeunes, et de les convaincre de venir, voire de revenir à la lecture des journaux. C'est une des raisons, peut-être la principale, qui font des sites Internet de la presse le complément nécessaire du journal papier. Le petit film que nous venons de voir posait la question : complément ou concurrent ? Je réponds avec confiance : " complément ". les deux supports s'organisent et se complètent au bénéfice de l'information.
Le paysage de la communication change de nature, avec de nouveaux moyens techniques, de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Il vous faut maintenant imaginer la place réelle que l'internet peut prendre au sein des stratégies des entreprises de presse. Il convient de souligner et saluer la qualité des sites de la presse française sur l'Internet. Vous avez su mettre en uvre des modèles innovants, riches et variés qui les mettent en bonne place sur ce nouveau mode de diffusion et en font une référence culturelle. Certes, il reste des interrogations sur la viabilité des modèles économiques de ces projets. La consultation gratuite vous obligera vraisemblablement à mettre en oeuvre une diversification de vos recettes. Etre présent sur les réseaux, ne doit bien évidemment pas se faire au détriment de la viabilité des entreprises ni de la qualité de l'information. La presse dispose d'atouts importants. Notamment son patrimoine, ses archives, qu'elle peut valoriser sous forme de banques de données. Il est intéressant de souligner que les premiers dossiers présentés au fonds de modernisation concernaient la numérisation des archives.
Etre présents sur les nouveaux réseaux, c'est là la deuxième réponse que vous êtes en train d'apporter à la problématique : Demain la presse. Bien entendu la réussite n'est pas obligatoirement au bout du chemin de chaque projet. Si certains ont dans un premier temps rencontré quelques déconvenues, celles-ci ne doivent pas avoir pour conséquences l'abandon des évolutions technologiques, surtout au moment où le réseau va connaître une nouvelle dynamique grâce au haut débit. Comment la presse peut-elle tirer parti des nouveaux usages qui sont à inventer ? quels sont les rapports nouveaux, sociaux et économiques, que l'information générale va entretenir avec l'information de proximité dans un paysage médiatique renouvelé ? Ce sont quelques-unes des questions qui vous sont déjà posées. Quelles que soient la diversité des réponses que vous y apporterez, je crois profondément qu'elles ne pourront être bénéfiques pour l'ensemble de la profession et des lecteurs que si elles ne brisent pas les solidarités qui, depuis de longues années, ont été préservées entre tous les éditeurs. Saluons la récente initiative de 19 titres de la presse quotidienne nationale, régionale et départementale de lancer le réseau de sites d'information de proximité Viapolis. Il faut poursuivre dans cette voie.
Enfin pour répondre au questionnement " Demain la presse ", la presse dispose d'un autre atout majeur dans la défense de l'écrit, son éthique.
En effet, loin de rendre inutiles les médiations, l'Internet, toile sans aucun centre, toile ouverte et dont l'ouverture même constitue la force, accroît chez le lecteur le besoin de sécurité, de validation de ce qu'il lit, d'accompagnement dans sa lecture. De ce point de vue, les résultats du sondage dont nous venons de prendre connaissance grâce à l'excellent travail d'IPSOS sont encourageants puisque 80 % des Français font ou feraient confiance à un site Internet développé à l'initiative de leur journal, tout comme ils seraient 72 % à lui faire confiance pour une télévision. On se rend bien compte que la réussite des sites Internet passe par la confiance qui existe entre le journal et son lecteur, par le fait qu'un journal est une marque, une référence. Dans un monde où l'information jouxte, à un clic près, le commentaire de l'information, parfois l'argument publicitaire ou l'analyse partisane, la presse doit plus que jamais, être un repère déontologique. Les internautes souhaitent de plus en plus trouver des repères. Dans ce cheminement, la presse joue un rôle majeur tant dans la richesse des contenus que dans le label qu'elle imprime au site. Si l'on se réfère à nouveau au même sondage, les attentes principales de nos concitoyens envers leurs supports de presse sont l'alerte et l'anticipation, suivies de près par la réflexion. Alerte, anticipation, réflexion, voilà un triptyque sur lequel se fonde le travail des journalistes et qui fait du combat de la presse, un combat de l'intelligence et de la culture. C'est pourquoi l'existence de titres nombreux et pluralistes est une nécessité.
Le rôle de la presse sera, au milieu d'une masse d'informations, d'apporter aux citoyens un contenu fiable et identifié. Je souhaite saluer l'initiative prise par certains d'entre vous de se regrouper et de se doter d'une charte destinée à garantir les droits des internautes, des éditeurs et des auteurs. Informer, c'est s'adresser au citoyen c'est-à-dire des hommes et des femmes autonomes responsables, capables de juger par eux-même et de s'attacher au bien commun. Informer c'est porter un événement à la connaissance d'un large public ; c'est diffuser, dans leur diversité, les courants de pensée et d'opinion nécessaires à l'instauration d'un vrai débat d'idées dans l'espace public ; c'est transmettre un savoir, une culture et contribuer à leur enrichissement, c'est nourrir le débat démocratique.
C'est là le rôle et la fonction de l'éditeur, la responsabilité du directeur de la publication. Ce sont ces principes essentiels que le Gouvernement a voulu transcrire dans les articles de la loi audiovisuelle relatifs à la responsabilité des hébergeurs sur l'internet. Ceux-ci ne sont pas des éditeurs. Ne confondons pas responsabilité technique et responsabilité éditoriale. Le journaliste, qu'il écrive sur le papier ou sur la toile, est un " médiateur " entre l'événement et son public. Il a certes sa subjectivité, son engagement personnel et en même temps l'obligation d'objectivité car s'il transmet l'information, il contribue aussi à la créer. Entre le papier et la toile, c'est une histoire de temps. D'une certaine façon, l'Internet abolit le temps de la communication, c'est d'ailleurs une de ses séductions. Certes on peut penser que la toile redonne le goût de l'écriture et qu'une nouvelle relation s'instaure entre le journaliste et son lecteur. Mais le papier permettra toujours davantage de recul, de distance sur laquelle s'appuie la délibération, se construit l'opinion.
Ne perdons jamais de vue que dans " Journaliste " comme dans journal, il y a " Jour ". Le jour, c'est la mesure de la distance, de la vérification, du traitement de l'information.
On peut regretter que, compte-tenu de leur rôle, les journalistes en France aient encore assez mauvaise presse ! Les sondages publiés chaque année par La Croix - Télérama confirment cette méfiance. En 2000, 60 % de nos concitoyens considèrent que les journalistes ne sont pas pleinement indépendants. Plus encourageant, un sondage paru dans " Le Point " montre que nos concitoyens placent au premier plan des qualités des journalistes l'impartialité et l'indépendance. Mais on peut aussi se réjouir que la presse écrite bénéficie d'un jugement plus favorable que les autres média puisque 47 % des français considèrent qu'elle présente différents points de vue et que 69 % sont satisfaits du fait qu'elle offre une diversité de thèmes. La liberté du journaliste implique une responsabilité équivalente.
Difficile équilibre que celui de la liberté d'expression et de la protection des droits fondamentaux de la personne humaine mais dont le respect scrupuleux fait la grandeur du métier de journaliste et la valeur de l'écrit que défendent vos entreprises. Il faut plus que jamais se garder de l'illusion de la transparence qui irait de pair avec l'interactivité mettant les acteurs aux deux bouts de la chaîne de l'information, celui qui la donne et celui qui la reçoit, sur un pied d'égalité. L'information ne peut se concevoir sans médiateur.
C'est lui qui donne du crédit à l'information, qui la hiérarchise, qui lui donne du sens.
Ce sont les journalistes qui, à l'époque du " toujours plus", et toujours plus vite, doivent rester fidèles au " toujours mieux "
Réfléchir à " Demain la presse " s'est forcément évoquer la question de leur formation.
Dans ce domaine la profession a su s'organiser.
Certains titres, certaines organisations professionnelles se sont en effet dotées de chartes d'autorégulation. Globalement ces chartes consistent surtout à rappeler les règles essentielles du journalisme - responsabilité, contrôle de l'information, respect de la vie privée et présomption d'innocence. Si elles ne prévoient que rarement des sanctions, ces règles ne sont pas figées et sont régulièrement remises à jour, à la faveur des événements de l'actualité.
Ceci prouve l'existence d'un débat permanent sur le sujet dans les rédactions concernées. Je ne peux que vous encourager à le poursuivre, soit en prenant l'initiative d'actions auprès des écoles de journalisme pour que l'enseignement du droit de la presse et de la déontologie y soit amélioré, soit en organisant une formation permanente à destination des journalistes non issus des écoles qui représentent aujourd'hui plus de 85 % des journalistes en fonction. A l'occasion de l'agrément de l'école de journalisme de Toulouse par exemple, syndicats de journalistes et éditeurs ont constaté la nécessité d'un examen du contenu des enseignements généraux dispensés dans le cursus de formation initiale des écoles agréées par la profession. Le but de cette " recherche de type référenciel de compétences " est de " garantir l'acquisition d'un ensemble de connaissances générales couvrant toutes les formes d'exercice des fonctions journalistiques. Voilà une initiative à souligner et à encourager.
Il me faut conclure.
Le Gouvernement s'est engagé sur la voie de la " Société de l'Information ". Nous savons bien que cette évolution ne suffit pas à garantir spontanément une société plus libre, plus fraternelle. Aucune technologie n'assure par elle-même un monde meilleur. Attention de ne pas confondre modernisation technique et progrès social, culturel, démocratique. Il dépend de nous tous, pouvoirs publics, éditeurs, journalistes que notre société soit avant tout une société de culture au singulier et au pluriel.
Quel peut être le projet d'une société techniquement et économiquement développée si ce n'est de viser à la fois l'émancipation individuelle et la cohésion sociale ? Dans ce projet, l'information est évidemment décisive. Il s'agit de rassembler dans la diversité et de faire en sorte, comme le dit Paul Valéry, que " le commerce des esprits soit le premier commerce du monde ".
Dans cette perspective la presse a un rôle essentiel à tenir. Pour terminer, je veux citer Hubert BEUVE MERY. Il disait : " Informer un homme, lui fournir les éléments d'une conviction et d'un jugement, c'est quand même tout autre chose que lui procurer un chapeau ou une paire de chaussures ".
J'en termine par le rappel de cet acte de foi en l'écrit qui est aussi une exigence pour l'avenir.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 27 novembre 2000)