Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, sur la prévention du saturnisme, Paris le 13 janvier 1999.

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Circonstance : Présentation du rapport de l'Inserm sur les effets du plomb sur la santé à Paris le 13 janvier 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
La prévention du saturnisme est une priorité de santé publique.
Il faut agir rapidement face à un sujet qui pose avec acuité la question dans notre pays de la santé de la population, notamment celle des enfants des familles les plus défavorisées.
Parler du saturnisme aujourd'hui, c'est d'abord reconnaître les souffrances qu'endurent ceux et celles qui ont été ou qui sont exposés au plomb.
A l'origine des questions de santé publique, il y a souvent l'irruption dans le débat politique de drames humains insupportables, inacceptables.
Je ne peux, ni ne veux masquer mon indignation de voir des enfants déjà soumis à des conditions sociales difficiles être touchés par la maladie pour avoir ingéré dans leur habitation des peintures anciennes au plomb dégradées.
Comme souvent, l'injustice s'acharne sur les plus fragiles. Comme souvent, la maladie frappe les plus faibles.
Le droit à la santé, c'est avant tout le droit à l'avenir. C'est pourquoi, notre première responsabilité consiste à faire du droit formel à la santé un droit réel. Une exigence de solidarité bien sûr. Mais c'est surtout une exigence de justice.
Cette double exigence conduit à agir rapidement. Comme vous le savez, le gouvernement a inscrit dans la loi d'orientation contre les exclusions du 29 juillet 1998 de nouvelles mesures pour lutter contre le saturnisme.
Nous voulons agir en connaissance de cause.
Aujourd'hui, l'INSERM vient de nous transmettre le rapport final de son expertise collective "Plomb dans l'environnement : quels risques pour la santé ?" entreprise à la demande du Gouvernement.
Cette expertise collective a été réalisée par un groupe pluridisciplinaire de douze experts. Elle s'est attachée à intégrer les avancées les plus récentes des connaissances scientifiques et médicales quant aux effets du plomb sur la santé et à traiter, à partir des données disponibles, les risques d'expositions aux différentes sources, en particulier dans le contexte français.
L'intoxication chronique par le plomb était un risque connu en médecine du travail. Elle fait l'objet de mesures de prévention et de surveillance depuis de nombreuses années et a considérablement régressé.
En 1985, cette intoxication était observée dans sa forme aiguë chez des enfants. Les jeunes enfants représentent, en effet, une population particulièrement exposée pour des raisons physiologiques, mais aussi du fait de leur comportement d'exploration orale de leur environnement. Les peintures anciennes au plomb dégradées, utilisées dans l'habitat au moins jusqu'en 1948, constituent la cause principale de contamination de cette population.
Toutefois, il existe d'autre sources qui contribuent à l'imprégnation de l'organisme, et ce dès la vie foetale. Ces dernières comprennent :
- la pollution automobile, en nette diminution depuis l'utilisation des carburants sans plomb,
- la pollution industrielle, qui peut être localement très marquée,
- l'alimentation en général où l'eau de boisson tient une place particulière.
Bien que l'émission de plomb dans l'atmosphère ait considérablement diminué depuis vingt ans grâce à l'abandon progressif de l'essence plombée - le taux de plomb dans le sang, c'est-à-dire la plombémie, a en moyenne diminuée de 50% dans la population -, il existe d'autres sources environnementales de contamination qui affectent encore certaines populations. On estime aujourd'hui que plus de 5% des adultes et près de 2% des enfants de 1 à 6 ans, soit 85 000 enfants, auraient une plombémie supérieure à 100 microgrammes par litre. Sur ces 85 000 enfants, seuls 5% ont pu être dépistés jusqu'à présent.
Les effets du plomb sur la santé ont déjà été mis en évidence sur des populations professionnellement exposées à de fortes doses de plomb, avec des plombémies supérieures à 400 microgrammes par litre. On sait qu'il affecte, dans ces cas précis, les cellules sanguines en provoquant des anémies, le système rénal en diminuant le filtrage, le système cardio-vasculaire en augmentant les risques d'hypertension. Il occasionne également des troubles gonadiques.
Des expositions plus faibles - inférieures à 400 microgrammes par litre - sembleraient avoir des effets sur la croissance foetale, la durée de la gestation, et l'apparition de malformations.
Parmi les diverses recommandations émises, ce rapport :
- insiste sur l'intérêt d'informer le corps médical et les acteurs sociaux et de les sensibiliser à la reconnaissance précoce du risque d'intoxication au plomb en raison de la longue latence clinique de l'intoxication ;
- met l'accent sur la nécessité de développer le dépistage de l'intoxication chez les enfants vivant dans un habitat ancien dégradé ou à proximité de sites industriels contaminés et de faire porter l'effort économique sur les mesures d'urgence permettant de soustraire l'enfant intoxiqué au risque ;
- recommande un dépistage chez les femmes enceintes vivant dans les zones à risque et la réalisation d'une étude pilote d'un dépistage systématique en début de grossesse ;
- estime qu'en matière de cancérogénèse et de tératogenèse, des études épidémiologiques complémentaires doivent être engagées.
La synthèse des connaissances scientifiques effectuées par l'INSERM conforte les orientations prises récemment dans le cadre de la lutte contre le saturnisme, qui souvent touche une population socialement défavorisée.
En effet, avec la diminution de la contamination atmosphérique, les priorités d'action concernent désormais l'eau de consommation, qui constitue un risque chronique, et l'habitat dégradé, qui représente un risque aiguë.
En ce qui concerne l'eau de consommation, la directive européenne qui sera prochainement transposée en droit français renforce les consignes de qualité. Au lieu des 50µg/l actuellement autorisés, elle fixe une valeur transitoire de 25µg/l à atteindre dans 5 ans et une valeur de 10µg/l à atteindre dans 15 ans.
Par ailleurs, l'utilisation de plomb au niveau des canalisations et brasures est interdite depuis respectivement avril 1995 et août 1997.
J'ai déjà abordé ce sujet lors de ma conférence de presse du 16 octobre 1998 consacré au bilan national de la qualité de l'eau en France.
En ce qui concerne l'habitat, la loi d'orientation contre les exclusions prévoit de nouvelles mesures pour lutter contre le saturnisme : Je souhaite vous en rappeler les différents axes :
Premier axe : la nécessaire coordination des acteurs
De nombreux acteurs sont impliqués dans la prévention du saturnisme infantile. On peut citer les services de l'Etat, le corps médical, les organismes sociaux, les associations et les services des collectivités locales, notamment les services de PMI qui ont un rôle essentiel dans l'organisation du dépistage. Pour mobiliser ces acteurs, un plan de prévention du saturnisme sera mis en place dans chaque département. Ce plan sera intégré dans le cadre des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins prévus par la loi d'orientation contre les exclusions du 29 juillet 1998.
Ce plan détaillera les mesures prises pour le repérage et le diagnostic des immeubles, l'organisation du dépistage, l'information du corps médical et des familles et les conditions d'obtention des aides aux logements pour la réhabilitation des immeubles.
Elaborés sous la responsabilité des préfets, ces plans associeront obligatoirement les collectivités locales, les représentants du corps médical, les organismes d'assurance sociale et les associations travaillant auprès des personnes défavorisées.
Le fait de disposer d'un cadre d'action, le plan départemental de lutte contre le saturnisme et de procédures permettant d'agir sur le logement, doit aboutir à mobiliser ou à remobiliser l'ensemble des services.
Enfin, la mise en place du dossier médical de liaison entre les services départementaux de PMI et les services de promotion en faveur des élèves favorisera un meilleur suivi des enfants, alors qu'actuellement beaucoup d'entre eux sont perdus de vue dès lors qu'ils ne relèvent plus des services de PMI. Ce dossier médical, confidentiel, permet de mentionner les antécédents de l'enfant et les traitements en cours. Une attention particulière devra être accordée à la transmission des informations concernant l'intoxication au plomb compte tenu notamment des retentissements éventuels sur la scolarité.
Deuxième axe : L'obligation d'informer le médecin de la DDASS ou le médecin responsable de PMI
Jusqu'alors, lorsqu'un cas de saturnisme infantile était dépisté l'information des services de l'Etat responsables des mesures liés à l'insalubrité de l'habitat reposait uniquement sur des procédures locales. Des dysfonctionnements étaient toujours possibles.
La gravité de l'intoxication et la nécessité de prendre rapidement des mesures adaptées pour supprimer l'exposition aux sources de plomb a conduit à inscrire dans les dispositions de la loi d'orientation contre les exclusions l'obligation, pour tout médecin dépistant un cas de saturnisme, d'en informer le médecin de la DDASS ou le médecin responsable de PMI. Cette information se fera sous pli confidentiel.
Cette disposition a pour but de formaliser le circuit d'information entre les principaux intervenants. Elle constitue le premier maillon de l'intervention sur le logement, seule à même de soustraire l'enfant intoxiqué à la source d'exposition.
Troisième axe : le diagnostic logement
Les critères déterminant le risque d'intoxication au plomb seront fixés par décret en Conseil d'Etat en application de la loi d'orientation contre les exclusions.
Pour caractériser le danger d'intoxication par le plomb dans les immeubles, deux techniques sont disponibles :
* une technique analytique sur les écailles de peinture et les poussières
* une technique de mesure directe du plomb sur les supports (murs, huisseries,...) par fluorescence X grâce à un appareil spécifique. Cette technique plus rapide permet également une localisation plus précise des peintures dangereuses.
Afin de faciliter l'intervention des DDASS en matière de diagnostic dans les immeubles, l'équipement en matériel de mesure du plomb dans les peintures se poursuivra. Aujourd'hui près d'un département sur deux est équipé. Au moins un appareil sera disponible dans chaque région afin que les DDASS non équipées puissent faire face dans tous les cas aux premières demandes d'intervention.
Par ailleurs, avec mes collègue du Gouvernement, nous avons déjà demandé à l'Inspection Générale des Affaires sociales et au Conseil Général des Ponts et Chaussées d'étudier conjointement la manière de réaliser un registre des bâtiments amiantés. Cette mission sera utile pour exploiter les données issues du diagnostic logement.
Quatrième axe : la réalisation des travaux d'urgence
Le rapport préconise ainsi un seuil d'alerte de 250 µg/l de plomb chez les enfants. Compte tenu de l'expérience déjà acquise en matière de dépistage,avec Louis BESSON, nous instaurerons par arrêté un seuil de 150 µg/l, comme seuil de déclenchement des mesures d'urgence.
Lorsqu'un mineur ayant une plombémie supérieure à 150µg/l sera dépisté, un diagnostic pour la recherche de plomb sera réalisé dans l'immeuble ou la partie d'immeuble fréquenté par ce mineur et des travaux seront prescrits par le préfet si le diagnostic est positif. Si le propriétaire ne veut pas prendre en charge ces travaux, ils seront exécutés d'office à la demande du préfet.
Le délai prévu pour la réalisation des travaux est fixé à un mois pour tenir compte :
- de la nécessité de soustraire très rapidement l'enfant au risque afin d'éviter une aggravation de son intoxication.
- du délai incompressible d'information des propriétaires de 8 jours.
Cinquième axe : l'état des risques d'accessibilité au plomb dans les immeubles situés en zones à risque
Dans les zones à risque arrêtées par le préfet, après consultation du Conseil Départemental d'Hygiène et du Conseil Municipal, un état des risques d'accessibilité au plomb sera réalisé à l'occasion de toute transaction immobilière portant sur les immeubles ou parties d'immeubles construits avant 1948.
Les résultats de cet état des risques seront communiqués au Préfet qui pourra prescrire si nécessaire des travaux d'urgence. Un décret définira les critères de définition de ces zones à risque.
Tous les décrets que je viens d'évoquer sont en cours d'examen au Conseil d'Etat et seront publiés dans les semaines à venir .
Ces dispositions visent à régler des situations d'urgence.
Bien évidemment, la lutte contre le saturnisme, notamment infantile, ne va pas s'arrêter avec cette expertise collective. Des mesures seront prises pour répondre aux conclusions de l'expertise INSERM.
Le renforcement de la prévention
Une circulaire sera transmise aux Préfets dans les prochaines semaines afin quils identifient les zones à risques dexposition au plomb dans le département : zones dhabitat ancien dégradé, zones desservies par une eau non conforme aux normes, zones industrielles rejetant du plomb dans latmosphère, sites pollués par le plomb.
Un programme dintervention devra être défini avec les différents partenaires concernés portant, en fonction de la situation locale, sur:
- la prévention des risques liés à lhabitat dans le cadre des programmes régionaux pour laccès aux soins et à la prévention prévus par la loi dorientation contre les exclusions de juillet 1998. Laccent sera mis sur le diagnostic dans les logements, en priorité ceux abritant des enfants et des femmes enceintes, et les opérations de réhabilitation, le dépistage des enfants et des femmes en âge de procréer afin dassurer leur prise en charge médicale.
- lévaluation des risques pour la population dans les zones industrielles en activité ou anciennes en liaison avec lInstitut National de Veille sanitaire,
- la mise en oeuvre dactions correctrices sur les réseaux deau non conformes.
Ce programme dintervention sera accompagné dactions dinformation du corps médical, de la population et des décideurs.
Le renforcement de la surveillance et du suivi médical des enfants intoxiqués
Lintoxication par le plomb sera inscrite parmi les maladies à déclaration obligatoire dont la liste sera prochainement fixée par décret. Toutes les plombémies supérieures à 100 µg/l feront lobjet dune déclaration à lInstitut National de Veille Sanitaire. Cette mesure facilitera lévaluation des actions de prévention mises en oeuvre dans chaque département.
Un groupe de travail sera réuni pour mettre à jour, dici la fin du premier semestre, le protocole de surveillance et de prise en charge médicale des enfants intoxiqués établi en 1993.
Une évaluation de la faisabilité et de lintérêt en termes de santé publique du diagnostic systématique des femmes enceintes sera confiée à un groupe dexperts. Mais, dés à présent, une étude expérimentale sera réalisée dans le département du Rhône pour développer le dépistage préventif des femmes en âge de procréer ayant eu un enfant intoxiqué. La prise en charge médicale des femmes intoxiquées et de leur environnement permettra d'éviter l'intoxication de l'enfant en cas de nouvelle grossesse.
Une étude pilote sera engagée en 1999 afin de valider un protocole de prise en charge précoce des enfants intoxiquées pour limiter les conséquences des troubles cognitifs et comportementaux liés à lintoxication prénatale.
(Source http://www.sante.gouv.fr)