Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse d'ouvrir ce colloque. Depuis trois ans, les pressions n'ont pas manqué pour que je fasse un grand événement sur le développement durable qui soit à la hauteur des Assises régionales, puis nationales, du développement durable organisées, fin 1996, par Corinne LEPAGE. Les débats furent passionnants et le public nombreux mais ces rencontres restèrent lettre morte faute d'être reprises par le gouvernement et son Premier ministre, Alain JUPPE, et faute d'avoir trouvé sur le terrain les relais nécessaires.
Je n'ai pas oublié la leçon. Et j'ai fait d'autres choix : j'ai préféré aux grands messes les réunions de travail et aux improbables promesses l'adoption de mesures immédiates et concrètes. L'heure est venue aujourd'hui de dresser le bilan de notre action et de tracer les grandes lignes de ce qu'elle devrait être pour les années à venir.
Comme nous allons le voir tout au long de cette journée, le développement durable, sans être une révolution, conduit à un véritable aggiornamento des politiques territoriales. C'est ainsi qu'il nous a guidés dans l'ensemble de notre travail depuis trois ans : la Loi d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire votée en juin dernier ; les Contrats de Plan Etat/Région qui sont progressivement signés ; les Schémas de services collectifs qui seront présentés le mois prochain ; et enfin les Documents uniques de programmation (DOCUP) pour la gestion des fonds structurels européens qui seront adoptés avant l'automne.
Car le développement durable n'est pas qu'une affaire hexagonale. L'Union européenne s'est positionnée sans ambiguïté sur ce nouvel enjeu. J'en veux pour preuve l'adoption par la Commission, en juillet dernier, des orientations pour la mise en uvre des Fonds structurels (2000-2006) qui font du développement durable l'un des principes majeurs. Une dimension essentielle sur laquelle reviendra plus en détails le Commissaire européen, Michel BARNIER, en fin de journée.
Au delà des frontières de l'Europe, nous préparons la conférence de La Haye sur les changements climatiques et " Rio + 10 " qui nous oblige à faire l'analyse critique de ce qui a été fait depuis 1992 et l'adoption, au Sommet de la Terre, des grandes conventions concernant la désertification, la biodiversité, ou le climat. En outre, la question de la pertinence même des outils institutionnels dont nous disposons au niveau planétaire pour le développement durable, devra être posée. Laurence TUBIANA, qui vient de remettre un rapport au Premier ministre sur ces enjeux internationaux, en dressera tout à l'heure les perspectives.
C'est à mes yeux un point essentiel car le développement durable ne saurait être une clef de l'avenir pour les seuls pays riches du Nord de la planète. Nous sommes interdépendants et la paix sociale ne s'achète pas plus sur le dos de la nature ou des générations futures que sur celui du Tiers-Monde. C'est la conviction de tous les écologistes.
Quel que soit le bilan que nous ferons ensemble de ces travaux, une chose est sûre : depuis le Sommet de Rio, certains risques pour la planète - le dérèglement climatique, la désertification, ou la perte de biodiversité... - sont reconnus et admis par tous. Ils ont conduit à la définition d'un principe d'action nouveau et, semble-t-il, irréversible - le principe de précaution - et relancé le débat sur la nécessité du développement durable.
1 - LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Mais qu'est ce que le développement durable ?
La réponse n'est pas simple. Et si l'expression revient de plus en plus fréquemment, c'est pour beaucoup une notion floue. J'en veux pour preuve une enquête réalisée récemment en Rhône-Alpes qui révèle que 95 % de la population n'a aucune idée de ce dont il s'agit. Plus grave encore, plus de 60 % des maires avouent n'en rien savoir alors qu'en matière de protection de l'environnement, de gestion de l'espace, et de développement local, ce sont des acteurs de tout premier plan.
Il faut pourtant bien se garder de conclusions hâtives et déduire de cette étude qu'après tout, si personne ne sait ce qu'est le développement durable, c'est que ce concept ne repose sur aucune réalité, sur aucune attente politique ou sociale. Une autre enquête, que vient de réaliser l'Institut français de l'environnement (IFEN), est à ce titre révélatrice. Elle montre en effet que, pour 50 % des personnes interrogées, le développement durable est malgré tout un outil de gestion qui sera de plus en plus utilisé par les acteurs économiques et sociaux. Cette enquête est intéressante parce qu'elle montre que pour 75 % des représentants de l'administration, des collectivités locales, des associations et du monde de l'entreprise interviewés, le développement durable est la prise en compte simultanée des échelles locale, régionale et globale.
Et ils sont autant à juger que les conséquences de la disparition de certaines ressources naturelles se feront ressentir, selon les personnes interrogées, en premier lieu sur l'activité économique. Si le concept n'est pas encore vulgarisé, les interrelations qui sont à la base du développement durable sont donc, elles, bien perçues.
Pour Gro Harlem BRUNDLAND, qui a introduit ce concept en 1987, dans le cadre d'un rapport pour les Nations Unies, assurer le développement durable de nos sociétés, c'est agir de manière à satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre les possibilités des générations futures de satisfaire les leurs.
Le cadre est donc posé. Mais il ne saurait suffire. Le développement durable est en effet un nouveau paradigme et non un axiome scientifique ; un principe politique qui n'aura que le sens que la société voudra lui donner ; une conception nouvelle du développement basée sur une démarche, un mode d'organisation du processus de décision et d'action, et non sur une vérité révélée. Prendre en compte des besoins des génération futures revient à accepter l'incertitude, à définir, a priori, des limites qui, par précaution, nous empêchent d'hypothéquer l'avenir.
Dès lors, penser développement durable, c'est veiller à la bonne articulation de trois séries de paramètres : le local et le global ; le court et le long terme ; et enfin ce que Jacques Theys appelle joliment " les trois soeurs rivales du développement ", l'économique, le social et l'écologique. Sachant que, dans cette démarche dialectique, il faut savoir privilégier, même s'il en coûte, le second terme du paramètre : le long plutôt que le court terme, les générations futures plutôt que la satisfaction des besoins immédiats, l'avenir de la planète avant le petit village gaulois.
Car le développement durable ne se réduit pas à des impératifs généreux et globalisants. C'est aussi et surtout un principe clair de hiérarchisation de l'action publique. Le territoire offre trop d'exemples de négligences aux conséquences dommageables, d'options retenues sans examen suffisant des alternatives, de choix commandés par un critère unique au détriment de la cohérence. Parfois, ces conséquences grèvent les potentiels de développement régional, handicapent les activités économiques, ternissent l'image de certains territoires, et pèsent financièrement sur la population locale.
Premier exemple : la ville. L'étalement urbain incontrôlé se traduit, à terme, par des situations socio-économiques peu supportables pour certaines catégories de populations : ségrégation spatiale, logements sans valeur, friches urbaines, violences, coût des transports dépassant celui de l'habitat pour certains ménages. Une étude récente de l'INRETS a montré que les coûts de déplacements pour les accédants au logement disposant de revenus modestes passaient de 10 % de leur budget lorsqu'ils étaient en zone urbaine à 30 % en périphérie éloignée ! L'étalement urbain renchérit considérablement le fonctionnement de l'agglomération pour la collectivité. Ne pas maîtriser l'urbanisme et laisser se faire, à tort et à travers, de nouvelles pénétrantes, radiales ou autoroutes conduit ainsi clairement, non seulement à accroître de façon substantielle les impacts sur les milieux - l'espace, l'air, le bruit... -, mais, plus grave, à défavoriser les ménages modestes et à augmenter le coût social de cette dispersion urbaine en termes de santé publique et d'accidents. C'est donc être triplement perdant, du point de vue de l'environnement, de l'équité sociale et du développement économique.
Second exemple : l'agriculture. La politique agricole a incité, pendant trente ans, les agriculteurs à produire le plus possible au prix le plus bas possible. Les conséquences de cette politique conduite au nom d'une prétendue efficacité ont été désastreux pour tous. Pour les agriculteurs, en premier lieu, dont le nombre a chuté de façon vertigineuse et qui ont été par centaines de milliers broyés par cette mécanique incontrôlée. Pour les milieux naturels aussi. Aujourd'hui, dans certaines régions, la pollution azotée des rivières a provoqué sur les littoraux la floraison de microalgues productrices de toxines, au détriment des pêcheurs et conchyliculteurs ; elle favorise la dystrophisation et les algues vertes, grevant le tourisme local et coûtant jusqu'à 4 MF par an et par commune pour le seul nettoyage. Fertilisants et phytosanitaires dans l'eau privent en certains endroits des industriels agro-alimentaires de leurs labels de qualité. La compensation de la pollution azotée (dénitrification, interconnexion, eau minérale obligatoire) coûte à elle seule aux ménages concernés autant que le soutien public à l'agriculture. Pourra-t-on longtemps encore tolérer un tel gâchis ? Pour l'économie enfin, car on a spécialisé l'agriculture sur des produits à faible valeur ajoutée et créé des filières d'une grande fragilité, à la merci de la moindre fluctuation des marchés mondiaux comme en témoigne le récent dépôt de bilan d'un des principaux producteurs de volailles français.
Troisième exemple : les transports. L'arrivée d'une autoroute dans une région économiquement vulnérable peut se révéler néfaste lorsqu'aucun projet territorial ne l'accompagne. Dans ces régions, où les contraintes physiques sont souvent fortes, les coûts de réalisation et d'entretien sont très élevés pour des fréquentations faibles. Ces infrastructures sont déficitaires alors que l'amélioration de l'existant suffirait à répondre aux besoins. Le jugement rendu par le Conseil d'Etat sur l'A400, qui préconise un seuil minimal de 10000 véhicules/jour, doit servir d'exemple. De telles infrastructures peuvent vider des territoires au profit des pôles urbains qu'elles relient. Elles mobilisent de lourds moyens publics sur un investissement au détriment de ceux qui ont d'autres besoins ou priorités (réhabilitation urbaine, services publics de proximité) ou qui, ne disposant pas d'un véhicule, n'ont pas accès aux différents services (personnes âgées, handicapés...). Enfin, le nombre croissant d'infrastructures à grand gabarit, mais dont le trafic reste faible, pèse sur les finances publiques. J'ose espérer que certains grands projets, notamment dans le sud-est de la France, feront, enfin, l'objet d'une examen à l'aune du développement durable.
Ces trois exemples illustrent bien le fait que le développement durable n'est pas un vain concept mais au contraire une nécessité. Il est clair que nous entrons dans une nouvelle histoire de la croissance où il ne sera plus raisonnablement possible d'ignorer les risques sociaux ou écologiques que celle-ci génère. Les contraintes budgétaires comme l'émergence inattendue de la société civile, qui a montré à Seattle qu'elle savait donner de la voix, nous obligent à faire preuve d'une attention critique renouvelée.
Dans tous les domaines, les signaux clignotent. Je ne vous parlerai pas aujourd'hui des dérèglements climatiques ou de l'accroissement de l'effet de serre, de la gestion de l'eau ou de celle des déchets. Je m'en tiendrai à l'aménagement du territoire, thème de cette rencontre. L'exercice est certes plus difficile puisque si l'on sait, à peu près, ce que devrait être une gestion durable des ressources ou une limitation des impacts sur l'environnement, on est encore incapable de définir un seuil convenable en matière de capacité de charge des milieux. Il faut inventer de nouvelles batteries d'indicateurs et de mesures. C'est le thème de la table-ronde de cet après-midi.
Mais le constat a d'ores et déjà été établi par les experts : "Il semble évident, écrit ainsi Alain LIPIETZ, que plus la société va choisir le modèle de la flexibilité, et donc d'une polarisation en termes de revenus et de qualifications, plus l'urbanisation va, elle aussi, se polariser, mais de manière désorganisée, dans les grandes villes ". Le milieu rural ne sera pas épargné et on peut craindre, si rien n'est fait, que la globalisation des marchés ne conduise à la généralisation du modèle d'exploitation à l'américaine mobilisant beaucoup de capitaux et de techniques, beaucoup d'espaces et peu de gens.
N'étant ni les Pays-Bas " jardiniers " par nécessité, ni la Finlande, au patrimoine naturel surabondant, nous ne pouvons faire l'économie d'une stratégie spatiale. Une réflexion d'autant plus nécessaire que l'économie rurale comme l'industrie s'émancipent progressivement de leurs attaches territoriales : la première fait du hors-sol et la seconde doit composer avec les investissements internationaux mobiles. Pour ces acteurs économiques, l'enjeu est moins aujourd'hui de maîtriser un territoire que d'accéder à un marché, à un réseau.
C'est pourquoi le rôle de l'Etat est essentiel. Lui seul est en mesure de combiner sur des territoires pertinents du point de vue de leur homogénéité physique (les parcs naturels régionaux) ou socio-économique (pays et agglomérations, bassins d'emplois...) les dynamiques économiques, les demandes sociales, et les exigences environnementales, les trois piliers du développement durable.
N'a-t-on pas mesuré, lors des deux tempêtes de décembre, non seulement combien les maillages de notre pays étaient faibles et peu résistants face aux aléas climatiques mais, surtout, comment était fort le besoin d'Etat qui devait assurer, ou restaurer, sans délais, l'alimentation, la communication, ou la sécurité ? On n'ose plus employer l'expression d'Etat providence, il faut pourtant répondre à la demande sociale.
Les pouvoirs publics, en France comme ailleurs, doivent ainsi faire face à une injonction paradoxale : mettre en place des institutions performantes mais accepter, simultanément, que les marges de manoeuvre soient réduites, que sa légitimité et son efficacité soient remises en cause.
Cette situation impose de définir une nouvelle règle du jeu que d'aucuns appellent "gouvernance" : associer le plus grand nombre à la prise de décision, assurer la transparence et en appeler à la responsabilité constituent les fondements de cette pratique politique. Car le développement durable est une conception inédite et féconde de penser l'action publique dans le sens où il n'apporte pas de réponses prêt-à-porter mais prend au contraire le risque de laisser les opportunités ouvertes. C'est un questionnement permanent.
2 - CE QU'A FAIT LE GOUVERNEMENT
La démarche
On ne fait pas du développement durable comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c'est à dire sans le savoir. Le développement durable ne peut être qu'une orientation forte et affichée des Pouvoirs publics. C'est le choix fait par Lionel Jospin, dès juin 1997, lorsqu'il m'a proposé de réunir dans le même ministère l'aménagement du territoire et l'environnement même si, a priori, tout semblait devoir opposer, pour toujours, aménageurs et protecteurs, promoteurs des territoires et gestionnaires des ressources. Depuis trois ans, les services de l'Environnement travaillent au quotidien avec la Datar et plus personne n'imagine qu'il puisse en être autrement.
Puis le Premier ministre a fixé, lors du CIADT de décembre 1997, le cadre de la réforme de la loi d'aménagement et de développement du territoire de 1995 et défini les objectifs auxquels devraient répondre les nouveaux contrats de plan Etats/Région. Pour la première fois, le développement durable était retenu comme objectif principal des politiques territoriales au même titre que l'emploi ou la solidarité.
Pour traduire cette orientation du Gouvernement, j'ai précisé aux Préfets, dans une circulaire de mai 1998, la méthode de cet exercice inédit. Une démarche en trois temps avec, en premier lieu, l'estimation complète de l'intérêt et de l'impact de chaque projet, de chaque programme ; puis le renforcement des performances environnementales ; enfin, la mise en place d'indicateurs de suivi et d'évaluation.
Jointe à cette circulaire, une grille d'analyse précise était élaborée avec, pour chaque domaine, des données actualisées sur plusieurs années. Les représentants de l'Etat en région pouvaient dès lors confronter, par exemple, le niveau des droits de mutation dans une région avec les distances parcourues quotidiennement, ou comparer, dans le temps et entre les régions, la qualité des eaux ou les émissions de carbone.
Premier bilan des CPER
Les contrats de plan qui ont été adoptés montrent que les avancées sont loin d'être négligeables. Le développement durable se traduit dans ces documents par l'intégration d'objectifs environnementaux sur le long terme dans les politiques sectorielles et par la constitution de dispositifs permettant de combiner performance économique, justice sociale et qualité environnementale. S'il serait vain de vouloir faire l'inventaire de l'ensemble des CPER, quelques exemples permettront d'illustrer mon propos.
Premier exemple : l'agriculture. Dans ce domaine, des aides ont été décidées afin de favoriser l'installation d'agriculteurs tout en favorisant la recherche et le développement de produits de qualité non seulement sanitaire mais aussi environnementale. L'agriculture biologique, la contribution de l'agriculture à l'entretien des paysages et des milieux et la maîtrise des pollutions agricoles font désormais l'objet d'une attention spécifique.
Second exemple : les transports. On l'a vu : s'il est un domaine qui est la caricature même du développement non durable, c'est bien celui des transports. Aujourd'hui, une réorientation des moyens permet de favoriser le transport ferroviaire qui bénéficie de quelque 8 MdsF contre 800 MF dans la précédente génération de contrats de plan alors que les crédits routiers voient leur part diminuer entre les deux contrats de plan de 33 à 23 %.
Troisième exemple : la protection de l'environnement. Dans ce domaine, les crédits passent de 1,3 à 3,1 mds de francs auxquels il convient d'ajouter l'effort financier de l'ADEME (3,3 mds F) : la gestion de l'eau et des milieux aquatiques, la maîtrise de l'énergie et le développement des énergies renouvelables, les déchets et le management environnemental sont autant de dossiers prioritaires pour cette nouvelle génération de contrats de plan.
L'effort est certes modeste puisqu'il ne représente que 3 % du total des budgets contractualisés. Il est néanmoins réel puisque la part consacrée à l'environnement a ainsi doublé par rapport à la précédente génération de contrats de plan.
Mais quels que soient ces engagements, ils ne sauraient être durables sans dispositifs de suivi. C'est pourquoi des procédures d'information et d'évaluation ont été adoptées avec la mise en place d'un système d'information sur l'environnement (eau, énergie, air, déchets et patrimoine naturel), des études et des inventaires sur la biodiversité et les paysages, et des programmes de sensibilisation et d'éducation.
Ces progrès doivent être consolidés et poursuivis. La négociation a en effet montré une sensibilité nouvelle de l'administration, des élus et des socioprofessionnels au développement durable.
C'est malheureusement encore trop souvent une approche complémentaire qui se superpose aux approches productivistes ou équipementières classiques : importance des programmes routiers au nom du " désenclavement " en surplus de l'innovation modale (fer), attachement aux projets connus d'hydraulique agricole, comme le barrage de la Trézence ou aux programmes classiques d'aide aux filières agricoles sans cohérence avec la réorientation voulue par la loi d'orientation agricole (LOA).
La Loaddt et les schémas de service collectifs.
En parallèle à la préparation des contrats de plan, nous avons élaboré la Loi sur l'Aménagement et de Développement Durable du Territoire qui a été votée en juin 1999. L'adjonction du qualificatif de durable n'est pas une clause de style. Avec ce texte, le Gouvernement a rompu avec une planification centralisée aussi coûteuse qu'inefficace.
Cette loi, dont les décrets d'application sont imminents, est innovante. Elle passe en effet d'une problématique de l'offre à l'analyse des besoins, d'une logique de guichets à une logique de projets, et s'appuie sur une échelle territoriale nouvelle et pertinente du point de vue du développement durable: les agglomérations et les pays.
La LOADDT instaure neuf schémas de services collectifs qui permettent de sortir du champ traditionnel de la planification nationale. Une approche désormais sectorielle prévaut avec la prise en compte de nouveaux domaines comme l'énergie et les espaces naturels et ruraux mais une approche aussi régionale avec les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (SRADT). Cette double clef a été adoptée, là encore, dans un souci de développement durable.
Ces schémas partent d'un diagnostic des enjeux et des vulnérabilités de chaque territoire, élaboré collectivement, et s'astreignent à répondre aux besoins dans le cadre réaliste des contraintes économiques, sociales et environnementales.
Ils seront présentés dans le cadre d'un CIADT, courant mai, une fois prises en compte les dernières contributions régionales. Trois des neuf schémas méritent une attention particulière s'agissant du développement durable.
Les schémas des services collectifs des transports devront marquer une rupture avec les logiques du passé. Contrairement aux anciens schémas directeurs d'infrastructures qui étaient conçus dans une logique de l'offre, ces schémas seront établis en fonction des attentes des usagers avec un souci de meilleure utilisation des réseaux existants, de maîtrise des nuisances et de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
En cohérence avec les projets discutés dans le cadre des contrats de plan, le Gouvernement a assigné à ces schémas deux priorités : le développement du fret ferroviaire et les transports collectifs en agglomérations. Sans attendre l'aboutissement de ces schémas, le débat parlementaire sur la loi " Solidarité et rénovation urbaine " a d'ailleurs donné l'occasion à Jean-Claude GAYSSOT d'annoncer une augmentation de 1 md de francs par an en faveur des transports publics urbains.
Les schémas des services collectifs des espaces naturels et ruraux sont très novateurs. Ils permettent en effet la prise en compte simultanée des enjeux environnementaux (biodiversité, qualité de l'eau et des sols, risques naturels,...) agricoles et urbains. Objectif de ces schémas ? Passer d'une culture de protection, voire de handicap, par rapport à l'environnement à une culture de valorisation avec la prise en compte des ressources naturelles comme autant de services attendus et recherchés par la population, qu'elle soit urbaine ou rurale.
L'espace de qualité, les terroirs de renom sont en effet non seulement des signes de qualité de la vie pour nos concitoyens mais ils font aussi l'image internationale de notre pays. C'est même sans doute un de ses principaux atouts dans la compétition mondiale.
Les schémas des services collectifs de l'énergie permettront de concrétiser sur le territoire deux priorités de la politique énergétique française : la maîtrise de la consommation et le développement des énergies renouvelables. Dans ces deux domaines particuliers, le rôle des collectivités locales est primordial car c'est à l'échelle des territoires que peuvent être le mieux mis en oeuvre des programmes d'actions adaptés aux potentiels locaux. Outre leur intérêt en termes d'économie de la ressource, ces programmes sont appréciables pour les activités nouvelles, et donc les emplois, qu'ils suscitent.
3 - LA NOUVELLE GOUVERNANCE
Nous avons donc aujourd'hui tous les outils en mains. Mais quelles que soient la pertinence et l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre, il ne saurait y avoir de développement durable sans implication forte de la société civile.
Les événements récents ont montré que l'opinion publique était plus réactive que jamais. "Une double démocratisation se dessine", a déclaré le Premier ministre dans son allocution au symposium du Nikkei, à Tokyo, en décembre dernier. Evoquant l'échec de la conférence ministérielle de l'OMC à Seatttle, Lionel JOSPIN se félicitait de l'émergence d'une conscience nouvelle des pays en voie de développement ainsi que d'organisations non gouvernementales émanant de la société civile.
Il faut saisir cette opportunité pour jeter les bases d'une nouvelle gouvernance qui fera que notre mode de développement sera non seulement durable mais aussi désirable. Du côté de l'Etat, on voit assez bien les étapes nécessaires à la mise en place d'une telle gouvernance.
Mettre en oeuvre les dispositifs contractuels et réglementaires. Cela peut sembler évident mais il serait vain de vouloir créer de nouveaux outils si nous n'utilisons pas ceux qui existent. Dans le domaine de l'aménagement du territoire comme dans celui de l'environnement, nous avons tout ce qui nous faut pour réorienter les politiques publiques vers plus de durabilité.
Anticiper sur les dynamiques de marché par la fiscalité, l'innovation et la création de nouveaux services : la mise en oeuvre de la TGAP qui sera étendue cette année à l'énergie est un atout de tout premier ordre. Cet instrument vient utilement compléter le principe pollueur-payeur qui permettait de financer les réparations mais n'était pas suffisamment dissuasif. Mais les taxations des comportements polluants n'a de sens que si, dans le même temps, des solutions alternatives sont proposées.
S'appuyer enfin sur la vigilance de l'opinion pour développer l'information, étendre la labellisation, créer des observatoires et des systèmes d'évaluations. Des Observatoires régionaux du développement durable pourraient ainsi être créés. Ils couvriraient les trois problématiques (environnement, social, économie et emploi), et travailleraient en réseau aussi bien au plan national qu'à l'échelon international.
De nouveaux contrats
Cette stratégie de l'Etat doit s'accompagner d'outils propres à associer les citoyens, qui sont autant d'usagers ou de consommateurs, à la prise de décision. Pour ce faire, il faut développer de nouveaux contrats et des lieux de débats pour répondre à cette exigence de participation qui s'est manifestée à Seattle. Là encore, je ne dresserai pas l'inventaire de tout ce qui existe ou mériterait d'être créé. Quelques exemples suffiront à illustrer mon propos.
Les agendas 21. Pour formaliser et mettre en oeuvre ces " pacs " du développement durable, ou ce nouveau contrat social, que doivent signer entre eux les acteurs locaux, un outil existe même s'il est encore peu développé : les agendas 21 locaux.
Ils ont aujourd'hui force de loi. Selon l'article 25 de la LOADDT, les chartes de pays seront "le projet commun de développement durable du territoire selon les recommandations inscrites dans les agendas 21 locaux (...) qui sont la traduction locale des engagement internationaux finalisés lors du sommet de Rio de Janeiro de juin 1992". L'article 26 de la même loi fixe un cadre identique pour les agglomérations. Le référent existe. Reste à le mettre en oeuvre.
Aujourd'hui, plus de cinquante agglomérations et deux cents pays préparent des projets d'agglomérations et des chartes de pays qui se traduiront, d'ici 2003, par des contrats particuliers signés avec l'Etat.
Afin de préparer cette démarche, mon ministère avait lancé, dès juillet 1997, avec la Délégation interministérielle à la ville (DIV), un appel à projets sur les outils et les démarches nécessaires pour la réalisation de ces agendas 21 locaux. Dix-sept projets avaient alors été sélectionnés et 51 communes s'étaient associées afin de constituer un réseau d'expérimentations et de réflexions communes.
Un deuxième appel à projets a été lancé. Les dossiers devaient être remis avant vendredi dernier, le 31 mars. Les lauréats seront sélectionnés avant la fin du mois d'avril. Le ministère apportera une subvention d'investissement ou de fonctionnement aux projets retenus.
Des lieux de débat.
L'élaboration de ces nouveaux contrats passe par une large consultation. Les lieux de débats existent - faut-il encore les investir ! - ou sont à mettre en place. Dans des domaines assez différents, en voici trois qui sont particulièrement pertinents au regard du sujet qui nous préoccupe.
Les organes consultatifs. La LOADDT a défini, à chaque niveau, des instances de concertation en matière d'aménagement et de développement des territoires.
Le Comité national d'aménagement et de développement du territoire (CNADT) fait l'évaluation critique des politiques territoriales. La première réunion du CNADT, en juillet dernier, avait été, par exemple, l'occasion de débattre de la répartition de la nouvelle enveloppe des fonds structurels.
Les conférences régionales (CRADT) sont, au niveau local, les lieux de rencontre entre les élus et les acteurs socio-économiques sur les politiques d'aménagement du territoire. Elles sont indispensables notamment pour arrêter le périmètre des futurs pays.
Enfin, les conseils de développement des pays permettent aux acteurs économiques et sociaux et aux associations, qui sont exclus de l'organe de gestion, de participer localement à l'élaboration des projets de chartes et à l'examen de leur mise en oeuvre.
Pour chacune de ces trois instances, le même principe prévaut : assurer la transparence dans l'élaboration de la décision publique et une plus grande efficacité par la prise en compte des besoins exprimés.
La Commission française du développement durable (CFDD). Après quelques mois de sommeil, la CFDD a été relancée avec la nomination à sa tête de Jacques Testart qui témoignera, tout-à-l'heure, lors de la première table-ronde. Sous sa présidence, la commission connaît un second souffle. Elle se réunit régulièrement dans l'idée non pas de se substituer aux scientifiques ou aux services de l'Etat mais plutôt d'être une sorte de comité des sages, à l'interface entre les experts et la société civile.
Le mois dernier, la CFDD a ainsi remis un premier avis sur le principe de précaution qui a montré qu'elle était bien en mesure de s'emparer des rapports d'experts pour produire une analyse critique citoyenne.
Dans quelques jours, l'arrêté nommant ses nouveaux membres sera publié. A la demande de son président, la CFDD aura désormais vingt membres représentatifs de la société française -élus, économistes, enseignants, syndicalistes, ...- et autant d'hommes que de femmes, il fallait le souligner. Je suis sûre qu'ainsi reconstituée, la CFDD deviendra très rapidement l'interlocuteur de référence en matière de développement durable.
La Commission nationale du débat public. Dans le domaine de l'aménagement du territoire, une autre instance est essentielle pour le développement durable : la Commission nationale du débat public (CNDP). Créée par la loi de février 1995, j'ai installé cette commission en septembre 1997 et j'en ai confié la présidence à Hubert BLANC.
Les premiers débats menés sous l'égide de la CNDP se sont traduits par une participation très active des citoyens concernés que ce soit dans les villages qui bordent les gorges du Verdon sur le projet de ligne électrique à très haute tension ou, au Havre, pour l'aménagement du port. Si dans les deux cas il a fallu du temps et de l'argent, les mentalités et les cultures en ont été changées.
Cette concertation élargie permet de confronter réellement les différentes exigences du développement durable : la protection des sites naturels et l'emploi, l'équité sociale et le développement économique.
Cet outil doit être réformé afin que son champ d'intervention et ses conditions de saisine permettent de l'utiliser pour tous les grands projets et non pas, comme aujourd'hui, de façon restrictive puisque seuls quatre d'entre eux ont fait l'objet d'un tel examen démocratique. C'est une des conclusions du rapport du Conseil d'Etat que Nicole QUESTIAUX vient de me remettre sur la refonte plus générale de l'enquête d'utilisé publique et sur lequel nous allons nous baser pour préparer un projet de loi.
Conclusion
Mesdames, messieurs, comme vous le voyez, le développement durable des territoires est à notre portée : les outils comme les lieux de consultation et de concertation désormais existent. Le développement durable est une politique qui embrasse et réconcilie l'économie, le social et l'environnement. C'est une opportunité que nous ne devons pas laisser passer. C'est aussi une nouvelle conception de la démocratie qui est en jeu.
Nous l'avons vu : l'idée peu à peu se répand. Du discours à la réalité, le chemin cependant est encore long. C'est pourquoi il faut nous mobiliser et modifier la conduite de l'action politique et administrative ; il nous faut convaincre et mettre en place les leviers qui orienteront cette façon inédite et moderne d'organiser et de concevoir le développement de nos sociétés.
Je vous remercie.
(Source : http://www.environnement.gouv.fr, le 6 avril 2000)
Je suis très heureuse d'ouvrir ce colloque. Depuis trois ans, les pressions n'ont pas manqué pour que je fasse un grand événement sur le développement durable qui soit à la hauteur des Assises régionales, puis nationales, du développement durable organisées, fin 1996, par Corinne LEPAGE. Les débats furent passionnants et le public nombreux mais ces rencontres restèrent lettre morte faute d'être reprises par le gouvernement et son Premier ministre, Alain JUPPE, et faute d'avoir trouvé sur le terrain les relais nécessaires.
Je n'ai pas oublié la leçon. Et j'ai fait d'autres choix : j'ai préféré aux grands messes les réunions de travail et aux improbables promesses l'adoption de mesures immédiates et concrètes. L'heure est venue aujourd'hui de dresser le bilan de notre action et de tracer les grandes lignes de ce qu'elle devrait être pour les années à venir.
Comme nous allons le voir tout au long de cette journée, le développement durable, sans être une révolution, conduit à un véritable aggiornamento des politiques territoriales. C'est ainsi qu'il nous a guidés dans l'ensemble de notre travail depuis trois ans : la Loi d'Aménagement et de Développement Durable du Territoire votée en juin dernier ; les Contrats de Plan Etat/Région qui sont progressivement signés ; les Schémas de services collectifs qui seront présentés le mois prochain ; et enfin les Documents uniques de programmation (DOCUP) pour la gestion des fonds structurels européens qui seront adoptés avant l'automne.
Car le développement durable n'est pas qu'une affaire hexagonale. L'Union européenne s'est positionnée sans ambiguïté sur ce nouvel enjeu. J'en veux pour preuve l'adoption par la Commission, en juillet dernier, des orientations pour la mise en uvre des Fonds structurels (2000-2006) qui font du développement durable l'un des principes majeurs. Une dimension essentielle sur laquelle reviendra plus en détails le Commissaire européen, Michel BARNIER, en fin de journée.
Au delà des frontières de l'Europe, nous préparons la conférence de La Haye sur les changements climatiques et " Rio + 10 " qui nous oblige à faire l'analyse critique de ce qui a été fait depuis 1992 et l'adoption, au Sommet de la Terre, des grandes conventions concernant la désertification, la biodiversité, ou le climat. En outre, la question de la pertinence même des outils institutionnels dont nous disposons au niveau planétaire pour le développement durable, devra être posée. Laurence TUBIANA, qui vient de remettre un rapport au Premier ministre sur ces enjeux internationaux, en dressera tout à l'heure les perspectives.
C'est à mes yeux un point essentiel car le développement durable ne saurait être une clef de l'avenir pour les seuls pays riches du Nord de la planète. Nous sommes interdépendants et la paix sociale ne s'achète pas plus sur le dos de la nature ou des générations futures que sur celui du Tiers-Monde. C'est la conviction de tous les écologistes.
Quel que soit le bilan que nous ferons ensemble de ces travaux, une chose est sûre : depuis le Sommet de Rio, certains risques pour la planète - le dérèglement climatique, la désertification, ou la perte de biodiversité... - sont reconnus et admis par tous. Ils ont conduit à la définition d'un principe d'action nouveau et, semble-t-il, irréversible - le principe de précaution - et relancé le débat sur la nécessité du développement durable.
1 - LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
Mais qu'est ce que le développement durable ?
La réponse n'est pas simple. Et si l'expression revient de plus en plus fréquemment, c'est pour beaucoup une notion floue. J'en veux pour preuve une enquête réalisée récemment en Rhône-Alpes qui révèle que 95 % de la population n'a aucune idée de ce dont il s'agit. Plus grave encore, plus de 60 % des maires avouent n'en rien savoir alors qu'en matière de protection de l'environnement, de gestion de l'espace, et de développement local, ce sont des acteurs de tout premier plan.
Il faut pourtant bien se garder de conclusions hâtives et déduire de cette étude qu'après tout, si personne ne sait ce qu'est le développement durable, c'est que ce concept ne repose sur aucune réalité, sur aucune attente politique ou sociale. Une autre enquête, que vient de réaliser l'Institut français de l'environnement (IFEN), est à ce titre révélatrice. Elle montre en effet que, pour 50 % des personnes interrogées, le développement durable est malgré tout un outil de gestion qui sera de plus en plus utilisé par les acteurs économiques et sociaux. Cette enquête est intéressante parce qu'elle montre que pour 75 % des représentants de l'administration, des collectivités locales, des associations et du monde de l'entreprise interviewés, le développement durable est la prise en compte simultanée des échelles locale, régionale et globale.
Et ils sont autant à juger que les conséquences de la disparition de certaines ressources naturelles se feront ressentir, selon les personnes interrogées, en premier lieu sur l'activité économique. Si le concept n'est pas encore vulgarisé, les interrelations qui sont à la base du développement durable sont donc, elles, bien perçues.
Pour Gro Harlem BRUNDLAND, qui a introduit ce concept en 1987, dans le cadre d'un rapport pour les Nations Unies, assurer le développement durable de nos sociétés, c'est agir de manière à satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre les possibilités des générations futures de satisfaire les leurs.
Le cadre est donc posé. Mais il ne saurait suffire. Le développement durable est en effet un nouveau paradigme et non un axiome scientifique ; un principe politique qui n'aura que le sens que la société voudra lui donner ; une conception nouvelle du développement basée sur une démarche, un mode d'organisation du processus de décision et d'action, et non sur une vérité révélée. Prendre en compte des besoins des génération futures revient à accepter l'incertitude, à définir, a priori, des limites qui, par précaution, nous empêchent d'hypothéquer l'avenir.
Dès lors, penser développement durable, c'est veiller à la bonne articulation de trois séries de paramètres : le local et le global ; le court et le long terme ; et enfin ce que Jacques Theys appelle joliment " les trois soeurs rivales du développement ", l'économique, le social et l'écologique. Sachant que, dans cette démarche dialectique, il faut savoir privilégier, même s'il en coûte, le second terme du paramètre : le long plutôt que le court terme, les générations futures plutôt que la satisfaction des besoins immédiats, l'avenir de la planète avant le petit village gaulois.
Car le développement durable ne se réduit pas à des impératifs généreux et globalisants. C'est aussi et surtout un principe clair de hiérarchisation de l'action publique. Le territoire offre trop d'exemples de négligences aux conséquences dommageables, d'options retenues sans examen suffisant des alternatives, de choix commandés par un critère unique au détriment de la cohérence. Parfois, ces conséquences grèvent les potentiels de développement régional, handicapent les activités économiques, ternissent l'image de certains territoires, et pèsent financièrement sur la population locale.
Premier exemple : la ville. L'étalement urbain incontrôlé se traduit, à terme, par des situations socio-économiques peu supportables pour certaines catégories de populations : ségrégation spatiale, logements sans valeur, friches urbaines, violences, coût des transports dépassant celui de l'habitat pour certains ménages. Une étude récente de l'INRETS a montré que les coûts de déplacements pour les accédants au logement disposant de revenus modestes passaient de 10 % de leur budget lorsqu'ils étaient en zone urbaine à 30 % en périphérie éloignée ! L'étalement urbain renchérit considérablement le fonctionnement de l'agglomération pour la collectivité. Ne pas maîtriser l'urbanisme et laisser se faire, à tort et à travers, de nouvelles pénétrantes, radiales ou autoroutes conduit ainsi clairement, non seulement à accroître de façon substantielle les impacts sur les milieux - l'espace, l'air, le bruit... -, mais, plus grave, à défavoriser les ménages modestes et à augmenter le coût social de cette dispersion urbaine en termes de santé publique et d'accidents. C'est donc être triplement perdant, du point de vue de l'environnement, de l'équité sociale et du développement économique.
Second exemple : l'agriculture. La politique agricole a incité, pendant trente ans, les agriculteurs à produire le plus possible au prix le plus bas possible. Les conséquences de cette politique conduite au nom d'une prétendue efficacité ont été désastreux pour tous. Pour les agriculteurs, en premier lieu, dont le nombre a chuté de façon vertigineuse et qui ont été par centaines de milliers broyés par cette mécanique incontrôlée. Pour les milieux naturels aussi. Aujourd'hui, dans certaines régions, la pollution azotée des rivières a provoqué sur les littoraux la floraison de microalgues productrices de toxines, au détriment des pêcheurs et conchyliculteurs ; elle favorise la dystrophisation et les algues vertes, grevant le tourisme local et coûtant jusqu'à 4 MF par an et par commune pour le seul nettoyage. Fertilisants et phytosanitaires dans l'eau privent en certains endroits des industriels agro-alimentaires de leurs labels de qualité. La compensation de la pollution azotée (dénitrification, interconnexion, eau minérale obligatoire) coûte à elle seule aux ménages concernés autant que le soutien public à l'agriculture. Pourra-t-on longtemps encore tolérer un tel gâchis ? Pour l'économie enfin, car on a spécialisé l'agriculture sur des produits à faible valeur ajoutée et créé des filières d'une grande fragilité, à la merci de la moindre fluctuation des marchés mondiaux comme en témoigne le récent dépôt de bilan d'un des principaux producteurs de volailles français.
Troisième exemple : les transports. L'arrivée d'une autoroute dans une région économiquement vulnérable peut se révéler néfaste lorsqu'aucun projet territorial ne l'accompagne. Dans ces régions, où les contraintes physiques sont souvent fortes, les coûts de réalisation et d'entretien sont très élevés pour des fréquentations faibles. Ces infrastructures sont déficitaires alors que l'amélioration de l'existant suffirait à répondre aux besoins. Le jugement rendu par le Conseil d'Etat sur l'A400, qui préconise un seuil minimal de 10000 véhicules/jour, doit servir d'exemple. De telles infrastructures peuvent vider des territoires au profit des pôles urbains qu'elles relient. Elles mobilisent de lourds moyens publics sur un investissement au détriment de ceux qui ont d'autres besoins ou priorités (réhabilitation urbaine, services publics de proximité) ou qui, ne disposant pas d'un véhicule, n'ont pas accès aux différents services (personnes âgées, handicapés...). Enfin, le nombre croissant d'infrastructures à grand gabarit, mais dont le trafic reste faible, pèse sur les finances publiques. J'ose espérer que certains grands projets, notamment dans le sud-est de la France, feront, enfin, l'objet d'une examen à l'aune du développement durable.
Ces trois exemples illustrent bien le fait que le développement durable n'est pas un vain concept mais au contraire une nécessité. Il est clair que nous entrons dans une nouvelle histoire de la croissance où il ne sera plus raisonnablement possible d'ignorer les risques sociaux ou écologiques que celle-ci génère. Les contraintes budgétaires comme l'émergence inattendue de la société civile, qui a montré à Seattle qu'elle savait donner de la voix, nous obligent à faire preuve d'une attention critique renouvelée.
Dans tous les domaines, les signaux clignotent. Je ne vous parlerai pas aujourd'hui des dérèglements climatiques ou de l'accroissement de l'effet de serre, de la gestion de l'eau ou de celle des déchets. Je m'en tiendrai à l'aménagement du territoire, thème de cette rencontre. L'exercice est certes plus difficile puisque si l'on sait, à peu près, ce que devrait être une gestion durable des ressources ou une limitation des impacts sur l'environnement, on est encore incapable de définir un seuil convenable en matière de capacité de charge des milieux. Il faut inventer de nouvelles batteries d'indicateurs et de mesures. C'est le thème de la table-ronde de cet après-midi.
Mais le constat a d'ores et déjà été établi par les experts : "Il semble évident, écrit ainsi Alain LIPIETZ, que plus la société va choisir le modèle de la flexibilité, et donc d'une polarisation en termes de revenus et de qualifications, plus l'urbanisation va, elle aussi, se polariser, mais de manière désorganisée, dans les grandes villes ". Le milieu rural ne sera pas épargné et on peut craindre, si rien n'est fait, que la globalisation des marchés ne conduise à la généralisation du modèle d'exploitation à l'américaine mobilisant beaucoup de capitaux et de techniques, beaucoup d'espaces et peu de gens.
N'étant ni les Pays-Bas " jardiniers " par nécessité, ni la Finlande, au patrimoine naturel surabondant, nous ne pouvons faire l'économie d'une stratégie spatiale. Une réflexion d'autant plus nécessaire que l'économie rurale comme l'industrie s'émancipent progressivement de leurs attaches territoriales : la première fait du hors-sol et la seconde doit composer avec les investissements internationaux mobiles. Pour ces acteurs économiques, l'enjeu est moins aujourd'hui de maîtriser un territoire que d'accéder à un marché, à un réseau.
C'est pourquoi le rôle de l'Etat est essentiel. Lui seul est en mesure de combiner sur des territoires pertinents du point de vue de leur homogénéité physique (les parcs naturels régionaux) ou socio-économique (pays et agglomérations, bassins d'emplois...) les dynamiques économiques, les demandes sociales, et les exigences environnementales, les trois piliers du développement durable.
N'a-t-on pas mesuré, lors des deux tempêtes de décembre, non seulement combien les maillages de notre pays étaient faibles et peu résistants face aux aléas climatiques mais, surtout, comment était fort le besoin d'Etat qui devait assurer, ou restaurer, sans délais, l'alimentation, la communication, ou la sécurité ? On n'ose plus employer l'expression d'Etat providence, il faut pourtant répondre à la demande sociale.
Les pouvoirs publics, en France comme ailleurs, doivent ainsi faire face à une injonction paradoxale : mettre en place des institutions performantes mais accepter, simultanément, que les marges de manoeuvre soient réduites, que sa légitimité et son efficacité soient remises en cause.
Cette situation impose de définir une nouvelle règle du jeu que d'aucuns appellent "gouvernance" : associer le plus grand nombre à la prise de décision, assurer la transparence et en appeler à la responsabilité constituent les fondements de cette pratique politique. Car le développement durable est une conception inédite et féconde de penser l'action publique dans le sens où il n'apporte pas de réponses prêt-à-porter mais prend au contraire le risque de laisser les opportunités ouvertes. C'est un questionnement permanent.
2 - CE QU'A FAIT LE GOUVERNEMENT
La démarche
On ne fait pas du développement durable comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, c'est à dire sans le savoir. Le développement durable ne peut être qu'une orientation forte et affichée des Pouvoirs publics. C'est le choix fait par Lionel Jospin, dès juin 1997, lorsqu'il m'a proposé de réunir dans le même ministère l'aménagement du territoire et l'environnement même si, a priori, tout semblait devoir opposer, pour toujours, aménageurs et protecteurs, promoteurs des territoires et gestionnaires des ressources. Depuis trois ans, les services de l'Environnement travaillent au quotidien avec la Datar et plus personne n'imagine qu'il puisse en être autrement.
Puis le Premier ministre a fixé, lors du CIADT de décembre 1997, le cadre de la réforme de la loi d'aménagement et de développement du territoire de 1995 et défini les objectifs auxquels devraient répondre les nouveaux contrats de plan Etats/Région. Pour la première fois, le développement durable était retenu comme objectif principal des politiques territoriales au même titre que l'emploi ou la solidarité.
Pour traduire cette orientation du Gouvernement, j'ai précisé aux Préfets, dans une circulaire de mai 1998, la méthode de cet exercice inédit. Une démarche en trois temps avec, en premier lieu, l'estimation complète de l'intérêt et de l'impact de chaque projet, de chaque programme ; puis le renforcement des performances environnementales ; enfin, la mise en place d'indicateurs de suivi et d'évaluation.
Jointe à cette circulaire, une grille d'analyse précise était élaborée avec, pour chaque domaine, des données actualisées sur plusieurs années. Les représentants de l'Etat en région pouvaient dès lors confronter, par exemple, le niveau des droits de mutation dans une région avec les distances parcourues quotidiennement, ou comparer, dans le temps et entre les régions, la qualité des eaux ou les émissions de carbone.
Premier bilan des CPER
Les contrats de plan qui ont été adoptés montrent que les avancées sont loin d'être négligeables. Le développement durable se traduit dans ces documents par l'intégration d'objectifs environnementaux sur le long terme dans les politiques sectorielles et par la constitution de dispositifs permettant de combiner performance économique, justice sociale et qualité environnementale. S'il serait vain de vouloir faire l'inventaire de l'ensemble des CPER, quelques exemples permettront d'illustrer mon propos.
Premier exemple : l'agriculture. Dans ce domaine, des aides ont été décidées afin de favoriser l'installation d'agriculteurs tout en favorisant la recherche et le développement de produits de qualité non seulement sanitaire mais aussi environnementale. L'agriculture biologique, la contribution de l'agriculture à l'entretien des paysages et des milieux et la maîtrise des pollutions agricoles font désormais l'objet d'une attention spécifique.
Second exemple : les transports. On l'a vu : s'il est un domaine qui est la caricature même du développement non durable, c'est bien celui des transports. Aujourd'hui, une réorientation des moyens permet de favoriser le transport ferroviaire qui bénéficie de quelque 8 MdsF contre 800 MF dans la précédente génération de contrats de plan alors que les crédits routiers voient leur part diminuer entre les deux contrats de plan de 33 à 23 %.
Troisième exemple : la protection de l'environnement. Dans ce domaine, les crédits passent de 1,3 à 3,1 mds de francs auxquels il convient d'ajouter l'effort financier de l'ADEME (3,3 mds F) : la gestion de l'eau et des milieux aquatiques, la maîtrise de l'énergie et le développement des énergies renouvelables, les déchets et le management environnemental sont autant de dossiers prioritaires pour cette nouvelle génération de contrats de plan.
L'effort est certes modeste puisqu'il ne représente que 3 % du total des budgets contractualisés. Il est néanmoins réel puisque la part consacrée à l'environnement a ainsi doublé par rapport à la précédente génération de contrats de plan.
Mais quels que soient ces engagements, ils ne sauraient être durables sans dispositifs de suivi. C'est pourquoi des procédures d'information et d'évaluation ont été adoptées avec la mise en place d'un système d'information sur l'environnement (eau, énergie, air, déchets et patrimoine naturel), des études et des inventaires sur la biodiversité et les paysages, et des programmes de sensibilisation et d'éducation.
Ces progrès doivent être consolidés et poursuivis. La négociation a en effet montré une sensibilité nouvelle de l'administration, des élus et des socioprofessionnels au développement durable.
C'est malheureusement encore trop souvent une approche complémentaire qui se superpose aux approches productivistes ou équipementières classiques : importance des programmes routiers au nom du " désenclavement " en surplus de l'innovation modale (fer), attachement aux projets connus d'hydraulique agricole, comme le barrage de la Trézence ou aux programmes classiques d'aide aux filières agricoles sans cohérence avec la réorientation voulue par la loi d'orientation agricole (LOA).
La Loaddt et les schémas de service collectifs.
En parallèle à la préparation des contrats de plan, nous avons élaboré la Loi sur l'Aménagement et de Développement Durable du Territoire qui a été votée en juin 1999. L'adjonction du qualificatif de durable n'est pas une clause de style. Avec ce texte, le Gouvernement a rompu avec une planification centralisée aussi coûteuse qu'inefficace.
Cette loi, dont les décrets d'application sont imminents, est innovante. Elle passe en effet d'une problématique de l'offre à l'analyse des besoins, d'une logique de guichets à une logique de projets, et s'appuie sur une échelle territoriale nouvelle et pertinente du point de vue du développement durable: les agglomérations et les pays.
La LOADDT instaure neuf schémas de services collectifs qui permettent de sortir du champ traditionnel de la planification nationale. Une approche désormais sectorielle prévaut avec la prise en compte de nouveaux domaines comme l'énergie et les espaces naturels et ruraux mais une approche aussi régionale avec les schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire (SRADT). Cette double clef a été adoptée, là encore, dans un souci de développement durable.
Ces schémas partent d'un diagnostic des enjeux et des vulnérabilités de chaque territoire, élaboré collectivement, et s'astreignent à répondre aux besoins dans le cadre réaliste des contraintes économiques, sociales et environnementales.
Ils seront présentés dans le cadre d'un CIADT, courant mai, une fois prises en compte les dernières contributions régionales. Trois des neuf schémas méritent une attention particulière s'agissant du développement durable.
Les schémas des services collectifs des transports devront marquer une rupture avec les logiques du passé. Contrairement aux anciens schémas directeurs d'infrastructures qui étaient conçus dans une logique de l'offre, ces schémas seront établis en fonction des attentes des usagers avec un souci de meilleure utilisation des réseaux existants, de maîtrise des nuisances et de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
En cohérence avec les projets discutés dans le cadre des contrats de plan, le Gouvernement a assigné à ces schémas deux priorités : le développement du fret ferroviaire et les transports collectifs en agglomérations. Sans attendre l'aboutissement de ces schémas, le débat parlementaire sur la loi " Solidarité et rénovation urbaine " a d'ailleurs donné l'occasion à Jean-Claude GAYSSOT d'annoncer une augmentation de 1 md de francs par an en faveur des transports publics urbains.
Les schémas des services collectifs des espaces naturels et ruraux sont très novateurs. Ils permettent en effet la prise en compte simultanée des enjeux environnementaux (biodiversité, qualité de l'eau et des sols, risques naturels,...) agricoles et urbains. Objectif de ces schémas ? Passer d'une culture de protection, voire de handicap, par rapport à l'environnement à une culture de valorisation avec la prise en compte des ressources naturelles comme autant de services attendus et recherchés par la population, qu'elle soit urbaine ou rurale.
L'espace de qualité, les terroirs de renom sont en effet non seulement des signes de qualité de la vie pour nos concitoyens mais ils font aussi l'image internationale de notre pays. C'est même sans doute un de ses principaux atouts dans la compétition mondiale.
Les schémas des services collectifs de l'énergie permettront de concrétiser sur le territoire deux priorités de la politique énergétique française : la maîtrise de la consommation et le développement des énergies renouvelables. Dans ces deux domaines particuliers, le rôle des collectivités locales est primordial car c'est à l'échelle des territoires que peuvent être le mieux mis en oeuvre des programmes d'actions adaptés aux potentiels locaux. Outre leur intérêt en termes d'économie de la ressource, ces programmes sont appréciables pour les activités nouvelles, et donc les emplois, qu'ils suscitent.
3 - LA NOUVELLE GOUVERNANCE
Nous avons donc aujourd'hui tous les outils en mains. Mais quelles que soient la pertinence et l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre, il ne saurait y avoir de développement durable sans implication forte de la société civile.
Les événements récents ont montré que l'opinion publique était plus réactive que jamais. "Une double démocratisation se dessine", a déclaré le Premier ministre dans son allocution au symposium du Nikkei, à Tokyo, en décembre dernier. Evoquant l'échec de la conférence ministérielle de l'OMC à Seatttle, Lionel JOSPIN se félicitait de l'émergence d'une conscience nouvelle des pays en voie de développement ainsi que d'organisations non gouvernementales émanant de la société civile.
Il faut saisir cette opportunité pour jeter les bases d'une nouvelle gouvernance qui fera que notre mode de développement sera non seulement durable mais aussi désirable. Du côté de l'Etat, on voit assez bien les étapes nécessaires à la mise en place d'une telle gouvernance.
Mettre en oeuvre les dispositifs contractuels et réglementaires. Cela peut sembler évident mais il serait vain de vouloir créer de nouveaux outils si nous n'utilisons pas ceux qui existent. Dans le domaine de l'aménagement du territoire comme dans celui de l'environnement, nous avons tout ce qui nous faut pour réorienter les politiques publiques vers plus de durabilité.
Anticiper sur les dynamiques de marché par la fiscalité, l'innovation et la création de nouveaux services : la mise en oeuvre de la TGAP qui sera étendue cette année à l'énergie est un atout de tout premier ordre. Cet instrument vient utilement compléter le principe pollueur-payeur qui permettait de financer les réparations mais n'était pas suffisamment dissuasif. Mais les taxations des comportements polluants n'a de sens que si, dans le même temps, des solutions alternatives sont proposées.
S'appuyer enfin sur la vigilance de l'opinion pour développer l'information, étendre la labellisation, créer des observatoires et des systèmes d'évaluations. Des Observatoires régionaux du développement durable pourraient ainsi être créés. Ils couvriraient les trois problématiques (environnement, social, économie et emploi), et travailleraient en réseau aussi bien au plan national qu'à l'échelon international.
De nouveaux contrats
Cette stratégie de l'Etat doit s'accompagner d'outils propres à associer les citoyens, qui sont autant d'usagers ou de consommateurs, à la prise de décision. Pour ce faire, il faut développer de nouveaux contrats et des lieux de débats pour répondre à cette exigence de participation qui s'est manifestée à Seattle. Là encore, je ne dresserai pas l'inventaire de tout ce qui existe ou mériterait d'être créé. Quelques exemples suffiront à illustrer mon propos.
Les agendas 21. Pour formaliser et mettre en oeuvre ces " pacs " du développement durable, ou ce nouveau contrat social, que doivent signer entre eux les acteurs locaux, un outil existe même s'il est encore peu développé : les agendas 21 locaux.
Ils ont aujourd'hui force de loi. Selon l'article 25 de la LOADDT, les chartes de pays seront "le projet commun de développement durable du territoire selon les recommandations inscrites dans les agendas 21 locaux (...) qui sont la traduction locale des engagement internationaux finalisés lors du sommet de Rio de Janeiro de juin 1992". L'article 26 de la même loi fixe un cadre identique pour les agglomérations. Le référent existe. Reste à le mettre en oeuvre.
Aujourd'hui, plus de cinquante agglomérations et deux cents pays préparent des projets d'agglomérations et des chartes de pays qui se traduiront, d'ici 2003, par des contrats particuliers signés avec l'Etat.
Afin de préparer cette démarche, mon ministère avait lancé, dès juillet 1997, avec la Délégation interministérielle à la ville (DIV), un appel à projets sur les outils et les démarches nécessaires pour la réalisation de ces agendas 21 locaux. Dix-sept projets avaient alors été sélectionnés et 51 communes s'étaient associées afin de constituer un réseau d'expérimentations et de réflexions communes.
Un deuxième appel à projets a été lancé. Les dossiers devaient être remis avant vendredi dernier, le 31 mars. Les lauréats seront sélectionnés avant la fin du mois d'avril. Le ministère apportera une subvention d'investissement ou de fonctionnement aux projets retenus.
Des lieux de débat.
L'élaboration de ces nouveaux contrats passe par une large consultation. Les lieux de débats existent - faut-il encore les investir ! - ou sont à mettre en place. Dans des domaines assez différents, en voici trois qui sont particulièrement pertinents au regard du sujet qui nous préoccupe.
Les organes consultatifs. La LOADDT a défini, à chaque niveau, des instances de concertation en matière d'aménagement et de développement des territoires.
Le Comité national d'aménagement et de développement du territoire (CNADT) fait l'évaluation critique des politiques territoriales. La première réunion du CNADT, en juillet dernier, avait été, par exemple, l'occasion de débattre de la répartition de la nouvelle enveloppe des fonds structurels.
Les conférences régionales (CRADT) sont, au niveau local, les lieux de rencontre entre les élus et les acteurs socio-économiques sur les politiques d'aménagement du territoire. Elles sont indispensables notamment pour arrêter le périmètre des futurs pays.
Enfin, les conseils de développement des pays permettent aux acteurs économiques et sociaux et aux associations, qui sont exclus de l'organe de gestion, de participer localement à l'élaboration des projets de chartes et à l'examen de leur mise en oeuvre.
Pour chacune de ces trois instances, le même principe prévaut : assurer la transparence dans l'élaboration de la décision publique et une plus grande efficacité par la prise en compte des besoins exprimés.
La Commission française du développement durable (CFDD). Après quelques mois de sommeil, la CFDD a été relancée avec la nomination à sa tête de Jacques Testart qui témoignera, tout-à-l'heure, lors de la première table-ronde. Sous sa présidence, la commission connaît un second souffle. Elle se réunit régulièrement dans l'idée non pas de se substituer aux scientifiques ou aux services de l'Etat mais plutôt d'être une sorte de comité des sages, à l'interface entre les experts et la société civile.
Le mois dernier, la CFDD a ainsi remis un premier avis sur le principe de précaution qui a montré qu'elle était bien en mesure de s'emparer des rapports d'experts pour produire une analyse critique citoyenne.
Dans quelques jours, l'arrêté nommant ses nouveaux membres sera publié. A la demande de son président, la CFDD aura désormais vingt membres représentatifs de la société française -élus, économistes, enseignants, syndicalistes, ...- et autant d'hommes que de femmes, il fallait le souligner. Je suis sûre qu'ainsi reconstituée, la CFDD deviendra très rapidement l'interlocuteur de référence en matière de développement durable.
La Commission nationale du débat public. Dans le domaine de l'aménagement du territoire, une autre instance est essentielle pour le développement durable : la Commission nationale du débat public (CNDP). Créée par la loi de février 1995, j'ai installé cette commission en septembre 1997 et j'en ai confié la présidence à Hubert BLANC.
Les premiers débats menés sous l'égide de la CNDP se sont traduits par une participation très active des citoyens concernés que ce soit dans les villages qui bordent les gorges du Verdon sur le projet de ligne électrique à très haute tension ou, au Havre, pour l'aménagement du port. Si dans les deux cas il a fallu du temps et de l'argent, les mentalités et les cultures en ont été changées.
Cette concertation élargie permet de confronter réellement les différentes exigences du développement durable : la protection des sites naturels et l'emploi, l'équité sociale et le développement économique.
Cet outil doit être réformé afin que son champ d'intervention et ses conditions de saisine permettent de l'utiliser pour tous les grands projets et non pas, comme aujourd'hui, de façon restrictive puisque seuls quatre d'entre eux ont fait l'objet d'un tel examen démocratique. C'est une des conclusions du rapport du Conseil d'Etat que Nicole QUESTIAUX vient de me remettre sur la refonte plus générale de l'enquête d'utilisé publique et sur lequel nous allons nous baser pour préparer un projet de loi.
Conclusion
Mesdames, messieurs, comme vous le voyez, le développement durable des territoires est à notre portée : les outils comme les lieux de consultation et de concertation désormais existent. Le développement durable est une politique qui embrasse et réconcilie l'économie, le social et l'environnement. C'est une opportunité que nous ne devons pas laisser passer. C'est aussi une nouvelle conception de la démocratie qui est en jeu.
Nous l'avons vu : l'idée peu à peu se répand. Du discours à la réalité, le chemin cependant est encore long. C'est pourquoi il faut nous mobiliser et modifier la conduite de l'action politique et administrative ; il nous faut convaincre et mettre en place les leviers qui orienteront cette façon inédite et moderne d'organiser et de concevoir le développement de nos sociétés.
Je vous remercie.
(Source : http://www.environnement.gouv.fr, le 6 avril 2000)