Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la loi d'orientation agricole, notamment la contractualisation de la politique agricole par la création de contrats territoriaux d'exploitation, les aides aux agriculteurs et l'organisation économique au niveau de la coopération agricole et des interprofessions, Paris le 10 juin 1998.

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Circonstance : Audition de M. Louis Le Pensec devant la Commission de la production et des échanges à l'Assemblée nationale le 10 juin 1998

Texte intégral

Je vous remercie de m'accueillir cet après-midi quelques heures après le Conseil des Ministres qui vient d'adopter le projet de loi d'orientation agricole.
Vous le savez, ce projet de loi a d'abord été annoncé par le Président de la République il y a maintenant deux ans, lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA. Ensuite, il y a un an, dans son discours de politique générale, le Premier ministre a réaffirmé sa volonté de présenter devant le Parlement une telle loi.
Le texte qui vous est proposé n'a pas voulu négliger le travail de réflexion qui avait été effectué avant mon arrivée rue de Varenne.
C'est un texte dont la méthode d'élaboration a été quelque peu originale, puisque la consultation avec organisations professions agricoles et syndicales, ainsi qu'avec les syndicats d'enseignants et de salariés, ou encore avec les représentants de l'agroalimentaire, des consommateurs et de l'environnement, a eu lieu en amont du débat interministériel.
En effet au début du mois de septembre, j'ai adressé un premier texte d'orientation à nos partenaires, en leur demandant de me faire part de leurs observations dans les trente jours.
Dès le début du mois d'octobre, tous les jeudis matins, une réunion de débat d'orientation s'est tenue sous la présidence de mon directeur de cabinet, afin de dessiner les contours de cette loi.
J'ai moi-même, à la fin du mois de janvier, recueilli les avis de tous, sur l'avant-projet qui avait été diffusé dans les premiers jours de janvier et je précise que le débat avec les organisations professionnelles s'est poursuivi parallèlement aux réunions de travail interministérielles.
Peut-être le savez-vous, le texte arrêté par le Premier ministre, était la dixième version, revue et corrigée.
Si j'insiste sur ce point, c'est pour souligner le soucis d'échanges et de débats qui a été le mien tout au long de cette préparation.
J'en viens maintenant aux raisons qui ont présidé à la rédaction de ce texte, avant de revenir sur le contenu.

1/ Pourquoi une loi d'orientation ?
La réponse en est simple : la politique agricole fait l'objet d'une profonde remise en cause :
La politique agricole est remise en cause par les agriculteurs eux-mêmes.
En effet, si elle a permis d'importants progrès, elle a également provoqué la concentration des exploitations et des déséquilibres entre les territoires et les productions qui paraissent aujourd'hui insupportables à un grand nombre d'entre eux. Ils attendent des responsables politiques qu'ils tracent le chemin d'une politique agricole plus équitable, qui permette un développement harmonieux de toutes les productions et de toutes les régions.
La politique agricole est remise en cause aussi par nos concitoyens.
Ceux-ci contestent les excès de ce qu'il est convenu d'appeler le " productivisme ". La crise de la vache folle a agi comme un révélateur des angoisses de nos compatriotes devant une agriculture de plus en plus artificialisée, qui met en oeuvre des technologies de plus en plus sophistiquées dont les conséquences ne semblent pas toujours pleinement maîtrisées.
Mais ce sont également les conséquences négatives d'une certaine forme d'agriculture sur l'environnement qui sont remises en cause. Et les agriculteurs, considérés autrefois comme les gardiens de la nature, apparaissent aujourd'hui trop souvent comme responsable de sa dégradation.
Et puis, on ne peut pas empêcher nos concitoyens, souvent confrontés dans leurs familles, ou par leurs proches, au chômage massif qui frappe toute l'Europe, de s'interroger sur le coût de la politique agricole en regard des avantages qu'elle procure.
Au sein de l'Europe elle-même, le consensus autour de la politique agricole commune est de plus en plus menacé.
Les pays du Sud de l'Europe remettent en cause une politique qu'ils jugent exagérément favorable aux grandes productions des pays du Nord, et il faut bien constater que la PAC s'est développée autour des grandes productions agricoles du nord de l'Europe, céréales, lait viande bovine. Tandis que certains pays du Nord de l'Europe, d'inspiration libérale, prônent de plus en plus ouvertement l'abandon de la politique agricole commune, et le libre jeu du marché dans ce secteur comme dans les autres.
Enfin, la politique agricole de l'union européenne est contestée par les partenaires de l'Europe.
Vous avez bien sûr tous en mémoire les difficiles négociations du GATT qui se sont déroulées de 1986 à 1993. Elles ont été l'occasion d'instruire le procès de la politique agricole commune, et celle-ci n'est pas sortie indemne de ce long affrontement.
Les accords de Marrakech ont constitué une trêve. Mais celle-ci est fragile, et la date de reprise des hostilités est proche. Nous aurons à affronter demain dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce des attaques aussi fortes que celles d'hier contre notre politique agricole.
C'est d'ailleurs ce qui me conduit à dire que la réforme de la PAC proposée par la commission, qui prévoit de compenser la baisse des prix garantis par une augmentation des aides directes aux agriculteurs, est une voie dangereuse. L'Europe doit s'engager dans la voie du découplage partiel entre les aides et la production si elle veut garantir l'existence durable de sa politique agricole.
Au fond, si toutes ces attaques peuvent se développer, c'est aussi parce que les objectifs fixés à la politique agricole commune en 1960 ont été en grande partie atteints. Alors, il faut en tirer les conséquences, et adapter notre politique agricole à la situation nouvelle dans laquelle elle doit se développer.

Face à toutes ces remises en cause, deux voies s'ouvrent devant nous :

  • celle du renoncement et du démantèlement plus ou moins rapide de toute politique publique en faveur des agriculteurs en Europe ;
  • ou bien la voie de la refondation d'une politique agricole sur des bases renouvelées, et modernisées qui permettent d'en assurer la pérennité.

2/ Refonder la politique agricole :
Partisan déterminé de la seconde voie, j'entends, avec le projet de loi d'orientation agricole que je vous propose, contribuer à la refondation d'une politique agricole durable de l'union européenne.
Refonder la politique agricole, c'est d'abord être capable d'expliquer à tous ce qui justifie l'existence, et le maintien dans les années à venir, d'une politique publique en faveur des agriculteurs.
La justification de la poursuite d'une intervention publique en faveur des agriculteurs tourne, selon moi, autour de trois idées principales :
- la multifonctionnalité de l'agriculture,
- la nécessité d'agir en faveur de l'équilibre territorial et social,
- la contractualisation de la politique agricole.
La multifonctionnalité de l'agriculture tout d'abord.
Une agriculture bien conduite remplit trois fonctions : une fonction économique, une fonction environnementale, une fonction sociale.
J'ai la conviction que la politique agricole ne sera légitime et durable que si elle contribue pleinement à l'accomplissement de ces trois fonctions, sans faire prévaloir l'une sur l'autre.
Les marchés agricoles restent des marchés extrêmement spéculatifs, qui rendent une régulation publique nécessaire. La politique agricole devra, demain comme hier, assurer le développement de la production et l'approvisionnement des marchés dans les meilleures conditions possibles.
Mais elle ne saurait se limiter à cela.
Elle devra aussi encourager le développement de pratiques agronomiques respectueuses de l'environnement.
Elle devra être un facteur de création d'emplois dans le monde rural.
Elle devra rémunérer la production de services collectifs rendus par les agriculteurs pour le bien de tous nos concitoyens, que le marché ne rémunère pas.
La deuxième idée fondant cette politique agricole rénovée c'est celle d'équilibre: équilibre dans la répartition de l'activité agricole sur le territoire, et équité dans la distribution des concours publics entre les agriculteurs.
La politique agricole ne sera légitime et acceptée durablement que si les concours publics permettent le maintien d'une activité agricole sur tout le territoire, et s'ils sont équitablement répartis entre les agriculteurs.
Cette question ne peut pas être évitée.
Les aides à l'agriculture " suivent " actuellement la production. Il n'est donc pas étonnant qu'elles soient concentrées sur les régions les plus productives et les mieux dotées agronomiquement, laissant les autres de côté, et contribuant par là même à l'accentuation des déséquilibres résultant du jeu de l'économie. Continuer dans cette voie serait condamner à termes plus ou moins rapprochés toute intervention publique en faveur des agriculteurs.
La contractualisation de la politique agricole, enfin, permettra d'en faire une politique moderne et clairvoyante.
Le contrat territorial d'exploitation, que je propose, sera le moyen de moderniser la gestion de la politique agricole.
Le contrat doit permettre de passer d'une politique aveugle, répartissant les moyens publics en fonction des facteurs de production dont disposent les agriculteurs, à une politique qui proportionne l'attribution des moyens publics à l'intérêt des projets présentés par les agriculteurs, pour le développement de richesses sur leur exploitation, aussi bien que pour l'accomplissement des objectifs publics que l'Etat aura fixés pour la politique agricole.
Le contrat permettra la confrontation de deux volontés, celle des agriculteurs désirant développer leurs projets, celle des pouvoirs publics désirant faire prévaloir les objectifs collectifs d'intérêt général, dont ils ont la charge.
Voilà pourquoi je vous propose de faire des contrats territoriaux d'exploitation l'outil de gestion et de répartition d'une partie des aides aux agriculteurs.
Voilà les idées maîtresses autour desquelles pourrait se développer une politique agricole dans les années à venir.

3/ Quelles sont les mesures que je propose ?
Permettez-moi de développer devant vous le contenu même de la loi.
L'article 1 -sorte de chapeau de cette loi- fixe les objectifs de la politique agricole et reconnaît la multifonctionnalité de l'agriculture, fonctions économique, environnementale et sociale.
Le projet comporte Six Titres que je me propose de passer rapidement en revue :

Le Titre I est consacré aux Contrats Territoriaux d'Exploitation :
Mise en oeuvre du C.T.E.
Le C.T.E. sera signé avec l'agriculteur pour une durée qui devrait être de 5 ans. Il s'intègre dans un dispositif qui est à la fois descendant et ascendant :
au plan national, des directives devraient être établies afin d'assurer un minimum de cohérence, d'indiquer les objectifs opérationnels et constituer, en quelque sorte, un guide pour l'élaboration des C.T.E.
au plan régional, des orientations seront arrêtées en concertation avec la Région..
au plan départemental, la liste des C.T.E. types à proposer aux agriculteurs sera définie après avis de la C.D.O.A. Le contenu des C.T.E. sera alors précisé.
Contenu du C.T.E.
Avec le C.T.E., il s'agit d'assurer une cohérence d'ensemble des interventions publiques au bénéfice d'une exploitation avec deux orientations :
a) La création de valeur ajoutée qui peut se décliner selon des objectifs socio-économiques (valorisations qualitative des produits, diversification de l'activité agricole, encouragement au maintien et à la création d'emplois).
b) La gestion du territoire dans lequel s'insère l'exploitation agricole (aspects eau, surfaces en herbe, biodiversité, paysages, prévention des risques naturels ...)
Pour contractualiser, l'agriculteur devra présenter un projet s'inscrivant dans ces deux orientations en fonction des cahiers des charges retenus. En contrepartie, une rémunération sera assurée visant à couvrir les prestations demandées à l'agriculteur.
Des précisions sont données aussi sur la nature juridique du C.T.E. Celui-ci est d'abord un engagement personnel de l'agriculteur et ne doit pas permettre une valorisation indirecte de celui-ci. Le C.T.E. ne change pas les obligations à l'égard des tiers, notamment dans les rapports preneurs-bailleurs.

Le Titre II porte sur les exploitations et les personnes :

  • Contrôle des structures :

A côté de la réorientation des aides publiques, la politique des structures est un instrument complémentaire, pour promouvoir une agriculture pourvoyeuse d'emplois et constituée d'unités à responsabilité personnelle et de taille raisonnable.
Le contrôle des structures a besoin d'être réorienté en vue de favoriser systématiquement l'installation des jeunes agriculteurs sur des exploitations viables.
Pour ce faire, il convient d'éviter le démantèlement des structures qui pourraient permettre de telles opérations et de limiter les agrandissements abusifs d'unités déjà existantes. Il doit également être complété et renforcé, car dans la pratique sa portée a été largement atténuée par la multiplication de cas de détournements, notamment pas le biais de montages sociétaires, et du fait aussi de l'impossibilité d'appliquer des sanctions immédiates dissuasives.
Le champ d'application du contrôle des structures a donc été élargi et il s'appuie sur un critère plus économique, l'unité de référence, qui est fixé par rapport à la surface moyenne des installations aidées dans le département au cours des cinq dernières années. L'ancienne SMI est maintenue pour toutes ses autres utilisations, notamment dans le domaine de la protection sociale.
Le principe de l'égalité de traitement entre les exploitations individuelles et sociétaires se traduit par le choix d'un seuil unique de contrôle indépendant de la forme juridique de l'exploitation.
La procédure est unifiée : L'ancienne procédure de déclaration est supprimée et demeure un seul régime d'autorisation. La procédure reste déconcentrée au niveau du département. Elle est améliorée par l'organisation d'une publicité sur les terres libérées, par une gestion organisée de toutes les informations disponibles, qui seront communiquées à l'administration sur sa demande, et une meilleure motivation des décisions préfectorales ainsi que des avis de la commission départementale d'orientation de l'agriculture.
Enfin, le régime des sanctions en cas d'infraction à la réglementation est totalement modifié. Des amendes administratives ont été substituées aux amendes pénales peu utilisées et inefficaces. Ces sanctions seront mises en oeuvre au niveau du département et une procédure d'appel a été prévue devant une commission des recours, créée à cet effet, dont les décisions seront applicables immédiatement.

  • Statut des personnes

Pour garder des actifs nombreux sur les exploitations, il faut leur donner un statut et des droits. Le projet de loi s'intéresse aux femmes, aux jeunes et aux salariés

  • Les conjoints

Le rôle des femmes est souvent déterminant pour permettre le maintien d'exploitations de taille modeste dans des zones difficiles. Il doit être reconnu. Pour cela, il convient d'offrir aux conjoints d'agriculteurs qui ne souhaitent pas devenir co-exploitants ou associés de société, un nouveau statut qui ne soit pas seulement un statut par défaut, comme l'actuel statut de " conjoint participant aux travaux " qui n'offre pas une protection sociale suffisante.

  • Le statut du conjoint collaborateur

Le nouveau statut de " conjoint collaborateur ", statut choisi et non subi, se substituera progressivement au statut actuel qui sera mis en extinction.
Le conjoint qui optera pour le statut de collaborateur pourra acquérir des droits non plus seulement pour la retraite forfaitaire mais également pour la retraite proportionnelle, à concurrence de 16 points par an.
L'amélioration de l'allocation de remplacement
Actuellement, seule une femme sur trois en agriculture sollicite le bénéfice de l'allocation de remplacement en cas de maternité. Cette situation, préoccupante en termes de santé publique est dûe notamment au surcoût restant à la charge de l'exploitante. La suppression du ticket modérateur, actuellement de 10% permettra un recours plus large à la formule de remplacement, qui s'applique aussi bien pour les conjointes participant aux travaux que pour celles qui ont le statut d'associé ou de co-exploitant.

  • La créance de salaire différé du conjoint

Enfin, comme pour les artisans et commerçants, il est prévu d'instituer un droit de créance pour le conjoint survivant du chef d'une exploitation agricole qui a participé aux travaux pendant au moins 10 années, sans être associé aux bénéfices. Ce droit de créance sera de 3 fois la valeur du SMIC annuel, dans la limite de 25 % de l'actif successoral.

  • Les cotisations sociales des nouveaux installés

Pour maintenir le nombre des exploitations, il faut encourager toutes les installations viables, qu'il s'agisse de jeunes issus du milieu agricole ou non, même de pluriactifs, et y compris les installations progressives. Il faut donc que l'importance des cotisations sociales ne soit pas un handicap pour des installations modestes.
C'est pourquoi, l'assiette forfaitaire qui s'applique aux cotisations des nouveaux installés sera désormais provisoire pour les chefs d'exploitation qui débutent réellement leur activité, et on lui substituera, dès qu'ils seront connus, les revenus professionnels correspondant aux premières années.
Dans le même esprit, les conjoints qui ont participé aux travaux avant de s'installer en qualité de chef d'exploitation avec leur époux ne seront plus pénalisés et verront leurs cotisations assises sur la part correspondant à leur participation aux bénéfices dans les revenus du foyer fiscal.

  • Développement de l'emploi salarié

L'agriculture pourrait proposer des emplois salariés en plus grand nombre, mais les formalités sont souvent jugées lourdes pour de petites structures. L'agriculture offre en particulier de nombreux emplois de courte durée, essentiellement saisonniers, pour lesquels l'accomplissement des formalités habituelles constitue un frein à l'embauche ou à la déclaration.
Par ailleurs, les salariés agricoles ont difficilement accès aux garanties et avantages prévus par le code du travail, d'où la faible attractivité des emplois dans ce secteur. La situation de l'emploi, qui appelle un effort de tous les secteurs, nous impose d'essayer de remédier à ces insuffisances. Les salariés de la production agricole sont employés dans des unités économiques de très petite taille et ne bénéficient que rarement des institutions prévues par le code du travail en matière d'activités sociales et culturelles, de santé et sécurité au travail. Il convient donc de revaloriser l'image du salariat agricole, ce qui profitera aux travailleurs, mais aussi aux employeurs qui rencontrent parfois des difficultés à trouver du personnel.
Pour aller dans cette direction, le projet de loi propose trois mesures :
Le titre emploi simplifié agricole : Cette disposition a fait l'objet de deux ans d'expérimentation dans le champ de l'emploi saisonnier. Elle a permis une croissance de l'emploi déclaré et a donné satisfaction aux utilisateurs, employeurs et salariés. Il est proposé au Parlement sa pérennisation et son extension à l'ensemble des contrats à durée déterminée.
Le projet de loi propose également la création par voie conventionnelle de comités départementaux des activités sociales et culturelles des salariés du secteur de la production agricole. Cette disposition est de nature à rompre l'isolement des salariés agricoles et à améliorer leurs conditions de vie.
Enfin, des commissions paritaires d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, instaurées au plan départemental ou interdépartemental, contribueront au développement de la prévention dans les petites exploitations de l'agriculture et des secteurs connexes, dépourvues jusqu'ici d'instances de concertation sur ces sujets.

Le Titre III est consacré à l'organisation économique :
L'organisation économique est un acquis important de la politique agricole qu'il convient de préserver et de renforcer, car l'ouverture des marchés la rend chaque jour plus indispensable pour protéger les intérêts des producteurs. Le projet de loi se propose de le faire dans deux secteurs, celui de la coopération et surtout celui des interprofessions. Enfin, il accroît les moyens à la disposition des partenaires au sein des filières pour organiser la production et faire face aux situations de crise.
La coopération
Le projet de loi vise tout d'abord à moderniser certains aspects du droit de la coopération agricole dans deux domaines précis en l'adaptant :

  • d'une part, à la suppression des frontières au sein de la Communauté européenne, par la possibilité pour des coopératives françaises d'accueillir en qualité d'associés coopérateurs des agriculteurs installés en zone frontalière dans d'autres Etats membres de l'Union,
  • et, d'autre part à la réalité des grands groupes économiques mixtes constitués par les coopératives et leurs filiales, par l'obligation de consolidation des comptes dans les mêmes conditions que les sociétés de droit commun. Il s'agit là d'un outil de gestion, mais aussi d'un moyen faciliter le contrôle démocratique des sociétaires sur l'ensemble de l'activité du groupe.

Le projet de loi vise, en outre, à faciliter l'évolution et l'adaptation économique de la coopération agricole en la dotant d'une instance de réflexion et de concertation rénovée. Il s'agit de renforcer l'actuel conseil supérieur de la coopération agricole en lui conférant une assise législative et en précisant ses missions.
Les interprofessions
Les organisations interprofessionnelles agricoles, issues du dispositif législatif mis en place à partir de 1975, sont devenues un outil important de la politique d'organisation des marchés. Elles sont le lieu de la nécessaire concertation entre les partenaires de la filière et d'élaboration des disciplines collectives.
Le projet de loi vise à adapter certaines dispositions aux réalités du marché et à étendre le champ d'application du dispositif actuel pour qu'il contribue mieux encore à l'organisation des relations entre la production et son aval.

Les principales innovations du projet consistent à :
1- favoriser la présence de la distribution au sein des interprofessions, ainsi que l'association des consommateurs et des salariés des entreprises des secteurs concernés.
2- permettre la création d'interprofessions spécifiques pour les produits sous signes officiels de qualité (A.O.C., labels, certification de conformité, produits de l'agriculture biologique), tout en régissant les relations avec les interprofessions de portée plus générale. Ces interprofessions sont habilitées à passer des accords destinés à adapter quantité et qualité à la demande des consommateurs et à la capacité des marchés, ceci dans le but de tirer le meilleur profit de leurs potentialités.

Les accords de crise
L'apparition de crises, fréquentes dans les secteurs où l'organisation de marché est la moins poussée, peut conduire à des faillites en chaîne et à la mise à mal du potentiel de production, sans aucun bénéfice à terme pour les consommateurs.
Afin que l'aide directe des pouvoirs publics ne soit pas l'unique recours, il convient d'encourager les partenaires de la filière à s'entendre sur les meilleurs moyens de résorber la crise et d'adapter l'appareil de production. C'est aussi le moyen de les responsabiliser face à la persistance de certains déséquilibres.
Mais il faut pour cela qu'il soient assurés du soutien des pouvoirs publics et ne soient pas à la merci d'une condamnation de leurs agissements.

La composition du C.S.O.
L'agriculture doit s'ouvrir au reste de la société et accepter de discuter les objectifs et les moyens de sa politique si elle veut voir reconnaître et rémunérer les services qu'elle rend au-delà de la production de biens agricoles et alimentaires.
Afin de mieux prendre en compte les diverses fonctions de l'agriculture dans la définition de la politique agricole, sa composition devrait être élargie aux consommateurs et aux associations agréées pour la protection de l'environnement.

Le Titre IV porte sur la qualité :
La politique de qualité des produits agricoles et alimentaires constitue un enjeu considérable pour l'agriculture française. Cette politique de qualité s'est construite progressivement avec la mise en place de signes d'identification de la qualité et de l'origine des produits, l'appellation d'origine contrôlée en 1935, les labels agricoles en 1960, l'agriculture biologique en 1980, la certification de conformité en 1988. Chacun de ces signes répond à des spécificités, l'ensemble constituant un ensemble cohérent. Les signes d'identification sont des instruments privilégiés de cette politique car ils permettent au consommateur de repérer et de privilégier ces produits.
1/ Afin de renforcer la cohérence de la politique en matière de protection des dénominations géographiques, je propose de confier à un comité particulier de l'Institut national des appellations d'origine, le soin d'examiner les demandes d'Indications Géographiques Protégées (IGP). L'INAO aurait ainsi une compétence élargie à toutes les réservations de noms géographiques.
2/ Il est prévu d'étendre à tous les produits d'une appellation d'origine contrôlée une disposition déjà prévue pour les vins instituant le prélèvement d'une cotisation destinée à financer le coût des contrôles. Cette disposition permettra en outre de satisfaire du règlement communautaire qui prévoit que le coût des contrôles doit être supporté par les producteurs utilisant la dénomination protégée.
3/ Par ailleurs, la Cour de justice des communautés européennes a estimé que la loi montagne était source d'entraves potentielles aux échanges au regard de l'article 30 du Traité. Afin de réactiver ce dispositif essentiel pour le développement des productions montagnardes, le projet de loi précise que le dispositif d'autorisation ne s'appliquera qu'aux produits fabriqués en France.
4/ Enfin, il convient de protéger les intérêts tant des producteurs que des consommateurs en encadrant stictement l'utilisation du terme "fermier", devenu très valorisant.

Le Titre V porte sur la gestion de l'espace agricole et forestier :
Les mesures contenues dans le titre V visent à assurer une meilleure prise en compte de la gestion de l'espace agricole et forestier. Le titre 1er du livre 1er nouveau du Code Rural comporte d'ores et déjà dans ses articles introductifs des dispositions, pour l'essentiel introduites par la loi du 4 juillet 1980. Ces dispositions générales se sont avérées peu efficaces, aussi apparaît-il nécessaire de les affiner. En effet, depuis 1945, ce sont annuellement 40.000 ha qui ont été artificialisés pour l'urbanisation et les infrastructures.

Le Titre VI porte sur l'enseignement, recherche et développement :
Le texte actualise et précise la définition des 4 missions de l'enseignement agricole :

  • formation initiale et continue
  • développement et expérimentation
  • participation à l'animation rurale
  • coopération internationale

Le projet de Loi :

  • redéfinit les missions de l'Enseignement supérieur agronomique et vétérinaire,
  • associe le Ministre chargé de l'enseignement supérieur à la tutelle pédagogique des établissements,
  • ouvre aux établissements la possibilité de délivrer des diplômes de 3ème cycle, seuls ou conjointement avec des Universités, sur habilitation du Ministre chargé de l'enseignement supérieur, après proposition du Ministre de l'Agriculture.
  • leur ouvre la possibilité de coopérer entre eux, ou avec d'autres établissements d'enseignement et de recherche, au sein de Groupements d'intérêt public (GIP).

Le texte ne modifie en rien les relations entre l'Etat et les établissements de l'enseignement agricole privé, telles qu'elles ont été fixées par la loi de 1984, votée à l'unanimité par le Parlement.
L'article consacré à la recherche agronomique et vétérinaire est un article d'orientation : en effet, le régime juridique et l'organisation de ce segment de la recherche sont fixés par les textes généraux relatifs à la recherche publique, que la LOA n'a bien entendu pas l'intention de mettre en cause.
Rappelant le rôle des différents centres publics et professionnels de recherche fondamentale et appliquée, placés notamment sous la tutelle du MAP, le texte souligne leur nécessaire apport au développement des capacités d'expertise et d'appui aux pouvoirs publics dans la prise de décisions et l'évaluation des risques.
Le projet de LOA donne pour la première fois une définition législative au développement agricole, qui est l'ensemble des actions concourant à la diffusion du progrès technique en agriculture : recherche finalisée et appliquée, expérimentation, transfert de technologie, opérations innovantes etc...
En conclusion, je veux rappeler que si ce texte ne traite pas de tout, c'est que je suis conscient qu'il n'est pas nécessaire de religéférer sur ce qui marche.
Mon ambition est surtout de donner une orientation.
Le Conseil d'Etat a donné acte au gouvernement du caractère d'Orientation de cette loi. Le C.E.S. aussi. Je sais que vous partagez une telle ambition pour notre agriculture.
Je vous en remercie.

(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 22 octobre 2001)