Déclaration de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, sur la situation économique de l'industrie musicale et le débat sur les téléchargements de musique en ligne, Cannes le 22 janvier 2006.

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Circonstance : Quarantième MIDEM à Cannes du 22 au 26 janvier 2006

Texte intégral

Monsieur le Commissaire européen chargé de l'Education, de la Formation, de la Culture et du Multilinguisme, Cher Jan Figel,
Monsieur le Député-Maire de Cannes, Cher Bernard Brochand,
Madame la Directrice du MIDEM, Chère Dominique Le Guern,

C'est un immense plaisir et un grand honneur d'inaugurer avec vous la 40ème édition du MIDEM aujourd'hui à Cannes, en ce début d'année particulièrement important pour l'ensemble du monde de la création, et spécialement pour celui de la musique.
Les industries culturelles jouent un rôle considérable pour l'attractivité, l'influence et le rayonnement de notre pays dans le monde.
Ainsi en France, plus de 20 000 entreprises - soit 220 000 emplois - sont actives dans ce secteur, sans compter l'ensemble de la filière musicale qui représente près de 100 000 emplois.
La portée de leurs activités va bien au-delà de la seule édition et de la fabrication de biens culturels. Je pense à leurs liens avec le spectacle vivant, avec le patrimoine, mais aussi, par exemple avec la presse spécialisée.
Si l'emploi et l'influence économique de nos entreprises sont des enjeux majeurs, la garantie de la diversité et de la pluralité de la création est essentielle. C'est l'un des plus grands défis culturels de notre temps.
L'année 2005 a été marquée par l'adoption, le 20 octobre dernier, à la quasi-unanimité, de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
C'est un grand succès pour la France, pour l'Union Européenne, pour les artistes, et pour l'ensemble des industries culturelles qui entrent désormais de plain pied dans l'ère numérique.
Aujourd'hui, en effet, dans notre pays, la fracture numérique est pour l'essentiel, résorbée. Plus de la moitié de la population française dispose d'un ordinateur à domicile et près de 8 millions d'internautes sont abonnés au haut débit. Le succès de la TNT ouvre aussi de nouveaux espaces à la musique sur nos écrans.
Cette révolution numérique fait émerger de nouveaux modèles économiques, de nouvelles interrogations, de nouvelles concurrences, de nouvelles pratiques culturelles, qui remettent en cause les équilibres, acquis de longue date et de haute lutte, entre la nécessaire protection des créateurs et les besoins des consommateurs. Reconnaissons tous ensemble que nous sommes ensemble à la recherche de nouveaux équilibres, et que ce n'est pas facile.
Le rôle de l'Etat est clair : il doit préserver ces équilibres, assumer sa mission essentielle de régulation, et concilier le respect de la liberté de l'internaute, la liberté du consommateur et la liberté et les droits du créateur, sans lesquels il n'est pas de diversité culturelle.
Il n'est pas question de diviser la communauté de ceux qui aiment la musique, parce qu'ils la créent, l'interprètent, la produisent ou l'écoutent.
Afin de faire vivre la diversité culturelle, il nous faut donc tout à la fois préserver cet équilibre et chercher ensemble de nouveaux modèles, en soutenant le développement de nos industries culturelles, indispensables au renouvellement de la création.
C'est pourquoi j'ai procédé à de très nombreuses consultations et concertations. Ainsi, j'ai demandé à l'Observatoire des usages numériques culturels, que j'ai réuni le 17 janvier, de réfléchir à l'influence des nouvelles technologies, à commencer par l'internet, sur l'évolution des pratiques culturelles des Français. Et c'est dans cet esprit, que j'installerai, le 30 janvier prochain, au ministère, le conseil d'analyse stratégique des industries culturelles et de communication, qui réunira un groupe d'experts qui contribueront à la formulation d'une véritable politique industrielle dans ces domaines.
A ce stade, je veux rappeler quelques principes essentiels qui guident mon action. Le débat que je mène sur le droit d'auteur est un débat légitime et utile. Mon combat pour la défense de la création est le même combat que celui de la diversité culturelle. Il est celui de la défense des jeunes talents et de l'innovation créatrice. Vous le savez, sur ma proposition, le gouvernement a déposé un texte, puis l'a enrichi, à la suite d'un premier débat à l'Assemblée nationale, en le précisant et en le clarifiant. Ce texte crée les conditions de la rencontre de plusieurs consentements : celui des créateurs, celui des utilisateurs. Il faut des modèles économiques attractifs ; ils doivent l'être en qualité, c'est la diversité de l'offre ; ils doivent l'être aussi pour le consommateur, par leur prix et leur accessibilité. Cela implique de ne pas hésiter à lancer des forfaits, des cartes prépayées, des formules d'abonnements, comme il peut déjà en exister dans des modèles économiques plus confirmés. Pour cela, j'ai bien conscience et j'y travaille sans relâche, que les conditions du basculement en ligne des catalogues d'oeuvres doivent être réunies. Le texte en discussion au Parlement le permet. C'est un texte majeur pour l'avenir, il mérite ce débat.
J'avais formé le voeu, ici même l'an dernier, qu'un million de titres soient télé-chargeables légalement, et c'est quasiment fait, avec 900.000 titres commercialisés en ligne. C'est une avancée importante, réalisée en peu de mois, qui nous place, assurément, à mi-parcours de l'effort à accomplir.
De même, après plusieurs mois de négociation, tous les représentants des professionnels du cinéma, les fournisseurs d'accès, ainsi que Canal Plus et France Télévisions, ont signé fin décembre, au ministère, un accord permettant l'ouverture des catalogues sur Internet. Dès la fin de l'année, ce sont plusieurs milliers de films qui seront disponibles légalement.
Cette offre, abondante et diversifiée, satisfera, j'en suis certain, la demande exigeante des consommateurs, et la juste rémunération des auteurs et des créateurs.
Oui, je suis fier de défendre les droits des auteurs et des créateurs, et je souhaite les adapter aux réalités et aux contraintes de la société de l'information, dans la concertation et le dialogue, la confrontation des arguments et des propositions, mais avec le souci constant de l'intérêt général, dont l'Etat est le garant.
Entre 2003 et 2005, vous le savez, le marché du disque a subi de lourdes pertes, il a été mis un terme à beaucoup de contrats d'artistes et le nombre de contrats de nouveaux artistes a baissé de 40%. Les chiffres qui sont parfois lâchés en pâture aux journaux sur les contrats de certains artistes masquent, je le sais, d'autres réalités. Je suis en charge des artistes, de tous les artistes, et mon combat incessant en faveur de l'emploi dans le spectacle est là pour en témoigner.
Parce qu'il était vital de relancer l'investissement et de permettre à nouveau la prise de risque, j'ai décidé la création d'un crédit d'impôt pour l'industrie phonographique. Cette mesure vient d'être notifiée à la commission de Bruxelles.
Elle sera applicable à toutes les dépenses artistiques, à toutes celles qui concernent le développement et la numérisation des nouveaux talents. Elle sera limitée à 350 000 ? par enregistrement et à 500 000 ? par entreprise et par an. L'éligibilité des dépenses d'un label au crédit d'impôt fera l'objet d'un agrément du ministère de la culture et de la communication.
D'après nos projections, une centaine d'entreprises environ pourront bénéficier de cette mesure, dès sa mise en application.
Afin de soutenir les plus petites entreprises du secteur et de leur permettre de continuer à financer le fonctionnement de leur structure, j'ai également décidé la création d'un fonds d'avance remboursable, doté de 2 millions d'euros, et qui sera réabondé chaque année de 500 000 euros.
L'offre physique de proximité reste aujourd'hui un élément indispensable pour la distribution des produits culturels, j'ai donc souhaité, avec le ministre des PME, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, poursuivre le programme de soutien du Fonds d'Intervention pour les Services, l'artisanat et du Commerce (FISAC), qui a fait ses preuves, en réservant une enveloppe d'un million d'euros, sur son budget global, pour l'aide à la distribution en 2006. C'est une aide aux disquaires indépendants.
Oui, il était urgent de prendre des mesures pour soutenir l'économie du secteur, qui traverse une crise conjoncturelle et structurelle profonde. Oui, le Gouvernement les prend et prend ses responsabilités.
Il était indispensable et urgent d'engager une profonde rénovation de la politique de l'emploi culturel. La mise en place d'une politique cohérente de l'emploi culturel nécessite une implication forte des partenaires sociaux, car c'est d'abord aux partenaires sociaux qu'il revient de définir les conditions de travail et d'emploi, ainsi que leur mode de régulation. Et je tiens à saluer les efforts qu'ils ont accomplis afin de structurer le champ des conventions collectives.
Dans l'industrie phonographique, il était indispensable de garantir au plus vite une couverture conventionnelle, pour améliorer les conditions de travail et d'emploi des salariés et des artistes interprètes.
Avec Gérard Larcher, le ministre chargé du travail, nous nous sommes engagés à fournir aux partenaires sociaux du secteur tout l'appui nécessaire pour mener à bien ces négociations avant la fin de l'année 2006.
Enfin, je vous avais annoncé l'an dernier, que je plaidais auprès de mes collègues européens en faveur de la création d'un programme spécifique de soutien aux industries culturelles non audiovisuelles. Eh bien, c'est désormais chose faite et je suis heureux de constater que la position que j'ai défendue a été entendue.
Le Conseil des ministres de la culture et de l'audiovisuel de l'Union européenne a, en effet, adopté le 14 novembre dernier à l'unanimité l'inclusion des industries culturelles non audiovisuelles dans les objectifs du nouveau programme Culture 2007. Il importe désormais que le Parlement européen souscrive à cette proposition en 2ème lecture.
Je tiens à remercier chaleureusement ici le commissaire Jan FIGEL de son soutien sans faille et de l'initiative renouvelée cette année encore d'organiser chaque année au MIDEM une réunion informelle des ministres de la culture, afin d'évoquer l'ensemble des préoccupations de la musique et des industries culturelles non audiovisuelles, qui sont au coeur de l'identité culturelle de l'Europe.
L'année 2006 sera, j'en suis sûr, une bonne année pour la musique.
Je vous souhaite à tous un bon MIDEM 2006 !
Je vous remercie.

Source http://www.culture.gouv.fr, le 26 janvier 2006