Conférence de presse de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, sur les chantiers de son programme sur la politique de la famille, notamment la parité parentale, la vie familiale et professionnelle, l'école, la pauvreté, la bientraitance et les prestations familiales, Paris le 11 mai 2000.

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Circonstance : Conférence de presse "Famille Enfance" 6 chantiers prioritaires à Paris le 11 mai 2000

Texte intégral

Je suis heureuse de vous recevoir pour cette première conférence de presse, afin de vous parler de mon programme de travail et, si vous le souhaitez, de répondre à vos questions. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je voudrais vous dire quelques mots de ma vision de la famille et de l'enfance, telle qu'elle se précise à la lumière de mon premier mois de travail et des contacts que j'ai immédiatement pris. C'est en effet à partir de cette vision de la famille et de l'enfance, de ce qui a changé et de ce qui perdure, que j'entends, dans les mois qui viennent, ordonner mon action autour de 6 chantiers.
Mon Ministère est de celui de la Famille et de l'Enfance, ce n'est pas un hasard : l'une et l'autre sont à lier étroitement, leurs droits ne sauraient être dissociés. Il n'est, pour moi, pas question de jouer les droits de l'enfant contre ceux des familles mais, au contraire, de renforcer leur garantie conjointe et de mettre l'accent sur ce qui permet d'améliorer la relation parents/enfants. Mon action tiendra compte de la variété des situations vécues, des situations choisies comme des situations subies, des libertés qui ont été conquises mais aussi des risques encourus. Je partage le point de vue d'Irène Théry quand elle évoque la possibilité d'une " mutation heureuse " de la famille. Je crois le moment venu d'une vision réaliste et apaisée des évolutions profondes qu'a connues la famille au cours de ces 30 dernières années mais sans minimiser les problèmes, parfois inédits, qu'affrontent les familles.
Les adultes bénéficient de libertés nouvelles mais les enfants ont toujours autant besoin d'être élevés par leurs deux parents, besoin de cette sécurité. Les échanges affectifs et les solidarités entre les générations ne sont pas moins forts que par le passé mais les risques de solitude et d'abandon n'ont pas disparu. Un adolescent sur 4 est élevé avec un seul de ses parents ; dans 80% des cas, il s'agit de la mère et, parmi eux, un enfant sur 3 ne voit jamais son père. Toujours dans le même ordre d'idées - une mutation qui, pour être heureuse, doit être équilibrée - le progrès que représente, dans les relations familiales, la substitution de la négociation à l'autoritarisme d'antan ne doit pas faire oublier que les modèles et les repères transmis par les parents sont fortement concurrencés par d'autres : la télévision, le quartier, la culture adolescente, les médias et les pairs. Il en résulte un certain désarroi face à la difficulté du métier de parent et, en même temps, une soif de conseils et de soutien, un potentiel d'écoute extrêmement fort et, à mon sens, très positif. Le respect de l'intimité familiale ne signifie donc pas que le champ de l'éducation dans la famille se réduise à une affaire strictement privée, au mépris de l'attente des parents.
François de Singly souligne à juste titre le rôle de la famille dans l'acquisition de ce patrimoine désormais déterminant : le patrimoine scolaire. La famille ne peut se penser sans l'école et l'école pas davantage sans la famille : le plein exercice de leur commune responsabilité éducative est - aujourd'hui comme hier - une de mes préoccupations. Toutes les familles ont conscience de l'importance de la question scolaire et de l'enjeu égalitaire qui en est indissociable ; elles y mettent, pour leurs enfants, beaucoup d'espoir et je crois que leur demande ira s'accentuant. Familles et école doivent s'épauler, chacune dans son rôle, et la politique parentale peut y aider.
Les familles, chacun le constate autour de soi, sont entrées dans des histoires à bien des égards imprévisibles. Capacité de négocier harmonieusement les évolutions pour les uns, insécurité accrue pour les autres : le risque existe que les fragilités familiales et les inégalités sociales se renforcent mutuellement. La séparation, deux logements suffisants pour accueillir alternativement les enfants, c'est forcément plus difficile quand on n'est pas dans l'aisance économique. La politique familiale doit veiller à ce que les aléas de la vie de couple ne creusent pas davantage les inégalités.
Ces quelques observations liminaires n'ont pas la prétention d'être exhaustives. Elles prennent acte d'un certain nombre de réflexions que j'ai eu l'occasion de conduire avec les uns et avec les autres au cours de ce mois.
4 objectifs résument à mes yeux le sens de la politique de la famille et de l'enfance que j'entends conduire avec tous les partenaires du secteur :
1er objectif : aider les familles, quelle que soit leur forme, à être bonnes à vivre pour tous et pour chacun, avec le souci de donner plus aux familles qui ont le moins, d'épauler plus fortement celles qui sont en situation de précarité et celles, présentes dans toutes les catégories de la population, qui sont en souffrance relationnelle.
2ème objectif : sécuriser davantage la place de chacun dans le système de parenté et la succession des générations. En effet, si la famille fondée sur l'alliance est désormais incertaine, la filiation et la responsabilité des deux parents en constituent plus que jamais l'axe à consolider.
3ème objectif : soutenir la triple mission de la famille comme lieu d'affection, lieu de solidarité et lieu d'éducation. Cela signifie notamment que les droits de l'enfant - dont le premier est celui d'être protégé - n'équivalent pas à ceux des parents car la relation à l'adulte est forcément asymétrique. Cela mérite d'être réaffirmé car c'est ce qui fonde la nécessité, pour les parents, d'assumer pleinement leur responsabilité et leur autorité parentales.
4ème objectif : faciliter la naissance de tous les enfants désirés afin de permettre le rapprochement de l'âge réel de mise au monde du premier enfant de l'âge " idéal ", c'est à dire celui, quel qu'il soit, souhaité par les parents. On sait en effet qu'il existe sur ce plan un décalage et que cette décision différée influe sur la taille finale des familles, comme nous l'expliquent les démographes qui ont mis en évidence le lien direct entre l'âge de la première maternité et le nombre total d'enfants par famille.
Tels sont, brièvement évoqués ici, ma vision des familles et de l'enfance ainsi que le sens que j'entends donner à la politique familiale. Ces priorités me conduisent à ouvrir 6 chantiers.
I.- PARITE PARENTALE ET RESPONSABILITE PARTAGEE
Le premier chantier est celui de la responsabilité parentale partagée dont je dirais volontiers qu'elle signifie la mise en place d'une véritable parité parentale.
Le droit d'être élevé par ses deux parents figure dans la Convention internationale des droits de l'enfant ratifiée par la France en septembre 1990. C'est une conviction profonde que je porte depuis plusieurs années car, dans le système scolaire, j'ai déjà veillé à ce que les droits des deux parents soient également reconnus : en demandant, par exemple, aux établissements scolaires que le père et la mère, lorsqu'ils sont séparés, reçoivent chacun le bulletin de notes de leur enfant, ce qui implique de connaître leurs deux adresses ; en demandant aux chefs d'établissement et aux enseignants de bien les convoquer tous deux aux réunions de parents d'élèves et de les associer l'un et l'autre aux choix d'orientation. Il reste cependant beaucoup à faire pour que la parité parentale soit effective.
Cela implique des moyens juridiques, des moyens sociaux, des moyens financiers et des moyens administratifs. Sur le plan juridique, la réforme du droit de la famille doit faciliter l'exercice conjoint de l'autorité parentale : toutes les mesures qui garantissent et valorisent l'exercice en commun de la parentalité méritent d'être soutenues. Dans le domaine de la médiation, judiciaire et extra-judiciaire, et des réseaux d'appui à la parentalité dont les actions diversifiées méritent, elles aussi, d'être encouragées, je crois à la nécessité d'un bilan et d'une nouvelle impulsion. La remise à plat de l'ensemble des prestations devra également tenir compte de cet objectif de parentalité partagée et ne pas en ignorer les conditions comme les conséquences économiques. Je me suis récemment exprimée sur ce sujet, lors du colloque du 4 mai sur le droit de la famille : je souhaite en effet qu'un groupe de travail composé de juristes, d'économistes, de représentants de la CNAF et de l'UNAF travaille sur cette idée d'un barême indicatif du " coût de l'enfant " en cas de séparation des parents, sans que cette notion de " coût " soit source de malentendu : l'enfant n'est pas une charge, il est d'abord une joie ! Il s'agit ici de faciliter, en tenant compte des revenus des parents qui se séparent, une contribution équitable de chacun à l'entretien de l'enfant, si possible déterminée à l'amiable, en évitant le recours systématique au juge.
Sans entrer ici dans tous les détails, je souligne simplement qu'en matière de parité parentale, d'évolution du droit de la famille, de sécurisation de la filiation et de droit à connaître ses origines (dans le sens en particulier des recommandations des rapports remis par Irène Théry et par Françoise Dekeuwer-Défossez), l'éthique de la responsabilité doit prévaloir.
II.- CONCILIER VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE
Le second chantier est celui de la conciliation, parfois difficile, entre vie familiale et vie professionnelle. Comment travailler tout en élevant ses enfants ? C'est une question cruciale. La politique familiale doit répondre aux difficultés que rencontrent à ce propos les parents et qui pèsent particulièrement sur les femmes (mais la question ne concerne pas que les femmes !).
Les inégalités entre hommes et femmes dans le monde du travail ne reculent que très faiblement. Or, il y a un lien étroit entre la nécessité de faire régresser ces inégalités persistantes et la possibilité pour les mères mais aussi pour les pères d'assumer la naissance d'un enfant. Toutes les études le montrent : les femmes ont leur premier enfant de plus en plus tard et ce choix traduit aussi les obstacles que rencontre le désir d'enfant dès lors qu'elles ne veulent pas, à juste titre, sacrifier leur engagement professionnel. Cela pose, bien sûr, la question des modes d'accueil des enfants de moins de 3 ans et même de moins de 6 ans mais ce qui est également en jeu, c'est une conception globale de la société, qui engage les entreprises et, plus largement, l'ensemble des décideurs de ce pays : quelle place, dans notre monde, pour l'enfant et pour l'adolescent ? Quelle reconnaissance alors que les jeunes considèrent, toutes les enquêtes nous le disent, qu'ils n'ont pas leur juste place dans notre société ? Je crois qu'il faut déclencher une nouvelle prise de conscience parmi tous ceux qui exercent un pouvoir de décision. Je vais donc veiller aussi à ce que la politique interministérielle contribue à changer le regard porté sur l'enfant, à ce que les entreprises cessent de considérer les naissances comme une gêne et à ce que la charge qui en résulte soit équitablement partagée entre les différents acteurs économiques. Il s'agit donc de conjuguer une nouvelle approche globale et des réponses très concrètes en matière de modes de garde des jeunes enfants.
En ce qui concerne l'amélioration de l'accueil de la petite enfance, le décret relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de 6 ans, mis au point en liaison avec le Ministère de l'Intérieur, va être soumis à la concertation et j'espère qu'il sera très prochainement signé. Il a pour objectif de reconnaître les systèmes multi-accueil et de faciliter le décloisonnement des différents types de structures, de créer une instance partenariale largement ouverte pour une meilleure coordination de toutes les politiques d'accueil des jeunes enfants et de donner aux parents la place qui leur revient dans la vie des lieux d'accueil de la petite enfance. L'objectif est également d'augmenter et de diversifier l'offre de services. Je ne m'apesantirai pas sur cette question qui fera l'objet de décisions lors de la prochaine Conférence de la Famille mais je tiens à indiquer le sens dans lequel nous y travaillons.
Dans les quartiers, l'intervention des adultes-relais et des groupes de femmes doit aussi favoriser la mise en place de modes de garde innovants, proches et accessibles, en liaison avec les services des droits des femmes et la politique de la ville. Il s'agit là d'un chantier majeur pour favoriser l'insertion professionnelle des femmes qui y habitent, rapprocher l'offre et la demande de modes de garde, mieux répartir sur tout le territoire les services accueillant les jeunes enfants.
Je souhaite aussi apporter une réponse concrète à la question du passage des modes de garde de la petite enfance à l'école maternelle, de sorte que la transition harmonieuse l'emporte sur les ruptures parfois brutales et que l'égalité d'accueil des enfants de moins de 3 ans soit mieux garantie sur l'ensemble du territoire. Cela passe par une évaluation des structures " passerelles " actuellement existantes. Je vais donc demander un rapport conjoint à l'Inspection générale des affaires sociales et à l'Inspection générale de l'éducation nationale afin de voir ce qui, de l'expérience actuelle et souvent très localisée des classes-passerelles, pourrait être généralisé dans le pays et permettrait de renforcer la coopération entre les structures d'accueil de la petite enfance et l'école. On pourrait imaginer des sortes de jardins d'enfants même si l'appellation fait référence à des structures qui n'ont plus cours de nos jours. J'ai visité par le passé un certain nombre de classes-passerelles et je suis convaincue de la nécessité d'apporter des réponses adaptées à l'accueil des enfants de 2 ans qui sont déjà socialisables mais pas directement scolarisables en maternelle. Harmoniser, coordonner, innover, cela me paraît aujourd'hui possible.
Enfin - je le dis ici pour mémoire - il y a un vrai travail à mettre en place et un nouveau souffle à donner aux contrats enfance et à la coopération de tous les partenaires locaux.
III.- LES FAMILLES ET L'ECOLE
Le troisième chantier touche aux relations des familles avec l'école. Les fédérations de parents d'élèves, que j'ai rencontrées, sont membres de la Conférence de la Famille et en attendent, elles aussi, beaucoup. Ayant agi, au sein du système scolaire, dans le sens d'une reconnaissance du rôle des familles et d'une coopération renforcée avec l'école pour la réussite des élèves, j'entends poursuivre dans cette voie et donner au partenariat avec l'Education nationale une impulsion nouvelle. L'élève est aussi un enfant dont la dimension familiale doit être prise en compte et les familles ont, par rapport à l'école, un rôle fondamental à jouer. J'ai déjà évoqué la question des parents séparés qui doivent être tous deux associés à la scolarité de leur enfant. Il y a également tout le champ de l'accompagnement scolaire qui concerne directement la politique familiale et que j'entends prendre à bras le corps. Le lancement de l'appel à projets est imminent et l'effort de coordination au plan local doit être accentué, peut-être sous la forme d'un contrat local d'accompagnement scolaire comme la proposition m'en est actuellement faite ; c'est une idée intéressante que je vais discuter avec l'ensemble des partenaires. Je souhaite également accélérer l'actualisation nécessaire de la Charte de l'accompagnement scolaire : j'aurai prochainement l'occasion de rassembler l'ensemble des parties prenantes de cette démarche avec le souci que les moyens financiers mobilisés par l'Etat, par les collectivités locales, par les caisses d'allocations familles et par le Fonds d'action sociale soient mieux coordonnés et leur efficacité démultipliée.
Le dialogue école-familles, c'est d'abord le respect scrupuleux des décisions déjà prises en la matière, comme la réunion trimestrielle avec les parents d'élèves. Pour que les parents aient leur place à l'école, les expériences ne manquent pas dont on peut utilement s'inspirer, comme celles consistant à mettre une salle à leur disposition au sein de l'établissement scolaire. Le regard porté par l'institution scolaire sur les parents en difficulté ne doit ni disqualifier ni condamner car il s'agit de mieux comprendre et d'aider ceux qui en ont besoin à faire face et à sortir de l'isolement, en prenant appui notamment sur les réseaux de parentalité. Il s'agit aussi de rendre compréhensibles par tous les règles et les attentes d'une école qui doit être attentive à chacun.
Dans les rencontres que j'ai eues avec les fédérations de parents d'élèves pour la préparation de la Conférence de la Famille, j'ai été frappée de constater leurs attentes en ce qui concerne l'éducation à la sexualité et à la vie ainsi d'ailleurs qu'en ce qui concerne l'éducation des jeunes à leur futur rôle de parent. Les familles, en cette matière, souhaitent assumer leurs responsabilités mais elles souhaitent également que l'école prenne sa part de cet effort éducatif et que l'on agisse aussi en ce sens hors du système scolaire. J'aurai l'occasion de m'exprimer sur cette question le 31 mai, devant le Conseil supérieur de l'éducation sexuelle dont j'assure la vice-présidence ; j'y présenterai en particulier une mallette éducative qui sera mise à la disposition des établissements scolaires, des réseaux de parents et des structures en contact avec les familles.
Enfin, la question des jeunes adultes préoccupe légitimement les associations familiales et me semble devoir faire l'objet d'une réflexion et d'une action renforcées. Le débat, à ce propos, est connu : pour les jeunes adultes encore en formation et habitant toujours dans leur famille, vaut-il mieux aider directement les parents à en supporter la charge financière au risque d'ancrer ces jeunes dans un statut d'enfants dépendants ou au contraire privilégier des dispositifs qui aillent dans le sens de leur autonomie ?
IV.- FAMILLES ET PAUVRETE
Le 4ème chantier concerne les familles les plus touchées par la pauvreté, nées ici ou ailleurs ; ce sujet me tient à cur et j'entends y travailler activement. Les familles pauvres, de toutes origines, ne sont pas de pauvres familles Je serai prochainement destinataire d'un rapport que j'ai confié à Nacira Guénif sur ces sujets et je compte en tirer des conclusions opérationnelles.
Au-delà des contacts déjà pris, je vais réunir régulièrement l'ensemble des associations qui oeuvrent auprès des familles en situation de grande pauvreté et que je connais bien ainsi que l'ensemble des structures publiques et parapubliques concernées. Je voudrais simplement à ce stade évoquer le problème du surendettement des familles, sur lequel je compte travailler avec Marylise Lebranchu car les familles endettées sont en grande difficulté pour faire face à l'éducation de leurs enfants. Non qu'elles soient, par nature, " démissionnaires " (comme on le dit trop souvent) mais parce qu'elles sont démunies et assaillies de toutes parts. C'est une dimension essentielle de la politique de la famille et de l'égalité des droits, à commencer par celui d'élever ses propres enfants, de vivre dignement avec ceux qu'on aime et qui vous aiment. De même, l'illettrisme constitue de fait, pour certains parents, une inégalité éducative supplémentaire.
Pour résumer la démarche que j'entends mettre en uvre, je citerai le père Wrezinski qui invitait à " travailler à partir des compétences et non des défaillances des familles ". Il disait que, si la pauvreté renforce parfois la solidarité, la misère détruit la famille, l'isole et ébranle la dernière protection de la dignité de la personne. Il disait aussi que la manière dont sont traitées la maternité et la paternité pour les pauvres est révélatrice de la façon dont notre civilisation fait cas de la maternité et de la paternité pour tous. J'ai l'habitude de travailler avec l'ensemble des associations caritatives comme le Secours Populaire ou ATD Quart Monde qui est membre de la Conférence de la Famille ; d'autres font partie de l'UNAF ; avec toutes, je souhaite agir afin de mieux garantir la possibilité effective pour toutes les familles d'élever leurs enfants.
V.- LA BIENTRAITANCE
Le 5ème chantier est celui de la bientraitance, qui implique de lutter non seulement contre les maltraitances et les violences familiales mais aussi contre ces maltraitances dont on parle moins parce qu'elles apparaissent plus ténues, moins visibles, moins spectaculaires : les carences affectives.
Le renforcement des réseaux d'écoute et d'appui me paraît à cet égard nécessaire non pour condamner a priori les parents défaillants mais pour les aider. Il y a des parents maltraitants mais il y a aussi des parents maltraités. Il y a des enfants victimes de violences mais il y a aussi des violences entre enfants et d'enfants contre leurs parents, en particulier des mères seules. Et il y a les effets sur les enfants des violences conjugales. Toutes ces situations de dysfonctionnement affectif grave doivent être abordées dans leur globalité. Avec une attention particulière à la question des enfants déprimés et des suicides d'adolescents.
Il faut faire le bilan de toutes les actions existantes en matière de conseil conjugal et familial. Il existe aujourd'hui 200 centres d'information, de consultation, de conseil subventionnés par l'Etat : quelles leçons tirer de cette expérience ? Comment mieux valoriser leur travail ? Comment l'articuler plus efficacement à celui d'autres structures poursuivant des objectifs voisins ? Comment rendre ces actions et celles des réseaux de soutien aux parents plus lisibles et plus accessibles ?
Je compte réunir régulièrement, comme je l'ai fait une première fois le 5 mai et comme je m'y suis engagée auprès d'elles, les associations de lutte contre la maltraitance. Sur des sujets opérationnels et pour des actions concrètes.
Je compte également m'intéresser de très près aux relations enfants/medias, qu'il s'agisse de la violence à la télévision ou de la diffusion croissante, pour le meilleur mais parfois aussi le pire, d'Internet dans les foyers. Je vais prochainement rencontrer les responsables des chaînes de télévision ainsi que les milieux et les spécialistes qui s'occupent d'Internet afin d'examiner avec eux les problèmes posés et les actions à mener dans l'intérêt prioritaire des enfants et des familles.
En matière d'aide sociale à l'enfance, je vais très prochainement recevoir un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales consacré à l'évaluation des procédures et des pratiques actuellement mises en uvre. Je ne peux évidemment anticiper ici sur ses conclusions finales mais je peux vous dire que je suis frappée par l'hétérogénéité des façons de faire d'un département à l'autre. Ce sujet mérite à mes yeux, sans naturellement porter atteinte à la décentralisation et aux responsabilités des collectivités territoriales, une forte impulsion politique et un cadrage national qui favorisent la transparence des objectifs et des bilans, l'efficacité des actions et des méthodes. J'entends donc m'y intéresser de très près.
Comme cela a été évoqué lorsque j'ai rencontré les associations de lutte contre la maltraitance, je crois qu'il faut également mettre en place des actions de prévention plus résolues, avant la naissance et dès la naissance. Certaines maternités font un travail remarquable à l'occasion de ce moment crucial - la venue d'un enfant au monde - pour sensibiliser et informer les parents sur la façon d'en prendre soin. Là aussi, les disparités d'un département ou d'un service hospitalier à l'autre sont très nettes. Mutualiser les expériences, tirer les pratiques vers le haut, c'est le but.
VI.- LES PRESTATIONS
Le 6ème et dernier chantier que je voudrais aborder ici est celui des prestations, sujet horizontal (tous les chantiers que je viens d'évoquer - la parité parentale, la compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle, etc. - ont une dimension " prestations ") mais sujet à part entière.
Lors de la précédente Conférence de la Famille, le Premier Ministre a pris des engagements sur deux sujets importants : la mise à plat des prestations relatives à la garde et à l'accueil de la petite enfance et les prestations logement. Je n'irai pas plus loin aujourd'hui car c'est à lui qu'il revient d'annoncer, lors de la prochaine Conférence de la Famille, ce qui va être fait. Nous y travaillons et des mesures sont en préparation, qui font actuellement l'objet d'ultimes examens et d'un chiffrage précis. Dans l'un et l'autre domaines, je peux toutefois vous dire qu'il s'agit de faire prévaloir un souci de simplification, de lisibilité accrue, de libre choix et de justice sociale, en tenant compte des mutations intervenues dans et hors la famille ainsi que des besoins qui en résultent.
Tout se tient à mes yeux : les raisons et les façons, une certaine vision des familles contemporaines et de l'enfance, le sens d'une politique familiale moderne et solidaire, la cohérence entre les quatre grands objectifs et les six chantiers autour desquels je compte ordonner mon action.
Quelques mots, pour finir, sur ma méthode de travail.
Ma priorité, dans l'immédiat, est la préparation de la Conférence de la famille pour laquelle j'ai, depuis un mois, procédé à l'audition et à la consultation de l'ensemble des partenaires, au premier rang desquels l'UNAF et les associations qui la composent ainsi que les différents interlocuteurs qui siègent autour de la table et dont vous savez la variété. J'ai récemment reçu les représentants des familles rurales et ceux des familles d'enfants handicapés. Tous ces contacts me sont précieux et je les aborde en veillant à respecter la diversité des points de vue et la variété des situations vécues. Car il n'y a pas, de nos jours, un seul type de famille mais, entre toutes les familles, bien des différences relatives au statut juridique, au territoire, aux modes de vies, aux cultures et aussi bien des aspirations communes. Cette diversité peut être une richesse et je crois qu'il convient d'être à l'écoute de problèmes qui, sans occuper forcément le devant de la scène, méritent d'être correctement traités.
La mise au point de la Convention d'objectifs et de gestion de la CNAF, avec la circulaire d'action sociale, constitue une échéance importante et je me réjouis que le conseil d'administration de la CNAF ait décidé de la respecter. Cela va nous permettre d'approfondir le bilan des actions conduites et de définir les grands axes autour desquels pourront se construire des partenariats solides. C'est aussi une occasion formidable pour donner davantage de lisibilité à tout ce qui est fait en matière de politique familiale et pour fixer ensemble des priorités nettes. C'est ainsi que je conçois mon rôle de Ministre de la Famille et de l'Enfance : dialoguer avec l'ensemble des partenaires, m'engager sur des priorités discutées avec eux, m'appuyer sur la riche expérience des CAF et de tous ceux qui interviennent au service des familles afin que leur travail soit non seulement reconnu mais optimisé.
J'ai d'ailleurs l'intention d'aller régulièrement sur le terrain rendre visite à ceux qui agissent quotidiennement, pour mieux comprendre et me rendre compte par moi-même, pour encourager et mettre en valeur les actions de qualité. Pour mon premier déplacement, j'irai très bientôt dans l'agglomération lyonnaise, à l'invitation de la CAF, rencontrer les équipes qui animent une structure multi-accueil pour la petite enfance et celles qui font vivre un lieu dans lequel, malgré des conditions de séparation difficiles, parents et enfants peuvent maintenir ou rétablir le contact.
La famille et l'enfance font l'objet de passionnants travaux de recherche qui mobilisent toutes les disciplines et peuvent utilement éclairer l'action, celle que je conduis comme celle de tous les intervenants de ces secteurs. C'est pourquoi j'ai mis en place les Entretiens de Brancion au cours desquels je m'impose, avec grand plaisir, la discipline de rencontrer, tous les jeudi après-midi et sur un thème précis ayant à voir avec les chantiers que j'ai évoqués, des chercheurs qui me font part de leurs analyses. La première séance, le 20 avril, était consacrée, avec Irène Théry et François de Singly, aux mutations de la famille contemporaine. La seconde, le 27 avril, a abordé, avec des chercheurs de l'INED et de l'INSEE, les évolutions démographiques. La troisième, avec notamment Jeanne Fagnani et Margaret Maruani, a fait le point sur les obstacles et les pistes relatives à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (de l'inégalité des femmes dans le travail à la question des modes de garde). La quatrième a lieu cet après-midi, autour de la question de la filiation et du droit de connaître ses origines, que nous évoquerons avec des sociologues, des anthropologues et des juristes. Je vous signale, si certains d'entre vous souhaitent y participer, que j'ai retenu, pour ces rencontres hebdomadaires, plus d'une vingtaine de thèmes dont la liste est disponible ici. Décideurs, acteurs de terrain, chercheurs, je crois que nous avons, sans confusion des rôles, beaucoup à apprendre et à comprendre de la confrontation des expériences et des réflexions. C'est le but de ces Entretiens de Brancion.
Deux colloques ponctueront cette démarche en l'élargissant, à l'automne, à un plus grand nombre de participants et d'intervenants : le premier sur la parité parentale (comment favoriser concrètement l'exercice d'une responsabilité partagée ?) et le second sur la bientraitance (de l'enfance et de l'adolescence). Ces thèmes sont, comme vous le voyez, en relation étroite avec les priorités que j'ai tracées ; ils concernent des dimensions à mes yeux structurantes de la politique de la famille et de l'enfance. Je n'attendrai naturellement pas ces deux rendez-vous pour agir : des décisions seront prises rapidement, parce qu'elles ont été mûries avant mon arrivée ou parce que leur nécessité s'impose. Mais il faut aller au-delà et labourer davantage, en se donnant les moyens d'inscrire dans la durée une action solidement réfléchie avec tous.
Je voudrais, pour finir, observer que la politique de la famille et de l'enfance me semble bénéficier, dans la période qui s'ouvre, d'une sorte de coïncidence heureuse. Derrière la variété des formes familiales, les moeurs convergent autour de quelques valeurs communes, largement partagées quelles que soient les sensibilités et les appartenances sociales, religieuses ou idéologiques. La croissance qui reprend et le chômage qui recule ne sont pas sans impact sur la vie quotidienne des familles et sur leur façon d'envisager l'avenir, pour elles et pour leurs enfants. Cela autorise aussi une volonté politique forte et une véritable ambition. Je suis, si j'ose dire, là pour çà : pour garantir plus efficacement le droit de chacun à mieux vivre en famille et le droit de tous les parents à réussir l'éducation de leurs enfants. Ces droits comportent des devoirs car il n'est pas de solidarité sans responsabilité mais pas non plus de responsabilité sans moyens de l'exercer et sans dignité reconnue.
Lamartine, qui avait l'optimisme lyrique, ne craignait pas d'écrire que " la famille enracinée refleurit chaque année, collective immortalité ". Je crois, pour ma part, que les familles contemporaines ont besoin, pour rester libres de leurs choix et guider leurs enfants vers l'âge adulte, de politiques publiques volontaires et soucieuses d'équité, solidaires et respectueuses de leur intimité. C'est pourquoi je vous livre, en guise de conclusion, cette subtile remarque de Lévi-Strauss, qui me paraît davantage convenir à la complexité des choses et à l'art nécessaire de la bonne distance : " de la famille dans la société, on peut dire, comme des pauses dans les voyages, qu'elles sont à la fois sa condition et sa négation ".
(Source http://www.social.gouv.fr, le 8 juin 2000)