Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté votre invitation à venir exprimer dans ces Journées de l'Eau la position du Ministre de l'Agriculture et de la Forêt.
Il me semble en effet qu'il y a une convergence profonde et naturelle entre les préoccupations des élus locaux et celles du Ministère dont j'ai la charge.
D'abord parce que les agriculteurs, même si leur nombre a beaucoup diminué, constituent encore à ce jour les principaux occupants de notre territoire et ont donc un rôle déterminant dans la gestion de notre espace naturel.
Or, un débat a lieu aujourd'hui autour de leur relation avec l'eau : ils sont des pollueurs selon les uns ; pour d'autres (parfois les mêmes) ils consomment beaucoup trop d'eau. Les responsables locaux sont forcément concernés par cette discussion : pour les élus des zones rurales la question est de savoir quel peut être l'avenir des agriculteurs de leurs communes dans ce nouveau contexte. Pour les élus des villes, l'interrogation a trait à la pollution par l'agriculture de l'eau distribuée à leurs administrés.
Par ailleurs, je vous rappelle que le Fonds National pour le Développement des Adductions d'Eau (FNDAE) est géré par 1e Ministère de l'Agriculture et de la Forêt. Compte tenu de l'importance de ce Fonds pour le financement des dépenses d'adduction d'eau et d'assainissement des communes rurales (c'est-à-dire de celles dont la population est inférieure à 2000 habitants), je n'ai pas été surpris qu'il soit largement évoqué dans vos débats et il me paraît normal de vous donner sur ce dossier le point de vue du gestionnaire de ce Fonds.
Je vous propose d'organiser mon propos autour de deux idées :
- d'une part la relation entre l'agriculteur et l'eau doit être revue ;
- d'autre part la situation des communes rurales en matière de distribution et d'assainissement de l'eau doit faire l'objet d'un effort de solidarité national.
Il me semble tout d'abord clair que les rapports entre l'agriculture et l'eau doivent évoluer.
C'est d'abord le cas pour ce qui concerne les quantités d'eau qu'utilisent les agriculteurs. Il s'agit là d'une question particulièrement d'actualité avant le début d'un été où, malheureusement, les régions méridionales de notre pays vont connaître leur deuxième sécheresse consécutive.
Pour être plus localisé qu'en 1989 le phénomène n'en sera, hélas ! pas moindre. Non seulement en effet la sécheresse se succède à elle-même au sud de la FRANCE, mais en outre nos réserves en eau sont beaucoup plus faibles qu'en 1989 pour pallier ses effets.
Certes, le Président de "la République l'a annoncé dans la zone sans doute la plus menacée, celle du LAURAGAIS, la solidarité nationale s'exercera. Le Comité Interministériel qu'a présidé Monsieur le Premier Ministre sur la politique de l'eau le 26 avril dernier, a tracé des orientations claires à cet égard.
J'ai demandé à mes services de me dire en particulier quels allégements de charges pourraient aider des irriguants en difficulté. Je crois aussi que la calamité doit être prise en compte au niveau communautaire, tant il est vrai, bien sûr, que la FRANCE n'est pas le seul pays de la CEE à être touché.
Sur ma proposition, le Gouvernement s'emploiera à obtenir de Bruxelles une solution aux effets des transferts de cultures liés à la sécheresse. A la suite de l'action des cellules d'urgence départementales que nous avons créées en février dernier, de nombreux agriculteurs ont renoncé à semer du maïs irrigué, culture très exigeante en eau pour la remplacer par des cultures plus économes, telles que le tournesol. Les agriculteurs ont fait à la fois preuve d'intelligence agronomique et de sens des disciplines collectives. Il serait incompréhensible qu'ils en soient pénalisés par le jeu des QMG oléoprotéagineuses. C'est le sens de l'action que nous allons résolument mener à Bruxelles.
Mais, je l'avais déjà dit lors de la sécheresse de 1989, au delà des indispensables mesures immédiates, des questions de fonds se posent. A ma demande, le 8 mars dernier, un colloque sur l'eau et l'agriculture a réuni toutes les parties concernées par le problème.
Les enseignements ne doivent pas être oubliés. Bien sûr la consommation d'eau par l'irrigation est inférieure, comme vous le rappeliez dans votre dossier de travail, à celles des autres utilisateurs : l'industrie, la production d'énergie ou les ménages ; cela mérite d'être souligne car on insiste trop souvent sur le fait que les surfaces irriguées ont doublé entre 1970 et 1990, sans indiquer la hiérarchie des consommations.
Mais, dans la mesure ou l'eau sera un bien de plus en plus rare, il faudra que les agriculteurs, comme les autres catégories sociales, justifient leurs demandes.
L'irrigation gardera un rôle déterminant pour garantir une meilleure régularité des productions en quantité et en qualité. Mais, si elle est décidée à tort, elle entraîne des charges plus lourdes que d'autres solutions techniques, aussi bien pour l'agriculture que pour la collectivité (puisque l'indemnisation de la calamité est demandée).
Or, avec une approche agronomique fine, il est possible à partir d'un choix judicieux des cultures et d'un bon diagnostic du potentiel des sols, d'étaler les besoins en eau dans le temps. Il ne s'agit donc pas de décourager les irrigants, mais de les inciter à bien définir leurs projets.
Car l'accès à l'eau demain sera plus réglementé et le projet de loi sur l'eau que le gouvernement présentera au Parlement sans doute à la session d'automne introduira de nouvelles règles du jeu.
Dans le même ordre d'idées, la création de ressources nouvelles en eau sera conditionnée par le sérieux des dossiers que l'agriculture saura présenter.
C'est la même démarche de responsabilisation qui doit prévaloir dans le deuxième aspect du rapport entre l'agriculture et l'eau : celui de la qualité de l'eau.
J'ai déjà eu beaucoup l'occasion de m'exprimer récemment sur ce problème et je m'en tiendrai donc au rappel de quelques idées.
Tout d'abord, en ce qui concerne le cadre de mon analyse, trois points me semblent fondamentaux.
En premier lieu, faut-il que je le redise ? les agriculteurs ne sont pas les seuls responsables de la pollution de l'eau par les nitrates, sujet qui émeut légitiment l'opinion publique. Les industries et les communes (nous sommes tous des producteurs de nitrates) ont aussi leur part de responsabilités.
Ensuite, sans contester cette responsabilité des agriculteurs il me paraît juste de souligner que ce n'est pas par incompétence de ceux-ci que l'on en est arrivé au douloureux constat que la catégorie sociale qui est forcément la plus proche de la nature par son activité même et qui jouit de la meilleure image auprès de nos concitoyens était responsable d'une partie de la pollution de notre eau. Cette situation résulte d'un contexte économique qu'il ne faut jamais oublier : notre société a demandé à ses agriculteurs de produire toujours plus à des coûts toujours moindres. Produire mieux, c'est possible, mais cela aura un coût qui est tout simplement celui de la qualité de la vie.
Enfin, il me parait nécessaire d'insister sur, le fait que, si le sujet est aujourd'hui sous les feux de l'actualité, l'agriculture française n'a pas attendu 1990 pour découvrir le problème de la pollution de l'eau par 1es nitrates.
C'est en 1984 qu'a été mis sur pieds par le Ministère de l'Agriculture et celui de l'Environnement, avec les responsables agricoles et les représentants des associations de protection de la nature le CORPEN (Comité d'Orientation pour la Réduction de la Pollution de l'Eau par les Nitrates). Il a mené depuis six ans un remarquable travail de réflexion et d'information, dont il nous est aujourd'hui facile de retirer les fruits.
Il faut en effet agir de plus en plus sur le terrain pour exploiter au mieux l'oeuvre du CORPEN.
J'ai eu l'occasion, voici quelques jours, de présenter au public un ensemble de mesures permettant, dans tous les domaines touchés par l'agriculture, de défendre la qualité de la vie, c'est-à-dire de maintenir une relation harmonieuse entre l'agriculture et la nature.
Avant d'y revenir plus en détail il me faut rappeler dans quel esprit nous souhaitons travailler : c'est celui du partenariat avec la profession agricole.
Bien sûr il faut dans ce domaine disposer de règles claires et je répète volontiers à cette tribune que je souhaite que la directive communautaire sur les nitrates, sur laquelle travaillent depuis longtemps les ministres de l'environnement de la CEE, soit adoptée.
Mais, dans ce domaine, c'est avant tout de l'adhésion des agriculteurs eux-mêmes que pourra venir le progrès. La réglementation ne pourra évidemment, pas plus que la répression, régler à elle seule le problème.
Il faut avant tout convaincre et inciter les agriculteurs à produire autrement, ce qui ne signifie ni le retour à des modes de production archaïques, ni la conversion générale à l'agriculture biologique (encore que j'aie bien l'intention de lui apporter une aide croissante). Non, de façon plus ambitieuse, il faut encourager la diversification des modèles de production de façon à les rendre plus respectueux de l'environnement.
Cela suppose d'abord des explications et nous poursuivons en ce domaine l'énorme travail d'information lancé par le CORPEN. Cela suppose aussi que l'on puisse montrer aux professionnels que l'on peut produire autrement. Cela m'amènera à intensifier les efforts de recherche : qu'il s'agisse de la production animale ou de la production végétale, une quinzaine d'actions d'expérimentation seront lancées ou poursuivies, avec le concours d'organiser dont la compétence est reconnue par tous : le CEMAGREF, l'INRA, les établissements d'enseignement agricole.
Mais bien sûr il nous faudra aussi agir sur le terrain, avec une action adaptée au type d'agriculture que l'on trouve dans chaque région :
- dans les zones d'élevage intensif, le programme "BRETAGNE eau pure", auquel le Ministère de l'Agriculture apporte d'ores et déjà son soutien financier constituera la référence. Il s'agit à côté d'une importante action d'expérimentation de mieux raisonner la fertilisation (pour éviter l'usage excessif de l'engrais) et d'améliorer les capacités de stockage des effluents.
- dans les zones de cultures intensives il faudra mettre en place des opérations pilotes (et je viens d'en lancer deux, en HAUTE GARONNE et dans l'YONNE) pour encourager la mise en place d'un couvert végétal en hiver et ici aussi mieux ajuster la fertilisation au sol.
Car partout le maître mot, comme en matière de prélèvements d'eau doit être l'utilisation de toutes les ressources de la science agronomique. Cela impliquera un effort important pour privilégier l'appui technique aux agriculteurs. Cela supposera aussi que des possibilités de financement des investissements favorables à l'environnement leur soient ouverts.
Ce sont là les orientations que j'ai tracées voici quelques jours, à partir desquelles mes services travaillent.
Elles doivent permettre à notre agriculture de relever le nouveau défi auquel elle est confrontée de produire autant en restant compétitive et en devenant de plus en plus respectueuse de son environnement.
Mais, je l'ai dit, l'action que je conduis ainsi en direction des agriculteurs n'aura un impact important sur la qualité de l'eau que si les autres sources de pollution sont aussi visées.
Cela me conduit à évoquer les problèmes de distribution d'eau et d'assainissement des communes rurales, en tant que gestionnaire du FNDAE.
Ce Fonds, vous le connaissez bien et j'ai pu constater en consultant le programme de vos travaux qu'il serait longtemps évoqué par la table ronde présidée par M. Yves TAVERNIER, Député de l'ESSONNE avec lequel le Ministre de l'Agriculture et de la Forêt a beaucoup travaillé au sein de la commission qu'il anime à l'Assemblée Nationale sur l'eau.
Pour cette raison, et aussi parce que, je crois pouvoir le dire, il existe chez les élus locaux (je n'oublie jamais que je suis des vôtres) un large accord aussi bien sur le constat que l'on peut dresser que sur les solutions concevables, je me bornerai à noter quelques faits qui me semblent particulièrement significatifs.
En ce qui concerne le constat que l'on peut faire, il est forcément nuancé.
Il faut d'abord rappeler car, l'arbre ne doit pas cacher la forêt, le rôle décisif qu'a joué le FNDAE pour l'aménagement de nos communes rurales dans le domaine de l'eau. Un seul chiffre en témoigne : 97 % de la population rurale est aujourd'hui desservie en eau potable.
Le Fonds a versé en 1989, 700 MF d'aides financières. Il a lancé depuis 1982 un programme spécial pour la qualité des eaux, auquel 90 MF sont consacrés en 1990.
C'est là un bilan extrêmement positif, mais il n'est pas encore suffisant. D'importants problèmes demeurent, dans le domaine qualitatif :
- pour ce qui est de la distribution d'eau potable tout d'abord, plus de 90 % des unités de distribution dépassant le taux limite de 50 mg/litre sont situées dans des communes rurales, où résident 60 % des habitants exposés à cette teneur limite.
Cela ne veut pas dire que tout le réseau des communes rurales est à revoir. Un inventaire des besoins est actuellement mené par le Ministère, mais on estime pour le moment que 35 % des communes rurales connaissent des problèmes notoires de distribution.
- la situation n'est pas non plus sans créer de problèmes en matière de collecte et d'épuration des eaux usées. Moins de la moitié en effet de la population rurale est aujourd'hui raccordée à une station d'épuration.
De plus, même quand ce raccordement à une station d'épuration existe, il est très rare que celle-ci soit équipée pour éliminer les nitrates.
Or, en matière d'eau, les exigences de la santé publique sont croissantes. Il faut, comme vous le savez, respecter la norme européenne de 50 mg/l de nitrates dans l'eau destinée à la consommation humaine, Cela suppose la mise en oeuvre d'actions curatives (mélange des eaux) approfondissement de captages ou leur fermeture, unités de dénitrification ou de dénitratation, compte tenu de la qualité de certaines eaux captées.
Ces mesures ont d'ailleurs permis de diminuer la population recevant une eau trop chargée en nitrates.
Mais, si les actions curatives sont nécessaires, elles ne constituent pas une solution à long terme en raison :
- de l'évolution constante du taux de nitrates dans les eaux (une augmentation de 1 à 2 mg/l/an se rencontre fréquemment).
- de l'inertie du phénomène. Il se passe parfois de nombreuses années avant que les nitrates des premiers centimètres du sol atteignent les nappes ; l'effet sur les eaux superficielles est plus rapide mais les 2/3 des eaux utilisées pour l'alimentation en eau potable proviennent des nappes souterraines.
- de la limite même des actions curatives qui par définition n'agissent pas sur les causes et n'ont donc aucun effet sur le flux continu de nitrates vers les eaux. Par ailleurs, ces actions sont parfois délicates à mettre en oeuvre et en tout état de case sont coûteuses.
Cela pose donc tout le problème du financement de la politique à mener par les communes pour améliorer la situation.
Or, il n'est pas raisonnable de penser que ce sont les communes rurales qui pourront le prendre en charge, du moins de façon significative. La population y est très dispersée (ce qui engendre des coûts supplémentaires), et, dans beaucoup de cas, elle est trop peu nombreuse pour supporter des charges supplémentaires, alors que le coût de l'eau potable est d'ores et déjà plus élevé pour les ruraux que pour les urbains. On estime en effet que l'usager rural paie, en moyenne, son eau 27 % plus cher que l'usager urbain.
D'ailleurs, les migrations que connaît le monde rural justifient tout à fait un effort de solidarité nationale. Je rappelle que, aux 22 millions d'habitants que comptent de façon permanente les zones rurales, s'ajoutent une population saisonnière de 11 millions. Ainsi chaque été les communes rurales voient leur population augmenter d'un tiers et elles doivent bien sûr prévoir des équipements d'assainissement surdimensionnés par rapport à leurs besoins permanents.
Il faut donc, je le répète, un effort nationale pour financer l'indispensable modernisation des équipements de distribution et d'assainissement de l'eau des communes rurales.
C'est seulement en acceptant d'augmenter les ressources du FNDAE, c'est-à-dire en clair le prix de l'eau, que cette situation évoluera.
Mais l'Etat, pas plus qu'aujourd'hui, ne pourra agir seul. Les relations anciennes qu'il a avec les collectivités locales et, en particulier avec les conseils généraux, devront être poursuivies et amplifiées.
C'est là en effet l'idée fondamentale sur laquelle je veux insister pour conclure mon propos. Les problèmes de l'eau font depuis plusieurs mois l'objet d'une grande attention de la part de nos concitoyens et il me semble évident que cela sera un phénomène durable, dont on ne peut que se réjouir.
Mais il faut savoir dépasser l'étape de la recherche des causes des difficultés en matière d'eau. Il ne sert à rien de désigner des boucs émissaires car nous avons tous notre part de responsabilité dans ce domaine, nous qui sommes tous à la fois des consommateurs et des pollueurs de l'eau.
Alors, plutôt que de vains procès, ce qu'il nous faut c'est travailler ensemble car la tâche est noble et exaltante. C'est seulement par un partenariat avec les agriculteurs et avec les collectivités locales que nous préserverons pour nos enfants ce bien précieux entre tous qu'est l'eau.
Messieurs,
C'est avec plaisir que j'ai accepté votre invitation à venir exprimer dans ces Journées de l'Eau la position du Ministre de l'Agriculture et de la Forêt.
Il me semble en effet qu'il y a une convergence profonde et naturelle entre les préoccupations des élus locaux et celles du Ministère dont j'ai la charge.
D'abord parce que les agriculteurs, même si leur nombre a beaucoup diminué, constituent encore à ce jour les principaux occupants de notre territoire et ont donc un rôle déterminant dans la gestion de notre espace naturel.
Or, un débat a lieu aujourd'hui autour de leur relation avec l'eau : ils sont des pollueurs selon les uns ; pour d'autres (parfois les mêmes) ils consomment beaucoup trop d'eau. Les responsables locaux sont forcément concernés par cette discussion : pour les élus des zones rurales la question est de savoir quel peut être l'avenir des agriculteurs de leurs communes dans ce nouveau contexte. Pour les élus des villes, l'interrogation a trait à la pollution par l'agriculture de l'eau distribuée à leurs administrés.
Par ailleurs, je vous rappelle que le Fonds National pour le Développement des Adductions d'Eau (FNDAE) est géré par 1e Ministère de l'Agriculture et de la Forêt. Compte tenu de l'importance de ce Fonds pour le financement des dépenses d'adduction d'eau et d'assainissement des communes rurales (c'est-à-dire de celles dont la population est inférieure à 2000 habitants), je n'ai pas été surpris qu'il soit largement évoqué dans vos débats et il me paraît normal de vous donner sur ce dossier le point de vue du gestionnaire de ce Fonds.
Je vous propose d'organiser mon propos autour de deux idées :
- d'une part la relation entre l'agriculteur et l'eau doit être revue ;
- d'autre part la situation des communes rurales en matière de distribution et d'assainissement de l'eau doit faire l'objet d'un effort de solidarité national.
Il me semble tout d'abord clair que les rapports entre l'agriculture et l'eau doivent évoluer.
C'est d'abord le cas pour ce qui concerne les quantités d'eau qu'utilisent les agriculteurs. Il s'agit là d'une question particulièrement d'actualité avant le début d'un été où, malheureusement, les régions méridionales de notre pays vont connaître leur deuxième sécheresse consécutive.
Pour être plus localisé qu'en 1989 le phénomène n'en sera, hélas ! pas moindre. Non seulement en effet la sécheresse se succède à elle-même au sud de la FRANCE, mais en outre nos réserves en eau sont beaucoup plus faibles qu'en 1989 pour pallier ses effets.
Certes, le Président de "la République l'a annoncé dans la zone sans doute la plus menacée, celle du LAURAGAIS, la solidarité nationale s'exercera. Le Comité Interministériel qu'a présidé Monsieur le Premier Ministre sur la politique de l'eau le 26 avril dernier, a tracé des orientations claires à cet égard.
J'ai demandé à mes services de me dire en particulier quels allégements de charges pourraient aider des irriguants en difficulté. Je crois aussi que la calamité doit être prise en compte au niveau communautaire, tant il est vrai, bien sûr, que la FRANCE n'est pas le seul pays de la CEE à être touché.
Sur ma proposition, le Gouvernement s'emploiera à obtenir de Bruxelles une solution aux effets des transferts de cultures liés à la sécheresse. A la suite de l'action des cellules d'urgence départementales que nous avons créées en février dernier, de nombreux agriculteurs ont renoncé à semer du maïs irrigué, culture très exigeante en eau pour la remplacer par des cultures plus économes, telles que le tournesol. Les agriculteurs ont fait à la fois preuve d'intelligence agronomique et de sens des disciplines collectives. Il serait incompréhensible qu'ils en soient pénalisés par le jeu des QMG oléoprotéagineuses. C'est le sens de l'action que nous allons résolument mener à Bruxelles.
Mais, je l'avais déjà dit lors de la sécheresse de 1989, au delà des indispensables mesures immédiates, des questions de fonds se posent. A ma demande, le 8 mars dernier, un colloque sur l'eau et l'agriculture a réuni toutes les parties concernées par le problème.
Les enseignements ne doivent pas être oubliés. Bien sûr la consommation d'eau par l'irrigation est inférieure, comme vous le rappeliez dans votre dossier de travail, à celles des autres utilisateurs : l'industrie, la production d'énergie ou les ménages ; cela mérite d'être souligne car on insiste trop souvent sur le fait que les surfaces irriguées ont doublé entre 1970 et 1990, sans indiquer la hiérarchie des consommations.
Mais, dans la mesure ou l'eau sera un bien de plus en plus rare, il faudra que les agriculteurs, comme les autres catégories sociales, justifient leurs demandes.
L'irrigation gardera un rôle déterminant pour garantir une meilleure régularité des productions en quantité et en qualité. Mais, si elle est décidée à tort, elle entraîne des charges plus lourdes que d'autres solutions techniques, aussi bien pour l'agriculture que pour la collectivité (puisque l'indemnisation de la calamité est demandée).
Or, avec une approche agronomique fine, il est possible à partir d'un choix judicieux des cultures et d'un bon diagnostic du potentiel des sols, d'étaler les besoins en eau dans le temps. Il ne s'agit donc pas de décourager les irrigants, mais de les inciter à bien définir leurs projets.
Car l'accès à l'eau demain sera plus réglementé et le projet de loi sur l'eau que le gouvernement présentera au Parlement sans doute à la session d'automne introduira de nouvelles règles du jeu.
Dans le même ordre d'idées, la création de ressources nouvelles en eau sera conditionnée par le sérieux des dossiers que l'agriculture saura présenter.
C'est la même démarche de responsabilisation qui doit prévaloir dans le deuxième aspect du rapport entre l'agriculture et l'eau : celui de la qualité de l'eau.
J'ai déjà eu beaucoup l'occasion de m'exprimer récemment sur ce problème et je m'en tiendrai donc au rappel de quelques idées.
Tout d'abord, en ce qui concerne le cadre de mon analyse, trois points me semblent fondamentaux.
En premier lieu, faut-il que je le redise ? les agriculteurs ne sont pas les seuls responsables de la pollution de l'eau par les nitrates, sujet qui émeut légitiment l'opinion publique. Les industries et les communes (nous sommes tous des producteurs de nitrates) ont aussi leur part de responsabilités.
Ensuite, sans contester cette responsabilité des agriculteurs il me paraît juste de souligner que ce n'est pas par incompétence de ceux-ci que l'on en est arrivé au douloureux constat que la catégorie sociale qui est forcément la plus proche de la nature par son activité même et qui jouit de la meilleure image auprès de nos concitoyens était responsable d'une partie de la pollution de notre eau. Cette situation résulte d'un contexte économique qu'il ne faut jamais oublier : notre société a demandé à ses agriculteurs de produire toujours plus à des coûts toujours moindres. Produire mieux, c'est possible, mais cela aura un coût qui est tout simplement celui de la qualité de la vie.
Enfin, il me parait nécessaire d'insister sur, le fait que, si le sujet est aujourd'hui sous les feux de l'actualité, l'agriculture française n'a pas attendu 1990 pour découvrir le problème de la pollution de l'eau par 1es nitrates.
C'est en 1984 qu'a été mis sur pieds par le Ministère de l'Agriculture et celui de l'Environnement, avec les responsables agricoles et les représentants des associations de protection de la nature le CORPEN (Comité d'Orientation pour la Réduction de la Pollution de l'Eau par les Nitrates). Il a mené depuis six ans un remarquable travail de réflexion et d'information, dont il nous est aujourd'hui facile de retirer les fruits.
Il faut en effet agir de plus en plus sur le terrain pour exploiter au mieux l'oeuvre du CORPEN.
J'ai eu l'occasion, voici quelques jours, de présenter au public un ensemble de mesures permettant, dans tous les domaines touchés par l'agriculture, de défendre la qualité de la vie, c'est-à-dire de maintenir une relation harmonieuse entre l'agriculture et la nature.
Avant d'y revenir plus en détail il me faut rappeler dans quel esprit nous souhaitons travailler : c'est celui du partenariat avec la profession agricole.
Bien sûr il faut dans ce domaine disposer de règles claires et je répète volontiers à cette tribune que je souhaite que la directive communautaire sur les nitrates, sur laquelle travaillent depuis longtemps les ministres de l'environnement de la CEE, soit adoptée.
Mais, dans ce domaine, c'est avant tout de l'adhésion des agriculteurs eux-mêmes que pourra venir le progrès. La réglementation ne pourra évidemment, pas plus que la répression, régler à elle seule le problème.
Il faut avant tout convaincre et inciter les agriculteurs à produire autrement, ce qui ne signifie ni le retour à des modes de production archaïques, ni la conversion générale à l'agriculture biologique (encore que j'aie bien l'intention de lui apporter une aide croissante). Non, de façon plus ambitieuse, il faut encourager la diversification des modèles de production de façon à les rendre plus respectueux de l'environnement.
Cela suppose d'abord des explications et nous poursuivons en ce domaine l'énorme travail d'information lancé par le CORPEN. Cela suppose aussi que l'on puisse montrer aux professionnels que l'on peut produire autrement. Cela m'amènera à intensifier les efforts de recherche : qu'il s'agisse de la production animale ou de la production végétale, une quinzaine d'actions d'expérimentation seront lancées ou poursuivies, avec le concours d'organiser dont la compétence est reconnue par tous : le CEMAGREF, l'INRA, les établissements d'enseignement agricole.
Mais bien sûr il nous faudra aussi agir sur le terrain, avec une action adaptée au type d'agriculture que l'on trouve dans chaque région :
- dans les zones d'élevage intensif, le programme "BRETAGNE eau pure", auquel le Ministère de l'Agriculture apporte d'ores et déjà son soutien financier constituera la référence. Il s'agit à côté d'une importante action d'expérimentation de mieux raisonner la fertilisation (pour éviter l'usage excessif de l'engrais) et d'améliorer les capacités de stockage des effluents.
- dans les zones de cultures intensives il faudra mettre en place des opérations pilotes (et je viens d'en lancer deux, en HAUTE GARONNE et dans l'YONNE) pour encourager la mise en place d'un couvert végétal en hiver et ici aussi mieux ajuster la fertilisation au sol.
Car partout le maître mot, comme en matière de prélèvements d'eau doit être l'utilisation de toutes les ressources de la science agronomique. Cela impliquera un effort important pour privilégier l'appui technique aux agriculteurs. Cela supposera aussi que des possibilités de financement des investissements favorables à l'environnement leur soient ouverts.
Ce sont là les orientations que j'ai tracées voici quelques jours, à partir desquelles mes services travaillent.
Elles doivent permettre à notre agriculture de relever le nouveau défi auquel elle est confrontée de produire autant en restant compétitive et en devenant de plus en plus respectueuse de son environnement.
Mais, je l'ai dit, l'action que je conduis ainsi en direction des agriculteurs n'aura un impact important sur la qualité de l'eau que si les autres sources de pollution sont aussi visées.
Cela me conduit à évoquer les problèmes de distribution d'eau et d'assainissement des communes rurales, en tant que gestionnaire du FNDAE.
Ce Fonds, vous le connaissez bien et j'ai pu constater en consultant le programme de vos travaux qu'il serait longtemps évoqué par la table ronde présidée par M. Yves TAVERNIER, Député de l'ESSONNE avec lequel le Ministre de l'Agriculture et de la Forêt a beaucoup travaillé au sein de la commission qu'il anime à l'Assemblée Nationale sur l'eau.
Pour cette raison, et aussi parce que, je crois pouvoir le dire, il existe chez les élus locaux (je n'oublie jamais que je suis des vôtres) un large accord aussi bien sur le constat que l'on peut dresser que sur les solutions concevables, je me bornerai à noter quelques faits qui me semblent particulièrement significatifs.
En ce qui concerne le constat que l'on peut faire, il est forcément nuancé.
Il faut d'abord rappeler car, l'arbre ne doit pas cacher la forêt, le rôle décisif qu'a joué le FNDAE pour l'aménagement de nos communes rurales dans le domaine de l'eau. Un seul chiffre en témoigne : 97 % de la population rurale est aujourd'hui desservie en eau potable.
Le Fonds a versé en 1989, 700 MF d'aides financières. Il a lancé depuis 1982 un programme spécial pour la qualité des eaux, auquel 90 MF sont consacrés en 1990.
C'est là un bilan extrêmement positif, mais il n'est pas encore suffisant. D'importants problèmes demeurent, dans le domaine qualitatif :
- pour ce qui est de la distribution d'eau potable tout d'abord, plus de 90 % des unités de distribution dépassant le taux limite de 50 mg/litre sont situées dans des communes rurales, où résident 60 % des habitants exposés à cette teneur limite.
Cela ne veut pas dire que tout le réseau des communes rurales est à revoir. Un inventaire des besoins est actuellement mené par le Ministère, mais on estime pour le moment que 35 % des communes rurales connaissent des problèmes notoires de distribution.
- la situation n'est pas non plus sans créer de problèmes en matière de collecte et d'épuration des eaux usées. Moins de la moitié en effet de la population rurale est aujourd'hui raccordée à une station d'épuration.
De plus, même quand ce raccordement à une station d'épuration existe, il est très rare que celle-ci soit équipée pour éliminer les nitrates.
Or, en matière d'eau, les exigences de la santé publique sont croissantes. Il faut, comme vous le savez, respecter la norme européenne de 50 mg/l de nitrates dans l'eau destinée à la consommation humaine, Cela suppose la mise en oeuvre d'actions curatives (mélange des eaux) approfondissement de captages ou leur fermeture, unités de dénitrification ou de dénitratation, compte tenu de la qualité de certaines eaux captées.
Ces mesures ont d'ailleurs permis de diminuer la population recevant une eau trop chargée en nitrates.
Mais, si les actions curatives sont nécessaires, elles ne constituent pas une solution à long terme en raison :
- de l'évolution constante du taux de nitrates dans les eaux (une augmentation de 1 à 2 mg/l/an se rencontre fréquemment).
- de l'inertie du phénomène. Il se passe parfois de nombreuses années avant que les nitrates des premiers centimètres du sol atteignent les nappes ; l'effet sur les eaux superficielles est plus rapide mais les 2/3 des eaux utilisées pour l'alimentation en eau potable proviennent des nappes souterraines.
- de la limite même des actions curatives qui par définition n'agissent pas sur les causes et n'ont donc aucun effet sur le flux continu de nitrates vers les eaux. Par ailleurs, ces actions sont parfois délicates à mettre en oeuvre et en tout état de case sont coûteuses.
Cela pose donc tout le problème du financement de la politique à mener par les communes pour améliorer la situation.
Or, il n'est pas raisonnable de penser que ce sont les communes rurales qui pourront le prendre en charge, du moins de façon significative. La population y est très dispersée (ce qui engendre des coûts supplémentaires), et, dans beaucoup de cas, elle est trop peu nombreuse pour supporter des charges supplémentaires, alors que le coût de l'eau potable est d'ores et déjà plus élevé pour les ruraux que pour les urbains. On estime en effet que l'usager rural paie, en moyenne, son eau 27 % plus cher que l'usager urbain.
D'ailleurs, les migrations que connaît le monde rural justifient tout à fait un effort de solidarité nationale. Je rappelle que, aux 22 millions d'habitants que comptent de façon permanente les zones rurales, s'ajoutent une population saisonnière de 11 millions. Ainsi chaque été les communes rurales voient leur population augmenter d'un tiers et elles doivent bien sûr prévoir des équipements d'assainissement surdimensionnés par rapport à leurs besoins permanents.
Il faut donc, je le répète, un effort nationale pour financer l'indispensable modernisation des équipements de distribution et d'assainissement de l'eau des communes rurales.
C'est seulement en acceptant d'augmenter les ressources du FNDAE, c'est-à-dire en clair le prix de l'eau, que cette situation évoluera.
Mais l'Etat, pas plus qu'aujourd'hui, ne pourra agir seul. Les relations anciennes qu'il a avec les collectivités locales et, en particulier avec les conseils généraux, devront être poursuivies et amplifiées.
C'est là en effet l'idée fondamentale sur laquelle je veux insister pour conclure mon propos. Les problèmes de l'eau font depuis plusieurs mois l'objet d'une grande attention de la part de nos concitoyens et il me semble évident que cela sera un phénomène durable, dont on ne peut que se réjouir.
Mais il faut savoir dépasser l'étape de la recherche des causes des difficultés en matière d'eau. Il ne sert à rien de désigner des boucs émissaires car nous avons tous notre part de responsabilité dans ce domaine, nous qui sommes tous à la fois des consommateurs et des pollueurs de l'eau.
Alors, plutôt que de vains procès, ce qu'il nous faut c'est travailler ensemble car la tâche est noble et exaltante. C'est seulement par un partenariat avec les agriculteurs et avec les collectivités locales que nous préserverons pour nos enfants ce bien précieux entre tous qu'est l'eau.