Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur le développement du numérique terrestre, son impact sur l'offre du service public audiovisuel, et l'action des pouvoirs publics, Paris le 8 décembre 2000.

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Circonstance : Conclusion du colloque "Les défis numériques pour le paysage audiovisuel français" à l'Assemblée nationale, Paris le 8 décembre 2000

Texte intégral

Dans le contexte de la mise en uvre du numérique terrestre, le colloque organisé par Didier Mathus arrive à un moment clé. Votre journée de travail aura permis de revenir sur les trois grands axes de réflexion et de décision qu'ont en partage le gouvernement, l'autorité de régulation et l'ensemble des opérateurs : il s'agit des aspects technologiques, de la question de la régulation et de son adaptation, enfin des aspects éditoriaux.
La loi audiovisuelle est la traduction des choix du gouvernement et de la représentation nationale sur ces trois thèmes. Les débats qui ont eu lieu aujourd'hui démontrent la pertinence des lignes fixées à cette occasion et l'intérêt en particulier, dans un univers nouveau et donc en partie incertain, d'avoir fait le choix d'une relative souplesse. Il s'est agi en effet de fixer un cadre, à partir duquel toute la place est laissée à la concertation (elle a déjà été engagée s'agissant de la planification des fréquences) ; et toute ouverture à l'épanouissement de potentialités nouvelles (et je pense en particulier aux nouveaux opérateurs techniques qui pourront intervenir du fait de la fin du monopole de TDF, et bien sûr aux nouveaux entrants sur le plan des contenus).
Au total, la loi permet d'aller vers un système adulte, loin d'une vision administrée de l'économie audiovisuelle : beaucoup dépend donc des acteurs privés, dont je sais qu'ils investissent en projets pour ce nouveau champ d'action. Mais chacun sait aussi la part qu'y jouent les pouvoirs publics, et je suis bien placée pour savoir que beaucoup de questions s'adressent à eux : je me propose donc d'y revenir aujourd'hui.
1- Un engagement politique incontestable pour un projet porteur : c'est le premier point que je souhaite développer.
Toute entrée dans un monde nouveau suscite craintes et interrogations et je sais qu'elles ne manquent pas de s'exprimer s'agissant de notre sujet. Pourtant, il me semble impossible d'appliquer au numérique terrestre les termes qui avaient été utilisés pour quelques autres aventures, tant il se présente au contraire comme leur contre contre-exemple. Le temps des " grands projets " à la française est en effet révolu.
1.1 En témoignent deux constats : le numérique terrestre est une technologie adaptée aux attentes du public ; et également une technologie déjà adoptée par tous les opérateurs et dans tous les pays.
Je ne ferai ici qu'évoquer les apports du numérique, tant ils sont connus. Une offre démultipliée et proposée dans des conditions techniques - de son, de qualité d'image, de souplesse - fortement améliorées. A quoi s'ajoute la possibilité d'offrir, à côtés des programmes traditionnels, divers services, de nature interactive. De ce point de vue, le numérique terrestre n'est pas à penser en termes d'alternative, de choix exclusif par rapport à l'univers de l'internet : il est au contraire une des formes que prend ce que l'on a maintenant coutume d'appeler la convergence, et qui fait que chaque mode de diffusion évolue pour mieux compléter les autres. En d'autres termes, il n'est pas temps de se demander aujourd'hui s'il ne serait pas plus efficace d'attendre que se développe une diffusion massive de l'internet. La convergence interdit au contraire tout attentisme, y compris sur des technologies parties d'un univers - la diffusion hertzienne - qui, à tort, paraît à certains dépassé.
Il n'est pas étonnant, en sommes, que tous les pays, en Europe et aux Etats-Unis, aient fait le choix du numérique terrestre. Il serait étonnant en revanche que la France se distingue, à rebours d'une tendance très forte et qui se justifie. Il me paraît en tout cas important de rappeler aujourd'hui ce fait.
1.2 De ce point de vue, une question reste centrale, d'ailleurs évoquée au cours du colloque : celle du calendrier.
Les pouvoirs publics ont assumé leur part : par la loi, en ce qu'elle précise le cadre juridique du développement du numérique terrestre et en ce qu'elle contient les dispositions qui, par la fixation d'un calendrier, incitent à ne pas perdre de temps.
La balle est donc aujourd'hui dans le camp des autres intervenants. Beaucoup sont prêts : les opérateurs techniques, les fabricants de télévision, les nouveaux entrants. Je sais que les opérateurs " historiques " travaillent aussi en ce sens. Tous ont intérêt en tout cas à être présents.
Le CSA, quant à lui, doit veiller à un déroulement du calendrier favorable au déploiement du projet. Il s'y emploie. La concertation sur les fréquences a eu lieu. Les appels à candidatures devraient être lancés dans la première moitié de l'année 2001. Nous y verrons alors sans doute beaucoup plus clair, en tout cas du point de vue des consommateurs et des usagers, qui commenceront à avoir une vision concrète de l'avenir télévisuel que, tous ensemble, nous leur proposerons.
2 - Tous ensemble : donc également le secteur public, et c'est le deuxième point que je souhaite aborder aujourd'hui.
2-1 Quels sont les enjeux pour ce secteur public ?
Ils sont connus - et fort bien exprimés par le président de France Télévision - : il faut s'adapter absolument à ce nouvel univers, c'est-à-dire assurer pour le service public, au sein d'une offre démultipliée, la préservation de sa place. Le service public ne peut en effet se permettre d'être en retard sur le reste du secteur : il le doit d'ailleurs à ses téléspectateurs, comme tout service public doit à ses usagers de s'adapter aux évolutions techniques qui marquent son secteur d'activité. Il ne peut être question non plus de limiter les entreprises publiques de l'audiovisuel à une stratégie de niche, par laquelle elles verraient leur champ d'action se réduire progressivement à la portion congrue, pour finalement disparaître. La notion d'équilibre entre offre publique et offre privée, l'intérêt porté pour une offre publique dont on attend qu'elle remplisse un certain nombre de missions, dorénavant exprimées dans la loi elle-même, doivent trouver une expression nouvelle.
Je me situe donc dans la suite directe du vote de la loi du 1er Août 2000 : à 4 mois d'intervalle, c'est le moins que commandent nos convictions et nos engagements. Je ne méconnais pas pour autant la difficulté de la tâche - celle qui préside à l'existence même d'un service public, en particulier lorsque l'on se situe dans un domaine où l'immatériel vaut autant, sinon plus, que les discours économiques et industriels. C'est en effet la définition même de la nature du service qui est difficile à cerner : difficile parce qu'elle ne se résume pas à des ratios et à des indicateurs quantitatifs, que les économistes et autres technocrates se réjouissent de pouvoir aligner avec le sentiment du devoir accompli.
Dans un secteur concurrentiel, et où l'offre privée donne au surplus le sentiment de pouvoir répondre, en s'étendant, à toutes les attentes, le rôle du secteur public doit s'inscrire à mon sens dans une double stratégie. Il doit être d'abord un aiguillon, à qui l'on impose de travailler sur un éventail le plus ouvert qui soit d'objectifs éditoriaux, pour répondre aux besoins d'un public conçu dans sa plus grande dispersion : la fiction et l'information bien sûr, mais le documentaire et les oeuvres d'animation aussi ; la fameuse " ménagère ", plus ou moins jeune, bien sûr, mais aussi les adolescents, les jeunes adultes, et les plus anciens. Le tout, en privilégiant évidemment un accès gratuit à ces offres.
Aiguillon donc, et également rampart : le service public impose des limites à une dérive éditoriale que connaissent, nous le constatons, tous les pays où, précisément, n'existe pas un service public fort et visible. En d'autres termes, le service public participe à une stratégie d'équilibre, de diversité, de qualité, qui, avec les autres éléments du dispositif français de régulation, impose sa marque bénéfique à l'ensemble du secteur audiovisuel.
J'exprimerai donc pour ma part cet enjeu qu'affronte aujourd'hui le secteur public en termes de contrat : il s'agit pour les entreprises concernées de renouveler le contrat qu'elles ont avec l'Etat et avec le public. Il ne s'agit pas seulement d'occuper un espace, mais de justifier l'espace que l'on occupe.
2.2 Quels en sont les axes de développement ?
J'en vois deux principaux.
Le déploiement d'une offre plus large d'abord : c'est expliciter sur le plan éditorial les missions du service public. Les entreprises doivent donner un gage de visibilité et de transparence. Nous passons d'une télévision seulement généraliste à une offre plurielle : c'est dans cet esprit que mes services travaillent en ce moment avec les entreprises au choix des thèmes et des approches qui seront proposés aux téléspectateurs. La tutelle étudie en effet les projets présentés par France Télévision, en liaison, pour partie, avec Arte France, c'est-à-dire par les deux entreprises ou groupes qui ont vocation à proposer une offre sur le territoire métropolitain. L'ensemble est ambitieux et mérite d'être discuté. Je me situe pour ma part dans la logique du déploiement de l'offre du service public que j'évoquais à l'instant, mais en songeant à en préciser les contours en fonction de deux éléments : la pertinence éditoriale - l'information, la proximité, l'offre culturelle me semblent de ce point de vue particulièrement important - et l'équilibre économique.
Le deuxième axe de développement de ces projets relève à mon sens de l'exploitation des potentialités techniques du numérique : c'est adapter l'offre en fonction de la concordance entre missions et support. Cette réflexion est au cur de la notion de service : il faut jouer des apports de l'interactivité, pour diversifier les modalités de réalisation du service attendu. Certains axes éditoriaux y sont particulièrement adaptés, comme la mission éducative ou la mission d'information de proximité.
Un mot enfin du calendrier, puisque j'en ai parlé de manière générale et que celui qui concerne le service public intéresse beaucoup, je le sais, les participants à cette journée. L'inscription de ces choix se fera dans les contrats d'objectifs et de moyens : ils seront donc connus avant la fin du premier trimestre 2001, l'objectif étant d'être prêt à diffuser pour mi 2002.
Je reviendrais, pour conclure, sur la notion de convergence. Pour une fois, elle n'est pas problématique, parce qu'elle ne se fait pas à priori aux dépens des contenus. Elle est même souhaitable : la technologie n'apparaît pas comme une contrainte (économique) mais comme une source de possibles. Les choses se présentent donc dans le bon ordre : celui qui nous intéresse, au Ministère de la culture et de la communication. C'est pour moi l'occasion de parler contenus et missions : une occasion que je compte exploiter.

(Source http://www.culture.gouv.fr, le 11 décembre 2000)