Déclaration de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la politique étrangère pour 1999, notamment sur l'élargissement de l'Union européenne, son financement, son élargissement, sur la situation en Irak et au Kosovo et sur la nécessité de poursuivre l'aide à la Russie et à l'Afrique, Paris le 14 janvier 1999.

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Circonstance : Voeux de M. Védrine à la presse à Paris le 14 janvier 1999

Texte intégral

Merci Monsieur le Président de vos bons voeux, en cette occasion traditionnelle.

Vos voeux qui nous ont touchés, Charles Josselin et moi, - Pierre Moscovici qui, je pense, a été retardé quelques instants devrait nous rejoindre. Cest une occasion sympathique de se retrouver et de faire le point sur la politique que nous menons, dans un esprit de transparence, dans un esprit d'échange amical entre vous et nous.
Je dirai tout de suite que, des différents écueils que vous avez évoqués, il y a un risque qui a été complètement éradiqué celui de la flagornerie, tel que nous voyons les choses tous les jours et à travers la façon dont nos politiques sont analysées. L'autre risque, je ne sais pas sil est vraiment traité. Je vais vous livrer quelques réflexions qui me viennent à l'esprit en ce début d'année.
La première idée étant que c'est une coupure un peu artificielle : ce qui frappe dans ce monde de 1999, c'est que nous sommes exactement dans la même situation qu'avant. Et à cet égard, tout ce que l'on peut dire sur le monde global, les conséquences de la mondialisation, tous les problèmes que nous avons à traiter, en ce qui concerne la position à rechercher qui n'est pas la même selon les sujets avec notre grand partenaire américain, en ce qui concerne les sujets innombrables que nous avons à négocier, à traiter avec les 185 autres pays du monde, cette donnée de base du monde global est toujours la même. Nous avons le sentiment en France que ce monde na toujours pas trouvé son assiette, et son équilibre depuis la fin de la guerre froide, qui avait été légitimement saluée. Il a besoin, plus que jamais, d'être mieux régulée, maîtrisée et même comme nous sommes quelques uns à le dire, d'être civilisé. Cette grande donnée, cette grande priorité de notre action est toujours là. A cet égard, par rapport à ce monde, par rapport aux problèmes qui se posent, par rapport à ce que nous tentons de faire pour améliorer ces situations, je crois que l'on peut dire qu'il y a une vision française qui est faite à la fois de réalisme et d'exigence et qui est de mieux en mieux comprise, de mieux en mieux soutenue, qui gagne du terrain par rapport à ces problèmes que nous trouvons devant nous.
Il nous semble que cette situation appelle une politique étrangère française toujours plus tenace, inventive et utile. C'est ce que nous essayons de faire, c'est ce que nous allons continuer de faire, aussi bien que nous le pourrons.
J'ai parlé des aspects globaux. On peut parler des organismes de régulation qu'il faut sans arrêt conforter et non pas affaiblir, le Conseil de sécurité, l'ONU en général, le G7-G8, les organismes de Bretton Wood, l'Organisation mondiale du commerce qui est le cadre dans lequel les litiges commerciaux et économiques doivent trouver des solutions qui ne soient pas unilatérales mais négociées ou arbitrées selon des procédures admises. C'est le cadre général de notre action pour qu'il y ait dans le monde un multilatéralisme admis, reconnu et dont les règles soient honnêtement pratiquées. Mais, nous avons aussi face à nous, toute une série de problèmes plus précis, plus concrets ou de crises plus aiguës sur lesquelles nous allons continuer à travailler de notre mieux.
Le premier domaine, c'est naturellement l'Europe. Le lancement de l'euro est le seul élément important qui soit intervenu dans les rapports de force, qui ait modifié et amélioré les rapports de force mondiaux depuis un certain temps. C'est un élément considérable, l'aboutissement d'un processus de décisions politiques qui s'est étendu dans les années 1980-1990 et dont le pic de décision a été l'année 1989 puis 1991. C'est un élément structurant qui aura un impact considérable, à n'en pas douter, sur l'ensemble de la construction européenne. Pour qu'il ait un impact véritablement positif, il faut aussi que l'Union européenne soit capable, dans les semaines et dans les mois qui viennent de régler les problèmes qui se présentent immédiatement à elle, je veux parler de l'agenda 2000. Notre première priorité, c'est de mener à son terme cette négociation financière inévitable, - elle est aussi inévitable que lorsque l'on a à préparer son budget, sauf que là, c'est sur plusieurs années puisque c'est le budget de l'Union européenne pour les années 2000-2006. Nous devons trouver une solution à ces problèmes d'agenda 2000 qui soit à la fois une solution raisonnable et acceptable compte tenu des problèmes posés par certains pays qui estiment contribuer beaucoup trop. A certains égards, on peut les comprendre, mais il faut absolument que ce soit une solution équitable, c'est-à-dire fondée sur la participation et un esprit de compromis de tous les pays des Quinze. Il faudra mettre à contribution de façon honnête toutes les politiques et tous les mécanismes qui concourent dune façon ou dune autre, directement ou indirectement aux finances de l'Union européenne. C'est comme cela que nous trouverons une solution qui nous permettra d'aborder la suite, le plus tôt possible nous l'espérons. A cet égard, nous soutenons tout à fait la volonté allemande de régler cette question le plus tôt possible pendant leur présidence. La suite, sera la réforme institutionnelle. Il est tout à fait clair qu'on ne peut pas aller à un élargissement supplémentaire, en gardant des institutions inchangées : elles sont à certains égards au bout du rouleau. Ce sont des institutions qui avaient été conçues pour 6 pays, qui se sont adaptées - plutôt bien d'ailleurs - au début à 9, puis à 12 - c'était plus dur -, et enfin à 15 où cela devient difficile. Il est clair qu'il faut introduire des réformes, au minimum celle que la France, l'Italie et la Belgique avaient proposé sur trois points précis que chacun d'entre vous connaît bien. Cela peut ne pas suffire, il n'est que temps d'entamer une réflexion sur les autres réformes qui viendront compléter cette amélioration et qui permettra à une Europe de demain, avec 20, 25, plus encore de fonctionner malgré tout. Notre objectif est de franchir ces obstacles avec une Union européenne plus forte et qui continue à fonctionner. D'ailleurs, les pays candidats comprennent de mieux en mieux ce discours et cette analyse française parce qu'ils comprennent qu'en mettant en avant ces exigences, nous travaillons pour les membres actuels et pour les membres futurs de l'Union.
Sils veulent nous rejoindre, c'est parce que l'Union est forte, parce quelle est riche, parce quelle fonctionne, parce quelle prend des décisions et parce quelle a des politiques communes qui apportent quelque chose de substantiel dans plusieurs domaines importants. Voilà le sens de notre action, sa chronologie. Cela nous conduira, le moment venu, quand ce sera possible techniquement - parce que ce ne sont pas des choses qui se décrètent politiquement -, à conclure les négociations d'élargissement mais à un moment où les pays candidats seront prêts à assumer les conséquences de cette entrée et au moment où l'Union européenne sera prête à l'assumer.
Nous nous retrouverons tous, membres actuels et membres futurs, dans l'idée qu'il s'agit de participer à l'élaboration d'un ensemble qui se fortifie et qui fonctionne. C'est dans la mesure où nous aurons bien réglé ces problèmes, dans la chronologie que j'ai rappelée, que le lancement de l'euro, événement considérable de la géopolitique et de la géo-économie aura son plein impact. C'est la première chose.
Nous pensons tous en même temps à la question iraquienne. Nous avons voulu la traiter sous la forme la plus utile possible, c'est-à-dire que nous avons surtout réfléchi à la contribution que la France pouvait apporter pour que l'on trouve une issue à cette question. Cela fait maintenant des années que cette question est posée notamment aux membres permanents du Conseil de sécurité mais aussi à l'ensemble de la communauté internationale. Nous estimons qu'après la guerre du Golfe, après des années d'inspection par l'UNSCOM qui, en tout cas les premières années, ont été extrêmement efficaces car le travail de l'UNSCOM a permis de détruire plus d'armes que la guerre du Golfe elle-même n'en avait détruit. Après les frappes récentes, nous estimons qu'il y a une situation nouvelle, qu'il est illusoire de penser que l'on peut plaquer sur cette situation, les mêmes mécanismes de contrôle que ceux qui existaient avant et qui ont donné ce qu'ils pouvaient mais qui ne permettent plus de progresser maintenant. Nous considérons par conséquent que la vigilance internationale - qui demeure indispensable, compte tenu de ce qu'ont fait les autorités de ce pays dans un passé récent, et compte tenu de la légitime inquiétude des pays de la région -, pour être véritablement efficace doit prendre d'autres formes. C'est le sens des idées auxquelles nous avons réfléchi à Paris ces dernières semaines. Nous les avons réunies dans un document qui est une contribution à la recherche dune solution et que nous avons remis hier à nos partenaires du Conseil de sécurité. Ce sont des idées de prévention, faisant passer le contrôle qui était rétrospectif à la prévention d'éventuels nouveaux risques. Si nous trouvons un accord là-dessus, cela permettrait de lever l'embargo sur les exportations de pétrole, - je ne dis pas toutes les sanctions. L'embargo a des conséquences humaines détestables et qui na quasiment plus que cela comme conséquences pratiques puisque dans la mesure où il est encore respecté, il génère des trafics qui ne profitent malheureusement pas à la population. En terme politique, en terme stratégique, il na plus de sens par rapport aux objectifs du Conseil de sécurité qui sont des objectifs de sécurité et de stabilité pour la région. Il faut donc lever, dès lors que l'on peut mettre en place un contrôle préventif de tout éventuel réarmement de ce pays en matière d'armes de destruction massive et dès lors que lon aurait mis en place un contrôle satisfaisant de l'usage des revenus tirés de la levée de cet embargo. Après tout, nous en avons une certaine expérience déjà, puisque c'est ce qui avait été mis en place assez largement dans le cadre des dispositifs « pétrole contre nourriture. Cela avait été assez loin puisque l'Iraq est théoriquement autorisé aujourd'hui à exporter presque autant de pétrole qu'avant la guerre du Golfe. C'est bien la preuve d'ailleurs que ce système d'embargo n'est pas le coeur du dispositif. Le coeur du dispositif doit être un dispositif de sécurité intelligent par rapport aux préoccupations de l'avenir. Ce sont des idées, c'est une contribution. Nous sommes heureux de constater que nos idées ont été accueillies et examinées avec sérieux. Tous les pays se sont dit intéressés, certains pays se sont dit d'accord, certains pays se sont dits d'accord sur certains points et pas sur d'autres. Dans tous les cas, cela a été pris pour ce que c'est, une vraie contribution qui mérite d'être discutée, qui le sera au sein du Conseil de sécurité et dont nous espérons quelle permettra à la communauté internationale, et donc à ce peuple si malmené et à la région, de trouver une voie de sortie qui contribue à l'équilibre régional qui dépend de bien d'autres choses aussi, mais pour le moment, c'est sur la question iraquienne que nos efforts doivent se concentrer.
L'autre préoccupation majeure du moment, c'est le Kossovo. Nous avons réussi, au sein du Groupe de contact, depuis plusieurs mois, à avoir une convergence d'analyses considérant que le statu quo était intolérable mais en considérant que nous ne pouvions pas, même si on peut sentimentalement comprendre les réactions de certains Kossovars, politiquement et géo-politiquement prendre la responsabilité d'accepter de soutenir cette revendication d'indépendance. Appliquée au Kossovo, elle ne ferait que redéstabiliser cette région des Balkans, et qui ouvrirait une contradiction majeure dans la politique internationale entre le traitement de cette question et la façon dont est traitée la question de la Bosnie dans les Accords de Dayton. Tous les pays engagés, tous les pays importants qui ont un rôle à jouer se sont mis d'accord sur l'idée dune autonomie substantielle. Le problème est que l'on n'arrive pas à l'arracher parce quelle est récusée ou refusée par des procédés divers mais très forts par les autorités yougoslaves et par une grande partie des forces représentatives des albanais du Kossovo. Un des points faibles est que ceux-ci n'arrivent pas à s'organiser, n'arrivent pas à se regrouper dans une délégation qui puisse aller débattre de la forme de cette autonomie. C'est pourquoi, en plus de notre action au sein du groupe de contact avec nos cinq partenaires, en plus de notre action au sein de l'Europe et au sein de l'OTAN - puisque c'était lune des composantes de l'accord Milosevic-Holbrooke, - en plus de notre action très engagée au sein de l'OSCE, en plus du rôle que nous avons joué dans cette force basée en Macédoine montée à linitiative de la France, nous avons une action diplomatique française spécifique, par lintermédiaire dun envoyé. Elle consiste à travailler avec les différentes forces kossovares pour quelles acceptent de se regrouper dans une délégation unique. Cest une condition sine qua non pour que l'on puisse avancer et aller vers cette négociation, urgente et indispensable. Il ny a pas d'autre issue qui ne soit tragique. Toutes les autres approches seront plus dangereuses et beaucoup plus lourdes de graves conséquences que celle que nous proposons, même si celle que nous proposons, est évidemment très difficile et semée d'embûches.
Je reviens de Russie. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, nous pensons à Paris que notre rôle est de continuer à accompagner ce pays qui est un grand pays, qui le restera quelles que soient les difficultés par lesquelles il passe. Nous l'accompagnons parce que cela correspond à notre vision des rapports franco-russes, à notre vision de l'Europe ; nous l'accompagnons dans la mesure où il y a un gouvernement qui est conscient des problèmes qui se posent et qui est conscient de la nécessité, comme il le dit, de poursuivre les réformes. Mais, pas n'importe quelles réformes parce que nous acceptons, dans le même temps, l'idée que l'on ne peut pas plaquer sur ce qui a été l'Union soviétique n'importe quelle réforme, n'importe quel mécanisme, inventée ailleurs, dans des pays qui sont dans des situations qui n'ont aucun rapport ; la situation russe étant d'ailleurs tout à fait spécifique. Nous pensons, à la fois, pour clarifier ce point, que l'on ne peut pas plaquer sur l'économie et sur la société russe des techniques économiques qui n'ont été mises en oeuvre que dans certains pays occidentaux ultra-développés, après des siècles ou en tout cas des décennies de développement. C'est inapproprié. On ne connaît pas de pays dans l'Histoire économique qui se soit développé en commençant par ce type de procédé. En même temps, il est évident que ce pays doit faire des réformes fondamentales. Il doit les faire courageusement, plus il les fera courageusement, plus la communauté internationale sera prête à continuer à l'aider. C'est pour cela que lorsque j'ai vu M. Primakov il y a deux jours. Je lai longuement interrogé sur ses intentions en matière de réformes fiscales, en matière d'accueil des investissements étrangers de garanties et en matière dépuration du secteur bancaire qui sont trois points clefs. Nous pensons qu'il faut continuer à aider un pays surtout si le gouvernement fait un effort véritable. Nous reconnaissons à ce pays, à ce gouvernement, le droit d'adapter à sa façon et à ses problèmes, cette idée générale de réformes qui est invoquée tout le temps mais qui peut recouvrir des réalités tout à fait différentes.
Il y a bien sûr l'Afrique, continent sur lequel Charles Josselin et moi-même continuons à mettre en oeuvre méthodiquement, étape après étape, cette politique française qui ne cesse de s'adapter parce que c'est une politique vivante, qui ne cesse d'évoluer parce que l'Afrique elle-même évolue. Si vous regardez la façon dont nous nous sommes comportés par rapport aux différentes crises qui ont malheureusement frappé le continent africain, vous y verrez la marque de cette évolution par exemple dans l'affaire de la Guinée Bissau qui aurait pu prendre des proportions extrêmement graves, compte tenu du type de pays que cela aurait pu potentiellement opposer. Il y a eu là je crois une approche novatrice. Il en va de même du rôle discret mais très réel et très constant que nous jouons dans la Corne de l'Afrique ; il en va de même dans la disponibilité montrée par la France par rapport à l'ensemble des protagonistes de ce grand conflit qui s'est développé en RDC et autour. Nous sommes naturellement toujours prêts à aider les uns et les autres - comme cela a été le cas lors de la grande réunion de Paris - à retrouver le chemin du dialogue, du cessez-le-feu, avant de s'attaquer aux autres problèmes.
Voilà quelques sujets majeurs que l'on na pas choisis, qui s'imposent à nous, qui sont là. Je ne les ai pas tous énumérés car vous savez à quel point nous restons également aussi intéressés par toutes les questions de la Méditerranée, du processus de paix en espérant que la campagne électorale en Israël en permettra le redémarrage, sans oublier toutes les autres questions, la poursuite de notre politique par rapport à l'Iran, notre politique asiatique, la préparation du grand sommet Europe-Amérique latine. Je ne vais pas faire le tour du monde, vous avez tout cela en tête. Il est clair que la politique étrangère d'aujourdhui doit être présente sur tous les fronts.
Je termine par deux mots. D'abord, plus que jamais, ce à quoi nous travaillons, Pierre Moscovici, Charles Josselin et moi-même, et c'est vrai aussi d'autres membres du gouvernement qui ont à intervenir dans ces domaines que ce soit Dominique Strauss-Kahn, Alain Richard ou d'autres, c'est une politique étrangère globale. Il y a la dimension politico-diplomatique bien sûr, la dimension bilatérale, multilatérale à laquelle il faut prêter de plus en plus attention, mais nous travaillons autant sur la dimension économique. C'est le sens de nos propositions sur l'amélioration du système financier international.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)