Texte intégral
Q- Merci de répondre aux questions des auditeurs. Vous avez, vous, une question à leur
poser.
R- Il y a une question qui m'intéresse et qui, je pense, intéresse au-delà beaucoup de
monde. Tout laisse à penser que la retransmission en direct par la chaîne parlementaire de
la commission d'enquête d'Outreau à l'assemblée nationale est extrêmement regardée.
J'aimerais savoir quelles sont les raisons qui mobilisent autant les téléspectateurs.
Q- Vous répondez à P. Clément... On va revenir sur Outreau. Mais je voudrais que l'on fasse
un bilan des émeutes en banlieue de novembre dernier. Avez-vous des chiffres sur le nombre
de fauteurs de trouble présumés interpellés, sur les personnes écrouées et sur les
condamnations ?
R- Oui, on a des chiffres. Il y a eu un peu plus de 3.000 jeunes, jeunes mineurs et jeunes
majeurs, qui ont été présentés devant le juge. Ont été écroués un peu plus de 750 personnes,
jeunes ou moins jeunes. Sur les mineurs, à proprement parler, il y a un peu plus de 110, 118
je crois, incarcérations. Et ce qu'il faut comprendre, c'est que ces arrestations et ces
incarcérations ont eu un effet symbolique fort dans les quartiers. On l'a vu dans les
départements de la couronne parisienne : j'avais réuni les procureurs généraux dans les tous
premiers jours des violences urbaines, et je leur avais donné comme instruction de requérir
la prison ferme si nécessaire, pour les majeurs ou pour les mineurs. C'est ce qu'ils ont
fait. Donc certains mineurs, une centaine, se sont retrouvés en prison. Et cela s'est su
comme une traînée de poudre dans les quartiers. Cela a certainement participé, même
absolument certainement participé à l'arrêt des violences urbaines, car les jeunes étaient
surpris. Jusqu'à une période assez récente, l'impunité pour les mineurs était
systématiquement assurée. Et là, ils ont dit : "Tu as vu, ils cognent, la police, les
juges...". Et cela a fait finalement que les choses se sont arrêtées.
Q- Et les expulsions des étrangers impliqués dans les violences ?
R- Il y a une part d'expulsions. Pour le coup, je ne connais pas les chiffres, mais ce n'est
quand même pas majoritaire, de très loin.
Q- Parce que je me souviens de ce que nous disait N. Sarkozy : il parlait d'expulsions.
Cette annonce était-elle du vent ?
R- Bien sûr que non ! Cela dit, je suis incapable de vous dire le nombre d'étrangers qui ont
pu être expulsés à cette occasion-là. Il faut bien voir qu'il n'y a pas de profil classique,
absolu, de ces jeunes. Vous alliez d'un département à un autre, vous aviez des primo
délinquants ou des récidivistes, vous aviez plutôt des jeunes majeurs ou plutôt des mineurs.
Bref, on ne peut pas faire de profil type...
Q- Je vous dis cela, parce que tout à l'heure, nous avions en ligne le président de la
Commission liberté et droits de l'homme du Conseil national des Barreaux, qui nous disait
que tout cela, c'était du vent, qu'il n'y aura jamais aucune expulsion et qu'il n'y en a pas
eu...
R- Je suis sincère, je l'ignore. Ce n'est évidemment pas du vent, mais cela ne peut
effectivement pas être des chiffres considérables.
Q- On parle actuellement des violences à l'école au quotidien. [Témoignage d'Alexie,
déléguée et camarade de classe de l'élève de Sixième qui a agressé un professeur à
Montreuil]. Ces gamins disent que certains jeunes ne supportent pas qu'on leur ordonne
quelque chose. Quand on leur dit "non", pour eux, c'est comme s'ils étaient inférieurs...
Vous entendez ce témoignage, vous ministre de la Justice ?
R- On voit bien que cela commence en famille, et c'est bien le drame. L'enfant qui, dès le
plus jeune âge, dit "non" à son père, dit "non" à sa mère, et ensuite dit "non" à la
société, à travers les enseignants. Le problème est donc à reprendre à la base. Et il est
bien clair que la réponse n'est pas dire que c'est comme ça et que l'on va laisser faire !
C'est l'inverse, la réponse doit être judiciaire. La réponse judiciaire doit être appropriée
à des jeunes, ce qui veut dire que l'on commence sans doute par des admonestations, mais que
cela doit finir par des sanctions éducatives. Cela peut finir effectivement par des
sanctions comme le fait d'aller suivre, à leurs frais, des stages de désintoxication. Vous
savez que les jeunes Français sont les jeunes Européens qui prennent le plus de cannabis. Il
y a donc là un vrai problème. Et il faut ne pas hésiter - et ça, c'est au niveau des
enseignants, c'est une réflexion qu'il faut mener - à montrer qu'obéir n'est pas humiliant.
Le drame est qu'ils ont le message inverse. "Si tu obéis, c'est que tu es inférieur !". Et
montrer que l'obéissance, c'est participer à un projet. Quand vous êtes un groupe et qu'il y
a un chef de groupe, il prend une décision et participer à un projet, c'est valorisant. Si
chacun veut faire son projet, on n'arrive à rien. Donc il faut leur montrer que la société
n'est pas que l'individuel, elle est collective. Et c'est cette société collective qui
demande un peu d'autodiscipline. Un collège, c'est collectif et le succès d'une classe est
collectif, puisqu'il suffit d'avoir un ou deux fauteurs de troubles, et puis personne ne
peut travailler. Je crois qu'il faut reprendre une formation à la base et, à partir de cet
évènement, qui effectivement nous choque, il faut comprendre l'erreur d'appréciation, au
départ, de ces jeunes. Donc il faut vraiment prendre leur éducation à la base.
Q- Mais lorsque les enseignants veulent réunir les parents, aucun parent ne vient ou très
peu... On le sait bien, ces jeunes, la faillite, c'est les parents. La société et grâce à
nos professeurs, on est obligé de se substituer et de ne pas se contenter de les enseigner.
Il va falloir maintenant les éduquer parce qu'ils n'ont pas reçu d'éducation.
Q- N. Sarkozy souhaite que les parents fournissent un certificat de scolarité pour recevoir
les allocations familiales. Vous iriez jusque là ?
R- On cherche, les uns et les autres - mais on verra ce que décidera le Premier ministre...
Q- Dans ce Gouvernement, tout le monde s'exprime sur tout, j'ai remarqué. Vous avez un
ministre de l'intérieur qui s'exprime sur tout...
R- Mais c'est normal, il est président d'un grand parti politique qui s'appelle l'UMP. C'est
même le premier parti français. On lui en voudrait s'il n'avait pas d'idée. Enfin, il lance
les idées, et le Gouvernement en interministériel, c'est-à-dire le Premier ministre, sous
l'arbitrage et l'autorité du Premier ministre, prend une décision. Là, N. Sarkozy a raison
de lancer cette idée. Nous verrons si nous devons ou si nous pouvons la mettre en oeuvre.
Mais, merci l'idée. Rien n'est pire que les gens ne lancent pas d'idée. Alors, arrêtons de
critiquer ceux qui en ont. Et il est parfaitement vrai que nous avons là plusieurs pistes de
réflexion. La piste qui va réunir tout le monde, c'est la suivante : on ne peut pas
enchaîner les admonestations les unes après les autres. Je ne sais pas si vous vous
souvenez, comme président de la Commission des lois, j'avais, s'agissant de la proposition
de loi récidive, fais en sorte qu'on n'enchaîne pas les sursis avec mise à l'épreuve.
C'est-à-dire qu'au fond, on n'était jamais condamné. Là, il s'agit de majeurs. C'est la même
idée pour les mineurs. Là, on les admoneste, on fait "pan pan, tu-tu". Eh bien, à un moment,
ça doit s'arrêter, il faut passer à la sanction. Là-dessus, je crois qu'on est tous
d'accord.
Q- Et quelles sanctions ?
R- Eh bien ce sont des sanctions éducatives, ce n'est pas des sanctions....
Q- Pas de prison ?
R- Dans certains cas, eh bien évidemment. Vous faites un crime, cela peut être la prison
pour faire réfléchir. Eh bien, il ne faut pas avoir peur de le dire. Et ça existe déjà.
Q- Faut-il revenir sur l'ordonnance de 45 ?
R- On ne revient pas sur l'ordonnance de 45. Qu'est-ce que c'est l'idée de l'ordonnance de
45 ? C'est que le régime des mineurs ne doit pas être le même que lé régime des majeurs.
J'ai envie de dire que ça c'est sacro saint. On n'y touche pas. En revanche, qu'est-ce qu'on
a touché à l'ordonnance de 45 ? D'ailleurs, le nom "ordonnance de 45" ne correspond plus du
tout à la réalité. On a dû modifier plus de vingt-cinq fois l'ordonnance de 45. Et on
évolue, parce que la jeunesse évolue. Je vais vous raconter une histoire tout à fait
authentique. J'étais avant hier à Colmar, dans un foyer de la Protection judiciaire de la
jeunesse. Et je vois une dizaine de jeunes, pas mal de jeunes filles d'ailleurs, puis
quelques garçons. Le plus gamin d'entre eux, figure d'angelot. Vraiment angélique. Et je le
découvre, au moment où j'ouvre ? nous visitions le foyer - les pieds sur la table, face à
une jeune femme psychologue. Alors je dis bonjour à la psychologue, et à lui je dis :
qu'est-ce que tu fais ? Il devait avoir douze/treize ans. Il se présente : "Kevin". Très
bien. J'en parle après avec le directeur du foyer qui me dit que c'est le plus terrible du
foyer, et qu'ils n'ont que des problèmes avec ce gamin. Autrement dit, vous les voyez comme
cela, vous leur donnez, comme on dit, le bon dieu sans confession. C'est le plus terrible.
Donc, il faut arrêter de dire : "le mineur, il est gentil, le majeur il est méchant". C'est
malheureusement plus nuancé et il faut aujourd'hui à la fois un soutien psychologique,
beaucoup d'affection mais de la fermeté. Je crois que cet équilibre-là est ç trouver à la
fois pour la justice des mineurs et à la fois au niveau de l'éducation. Mais moi je suis
très frappé que nos fonctionnaires de la Protection judiciaire de la jeunesse sont tout à
fait dans cet esprit-là.
Q- Lina, auditrice des Yvelines : "Je voulais savoir pourquoi les juges n'utilisent pas les
peines de substitution de type "travail d'intérêt général" ? C'est un intermédiaire entre la
prison qui fabrique des grands caïds - je parle des délinquants mineurs - et la simple
réprimande du juge qui voit souvent le gamin quinze à vingt fois de suite. Je dirais que
quand on brûle une voiture, on doit faire travailler ce gamin dans un centre technique
municipal, ça reste dans les institutions, et on lui fait laver les bagnoles, le garage,
sous la surveillance d'un éducateur. Croyez-moi que travailler, dans la mentalité de ces
gamins qui ne connaissent que le chômage, c'est l'humiliation...".
R- Vous avez d'autant plus raison que nous souhaiterions tous, y compris moi-même, que nous
ayons plus de travaux d'intérêt général à offrir à nos mineurs, sous forme de sanction
réparatrice...
Q- Pourquoi en manque-t-on ?
R- Parce qu'il y a un manque de propositions. Très honnêtement, c'est que la plupart du
temps, les communes et les maires nous disent que l'on est bien gentils mais qu'ils n'ont
pas d'employé communal pour encadrement. Ils n'ont pas non plus envie d'accepter un
éducateur qui vient de l'état et qui viendrait, dans le cadre du travail pour le garder,
parce que là, vous changerez de nature le travail municipal. Donc on en trouve, mais on en
manque. Au-delà de ça, je crois qu'il faut bien comprendre que nous avons vocation à trouver
mille alternatives à l'incarcération. Et s'agissant de l'incarcération, je voudrais dire une
chose que madame ne sait peut-être pas : c'est que notre majorité lance depuis trois ans,
des établissements pour mineurs, pour éviter ce
mélange criminogène, de mettre des jeunes avec évidemment des moins jeunes, et quelquefois
des "caïds", pour reprendre le mot de notre auditrice. Il est clair qu'il faut les mettre
complètement à l'abri. En 2007 sortiront de terre sept établissements pour mineurs, réparti
dans les plus grandes régions françaises, avec soixante places chacun. Pour faire
comprendre, j'explique que c'est une prison autour d'une salle de classe, c'est-à-dire que
tout sera orienté vers la réinsertion, évidemment scolaire vu l'âge, mais très vite
d'alternance, parce que je crois que c'est la meilleure méthode pour apprendre quelque chose
à un jeune de manière générale, et a fortiori ce type de jeune : c'est ce permanent dialogue
entre la théorie et la pratique. Je ne sais pas si vous êtes
capable de comprendre la mécanique, mais si on vous donne un cours théorique sur le moteur à
quatre temps, cela vous laisse peut-être froid. Si en revanche, on vous a expliqué le matin
comment cela marche et l'après-midi, vous allez dans un garage, vous finissez par
comprendre. C'est cela, l'alternance. Eh bien derrière, vous trouverez des métiers. Et
madame a raison de dire que dès que l'on a un métier, cela change tout.
[2ème partie, à 8h50]
Q- Est-ce que vous avez vu ces condamnés à perpetuité qui demandé le rétablissement de la
peine de mort ? Que leur répondez-vous ?
R- Cela m'a choqué, d'abord, parce que c'est un sujet sérieux, inutile de le dire, je
rappelle que depuis 1980, la peine de mort est abolie en France. Le président de la
République nous a fait savoir d'ailleurs qu'il souhaitait que cette abolition soit même
constitutionnalisée - c'est dire combien cela prendra une valeur symbolique forte. Et,
enfin, j'aimerais raconter un peu comment cela se passe dans une centrale. D'abord qu'est-ce
qu'on appelle une centrale ? C'est une prison pour les très longues peines. Dans les
prisons, il y a de très longues peines et c'est le cas de Clairvaux - Clairvaux, c'est
l'ancienne abbaye de Clairvaux, donc qui est quasi millénaire comme bâtiment et qui, comme
il a été brûlé il y a quelques années, a été pour partie largement refait. Aujourd'hui, nous
avons une centrale dont les conditions matérielles sont tout à fait honorables. Alors il
faut savoir qu'un détenu qui a été condamné, qui exécute une longue peine - c'est le cas des
personnes dont vous parlez - ils sont tous dans une cellule individuelle, premier point.
Deuxième point, s'ils souhaitent travailler, avoir une activité professionnelle, donc
rémunératrice, dans les trois mois à Clairvaux, on leur assure une activité professionnelle.
Ils peuvent tous les jours faire du tennis, du football, de la pétanque ou de la
gymnastique. Ils peuvent tous les jours recevoir une visite et le week-end plusieurs heures
par week-end, si ce n'est quasiment tout le week-end. Autrement dit, c'est une vie,
complètement à l'abri de la société, mais cela n'a rien à voir avec une vie dont on pourrait
imaginer que c'est des conditions indignes et dégradantes.
Q- Donc, on ne revient pas sur les peines incompressibles !
R- Alors on ne revient pas... D'abord qui donne les peines incompressibles ? C'est le jury
populaire, ce sont des Français, des Français qui vous le savez sont tirés au sort et qui
jugent. Ce n'est quand même pas le condamné et, permettez-moi de dire que tous ces condamnés
qui ont lancé cette espèce de provocation sont tous des gens qui ont sur la conscience des
crimes de sang. L'un n'a fait que six ans, après avoir tué quelqu'un. Donc un peu de décence
! Et reprendre fortement leur déclaration, je trouve que c'est beaucoup d'honneur, par
rapport à des gens qui doivent effectivement exécuter leur peine.
Q- Cela fait des années que je suis journaliste, comme vous, cela fait des années que vous
êtes homme politique. Cela fait des années que j'entends que les prisons françaises sont
surpeuplées. Et elles sont toujours surpeuplées.
R- Merci de me poser la question. Parce que vous avez globalement raison et permettez-moi,
alors non pas un tunnel, mais quelques secondes d'explications assez rapides. Depuis 1900 -
cela fait donc maintenant 104 ans, 105 ans, 106 ans - il y a eu très peu de périodes de
construction de prisons. Nous sommes des héritiers, nous n'avons rien fait. On a créé une
quinzaine de milliers de prisons entre 1900 et 1986...
Q- De places !
R- Des places de prison, pardon. Et en particulier dans une prison célèbre qui s'appelle
Fleury Mérogis, où il y a près de 4.000 personnes. C'était les idées 60 où on faisait des
barres, on faisait des tours, on a fait la plus
grande prison d'Europe, je ne suis pas sûr que ce soit une géniale idée, mais en tout cas
c'est le cas. Et puis, rien d'autre. Ensuite, il a fallu attendre le gouvernement Chirac,
86-88, ou le garde des Sceaux, Monsieur A. Chalandon a créé 13.500 prisons (sic)... Puis
ensuite, vous sautez au gouvernement Balladur. Monsieur Méhaignerie a eu un programme de
4.500 places de prison. Et enfin le gouvernement Raffarin et mon prédécesseur Monsieur
Perben qui a lancé un programme de 13.500 places. Et le reste ? Rien ! Cela veut dire que,
quand on est, je fais simple, de gauche, on est contre la prison, alors comme on est contre
la prison, on est toujours en train de dire, la prison est un pourrissoir, donc il ne faut
pas mettre les gens en prison, il ne faut pas mettre les jeunes en prison - du coup, on ne
fait rien pour les prisons. On est arrivé à une situation où nous avions les prisons dans
une situation telle que le Commissaire aux droits de l'homme est venu critiquer la France,
il y a quelques mois à juste titre et qu'il faut attendre des gouvernements de droite pour
réhabiliter, humaniser et construire de nouvelles places. Alors c'est ce qui est fait. Nous
aurons, vers 2008- 2009-2010, où les dernières prisons seront inaugurées, à ce moment là une
situation digne de la France. Aujourd'hui, dans certains cas c'est indigne. Mais, petit
détail, s'agissant des centrales, c'est-à-dire des longues peines pour les gens condamnés,
c'est la partie qui précisément n'est pas surpeuplée. En revanche les maisons d'arrêt sont
tout à fait surpeuplées, on a des moyennes qui tournent autour de près 150 %. C'est
scandaleux.
Q- P. Clément, deux questions sur Outreau. La première, le juge Burgaud a refusé de
s'excuser. Est-ce que vous condamnez cette position ?
R- Non, écoutez, je ne veux pas me lancer dans la polémique...
Q- Non, pas de polémique, mais oui ou non, est-ce que vous avez compris cette déclaration là
?
R- Je vais vous le dire...
Q- Franchement, allez !
R- Franchement, il ne faut pas qu'un homme soit le bouc émissaire d'une affaire qui nous a
tous plongés dans un abîme de souffrance et de tristesse. Quand on voit encore le suicide de
Monsieur Marécaux, qui était huissier de justice...
Q- La tentative !
R- La tentative de suicide et qui, grâce au ciel, a échoué... Il a perdu son travail, son
honneur bien sûr au début, sa femme, avec des enfants, qui visiblement, si j'ai cru
comprendre lui posent aujourd'hui des problèmes bien. Cet homme, il ne voit pas de ciel
bleu. On ne va pas dire - je parle de Monsieur Marécaux, mais il y a les autres bien sûr,
les acquittés d'Outreau sont peu ou prou dans des situations équivalentes - que tout ça,
c'est la faute d'un seul homme, vous voyez bien, c'est honteux, c'est scandaleux. Donc,
arrêtons de parler d'un seul homme. Il
y a une chaîne...
Q- Il y a une présomption de culpabilité concernant le juge Burgaud ?
R- Ce serait heureux de faire plutôt l'inverse, une présomption d'innocence, ce serait
infiniment plus prudent et respectueux. Je rappelle qu'il y a une chaîne qui commence aux
familles d'accueil, aux travailleurs sociaux, au recueil par la police ou la gendarmerie de
la parole de l'enfant. Puis, effectivement au Parquet, puis au uged'instruction, puis à la
Chambre de l'instruction, puis aux magistrats de la Cour d'assise, puis aux jurés de la Cour
d'assise. Bref, c'est toute cette chaîne qu'il faut analyser et puis nous verrons tout à la
fin s'il y a des responsabilités qui doivent être effectivement revendiquées pour tel ou
tel. En attendant, moi, ce qui fera la lumière dans cette affaire, ce n'est pas la
Commission d'enquête qui est menée par l'Assemblée nationale, car ce n'est pas son rôle. La
Commission d'enquête, d'ailleurs son président l'a bien dit, c'est diagnostiquer le
problème, faire des propositions. En revanche, j'ai lancé une inspection des services
judiciaires, c'est-à-dire, ce sont des magistrats très pointus qui vont examiner les
procédures pour savoir comment cela se passe. Et
puis par ailleurs le Premier ministre a pris une autre décision, une triple inspection qui
est Affaires sociales, Intérieur, Justice qui elle-même, parallèlement conduit une autre
enquête. Ce sont ces enquêtes qui présenteront des conclusions. Imaginez que ces conclusions
présentent des responsabilités de la part de tel ou tel magistrat, alors, à ce moment là, je
suis en droit, moi garde des Sceaux de saisir le Conseil supérieur
de la magistrature et c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui pourrait,
éventuellement sanctionner. Donc ce n'est pas à moi de dire, de lâcher ce matin : "oui, il
est responsable, non il n'est pas responsable".
Q- Vous allez être entendu par la Commission parlementaire, qu'avez-vous envie de dire ?
R- Je crois que je serai entendu, d'abord je l'ai appris hier par l'AFP, donc c'est un petit
peu récent, j'ai cru comprendre ...
Q- C'est curieux d'ailleurs non ?
R- Oh vous savez, tout le monde est sans doute très pressé. J'ai cru comprendre que moi je
serai, ce que je trouve est intéressant, repoussé à la fin des auditions, parce que comme
tout le monde sait que je n'étais
pas garde des Sceaux pendant le procès d'Outreau - j'ai été nommé en juin, c'est-à-dire
largement après la fin du premier verdict et juste avant l'appel. Vous savez que le jour de
l'arrêt de la Cour d'appel d'assises, j'ai ce jour-là effectivement présenté mes excuses aux
Français au nom de l'institution judiciaire et décidé une inspection des services
judiciaires pour comprendre ce qui s'est passé. Donc je n'ai pas attendu, il n'y a pas le
Parlement, cela s'est fait en amont, je le rappelle. Alors le Parlement souhaite m'entendre,
c'est tout à fait légitime, mais je crois qu'il voudra surtout commencer à discuter avec moi
des propositions.
Q- Donc vous ferez des propositions ?
R- Non, c'est eux qui en feront et qui verront comment je réagis à leurs propositions, c'est
un peu comme ça que je vois cette audition, mais il y aura sûrement d'autres questions et
vous savez dans ces cas là, tout homme est à la disposition de la commission d'enquête
parlementaire.
Q- Cela nous conduit à la question, que vous posiez. P. Dufreigne, la réponse des auditeurs
de RMC.
R- P. Dufreigne, de RMC : Pour quelle raison vous regardez cette retransmission télé de la
commission 'enquête d'Outreau ? Vincent des Hauts-de-Seine : "j'ai suivi avec beaucoup
d'intérêt et d'émotion ces auditions, ce qui m'a motivé, c'est que je suis intimement
persuadé que ce qui est arrivé à ces honnêtes gens peut m'arriver à moi-même aujourd'hui".
Michel du Rhône, très intéressé par le fonctionnement de notre justice, "quand on s'aperçoit
que les rouages fonctionnent mal, il est intéressant de comprendre d'où vient le problème ?
C'est pourquoi j'ai regardé ces émissions". Puis Sylvie de Seine-et-Marne : "je
m'intéressais pas trop à cette affaire de justice, mais quand on voit, depuis chez soi,
toute la détresse, tout le mal qu'a pu faire cette affaire à
des gens qui n'avaient rien demandé, quand on voit leur regard, on ne peut que rester
scotché au téléviseur et s'interroger sur notre justice française".
Q- Voilà, bonnes réactions ou pas ?
R- Bien sûr. On voit aussi que cette commission d'enquête, et le fait d'être beaucoup
regardée, est un test de purification, si vous voulez...
Q- Cela fait du bien c'est utile.
R- C'est utile !
Q- Un mot quand même, parce que vous avez mis en place un
parrainage des jeunes placés par la justice, parrainé par des chefs
d'entreprises et des cadres.
R- Oui, absolument !
Q- Cela marche bien ça ?
R- L'idée, c'est que je considère qu'il y a une frontière invisible entre la périphérie,
c'est-à-dire la
du centre ville, de la ville, de la société civile en un mot, si quelqu'un d'entre nous est
capable de passer 6 heures en 2006 à recevoir un de ces jeunes, à essayer de bâtir avec lui
un projet et puis à l'aider, en ouvrant
son carnet d'adresses, à lui trouver un stage, ici ou là, eh bien je peux vous dire que le
climat va changer. Actuellement il y a un refus de l'autre, évident. On vous dit "les gars
des banlieues, laissez-les de l'autre côté du périphérique", comme on dit à Paris. Il est
clair que ce n'est pas la solution, parce que si c'est ça, cela répétera et la société
française sera de plus en plus morcelée. Donc je pense qu'il faut, au delà du service rendu
à ces jeunes, il y a une cohésion de la société française qu'il faut rechercher.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 janvier 2006
poser.
R- Il y a une question qui m'intéresse et qui, je pense, intéresse au-delà beaucoup de
monde. Tout laisse à penser que la retransmission en direct par la chaîne parlementaire de
la commission d'enquête d'Outreau à l'assemblée nationale est extrêmement regardée.
J'aimerais savoir quelles sont les raisons qui mobilisent autant les téléspectateurs.
Q- Vous répondez à P. Clément... On va revenir sur Outreau. Mais je voudrais que l'on fasse
un bilan des émeutes en banlieue de novembre dernier. Avez-vous des chiffres sur le nombre
de fauteurs de trouble présumés interpellés, sur les personnes écrouées et sur les
condamnations ?
R- Oui, on a des chiffres. Il y a eu un peu plus de 3.000 jeunes, jeunes mineurs et jeunes
majeurs, qui ont été présentés devant le juge. Ont été écroués un peu plus de 750 personnes,
jeunes ou moins jeunes. Sur les mineurs, à proprement parler, il y a un peu plus de 110, 118
je crois, incarcérations. Et ce qu'il faut comprendre, c'est que ces arrestations et ces
incarcérations ont eu un effet symbolique fort dans les quartiers. On l'a vu dans les
départements de la couronne parisienne : j'avais réuni les procureurs généraux dans les tous
premiers jours des violences urbaines, et je leur avais donné comme instruction de requérir
la prison ferme si nécessaire, pour les majeurs ou pour les mineurs. C'est ce qu'ils ont
fait. Donc certains mineurs, une centaine, se sont retrouvés en prison. Et cela s'est su
comme une traînée de poudre dans les quartiers. Cela a certainement participé, même
absolument certainement participé à l'arrêt des violences urbaines, car les jeunes étaient
surpris. Jusqu'à une période assez récente, l'impunité pour les mineurs était
systématiquement assurée. Et là, ils ont dit : "Tu as vu, ils cognent, la police, les
juges...". Et cela a fait finalement que les choses se sont arrêtées.
Q- Et les expulsions des étrangers impliqués dans les violences ?
R- Il y a une part d'expulsions. Pour le coup, je ne connais pas les chiffres, mais ce n'est
quand même pas majoritaire, de très loin.
Q- Parce que je me souviens de ce que nous disait N. Sarkozy : il parlait d'expulsions.
Cette annonce était-elle du vent ?
R- Bien sûr que non ! Cela dit, je suis incapable de vous dire le nombre d'étrangers qui ont
pu être expulsés à cette occasion-là. Il faut bien voir qu'il n'y a pas de profil classique,
absolu, de ces jeunes. Vous alliez d'un département à un autre, vous aviez des primo
délinquants ou des récidivistes, vous aviez plutôt des jeunes majeurs ou plutôt des mineurs.
Bref, on ne peut pas faire de profil type...
Q- Je vous dis cela, parce que tout à l'heure, nous avions en ligne le président de la
Commission liberté et droits de l'homme du Conseil national des Barreaux, qui nous disait
que tout cela, c'était du vent, qu'il n'y aura jamais aucune expulsion et qu'il n'y en a pas
eu...
R- Je suis sincère, je l'ignore. Ce n'est évidemment pas du vent, mais cela ne peut
effectivement pas être des chiffres considérables.
Q- On parle actuellement des violences à l'école au quotidien. [Témoignage d'Alexie,
déléguée et camarade de classe de l'élève de Sixième qui a agressé un professeur à
Montreuil]. Ces gamins disent que certains jeunes ne supportent pas qu'on leur ordonne
quelque chose. Quand on leur dit "non", pour eux, c'est comme s'ils étaient inférieurs...
Vous entendez ce témoignage, vous ministre de la Justice ?
R- On voit bien que cela commence en famille, et c'est bien le drame. L'enfant qui, dès le
plus jeune âge, dit "non" à son père, dit "non" à sa mère, et ensuite dit "non" à la
société, à travers les enseignants. Le problème est donc à reprendre à la base. Et il est
bien clair que la réponse n'est pas dire que c'est comme ça et que l'on va laisser faire !
C'est l'inverse, la réponse doit être judiciaire. La réponse judiciaire doit être appropriée
à des jeunes, ce qui veut dire que l'on commence sans doute par des admonestations, mais que
cela doit finir par des sanctions éducatives. Cela peut finir effectivement par des
sanctions comme le fait d'aller suivre, à leurs frais, des stages de désintoxication. Vous
savez que les jeunes Français sont les jeunes Européens qui prennent le plus de cannabis. Il
y a donc là un vrai problème. Et il faut ne pas hésiter - et ça, c'est au niveau des
enseignants, c'est une réflexion qu'il faut mener - à montrer qu'obéir n'est pas humiliant.
Le drame est qu'ils ont le message inverse. "Si tu obéis, c'est que tu es inférieur !". Et
montrer que l'obéissance, c'est participer à un projet. Quand vous êtes un groupe et qu'il y
a un chef de groupe, il prend une décision et participer à un projet, c'est valorisant. Si
chacun veut faire son projet, on n'arrive à rien. Donc il faut leur montrer que la société
n'est pas que l'individuel, elle est collective. Et c'est cette société collective qui
demande un peu d'autodiscipline. Un collège, c'est collectif et le succès d'une classe est
collectif, puisqu'il suffit d'avoir un ou deux fauteurs de troubles, et puis personne ne
peut travailler. Je crois qu'il faut reprendre une formation à la base et, à partir de cet
évènement, qui effectivement nous choque, il faut comprendre l'erreur d'appréciation, au
départ, de ces jeunes. Donc il faut vraiment prendre leur éducation à la base.
Q- Mais lorsque les enseignants veulent réunir les parents, aucun parent ne vient ou très
peu... On le sait bien, ces jeunes, la faillite, c'est les parents. La société et grâce à
nos professeurs, on est obligé de se substituer et de ne pas se contenter de les enseigner.
Il va falloir maintenant les éduquer parce qu'ils n'ont pas reçu d'éducation.
Q- N. Sarkozy souhaite que les parents fournissent un certificat de scolarité pour recevoir
les allocations familiales. Vous iriez jusque là ?
R- On cherche, les uns et les autres - mais on verra ce que décidera le Premier ministre...
Q- Dans ce Gouvernement, tout le monde s'exprime sur tout, j'ai remarqué. Vous avez un
ministre de l'intérieur qui s'exprime sur tout...
R- Mais c'est normal, il est président d'un grand parti politique qui s'appelle l'UMP. C'est
même le premier parti français. On lui en voudrait s'il n'avait pas d'idée. Enfin, il lance
les idées, et le Gouvernement en interministériel, c'est-à-dire le Premier ministre, sous
l'arbitrage et l'autorité du Premier ministre, prend une décision. Là, N. Sarkozy a raison
de lancer cette idée. Nous verrons si nous devons ou si nous pouvons la mettre en oeuvre.
Mais, merci l'idée. Rien n'est pire que les gens ne lancent pas d'idée. Alors, arrêtons de
critiquer ceux qui en ont. Et il est parfaitement vrai que nous avons là plusieurs pistes de
réflexion. La piste qui va réunir tout le monde, c'est la suivante : on ne peut pas
enchaîner les admonestations les unes après les autres. Je ne sais pas si vous vous
souvenez, comme président de la Commission des lois, j'avais, s'agissant de la proposition
de loi récidive, fais en sorte qu'on n'enchaîne pas les sursis avec mise à l'épreuve.
C'est-à-dire qu'au fond, on n'était jamais condamné. Là, il s'agit de majeurs. C'est la même
idée pour les mineurs. Là, on les admoneste, on fait "pan pan, tu-tu". Eh bien, à un moment,
ça doit s'arrêter, il faut passer à la sanction. Là-dessus, je crois qu'on est tous
d'accord.
Q- Et quelles sanctions ?
R- Eh bien ce sont des sanctions éducatives, ce n'est pas des sanctions....
Q- Pas de prison ?
R- Dans certains cas, eh bien évidemment. Vous faites un crime, cela peut être la prison
pour faire réfléchir. Eh bien, il ne faut pas avoir peur de le dire. Et ça existe déjà.
Q- Faut-il revenir sur l'ordonnance de 45 ?
R- On ne revient pas sur l'ordonnance de 45. Qu'est-ce que c'est l'idée de l'ordonnance de
45 ? C'est que le régime des mineurs ne doit pas être le même que lé régime des majeurs.
J'ai envie de dire que ça c'est sacro saint. On n'y touche pas. En revanche, qu'est-ce qu'on
a touché à l'ordonnance de 45 ? D'ailleurs, le nom "ordonnance de 45" ne correspond plus du
tout à la réalité. On a dû modifier plus de vingt-cinq fois l'ordonnance de 45. Et on
évolue, parce que la jeunesse évolue. Je vais vous raconter une histoire tout à fait
authentique. J'étais avant hier à Colmar, dans un foyer de la Protection judiciaire de la
jeunesse. Et je vois une dizaine de jeunes, pas mal de jeunes filles d'ailleurs, puis
quelques garçons. Le plus gamin d'entre eux, figure d'angelot. Vraiment angélique. Et je le
découvre, au moment où j'ouvre ? nous visitions le foyer - les pieds sur la table, face à
une jeune femme psychologue. Alors je dis bonjour à la psychologue, et à lui je dis :
qu'est-ce que tu fais ? Il devait avoir douze/treize ans. Il se présente : "Kevin". Très
bien. J'en parle après avec le directeur du foyer qui me dit que c'est le plus terrible du
foyer, et qu'ils n'ont que des problèmes avec ce gamin. Autrement dit, vous les voyez comme
cela, vous leur donnez, comme on dit, le bon dieu sans confession. C'est le plus terrible.
Donc, il faut arrêter de dire : "le mineur, il est gentil, le majeur il est méchant". C'est
malheureusement plus nuancé et il faut aujourd'hui à la fois un soutien psychologique,
beaucoup d'affection mais de la fermeté. Je crois que cet équilibre-là est ç trouver à la
fois pour la justice des mineurs et à la fois au niveau de l'éducation. Mais moi je suis
très frappé que nos fonctionnaires de la Protection judiciaire de la jeunesse sont tout à
fait dans cet esprit-là.
Q- Lina, auditrice des Yvelines : "Je voulais savoir pourquoi les juges n'utilisent pas les
peines de substitution de type "travail d'intérêt général" ? C'est un intermédiaire entre la
prison qui fabrique des grands caïds - je parle des délinquants mineurs - et la simple
réprimande du juge qui voit souvent le gamin quinze à vingt fois de suite. Je dirais que
quand on brûle une voiture, on doit faire travailler ce gamin dans un centre technique
municipal, ça reste dans les institutions, et on lui fait laver les bagnoles, le garage,
sous la surveillance d'un éducateur. Croyez-moi que travailler, dans la mentalité de ces
gamins qui ne connaissent que le chômage, c'est l'humiliation...".
R- Vous avez d'autant plus raison que nous souhaiterions tous, y compris moi-même, que nous
ayons plus de travaux d'intérêt général à offrir à nos mineurs, sous forme de sanction
réparatrice...
Q- Pourquoi en manque-t-on ?
R- Parce qu'il y a un manque de propositions. Très honnêtement, c'est que la plupart du
temps, les communes et les maires nous disent que l'on est bien gentils mais qu'ils n'ont
pas d'employé communal pour encadrement. Ils n'ont pas non plus envie d'accepter un
éducateur qui vient de l'état et qui viendrait, dans le cadre du travail pour le garder,
parce que là, vous changerez de nature le travail municipal. Donc on en trouve, mais on en
manque. Au-delà de ça, je crois qu'il faut bien comprendre que nous avons vocation à trouver
mille alternatives à l'incarcération. Et s'agissant de l'incarcération, je voudrais dire une
chose que madame ne sait peut-être pas : c'est que notre majorité lance depuis trois ans,
des établissements pour mineurs, pour éviter ce
mélange criminogène, de mettre des jeunes avec évidemment des moins jeunes, et quelquefois
des "caïds", pour reprendre le mot de notre auditrice. Il est clair qu'il faut les mettre
complètement à l'abri. En 2007 sortiront de terre sept établissements pour mineurs, réparti
dans les plus grandes régions françaises, avec soixante places chacun. Pour faire
comprendre, j'explique que c'est une prison autour d'une salle de classe, c'est-à-dire que
tout sera orienté vers la réinsertion, évidemment scolaire vu l'âge, mais très vite
d'alternance, parce que je crois que c'est la meilleure méthode pour apprendre quelque chose
à un jeune de manière générale, et a fortiori ce type de jeune : c'est ce permanent dialogue
entre la théorie et la pratique. Je ne sais pas si vous êtes
capable de comprendre la mécanique, mais si on vous donne un cours théorique sur le moteur à
quatre temps, cela vous laisse peut-être froid. Si en revanche, on vous a expliqué le matin
comment cela marche et l'après-midi, vous allez dans un garage, vous finissez par
comprendre. C'est cela, l'alternance. Eh bien derrière, vous trouverez des métiers. Et
madame a raison de dire que dès que l'on a un métier, cela change tout.
[2ème partie, à 8h50]
Q- Est-ce que vous avez vu ces condamnés à perpetuité qui demandé le rétablissement de la
peine de mort ? Que leur répondez-vous ?
R- Cela m'a choqué, d'abord, parce que c'est un sujet sérieux, inutile de le dire, je
rappelle que depuis 1980, la peine de mort est abolie en France. Le président de la
République nous a fait savoir d'ailleurs qu'il souhaitait que cette abolition soit même
constitutionnalisée - c'est dire combien cela prendra une valeur symbolique forte. Et,
enfin, j'aimerais raconter un peu comment cela se passe dans une centrale. D'abord qu'est-ce
qu'on appelle une centrale ? C'est une prison pour les très longues peines. Dans les
prisons, il y a de très longues peines et c'est le cas de Clairvaux - Clairvaux, c'est
l'ancienne abbaye de Clairvaux, donc qui est quasi millénaire comme bâtiment et qui, comme
il a été brûlé il y a quelques années, a été pour partie largement refait. Aujourd'hui, nous
avons une centrale dont les conditions matérielles sont tout à fait honorables. Alors il
faut savoir qu'un détenu qui a été condamné, qui exécute une longue peine - c'est le cas des
personnes dont vous parlez - ils sont tous dans une cellule individuelle, premier point.
Deuxième point, s'ils souhaitent travailler, avoir une activité professionnelle, donc
rémunératrice, dans les trois mois à Clairvaux, on leur assure une activité professionnelle.
Ils peuvent tous les jours faire du tennis, du football, de la pétanque ou de la
gymnastique. Ils peuvent tous les jours recevoir une visite et le week-end plusieurs heures
par week-end, si ce n'est quasiment tout le week-end. Autrement dit, c'est une vie,
complètement à l'abri de la société, mais cela n'a rien à voir avec une vie dont on pourrait
imaginer que c'est des conditions indignes et dégradantes.
Q- Donc, on ne revient pas sur les peines incompressibles !
R- Alors on ne revient pas... D'abord qui donne les peines incompressibles ? C'est le jury
populaire, ce sont des Français, des Français qui vous le savez sont tirés au sort et qui
jugent. Ce n'est quand même pas le condamné et, permettez-moi de dire que tous ces condamnés
qui ont lancé cette espèce de provocation sont tous des gens qui ont sur la conscience des
crimes de sang. L'un n'a fait que six ans, après avoir tué quelqu'un. Donc un peu de décence
! Et reprendre fortement leur déclaration, je trouve que c'est beaucoup d'honneur, par
rapport à des gens qui doivent effectivement exécuter leur peine.
Q- Cela fait des années que je suis journaliste, comme vous, cela fait des années que vous
êtes homme politique. Cela fait des années que j'entends que les prisons françaises sont
surpeuplées. Et elles sont toujours surpeuplées.
R- Merci de me poser la question. Parce que vous avez globalement raison et permettez-moi,
alors non pas un tunnel, mais quelques secondes d'explications assez rapides. Depuis 1900 -
cela fait donc maintenant 104 ans, 105 ans, 106 ans - il y a eu très peu de périodes de
construction de prisons. Nous sommes des héritiers, nous n'avons rien fait. On a créé une
quinzaine de milliers de prisons entre 1900 et 1986...
Q- De places !
R- Des places de prison, pardon. Et en particulier dans une prison célèbre qui s'appelle
Fleury Mérogis, où il y a près de 4.000 personnes. C'était les idées 60 où on faisait des
barres, on faisait des tours, on a fait la plus
grande prison d'Europe, je ne suis pas sûr que ce soit une géniale idée, mais en tout cas
c'est le cas. Et puis, rien d'autre. Ensuite, il a fallu attendre le gouvernement Chirac,
86-88, ou le garde des Sceaux, Monsieur A. Chalandon a créé 13.500 prisons (sic)... Puis
ensuite, vous sautez au gouvernement Balladur. Monsieur Méhaignerie a eu un programme de
4.500 places de prison. Et enfin le gouvernement Raffarin et mon prédécesseur Monsieur
Perben qui a lancé un programme de 13.500 places. Et le reste ? Rien ! Cela veut dire que,
quand on est, je fais simple, de gauche, on est contre la prison, alors comme on est contre
la prison, on est toujours en train de dire, la prison est un pourrissoir, donc il ne faut
pas mettre les gens en prison, il ne faut pas mettre les jeunes en prison - du coup, on ne
fait rien pour les prisons. On est arrivé à une situation où nous avions les prisons dans
une situation telle que le Commissaire aux droits de l'homme est venu critiquer la France,
il y a quelques mois à juste titre et qu'il faut attendre des gouvernements de droite pour
réhabiliter, humaniser et construire de nouvelles places. Alors c'est ce qui est fait. Nous
aurons, vers 2008- 2009-2010, où les dernières prisons seront inaugurées, à ce moment là une
situation digne de la France. Aujourd'hui, dans certains cas c'est indigne. Mais, petit
détail, s'agissant des centrales, c'est-à-dire des longues peines pour les gens condamnés,
c'est la partie qui précisément n'est pas surpeuplée. En revanche les maisons d'arrêt sont
tout à fait surpeuplées, on a des moyennes qui tournent autour de près 150 %. C'est
scandaleux.
Q- P. Clément, deux questions sur Outreau. La première, le juge Burgaud a refusé de
s'excuser. Est-ce que vous condamnez cette position ?
R- Non, écoutez, je ne veux pas me lancer dans la polémique...
Q- Non, pas de polémique, mais oui ou non, est-ce que vous avez compris cette déclaration là
?
R- Je vais vous le dire...
Q- Franchement, allez !
R- Franchement, il ne faut pas qu'un homme soit le bouc émissaire d'une affaire qui nous a
tous plongés dans un abîme de souffrance et de tristesse. Quand on voit encore le suicide de
Monsieur Marécaux, qui était huissier de justice...
Q- La tentative !
R- La tentative de suicide et qui, grâce au ciel, a échoué... Il a perdu son travail, son
honneur bien sûr au début, sa femme, avec des enfants, qui visiblement, si j'ai cru
comprendre lui posent aujourd'hui des problèmes bien. Cet homme, il ne voit pas de ciel
bleu. On ne va pas dire - je parle de Monsieur Marécaux, mais il y a les autres bien sûr,
les acquittés d'Outreau sont peu ou prou dans des situations équivalentes - que tout ça,
c'est la faute d'un seul homme, vous voyez bien, c'est honteux, c'est scandaleux. Donc,
arrêtons de parler d'un seul homme. Il
y a une chaîne...
Q- Il y a une présomption de culpabilité concernant le juge Burgaud ?
R- Ce serait heureux de faire plutôt l'inverse, une présomption d'innocence, ce serait
infiniment plus prudent et respectueux. Je rappelle qu'il y a une chaîne qui commence aux
familles d'accueil, aux travailleurs sociaux, au recueil par la police ou la gendarmerie de
la parole de l'enfant. Puis, effectivement au Parquet, puis au uged'instruction, puis à la
Chambre de l'instruction, puis aux magistrats de la Cour d'assise, puis aux jurés de la Cour
d'assise. Bref, c'est toute cette chaîne qu'il faut analyser et puis nous verrons tout à la
fin s'il y a des responsabilités qui doivent être effectivement revendiquées pour tel ou
tel. En attendant, moi, ce qui fera la lumière dans cette affaire, ce n'est pas la
Commission d'enquête qui est menée par l'Assemblée nationale, car ce n'est pas son rôle. La
Commission d'enquête, d'ailleurs son président l'a bien dit, c'est diagnostiquer le
problème, faire des propositions. En revanche, j'ai lancé une inspection des services
judiciaires, c'est-à-dire, ce sont des magistrats très pointus qui vont examiner les
procédures pour savoir comment cela se passe. Et
puis par ailleurs le Premier ministre a pris une autre décision, une triple inspection qui
est Affaires sociales, Intérieur, Justice qui elle-même, parallèlement conduit une autre
enquête. Ce sont ces enquêtes qui présenteront des conclusions. Imaginez que ces conclusions
présentent des responsabilités de la part de tel ou tel magistrat, alors, à ce moment là, je
suis en droit, moi garde des Sceaux de saisir le Conseil supérieur
de la magistrature et c'est le Conseil supérieur de la magistrature qui pourrait,
éventuellement sanctionner. Donc ce n'est pas à moi de dire, de lâcher ce matin : "oui, il
est responsable, non il n'est pas responsable".
Q- Vous allez être entendu par la Commission parlementaire, qu'avez-vous envie de dire ?
R- Je crois que je serai entendu, d'abord je l'ai appris hier par l'AFP, donc c'est un petit
peu récent, j'ai cru comprendre ...
Q- C'est curieux d'ailleurs non ?
R- Oh vous savez, tout le monde est sans doute très pressé. J'ai cru comprendre que moi je
serai, ce que je trouve est intéressant, repoussé à la fin des auditions, parce que comme
tout le monde sait que je n'étais
pas garde des Sceaux pendant le procès d'Outreau - j'ai été nommé en juin, c'est-à-dire
largement après la fin du premier verdict et juste avant l'appel. Vous savez que le jour de
l'arrêt de la Cour d'appel d'assises, j'ai ce jour-là effectivement présenté mes excuses aux
Français au nom de l'institution judiciaire et décidé une inspection des services
judiciaires pour comprendre ce qui s'est passé. Donc je n'ai pas attendu, il n'y a pas le
Parlement, cela s'est fait en amont, je le rappelle. Alors le Parlement souhaite m'entendre,
c'est tout à fait légitime, mais je crois qu'il voudra surtout commencer à discuter avec moi
des propositions.
Q- Donc vous ferez des propositions ?
R- Non, c'est eux qui en feront et qui verront comment je réagis à leurs propositions, c'est
un peu comme ça que je vois cette audition, mais il y aura sûrement d'autres questions et
vous savez dans ces cas là, tout homme est à la disposition de la commission d'enquête
parlementaire.
Q- Cela nous conduit à la question, que vous posiez. P. Dufreigne, la réponse des auditeurs
de RMC.
R- P. Dufreigne, de RMC : Pour quelle raison vous regardez cette retransmission télé de la
commission 'enquête d'Outreau ? Vincent des Hauts-de-Seine : "j'ai suivi avec beaucoup
d'intérêt et d'émotion ces auditions, ce qui m'a motivé, c'est que je suis intimement
persuadé que ce qui est arrivé à ces honnêtes gens peut m'arriver à moi-même aujourd'hui".
Michel du Rhône, très intéressé par le fonctionnement de notre justice, "quand on s'aperçoit
que les rouages fonctionnent mal, il est intéressant de comprendre d'où vient le problème ?
C'est pourquoi j'ai regardé ces émissions". Puis Sylvie de Seine-et-Marne : "je
m'intéressais pas trop à cette affaire de justice, mais quand on voit, depuis chez soi,
toute la détresse, tout le mal qu'a pu faire cette affaire à
des gens qui n'avaient rien demandé, quand on voit leur regard, on ne peut que rester
scotché au téléviseur et s'interroger sur notre justice française".
Q- Voilà, bonnes réactions ou pas ?
R- Bien sûr. On voit aussi que cette commission d'enquête, et le fait d'être beaucoup
regardée, est un test de purification, si vous voulez...
Q- Cela fait du bien c'est utile.
R- C'est utile !
Q- Un mot quand même, parce que vous avez mis en place un
parrainage des jeunes placés par la justice, parrainé par des chefs
d'entreprises et des cadres.
R- Oui, absolument !
Q- Cela marche bien ça ?
R- L'idée, c'est que je considère qu'il y a une frontière invisible entre la périphérie,
c'est-à-dire la
du centre ville, de la ville, de la société civile en un mot, si quelqu'un d'entre nous est
capable de passer 6 heures en 2006 à recevoir un de ces jeunes, à essayer de bâtir avec lui
un projet et puis à l'aider, en ouvrant
son carnet d'adresses, à lui trouver un stage, ici ou là, eh bien je peux vous dire que le
climat va changer. Actuellement il y a un refus de l'autre, évident. On vous dit "les gars
des banlieues, laissez-les de l'autre côté du périphérique", comme on dit à Paris. Il est
clair que ce n'est pas la solution, parce que si c'est ça, cela répétera et la société
française sera de plus en plus morcelée. Donc je pense qu'il faut, au delà du service rendu
à ces jeunes, il y a une cohésion de la société française qu'il faut rechercher.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 janvier 2006