Interview de M. Patrick Devedjian, délégué général et porte-parole du RPR, à RTL le 13 décembre 2000, sur le rejet du budget de Paris présenté par Jean Tiberi, le budget de la justice et les affaires de marchés publics de la région Ile-de-France liées au financement des partis politiques

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

O. Mazerolle Après ce qu'on a vu au Conseil municipal de Paris hier, la question qui est posée ce matin dans toute la presse est la suivante : la droite a-t-elle décidé de perdre les municipales à Paris ?
- "C'est ridicule de se poser des questions pareilles! Vous savez ce qu'est un budget : c'est un acte qui prévoit l'avenir, qui organise les dépenses futures. Il va y avoir les élections, c'est quand même tout à fait légitime et tout à fait démocratique que ce soit la prochaine équipe qui décide en définitive ce qui sera dépensé et comment ce sera dépensé. Je dois vous dire d'ailleurs qu'à Antony, c'est ce que nous faisons. Cela ne fait pas la une des journaux mais nous voterons notre budget..."
Antony c'est votre ville, je précise..
- "A Antony, dans ma ville, nous voterons le budget au début avril simplement parce que c'est démocratique. Il va y avoir des élections, ça sert à quelque chose, sinon autant dire que ça ne sert à rien. La loi a été modifiée : récemment, on votait le budget obligatoirement avant le 31 mars. La loi a été modifiée et a porté le butoir jusqu'au 15 avril, ce n'est pas pour rien. C'est pour que, malgré les élections, on puisse voter un peu plus loin et que ce soit la nouvelle équipe qui le fasse, c'est légitime. "
J. Tiberi est pugnace.
- "Oui, il est un peu énervé."
Un peu énervé et il vous ennuie quand même.
- "Certainement."
Alors ?
- "Je pense que les gens prendront la mesure des choses. En tout cas, j'ai remarqué une chose, c'est que la gauche demande aujourd'hui que la droite vote le budget Tiberi si bien que Tiberi, par une espèce de miracle est devenu en quelque sorte le candidat de la gauche. Delanoë a tellement disparu de la circulation, il n'y a tellement personne à gauche que la gauche ne parle que de Tiberi qui est d'une certaine manière devenu son candidat."
On va lui demander ce qu'il en pense. Le calendrier électoral : la Commission des lois à l'Assemblée nationale a adopté hier un projet de loi. On va le voter, mais vous non. Pourquoi maintenez-vous votre position ?
- "Parce que c'est simplement une magouille, c'est un calendrier de convenance. M. Jospin a peur des élections législatives, j'ai d'ailleurs observé que dans la revue du Parti socialiste une étude très argumentée montrait que ces élections étaient dangereuses pour le Parti socialiste et qu'évidemment, si elles avaient lieu avant les présidentielles et qu'il les perde, ce ne serait pas un avantage pour lui."
Dans Le Figaro l'autre jour, Jean d'Ormesson dénonçait le double reniement des politiques par rapport à leurs convictions, reniement des gaullistes qui osent dire aujourd'hui que la présidentielle n'est pas l'élection dominante et reniement des socialistes qui osent dire que les législatives ne sont pas les élections dominantes ?
- "Franchement, je préfère les jugements de Jean d'Ormesson sur Chateaubriand que sur la vie politique."
La justice est en panne, les avocats et les magistrats disent qu'ils manquent de moyens.
- "Ils ont raison, le Gouvernement a tout fait d'ailleurs pour qu'on arrive à cela. Je vais simplement vous donner deux chiffres pour vous faire mesurer l'étendue du problème : l'aide juridictionnelle en France, c'est-à-dire le budget consacré à ceux qui ont des difficultés, c'est 1,4 milliards ; en Angleterre c'est 16,6 milliards. Le ministre de la Justice française ne cesse de répéter que la justice anglaise est une justice pour les riches ; il faut se regarder dans la glace !"
Comme dans votre programme il y aurait réduction accélérée du déficit, réduction accélérée des impôts, où prendriez-vous l'argent pour subvenir aux besoins de la justice.
- "Le budget de la Justice est tout petit, il fait 1,69 % du budget.."
Oui, mais enfin il faut bien trouver de l'argent quelque part.
- "Mais il y a de l'argent ! M. Jospin annonce à grand fracas qu'il rajoute par exemple un milliard sur l'équipement judiciaire, pénitentiaire plus exactement, et il ne l'emploie pas. C'est-à-dire que dans le budget, il y a des sommes qui sont votées et qui ne sont pas consommées. Commençons donc par consommer les crédits votés et cela arrangera déjà bien les problèmes."
Hier, le Monde publiait les procès verbaux des mises en cause dans l'affaire des marchés publics des lycées d'Ile de France. Ce matin, le Figaro décrit par le menu l'enquête des juges d'instruction. Les deux publications arrivent au même constat : les entreprises et les partis politiques agissaient de pair pour se partager des marchés très rémunérateurs.
- "Vous avez raison, c'est une affaire grave. Cela dit, heureusement qu'on a eu en 1995 - il a fallu attendre jusque là - la loi d'E. Balladur pour interdire tout financement par les entreprises."
On doit passer l'éponge sur ce qui s'est passé en 90 et 95.?
- "Commençons d'abord par faire la vérité avant de passer l'éponge. Pour le moment, on est dans les enquêtes. Ces enquêtes vont d'ailleurs être longues et elles vont déterminer les responsabilités. Gardons-nous d'une justice sommaire aujourd'hui."
Il y avait une entente des partis politiques avec des entreprises de travaux publics.
- "Il semble qu'un certain nombre de responsables de partis politiques aient à cet échelon là eu une entente, mais attendons la fin des enquêtes parce que cela ne fait que commencer. Les droits de la défense existent, vous avez vu dans les procès précédents un certain nombre de gens qui avaient été mis en cause et cloués au pilori."
Je ne parlais pas des gens en l'occurrence, mais des systèmes.
- "...cloués au pilori médiatique, on a ensuite eu des non-lieux ou les procédures ont été annulées. Donc, gardons-nous d'aller trop vite."
Les lamentations que l'on entend généralement sur le fait que la démocratie est en danger suffiront maintenant à convaincre les électeurs ?
- "Je crois que le système a changé. Aujourd'hui cela n'existe plus, cela a existé pendant trop longtemps parce que le système de financement a été mal conçu, mal organisé. Je crois que c'est seulement à partir de 1995 que la loi est devenue efficace, jusque là elle ne l'était pas, elle était approximative."
Qu'avez-vous à dire aux électeurs qui aujourd'hui disent : "Ils nous ont tellement raconté d'histoires pendant tellement d'années qu'on n'a plus envie d'aller voter pour eux. Ils n'ont pas le droit de nous représenter."
- "Je comprends cette déception, il faut leur donner des garanties qu'aujourd'hui les choses se passent honnêtement. J'ai proposé à plusieurs reprises que les comptes des partis politiques soient certifiés par la Cour des comptes ou par un organisme indiscutable. J'ai vu d'ailleurs que la Commission de contrôle du financement de la vie politique demandait davantage de moyens pour exercer ses contrôles. Il faut aller dans ce sens là, il faut que les comptes des partis politiques soient vérifiés, contrôlés, certifiés."
Il faut laisser les juges agir, sans rien faire d'autre ? Vous savez qu'ils vont aller jusqu'au bout et prononcer des mises en examen.
- "Mais c'est naturel qu'ils aillent jusqu'au bout, ils font leur travail, il n'y a rien à dire à cela."
Ce délabrement a l'air de vous laisser impavide ?
- "Non. Je crois que c'est une page qui se tourne. Un certain nombre de gens qui sont mis en cause pour avoir procédé à ces modes de financements seront poursuivis par la justice."
Et devront passer la main ?
- "Probablement, les conséquences politiques seront tirées par le corps électoral."
A quelque niveau qu'ils se trouvent ?
- "C'est assez naturel, à condition que les responsabilités soient clairement établies et non pas qu'on fasse dans l'approximation, comme trop souvent."
A quelque niveau qu'ils se trouvent ?
- "Le corps électoral est souverain dans ce domaine et comme vous faites part de sa déconvenue, je ne doute pas qu'il en tirera les conséquences."
(source http://perso.wanadoo.fr/devedjian, le 26 février 2003)