Interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du MEDEF, à LCI le 7 décembre 2000, sur les modalités d'application du Pare, l'avenir des dispositifs de retraite et l'entrée en vigueur de la seconde loi sur les 35 heures au 1er janvier 2001.

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Texte intégral

ANITA HAUSSER : Bonjour Denis Kessler. Après des mois de bataille, l'arrêté fixant la nouvelle convention d'assurance-chômage a été publié au Journal officiel hier. Alors la grande affaire de cette nouvelle convention, c'est le PARE, le plan d'aide au retour à l'emploi qui est contesté par la CGT et par FO. Ce plan de retour à l'emploi figure dans l'arrêté mais dès hier le ministère de l'Emploi a publié un communiqué disant : mais non, ce n'est pas du tout obligatoire de bénéficier de l'indemnisation sans y souscrire. Alors moi j'aimerais bien comprendre : vous qui le réclamiez, est-ce que vous êtes floué ? Ou qu'est-ce qui se passe ?
DENIS KESSLER : Avant de parler de ceux qui contestent l'accord, je crois qu'il faut se réjouir
ANITA HAUSSER : Ils l'ont contesté !
DENIS KESSLER : Il faut se réjouir qu'il y ait six organisations - trois organisations syndicales, la CFDT, la CFTC, la CGC, et trois organisations d'employeurs, les artisans, la CGPME et le MEDEF - qui ont mis au point ce nouveau dispositif d'assurance-chômage. Il a fallu batailler, se heurter à la volonté de Martine Aubry
ANITA HAUSSER : Ca a pris six mois à peu près
DENIS KESSLER : à la volonté de Martine Aubry qui voulait entendre parler de rien, d'aucune amélioration du dispositif, on y est arrivé. Alors hier à Saint Nicolas nous avons enfin l'agrément de cette nouvelle convention d'assurance-chômage qui va s'appliquer dans quinze jour. Alors, c'est formidable, c'est une excellente nouvelle. D'abord et avant tout, je le dis, pour les demandeurs d'emploi qui vont pouvoir avoir accès le 1er juillet prochain à un accompagnement personnalisé, à des services, à de l'information, à des bilans de compétences, ce qui va réduire le taux de chômage, ce qui va réduire la durée du chômage et qui va améliorer le fonctionnement du marché du travail. C'est quelque chose de formidable pour les demandeurs d'emploi. C'est formidable aussi pour les cotisants. Je rappelle que dans notre accord, le 1er janvier, dans quelques semaines, tous les salariés français, 15 millions de salariés français, vont bénéficier d'une baisse de cotisations. Le chômage baisse, eh bien c'est normal que le taux de cotisation baisse, ça augmentera le pouvoir d'achat. Et c'est une excellente nouvelle également pour les entreprises, je le rappelle, qui verront leurs charges s'alléger et tout le monde, enfin, convient aujourd'hui que l'allègement des charges des entreprises c'est bon pour l'emploi. Alors, voilà c'est une très bonne nouvelle. Alors on me dit : est-ce que c'est obligatoire ou pas ? Mais évidemment que c'est obligatoire ! D'abord parce que c'est la volonté des partenaires sociaux, c'est clair dans le texte. Et pourquoi ? C'est tout simplement parce que nous avons supprimé la dégressivité des allocations - encore quelque chose de très favorable aux demandeurs d'emploi -, la contrepartie c'est vraiment que chaque demandeur d'emploi s'engage à suivre les formations, à rechercher de l'emploi, à répondre à toutes les sollicitations. C'est obligatoire.
ANITA HAUSSER : Comment lisez-vous le communiqué du ministère d'hier ?
DENIS KESSLER :Oh, vous savez, c 'est des arguties que j'appellerais politico-administratifs. Le gouvernement ne veut pas aller devant le Parlement sur ce texte. Bon, très bien, ils ne le veulent pas pour des raisons X, Y ou Z qui regardent les pouvoirs publics. Mais nous considérons que le Pare est bien obligatoire, que c'est un service qui est ouvert à tous les demandeurs d'emploi et qu'il est normal que chacun s'engage dans la recherche effective d'un emploi. Bon. Le dossier est maintenant clos, nous considérons qu'il faut le mettre en uvre et que
ANITA HAUSSER : On verra au moment de la mise en uvre, alors
DENIS KESSLER : Non, non, ça c'est tranché. Il suffit d'ailleurs de lire le texte. Non, vraiment c'est une bataille d'arrière-garde.
ANITA HAUSSER : Après le chômage, les retraites. Les grandes négociations vont commencer vers la fin du mois, je crois ? Vous ne siégez pas au Conseil d'orientation des retraites, le MEDEF ne veut pas, pourquoi ? Ce n'est pas la peine ?
DENIS KESSLER : Oui, vous savez un conseil de plus de 30 personnes qui est chargé d'établir des rapports pour juger les rapports existants, tout ça dans des délais extrêmement longs, c'est dilatoire
ANITA HAUSSER : Vous, vous passez aux choses concrètes
DENIS KESSLER : C'est dilatoire et nous considérons que ce n'est pas la peine d'être sur un siège au milieu de trente personnes etc. Et puis nous sommes en responsabilité. Nous, nous avons une responsabilité, c'est ce que l'on appelle les régimes complémentaires de retraite, l'Agirc et l'Arrco. Eh bien ce n'est pas le 21 que commencent les négociations, nous les avons commencées au début de l'année mais nous devons les terminer à la fin de cette année. Pour une raison simple, c'est que le dispositif de retraite à 60 ans, c'est un peu technique, il s'appelle l'ASF, vient à expiration le 31 décembre de cette année, de l'an 2000. Donc nous devons trouver des solutions, nous avons fait des propositions aux partenaires sociaux et vraiment il faut trouver une solution pour pouvoir préparer ce grand basculement. La France vieillit, l'espérance de vie augmente, c'est aujourd'hui qu'il faut préparer
ANITA HAUSSER : Il faut retarder l'âge de la retraite, pour parler franchement, il faut faire la retraite à la carte ? Qu'est-ce qu'il faut faire ?
DENIS KESSLER : Il faut faire la retraite à la carte. Dans tous les grands pays, on considère que chacun doit partir au moment où il considère que le moment est venu de partir du marché du travail en fonction
ANITA HAUSSER : Mais quand on vous met en préretraite à 52 ans, qu'est-ce que l'on fait ?
DENIS KESSLER : Mais nous sommes résolument contre à l'heure actuelle les dispositifs de préretraite. Et d'ailleurs dans le rapport qui a été soumis au Premier ministre par monsieur Jean Pisani-Ferry, dont nous approuvons
ANITA HAUSSER : On va y venir, oui .
DENIS KESSLER : La plupart des orientations, il dit aussi : il faut arrêter tout ceci. Nous sommes d'accord. Nous sommes pour le relèvement des âges de cessation d'activité. Il y a effectivement un basculement historique. Nous sortons d'une période où on incitait les gens à partir tôt et il faut maintenant inciter les gens à partir quand ils le souhaitent mais sans doute en moyenne plus tard.
ANITA HAUSSER : Vous parliez du rapport Pisani-Ferry, qui est un rapport sur le plein emploi, vous devez boire du petit lait quand vous lisez ce rapport. Parce qu'il dit au Premier ministre : très bien on peut aller vers le plein emploi mais il faut absolument changer un certain nombre de choses, notamment les 35 heures. Il faut assouplir le dispositif des 35 heures et il faut instaurer un impôt négatif. Alors je voudrais que vous me disiez d'abord un mot sur les 35 heures. Est-ce que vous pensez que c'est ce type de rapport qui va convaincre le gouvernement ou est-ce que c'est vous qui allez y arriver ou est-ce que c'est tout simplement la pénurie de main d'uvre constatée ici ou là ?
DENIS KESSLER : Madame Hausser, c'est la réalité qu'il faut prendre en compte. Nous, nous exprimons ce que nous voyons. Nous disons, à l'heure actuelle il y a des pénuries demain d'uvre, il y a beaucoup d'offres d'emploi non satisfaites, tous les employeurs cherchent des qualifications qu'ils ne trouvent pas, c'est un constat ! Alors dans cette situation-là, appliquer au 1er janvier prochain, dans quelques semaines, une réduction du temps de travail obligatoire, qui retire de la capacité productive, mais c'est tous les Français qui vont payer ça ! C'est tous les Français ! On aura moins de croissance, moins de revenus, moins de PIB, moins d'emplois. Donc, c'est la réalité qu'il faut regarder, c'est pas les discours des uns et des autres. Et nous demandons et nos avons dit au gouvernement : écoutez il est encore temps d'agir, non pas pour des raisons idéologiques contre les 35 heures, mais parce que l'application aujourd'hui, dans la conjoncture actuelle, de la seconde loi Aubry sur les 35 heures va avoir des effets pervers dont la France va pâtir. Qu'est-ce que vous pouvez faire ? Vous pouvez augmenter le volume des heures supplémentaires, le contingent des heures supplémentaires, vous pouvez modifier les dates d'application, vous pouvez envisager une quantité de dispositions. Vous avez fait une loi, elle a des effets pervers ? C'est votre responsabilité de supprimer les effets pervers, mais de grâce, agissez de manière urgente ! Voilà le message que nous envoyons, c'est conforté par tous les économistes et j'ai le plaisir de voir qu'un conseiller du Premier ministre va dans le même sens. Oui, la seconde loi sur les 35 heures, si elle est appliquée dans les conditions où c'est prévu, aura vraiment pour notre pays des effets qui seront négatifs. C'est la raison pour laquelle très honnêtement, agissons.
ANITA HAUSSER : Est-ce que vous attendez davantage dans ce domaine d'Elisabeth Guigou que de Martine Aubry ? Plus de souplesse ?
DENIS KESSLER : Nous l'avons rencontrée. Ecoutez, moi je crois vraiment que nous sortons d'une période où l'approche des pouvoirs publics était imposée par la loi, par le règlement, des tas de choses Vous voyez, monsieur Pisani-Ferry, qu'on a déjà cité, dit : les pays qui ont retrouvé le plein emploi, qui ont réussi à retrouver des taux de chômage de 5 % ou inférieurs, dit une des conditions c'est le dialogue social et le respect des partenaires sociaux. C'est ce que nous demandons puisque ça fait trois ans que vraiment les partenaires sociaux ont été peu respectés. On a cité la difficulté de cette grande réforme de l'Unedic qui se heurte à l'Etat, la loi des 35 heures a été faite par la loi plutôt que par les accords de branche et les partenaires sociaux, de grâce retenons cette leçon et faisons confiance aux partenaires sociaux.
ANITA HAUSSER : Ce n'est pas une affaire de personne ?
DENIS KESSLER : Mais non, ce n'est pas une affaire de personne ! Nous espérons que madame Guigou entendra cette demande expresse, cette demande pressante de faire en sorte de faire confiance à ceux qui ont la responsabilité du dialogue social dans notre pays.
ANITA HAUSSER : Denis Kessler, merci
(Source http://www.medef.fr, le 22 décembre 2000).