Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la nécessité de démocratiser l'accès et la maîtrise des technologies de l'information et de favoriser les créations artistiques multimédia, Créteil le 19 janvier 1999.

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Circonstance : Premières rencontres nationales des Espaces Culture Multimédia, à la Maison des arts de Créteil le 19 janvier 1999

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Maire,
Chers amis,

Je voudrais d'abord vous dire à quel point je me réjouis de pouvoir vous rencontrer et d'avoir cet échange avec vous.
Philosophie de l'action, la ministre et les internautes
Lorsque je suis arrivée au ministère de la Culture et de la Communication il y a un peu plus dun an et demi, mon intention, en ce qui concernait l'Internet, le multimédia, la société de l'information, était de ne pas me cantonner au seul versant officiel, institutionnel ou commercial, de l'Internet en général, et de l'Internet culturel en particulier.
En effet, je suis convaincue que le réseau n'est pas simplement un nouveau dispositif technique, particulièrement efficace, et un nouveau champ de développement économique. Le projet du réseau, tel qu'il s'exprime à travers l'Internet est aussi celui d'un vaste mouvement social.
Pour comprendre ce qui se passe sur le réseau, il ne faut pas seulement entendre la voix des gouvernements, des entreprises, ou de ceux qu'on appelle les gourous de l'Internet
Il faut d'abord se mettre à l'écoute de ceux qui l'inventent jour après jour, qui imaginent de nouveaux usages, qui innovent techniquement ou sur le plan artistique, qui produisent selon la belle formule du philosophe Nelson GOODMAN de nouvelles " manières de faire des mondes " .
Il faut aussi que l'Etat reconnaisse l'originalité du modèle du cyberespace et en tienne compte dans son propre fonctionnement.
J'ai déjà eu l'occasion de le dire à la Conférence Internationale de l'Internet Society à Genève, en juillet dernier. " L'espace étatique est pyramidal ; le cyber espace est réticulaire. L'administration est hiérarchisée ; le réseau est relativement égalitaire. L'écrit administratif est conditionné par le droit ; le courrier électronique incline à la rapidité et à la simplicité. La pratique des protocoles et des règles d'usage sur le net contraste avec les moyens d'adoption de la loi et du règlement. L'Etat identifie, classe et recense ; le réseau suscite des communautés virtuelles. L'Etat est national, le réseau est mondial et nomade " .
Certes, les « espaces culture multimédia « sont une des actions clé du ministère de la Culture et de la Communication. Cette action a été intégrée au P.A.G.S.I. Et le C.I.S.I. que dirigera tout à l'heure le Premier ministre donnera encore plus d'importance à la question de l'amélioration de l'accès de nos concitoyens aux technologies de l'information.
Pour ma part, je souhaite que cette action soit menée sur un registre particulier, quelle traduise de la part de l'administration culturelle, la volonté d'adapter son mode d'intervention aux caractéristiques du cyberespace.
C'est-à-dire, en premier lieu, que l'administration doit partir de ce qui se fait sur le terrain, de ce qui a déjà été engagé par les pionniers de l'Internet culturel.
Je connais votre situation. Bien souvent, vos associations, vos services éprouvent déjà des difficultés à mener à bien leur mission habituelle. Le développement d'un projet pour la société de l'information c'est une nouvelle cause à plaider, parfois une nouvelle étape de ce que certains d'entre vous peuvent vivre comme un parcours du combattant.
Vous n'êtes pas placés dans une case administrative très précise.
Pour le Ministère de la Culture et de la Communication, il s'agit d'action et de développement culturel et je félicite la Délégation au Développement et aux Formations de faire des espaces culture multimédia une priorité de son action.
Sous d'autres angles, il s'agit d'éducation populaire, d'action sociale dans les quartiers, de politique de la ville, d'action vers la jeunesse.
Le plus important c'est de voir reconnaître vos projets pour qu'ils puissent se développer librement. La liberté c'est à vous d'en user ; j'ai souhaité pour cela que le cahier des charges des Espaces Culture Multimédia soit le plus souple possible. La reconnaissance, c'est précisément ce que peut vous apporter ce label du Ministère de la Culture et de la Communication : une sorte de carte de visite qui vous permettra de mobiliser les moyens nécessaires, et j'espère aussi, pour vous même, un encouragement, le gage dun accompagnement. Car, derrière les projets, il faut aussi reconnaître les femmes et les hommes qui les portent, les internautes de la culture.
La démocratisation culturelle
Nous sommes réunis, je crois, par un même objectif que je définirai comme la démocratisation culturelle de la société de l'information. Nous voulons éviter une société de l'information à deux vitesses ; nous voulons éviter qu'une nouvelle inégalité vienne en renforcer d'autres, malheureusement plus traditionnelles.
Démocratiser la société de l'information, c'est d'abord démocratiser l'accès aux technologies de l'information. Et nous savons, mais peut être ne sommes nous pas assez nombreux à le savoir, que cette démocratisation là est d'abord d'ordre culturel.
Bien sur je ne sous estime pas les facteurs strictement économiques : le coût des équipements, des connexions et des communications. Mais, au delà de la connexion, dans un très grand nombre de situations, et dans différentes couches de la société - c'est ce qu'indique la notion d « illectronisme « - on constate des obstacles culturels à la maîtrise des technologies de l'information. C'est la raison pour laquelle certains cybercentres trop exclusivement orientés vers l'initiation à l'Internet rencontrent de réelles difficultés. Pour combattre l'illectronisme, il faut un projet culturel. Cette constatation avait été à l'origine de notre initiative d'un réseau de cybercentres à Strasbourg.
Je crois quil nous faut poser certaines questions.
Comment le multimédia va t il s'étendre des quelques 10 à 20% d'utilisateurs actuels (ratio très comparable à celui des usagers de nombreux services culturels) à la grande majorité de nos concitoyens ? Les moyens de communication valables dans le monde universitaire et celui des entreprises se révéleront ils adaptés aux besoins du grand public ? Les nouveaux outils de travail sur limage vont ils permettre d'aiguiser le regard critique ? Les nouvelles formes d'écriture et de lecture vont elles faciliter la réconciliation des milliers de jeunes avec le texte ou ne seront elles que des moyens d'expression supplémentaire pour certains qui formeraient alors une caste de nouveaux lettrés ?
C'est bien parce que les technologies de l'information sont des technologies culturelles que nous devons insister non seulement sur la formation du public à leur utilisation, mais aussi sur l'adaptation de ces technologies aux besoins du public. A cet égard, je me félicite que le débat actuel sur l'industrie du logiciel ait permis de soulever concrètement semblables interrogations.
Poser de telles questions n'est pas faire preuve de pessimisme ou de scepticisme à l'égard des technologies de l'information. C'est au contraire souhaiter que le plus grand nombre de nos concitoyens puissent participer à cette grande aventure, et en définitive jouer leur rôle dans le développement du réseau, et de la société de l'information en général.
Je crois au contraire que nous avons des raisons d'être optimistes. L'accès aux contenus, l'expression multimédia, la communication par le réseau peuvent être des moyens efficaces pour lutter contre l'exclusion, l'isolement, la perte de confiance et de références, le repli identitaire. Ce serait là le plus beau des messages et je suis fière de penser que sil prend forme quelque part, même modestement, c'est bien ici à la source de vos activités. C'est exactement l'idée que je me fais de l'action culturelle.
Culture et multimédia
Les espaces culture multimédia sont d'abord des lieux où se développe la pratique culturelle de l'Internet et du multimédia, c'est à dire à la fois l'utilisation de ces techniques au service dune activité artistique, culturelle et l'expérimentation culturelle sur ces techniques elles même.
Il y a là plusieurs pistes à défricher.
Tout d'abord, la démarche conjointe d'expérimentation technique et de recherche artistique, notamment dans le domaine de limage et de la musique. C'est un axe important de travail pour le ministère. Je citerai, par exemple, le cédérom récent de Chris MARKER, produit par Beaubourg, ou le rapport de Jean Paul RISSET, un des fondateurs de la musique électronique, sur le réseau de recherche « Art, sciences et technologie « . A la fête de l'Internet, le ministère révélera les oeuvres pour l'Internet dune vingtaine d'artistes qui ont fait l'objet de commandes publiques.
La relation entre l'accès au patrimoine et l'activité créatrice est une autre dimension importante. Elle concerne notamment les médiathèques qui ont pris l'initiative de présenter des projets au titre des espaces culture multimédia et je les en félicite. C'est une mission nouvelle pour les bibliothèques, et passionnante. Il ne s'agit pas seulement de les ouvrir sur le réseau mais aussi d'en faire des lieux d'expérimentation des nouvelles formes d'écriture et de lecture, autour de l'hypertexte. D'autres initiatives sont possibles, par exemple entre les discothèques publiques et les amateurs de musique amplifiée.
Une caractéristique importante de plusieurs espaces est l'association dune activité de soutien aux projets d'artistes, et dune activité de formation dun large public. Il s'agit là dune démarche à la fois originale et indispensable. J'ai d'ailleurs demandé que le ministère apporte son concours aux plates-formes techniques comme le Métafort d'Aubervilliers ou le CICV de Montbéliard qui se destinent aussi à ces deux types d'usage. En apprenant à interpréter à la fois ces deux types de demande, vous allez constituer une expérience et un savoir faire rares dans le domaine des technologies de l'information.
Vous êtes en train d'inventer l'Internet culturel.
Vous avez ma confiance. Je suivrai vos travaux et j'espère pouvoir très prochainement vous rencontrer plus longuement.

(Source http://WWW.culture.gouv.fr)