Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur le site expressionpublique.com le 6 décembre, sur l'oipnion des internautes sur le syndicalisme français.

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Expression publique - La majorité des internautes (58 %) déplore le trop grand nombre de syndicats différents en France. N'y a-t-il pas là en effet un obstacle à l'efficacité de l'action syndicale, par manque d'unité ? Des rapprochements sont-ils envisageables ?
François Chérèque - La fameuse « exception française » se vérifie aussi pour le syndicalisme. Nous détenons en effet deux records peu glorieux : un grand nombre d'organisations, et paradoxalement un nombre d'adhérents plus faible que dans les autres pays européens. Cherchez l'erreur ! Cela dit au passage, on retrouve le même phénomène dans le champ politique. Le nombre de candidats au premier tour des présidentielles en est l'expression la plus caricaturale.
Cette situation est le fruit de notre histoire. On peut le déplorer mais c'est ainsi : le mouvement syndical puise ses racines dans des courants de pensées divers, marxistes, humanistes, chrétiens, auxquels s'ajoute, dans certains secteurs, un penchant certain pour le corporatisme, voire le catégoriel (syndicats de navigants distincts des personnels au sol pour ne citer qu'un exemple).
Alors oui, c'est un obstacle à l'efficacité. Car une chose est sûre, ce n'est pas parce qu'il y a plus de syndicats qu'il y a plus de syndiqués.
Comment s'en sortir ? Il faut, je crois, que nous cessions de vivre sur des positions convenues. Il faut que nous soyons capables de nous dire ce que nous partageons et ce qui nous oppose, au-delà de la plate-forme pour la prochaine manifestation. Pour les citoyens, les salariés qui nous regardent, l'unité de façade brouille autant l'image du syndicalisme que la division exacerbée.
La petite révolution culturelle serait de nous mettre d'accord sur les résultats précis que nous voulons obtenir pour les salariés et les moyens que nous nous donnons ensemble pour y parvenir. Ce serait étonnant que nous soyons tous d'accord mais certains rapprochements se feraient sans doute naturellement. Après, qu'il subsiste des différences d'approche, d'analyse, de stratégie, dans une démocratie c'est normal. Mais plus encore que sa division, c'est la faible implantation du syndicalisme en France qui est un problème.
Expression publique - Les internautes estiment que les syndicats défendent en premier les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques. Comment les convaincre du contraire ?
François Chérèque - Je viens d'évoquer la faible implantation syndicale. Il faut y ajouter son inégale répartition dans l'univers du travail. Longtemps et traditionnellement les fonctionnaires, les salariés des grandes entreprises publiques et privées ont fourni « le gros des troupes » aux organisations syndicales. Par ailleurs, le traitement médiatique de l'action syndicale, ce sont les grèves, les manifestations ou les grandes négociations interprofessionnelles. On parle beaucoup moins de toutes les petites actions qui améliorent au quotidien la vie des salariés, et sur lesquelles d'ailleurs, il y a beaucoup plus d'unité syndicale qu'on ne le pense. Comme les grèves sont plus souvent le fait du secteur public, cela peut donner l'impression, que ressentent les internautes dans cette consultation, que le syndicalisme, c'est une affaire de fonctionnaires. La réalité est heureusement plus diverse, bien que moins visible.
À la CFDT, nous avons depuis de nombreuses années l'ambition de représenter toutes les catégories de salariés. Nous sommes d'ailleurs l'organisation syndicale qui a le plus d'adhérents dans le privé. Nous avons développé des actions spécifiques dans les petites entreprises, là où le syndicat n'est pas toujours le bienvenu pour les employeurs. Cela donne des résultats : en adhérents et en garanties nouvelles pour les salariés. C'est le cas dans l'artisanat, dans le secteur associatif, dans l'aide à domicile, dans la viticulture? Parmi les activités qui se sont développées plus récemment, des salariés nous rejoignent. Avec les assistantes maternelles, nous faisons un vrai travail de fond pour qu'elles obtiennent des droits équivalents à d'autres salariés : formation professionnelle, congés payés, protection sociale? Mais, j'insiste, pour être efficace il faut prendre en compte toute la diversité du salariat !
Expression publique - 49 % des internautes mettent en avant la lutte contre le travail précaire et 46 % la revalorisation des salaires. Êtes vous d'accord avec cette hiérarchie des priorités ? Quelles sont vos propositions en la matière ? Pensez vous avoir les moyens d'agir sur ces sujets ?
François Chérèque - Les internautes perçoivent bien les difficultés que traverse la société française en ce moment. La précarité augmente. Nous sommes insécurisés dans le présent, et moins confiants dans l'avenir. Bien sûr que nous avons les moyens d'agir en ce domaine. C'est tout ce que nous développons derrière la formule « sécurisation des parcours professionnels ».
Le monde a changé, les garanties que l'on croyait gravées dans le marbre s'effritent et laissent de côté de plus en plus de salariés : il faut donc en obtenir de nouvelles. Il s'agit de mettre l'individu au centre de droits collectifs qui lui appartiennent et qui vont l'aider tout au long de la vie : droit à la formation, droit à un accompagnement personnalisé très soutenu en cas de chômage. Certains pays de l'Europe du nord le pratiquent avec succès. Il faut réfléchir à des adaptations en France.
La revendication salariale est forte aussi, ce n'est pas étrange. Les bas salaires sont de plus en plus nombreux et on y reste de plus en plus longtemps. Parallèlement, le prix des logements et de l'essence augmente. L'action sur les salaires, dans le privé, ce sont les négociations de branche et d'entreprise, en faisant pression sur les employeurs. Dans la fonction publique, des négociations ont commencé. Par ailleurs la CFDT a demandé une « Conférence des revenus » pour que patronat, syndicats et gouvernement trouvent ensemble des compensations à l'augmentation des prix du logement et du pétrole et que la possibilité de bénéficier d'une mutuelle avec une prise en charge de l'entreprise soit étendue.
Expression publique - Pour les internautes, la CFDT est le syndicat le plus soucieux de rechercher des compromis. Êtes vous d'accord avec ce jugement ? Un compromis vaut-il toujours mieux qu'un conflit ?
François Chérèque - Il ne faut pas opposer compromis et conflit, négociation et rapport de force. Il y a des situations où le conflit est inévitable parce que le dialogue a échoué, parce que cela permettra de le reprendre plus tard. Mais ce qui est essentiel pour la CFDT, c'est le résultat pour les salariés. Ni le compromis ni le conflit ne sont une fin en soi. Et si nous passons des compromis c'est pour acter des avancées à un moment donné.
Le syndicalisme doit faire la démonstration de son utilité. S'il refuse de prendre ses responsabilités, d'autres, en l'occurrence les pouvoirs publics, le font à sa place. Et pas toujours dans l'intérêt des salariés.
Les organisations syndicales doivent donc être pleinement actrices de la construction des nouvelles garanties dont notre société a besoin.Source http://www.cfdt.fr, le 15 décembre 2005