Point de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les négociations sur la réforme des institutions communautaires et sur le traité de Nice, Strasbourg le 12 décembre 2000.

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Circonstance : Bilan de la présidence française au Parlement européen, Strasbourg le 12 décembre 2000

Texte intégral

Q - Quand aurons-nous la dernière version du traité ?
R - Vous savez que ce sommet s'est terminé tard dans la nuit d'hier et qu'il y a eu un dernier document de travail sur la table, qu'il a fallu trancher sur un certain nombre de questions et qu'il faut maintenant rédiger le traité et mettre en forme juridique les décisions qui ont été prises, article par article, par les chefs d'Etat et de gouvernement. Donc j'espère que cela sera prêt ce soir ou, au plus tard, demain.
Q - Quel statut pour la Turquie après Nice ?
R - Le même qu'auparavant. La Turquie est candidate à l'Union européenne. Le Conseil européen a adopté le partenariat euro-turc dans la première partie des conclusions, ce qui est très important. MM. Bulent Ecevit et Cem étaient présents à Nice pour la conférence européenne. Evidemment, cette candidature avance. Simplement, la Turquie n'était pas dans la même situation que les autres pour une raison fort simple c'est que les autres ont commencé les négociations alors que la Turquie est encore un candidat qui n'a pas encore commencé ses négociations.
Q - Ne trouvez-vous pas qu'à Nice nous avons assisté à la fragmentation des blocs habituels : nordique, Benelux, ibérique, moteur franco-allemand ?
R - Tout cela serait très inquiétant s'il y avait effectivement la lecture qui est la votre. C'était une Conférence intergouvernementale extrêmement difficile, délicate parce qu'elle traitait des problèmes, peut-être éloignés des préoccupations des citoyens, qui sont des problèmes de pouvoir. Dès lors, il était logique que surgissent des conceptions différentes sur la vision des institutions, les conceptions différentes sur le rôle des nations et, dans ces conditions, il y a eu des débats qui ont été sérieux et difficiles. Je ne pense pas que cela laissera de traces et qu'il soit possible de tirer des conclusions sur le Benelux parce qu'il y a eu des débats sur la place respective des Pays-Bas et de la Belgique lors du Conseil des ministres, ou sur la relation franco-allemande. Tout ce que j'ai lu sur la relation franco-allemande ces derniers temps est, je l'avoue, au moins exagéré quand ce n'est pas faux. Elle continuera d'être ce qu'elle doit être et ce qu'elle est, c'est à dire le moteur de l'Europe, car, au fond, qu'avons nous fait à Nice ? Nous avons créé les conditions pour que l'aventure européenne puisse continuer. Nous avons bâti le socle d'une Europe qui peut s'élargir. Nous avons travaillé à ce que l'Europe puisse être ce qu'elle doit être, un espace de progrès vers le plein emploi et une croissance forte. C'est cela notre ambition.
Q - Une question pratique concernant le seuil de la majorité qualifiée. Quel est le chiffre exact ?
R - Il a été précisé, effectivement tard dans la nuit, que le seuil de la majorité qualifiée sera ramené dans un premier temps, c'est à dire l'Europe telle qu'elle est, à 71 % et après cela, ensuite - je parle de mémoire - à 73,4%. Donc ce sont ces deux seuils qui ont été finalement adoptés. Effectivement cela a été une des réponses données aux demandes du Premier ministre belge, M. Guy Verhofstadt, que je remercie moi aussi, de son geste. Mais je voudrais souligner que, tout de même, chacun a fait un geste dans cette affaire. Parce que si on ne fait pas de gestes à 15, il n'y a pas d'accord à 15.
Q - En fait, le Parlement européen a servi de variable d'ajustement ?
R - Je ne le crois pas. Je pense que l'augmentation du nombre des députés européens manifeste en même temps l'attention que nous prêtons, à cette assemblée. Le chiffre est proche de l'objectif des 700 que nous nous étions fixé. Une Europe, qui comportera 27 Etats membres doit avoir une grande assemblée. Après tout, 732, au lieu de 626 aujourd'hui, alors que nous passerions de 15 à 27, cela n'est pas vraiment scandaleux. Il faut aussi que ce parlement puisse représenter les peuples. Donc que personne n'y soit réduit. Si nous nous étions contentés d'appliquer les grilles démographiques, certains pays auraient alors presque disparus du Parlement européen. Cela aurait été dommage. A l'inverse, si nous n'avions pas respecté un peu la démographie, il y aurait eu une disproportion flagrante dans la représentation des peuples. Donc je crois que nous sommes dans un équilibre soutenable.
Q - Quand avez-vous constaté l'erreur technique concernant la Pologne ?
R - Très tôt, je me souviens avoir été à un point de presse où cette question m'a été posée, d'avoir reçu dans la soirée de vendredi, puisque c'est ce jour là que le tableau est sorti, un coup de fil de Jan Kulakowski, qui est le négociateur polonais, que j'ai tout de suite pu rassurer en direction de son Premier ministre en lui disant que la proposition officielle française qui sortirait le lendemain matin, serait bien de 28 voix pour l'Espagne et 28 voix pour la Pologne. Et je souligne que la France n'a jamais eu, j'insiste, jamais eu l'intention de décrocher l'Espagne et la Pologne qui ont toutes deux le même nombre d'habitants. Et donc logiquement doivent avoir le même nombre de voix au Conseil. Ce message est à la fois technique et politique. La France n'a jamais eu l'intention de décrocher l'Espagne et la Pologne. Et je pourrais donner les documents qui précédaient la distribution de celui-ci, internes, qui montraient bien qu'ils avaient 28 voix chacun depuis le départ.
Q - La Présidence française ne voulait pas d'un accord au rabais. N'a-t-elle pas changé de position ?
R - Il n'y a pas eu de revirement. La Présidence, dans cette affaire et depuis l'origine a eu deux règles de conduite. La première règle de conduite c'était de faire en sorte que les ambitions, ce que d'autres ont appelé la vision pour l'Europe, soient là, fortes et présentes. C'était cela notre but et nous avons voulu maintenir jusqu'au bout notre niveau d'ambition. Nous l'avons fait par exemple, à travers deux thèmes. Nous souhaitions une Commission resserrée. Elle le sera à terme mais nous l'avons obtenu. Je note d'ailleurs, qu'à l'époque où nous parlions de cela, on disait que nous voulions écraser les petits pays. Ce qui prouve d'ailleurs, et pardonnez-moi de faire cette incise, ce qui prouve donc l'ingratitude de cet exercice. Quand la Présidence est ambitieuse on dit qu'elle est brutale. Si elle est apte aux compromis, on dit qu'elle est sans conviction, sans vision. Nous avions cette ambition que se soit pour la Commission ou pour le vote à la majorité qualifiée. Et le président de la République a rappelé que la France, pour sa part, n'avait aucune réserve, j'insiste, aucune réserve. On nous demandait deux gestes. J'étais venu ici plusieurs fois exposer notre position. Nous avions une réserve sur ces deux points. Au final, sur les sujets visa, asile, immigration : pas de réserve française, et sur l'article 133-5, politique commerciale extérieure (vous savez ce que cela représente en France) : le président Prodi a lui-même reconnu tout à l'heure que nous avions un texte équilibré. L'ambition nous l'avons soutenue, nous l'avons portée. Et en même temps, une Présidence a une deuxième tâche : celle de réaliser des compromis, c'est à dire de tenir compte de ce que sont les exigences des uns et des autres. Mais pour ceux qui étaient à Nice, ou qui ont suivi le Conseil européen de Nice ou la préparation de Nice, vous savez que tel ou tel a mis en avant des lignes rouges, des interdits. Donc, à un moment donné, la Présidence a dû choisir. Choisir entre pas d'accord du tout, effectivement, et un accord, qui reste un bon accord. Les propos de Jacques Chirac ce matin le prouvent. J'ai le sentiment que c'est un bon accord. Et, pour dire les choses avec le plus de précisions, que c'est le meilleur accord possible. Mais je ne sais pas si vous imaginez une seconde, et je le dis en pensant aussi à ce que je viens d'entendre lors du débat, ce qui se serait passé s'il y avait eu un échec à Nice ? Nous serions aujourd'hui dans une crise européenne, peut-être sans précédent. L'élargissement serait considérablement compliqué, le fonctionnement de l'Union européenne serait devenu incertain. Je crois que nous avons apporté une première réponse à cela. Nous avons donc ouvert les voies pour l'avenir, pour 2004. Nous avons le sentiment, même si nous entendons des bruits contradictoires et j'ai d'ailleurs noté que les réactions au Parlement européen étaient assez contradictoires. Il y a ceux qui voulaient beaucoup plus et ceux qui voulaient beaucoup moins. Nous avons le sentiment, tout simplement et je vais le résumer d'un mot, de la mission accomplie. Voilà le sentiment de la Présidence française : mission accomplie d'autant plus qu'il ne faut pas oublier que ce "chantier" traînait depuis 5 ans. 5 ans que nous étions suspendus à cela et si nous n'avions pas réussi à ce moment là alors c'était l'élargissement qui souffrait. L'élargissement restant notre grande perspective historique.
Q - Comment ce traité s'appliquera-t-il à l'Europe des 27 ?
R - C'est un traité de l'Union européenne telle qu'elle est et donc il s'appliquera jusqu'à ce que l'Union européenne ait 27 membres. Je souligne d'ailleurs qu'il a été préparé pour cela. C'est ça l'enjeu du traité de Nice. Il s'agit d'abord de mieux faire fonctionner l'Europe et ensuite de préparer l'élargissement pour mieux faire fonctionner l'Europe élargie. Donc les stipulations du traité de Nice s'appliqueront. J'ai souligné le caractère compliqué de la question : si nous n'avions pas prévu le nombre de voix au Conseil à ce moment là nous ne pouvions pas nous élargir. Nous ne pouvions pas non plus prévoir avec des pays qui n'étaient pas là sinon nous aurions fait une Conférence intergouvernementale qui n'avait pas de sens. C'est donc un traité qui s'appliquera jusqu'à ce que l'Union européenne ait 27 membres. Tel qu'il sera ratifié, je l'espère, par les parlements, par les peuples parce que, n'oublions pas que c'est une autre bataille qui commence maintenant. Il faut aussi penser qu'un bon traité c'est un traité ratifiable par les parlements. Un bon traité, comme celui de Nice à mon sens, c'est un traité qui a le plus haut niveau d'ambition possible, qui permet de faire fonctionner l'Union européenne qui lui permette de s'élargir, qui peut être ratifié par les parlements et Etats souverains qui constituent l'Europe.
Q - Hors du discours concernant les majorités qualifiées, le président Prodi a mis en cause le Royaume-Uni. Lorsqu'on a vu à quel point la pression était faible sur ce pays, je voudrais savoir à quel moment la France et d'autres vont quand même mettre sur la table la réalité des choses par rapport au Royaume-Uni et savoir à quel moment on va demander à M. Blair de faire un lien direct entre sa participation à l'Euro et des concessions nécessaires ?
R - Vous me permettrez d'avoir du mal à répondre à votre question parce que je ne suis ni porte-parole de M. Prodi ni celui de M. Blair. La seule chose que je peux vous dire en tant que Ministre français ayant participé à cette Conférence intergouvernementale c'est que votre lecture n'est pas juste. La France, jusqu'au bout, souhaitait qu'on passe au vote à la majorité qualifiée en matière fiscale et sociale. La meilleure preuve que l'on ait, c'est que ces points là figuraient dans le dernier document de travail. Donc nous ne les avons jamais retirés jusqu'à ce que nous soyons obligés de constater que nous ne pourrions pas l'obtenir. Je signale d'ailleurs que le Royaume-Uni n'était pas seul sur cette position. Donc je ne voudrais pas que l'on nous accuse de laxisme sur ce point. Nous avons jusqu'au bout cherché à avoir en matière de vote à la majorité qualifiée un traité le plus riche possible et nous avons fait, pour cela, je le répète pour l'énième fois, des sacrifices nationaux que d'autres nous reprochaient d'être incapables de faire.
Q - Ce traité pourrait-il être modifié d'ici l'adhésion des 27 ?
R - Tout cela est possible. Ce qu'une Conférence intergouvernementale peut faire une autre peut le défaire. Ce que créé un groupe un autre peut le défaire, cela peut aussi se compléter ou être modifié. C'est juste. Mais j'insiste sur un point qui est très important : ce traité doit être le traité qui nous permette d'élargir l'Europe jusqu'à 27. Et nous avons beaucoup insisté sur le fait que le processus qui s'ouvre pour l'après Nice ne doit pas s'apparenter à une nouvelle pré-condition à l'élargissement. Ce traité tel qu'il est doit pouvoir mener l'Europe jusqu'à ce que celle-ci ait 27 membres. Et la prochaine Conférence intergouvernementale, qui aura sûrement lieu en 2004, aura d'autres objets. Elle sera précédée d'une vaste consultation sur l'avenir de l'Europe pour traiter des sujets comme l'intégration de la Charte. J'ai bien noté l'insistance du Parlement (). Il y a la question sur la répartition de la compétence, celle du rôle des parlements nationaux. A priori cela ne devrait pas être l'objet de la Conférence intergouvernementale de 2004 de traiter des sièges au Parlement européen et des autres sujets traités à Nice. Donc, nous allons faire un traité pour aller jusqu'à l'élargissement à 27 membres.
Comme c'est la dernière fois que je suis là devant vous, je vais peut-être terminer par un petit mot personnel pour vous dire que l'exercice de la Présidence est un exercice ingrat qui ne fait pas que des heureux. C'est vrai que la Présidence se trouve au centre de ces contradictions. C'est vrai que quand elle annonce des idées, on l'accuse de vouloir les imposer et que lorsqu'elle se prête au compromis on l'accuse d'avoir cédé. Et ceci est un peu le reflet de notre réalité européenne telle qu'elle est. Il y a un équilibre délicat entre les institutions qui doivent chacune trouver leur place et doivent réapprendre à vivre ensemble sans s'exclure. Je rêve d'un Parlement européen où la Commission peut-être applaudie ou critiquée comme d'un Conseil applaudi ou critiqué car je ne crois pas qu'il faille qu'il y ait d'alliance entre tel ou tel pour que ces trois institutions vivent ensemble. C'est un triangle institutionnel et il faut qu'on soit capable effectivement de marier la vision et la réalité. C'est très important parce que vision sans réalité fait plaisir mais ne débouche sur rien. Réalisme sans vision ne débouche sur rien non plus. C'est donc ce que j'ai retenu de cet exercice là.
Je voudrai aussi souligner, et le Président de la République l'a dit et je lui en suis reconnaissant, que la Présidence française a profondément respecté le Parlement européen. C'est vrai que nous avons eu 68 présences ici, c'est un record pour une Présidence de second semestre. Pour ma part, je suis venu 24 fois devant les différentes instances du Parlement Européen, je ne sais pas si c'est un record personnel, cela paraît aussi probable. Et donc, en quittant cette fonction, malgré les incompréhensions, cela fait plaisir d'avoir travaillé dans ces conditions. J'ajoute aussi, à l'intention de la presse, même s'il y a eu quelques excès regrettables, que cela a été plaisir pour moi de travailler avec vous. Je me suis forcé d'être disponible à vos questions à vos interventions. J'espère que, dans d'autres fonctions, nous pourrons améliorer nos relations de travail. Merci./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 décembre 2000)