Texte intégral
Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Ce projet de loi prétend mettre un terme à une bataille de trois ans entre les acteurs de la recherche et votre gouvernement. En 2003, vos prédécesseurs soutenaient trois objectifs : placer la recherche sous un pilotage gouvernemental plus étroit ; donner priorité absolue à des recherches de court terme et faire réaliser une grande part de la recherche par des emplois précaires. Depuis lors, les personnels se sont mobilisés. Cette mobilisation a permis de stopper ce processus de destruction. En avril 2004, le gouvernement a dû renoncer à la transformation de 550 postes statutaires en CDD, annoncer la création de 3.000 postes et un effort d'un milliard d'euros. Cette victoire obtenue, il fallait passer de la contestation à la construction. Dans ce but, les Etats Généraux de la Recherche tenus à Grenoble en octobre 2004, ont réussi à dégager des propositions. Et on pouvait espérer que votre projet de loi en soit la traduction et relance un secteur essentiel à la richesse et au progrès de la France.
A vous écouter, Monsieur le ministre, vous partez du principe que la Recherche est battue. Comment nous comparer avec la Californie ? Que faites-vous pour empêcher l'évasion des cerveaux, des chercheurs que forment notre service public d'enseignement et nos grandes écoles ? Votre texte ne présente aucune avancée sur 2003. Détournant les propositions des Etats Généraux, il est rejeté par la communauté scientifique. Vous prétendez respecter le dialogue mais vous poursuivez votre dessein sans égard pour les élans citoyens, ni pour les instances consultatives. La création de l'Agence nationale de la recherche en février 2005, huit mois avant ce projet de loi, est un signe de cet état d'esprit. Autre exemple, votre manque d'égard pour les avis souvent convergents du Conseil économique et social et des plus hautes instances de la Recherche.
Pas de programmation pluriannuelle
L'absence de plan pluriannuel fait de ce texte plus une loi d'orientation qu'une loi de programmation. 3 % du PIB selon les décisions du sommet de Lisbonne. Pour tenir ses engagements communautaires, la France devrait dépenser pour la science et la technologie 57 milliards d'euros d'ici la fin de la décennie. On en est bien loin ! Le "pacte" que vous proposez laisse peu de chances d'atteindre ce résultat. Il prévoit que ces 57 milliards sortent pour un tiers des caisses de l'Etat et, pour deux tiers, de celles des entreprises. Ceci revient à dire que les entreprises augmentent leur effort de 70 %, ce qui, en dépit des incitations fiscales prévues, relève d'un pari hasardeux ! Ce projet ne comprend pas non plus de véritable programmation pluriannuelle de création d'emplois statutaires.
S'il confirme la création de 3.000 postes en 2006 "dans les secteurs prioritaires de la politique scientifique" (postes supprimés d'un côté, " recréés " de l'autre), et s'il indique que "l'effort sera poursuivi en 2007", il y a clairement un refus de s'engager sur un plan pluriannuel de l'emploi statutaire.
Par contre, le choix d'augmenter l'emploi précaire en constitue un élément central. Cette précarisation gangrène la Recherche publique. Cette situation est très préoccupante en ce qui concerne les problèmes liés à la précarité du statut des personnels CDD, et à la qualité du travail scientifique reposant sur une capitalisation du savoir qui nécessite la stabilité de la ressource humaine. L'Agence nationale de la recherche et l'Agence de l'innovation industrielle, misent sur l'élitisme, l'excellence, le rang mondial pour financer, en fait, des équipes axées sur des projets à exigence de rentabilité immédiate. Cela participe de la mise en concurrence des laboratoires de recherche et des personnels. Il est à craindre que des pans entiers de la Recherche jugés non rentables, disparaissent progressivement du paysage scientifique français. C'est l'Agence nationale pour la recherche qui fera la politique scientifique nationale, alors qu'elle est sous contrôle d'un conseil d'administration dont plus de la moitié des membres vient de différents ministères, et non de la communauté scientifique, illustration du pilotage de la Recherche par le gouvernement.
Que deviennent, dès lors, les grands organismes de recherche, en particulier le CNRS ?
Le projet de loi crée l'Agence d'évaluation de la recherche, qui aurait pour mission de rendre l'évaluation des activités de recherche publique systématique, transparente et homogène. Il n'en sera rien car, aux yeux de la communauté scientifique, la légitimité des évaluations tient au fait qu'elles portent régulièrement sur les unités et les personnes, et dépendent d'instances nationales, seules à même de s'affranchir des intérêts de chapelle. Ces évaluations n'ont de sens que si elles émanent de chercheurs reconnus et élus par leurs pairs. Après le financement et l'évaluation, le laminage de notre système de recherche produira une organisation laissant une large part au privé. Les outils que vous mettez en place, pour soi-disant renforcer les coopérations et favoriser le développement de grands campus de recherche, de visibilité internationale, vont en fait engendrer une concurrence effrénée entre établissements. Ainsi, les Pôles de Recherche et d'Enseignement Supérieur tels qu'ils sont décrits, font redouter une explosion des universités entre collèges universitaires, consacrés aux Licences, et Pôle de recherche et d'enseignement supérieur pour les meilleures, avec dans ce cas des personnels aux statuts et avantages très différents. Et les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur, articulés aux pôles de compétitivité, conçus sur ce modèle concurrentiel, feront le tri au nom des priorités, entre les personnels et les projets.
Finalement, ce projet sans ambition de moyens, ne respecte aucun des principes énoncés par les Etats Généraux et les syndicats. L'empilement de structures créées ne résoudra pas les difficultés de concertation horizontale intra-publique, ou publique- privée ; concertation qu'il fallait encourager à travers les organismes existants plutôt que de créer la concurrence. Notre groupe a évidemment déposé des amendements. Nous exigeons des moyens financiers et humains à hauteur des enjeux pour notre pays, dans nos régions, y compris pour compenser des déséquilibres flagrants si j'en juge par le déficit dont souffre le Nord-Pas-de-Calais qui ne recensait par exemple, fin 2004, que 1,7 % des effectifs globaux du CNRS ! Il faut que les moyens de la recherche passent, non par une Agence nationale de la recherche surdimensionnée, mais par l'augmentation des crédits de base des laboratoires, articulée à l'investissement des entreprises dans la recherche.
Les établissements publics doivent conserver les moyens de leur autonomie, les missions de l'ANR devant être limitées par la loi. Nous voulons la programmation d'emplois de titulaires pour offrir aux personnels de l'emploi scientifique, technique et administratif, des carrières gratifiantes. Les doctorants doivent bénéficier d'un véritable statut de salariés. Nous voulons aussi promouvoir la coopération. Les PRES devraient la permettre entre universités et organismes de recherche, entre laboratoires et équipes grâce à des structures favorisant l'interdisciplinarité et le lien recherche-enseignement dans tous les cycles.
Libérer les capacités d'initiative
Il faut aussi libérer les capacités d'initiative. Et nous demandons que les évaluations des personnes et structures soient articulées, et relèvent des instances existantes, toutes restant composées majoritairement d'élus. Nous réaffirmons l'importance d'une Recherche publique. La Recherche fait progresser les connaissances au bénéfice de la collectivité et de son avenir. Le service public de recherche doit d'abord tenter de répondre aux demandes sociétales et ne doit pas avoir pour objectif le profit immédiat mais l'intérêt général à long terme. Comme le soulignait, récemment dans la presse, deux éminents directeurs de recherche du CNRS, Francis-André Wollman et Henri Audier : " ... nul ne conteste la nécessité de développer la recherche industrielle ou ses interactions avec le secteur public. Mais le vrai débat porte sur la nécessité, ou pas, d'un soutien renforcé aux recherches dont l'objectif principal est le développement des connaissances, sans, a priori, se soucier de leurs retombées. ... " Un exemple d'actualité : des chercheurs du secteur public belge sont en train de mettre au point un vaccin contre la grippe qui, contrairement au vaccin actuel valable un an, permettra d'être protégé pendant 10 ans. L'industrie pharmaceutique ne se bouscule pas pour le mettre sur le marché, animée qu'elle est par la recherche de rentabilité financière à court terme. C'est pourquoi il est important de défendre l'autonomie de la Recherche. Une des garanties de cette autonomie est le statut de service public et le recrutement de personnels permanents sur statut public. Votre projet de loi porte une conception en contradiction avec celle de la communauté scientifique. Il est à l'opposé de ce qu'attendent le monde de la recherche et ce dont la France a besoin. Il fait la part belle à la recherche privée ou partenariale, utilitariste et économiquement rentable, au détriment de la Recherche fondamentale et d'une recherche publique indépendante au service du bien commun. Il compromet l'avenir et menace un pays comme le nôtre qui est encore un des principaux acteurs de la Recherche en Europe et aussi dans le Monde, dans laquelle elle peut jouer un rôle moteur d'une vraie coopération. Notre combat sera donc à la hauteur de ces dangers et de ces enjeux.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2006
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Ce projet de loi prétend mettre un terme à une bataille de trois ans entre les acteurs de la recherche et votre gouvernement. En 2003, vos prédécesseurs soutenaient trois objectifs : placer la recherche sous un pilotage gouvernemental plus étroit ; donner priorité absolue à des recherches de court terme et faire réaliser une grande part de la recherche par des emplois précaires. Depuis lors, les personnels se sont mobilisés. Cette mobilisation a permis de stopper ce processus de destruction. En avril 2004, le gouvernement a dû renoncer à la transformation de 550 postes statutaires en CDD, annoncer la création de 3.000 postes et un effort d'un milliard d'euros. Cette victoire obtenue, il fallait passer de la contestation à la construction. Dans ce but, les Etats Généraux de la Recherche tenus à Grenoble en octobre 2004, ont réussi à dégager des propositions. Et on pouvait espérer que votre projet de loi en soit la traduction et relance un secteur essentiel à la richesse et au progrès de la France.
A vous écouter, Monsieur le ministre, vous partez du principe que la Recherche est battue. Comment nous comparer avec la Californie ? Que faites-vous pour empêcher l'évasion des cerveaux, des chercheurs que forment notre service public d'enseignement et nos grandes écoles ? Votre texte ne présente aucune avancée sur 2003. Détournant les propositions des Etats Généraux, il est rejeté par la communauté scientifique. Vous prétendez respecter le dialogue mais vous poursuivez votre dessein sans égard pour les élans citoyens, ni pour les instances consultatives. La création de l'Agence nationale de la recherche en février 2005, huit mois avant ce projet de loi, est un signe de cet état d'esprit. Autre exemple, votre manque d'égard pour les avis souvent convergents du Conseil économique et social et des plus hautes instances de la Recherche.
Pas de programmation pluriannuelle
L'absence de plan pluriannuel fait de ce texte plus une loi d'orientation qu'une loi de programmation. 3 % du PIB selon les décisions du sommet de Lisbonne. Pour tenir ses engagements communautaires, la France devrait dépenser pour la science et la technologie 57 milliards d'euros d'ici la fin de la décennie. On en est bien loin ! Le "pacte" que vous proposez laisse peu de chances d'atteindre ce résultat. Il prévoit que ces 57 milliards sortent pour un tiers des caisses de l'Etat et, pour deux tiers, de celles des entreprises. Ceci revient à dire que les entreprises augmentent leur effort de 70 %, ce qui, en dépit des incitations fiscales prévues, relève d'un pari hasardeux ! Ce projet ne comprend pas non plus de véritable programmation pluriannuelle de création d'emplois statutaires.
S'il confirme la création de 3.000 postes en 2006 "dans les secteurs prioritaires de la politique scientifique" (postes supprimés d'un côté, " recréés " de l'autre), et s'il indique que "l'effort sera poursuivi en 2007", il y a clairement un refus de s'engager sur un plan pluriannuel de l'emploi statutaire.
Par contre, le choix d'augmenter l'emploi précaire en constitue un élément central. Cette précarisation gangrène la Recherche publique. Cette situation est très préoccupante en ce qui concerne les problèmes liés à la précarité du statut des personnels CDD, et à la qualité du travail scientifique reposant sur une capitalisation du savoir qui nécessite la stabilité de la ressource humaine. L'Agence nationale de la recherche et l'Agence de l'innovation industrielle, misent sur l'élitisme, l'excellence, le rang mondial pour financer, en fait, des équipes axées sur des projets à exigence de rentabilité immédiate. Cela participe de la mise en concurrence des laboratoires de recherche et des personnels. Il est à craindre que des pans entiers de la Recherche jugés non rentables, disparaissent progressivement du paysage scientifique français. C'est l'Agence nationale pour la recherche qui fera la politique scientifique nationale, alors qu'elle est sous contrôle d'un conseil d'administration dont plus de la moitié des membres vient de différents ministères, et non de la communauté scientifique, illustration du pilotage de la Recherche par le gouvernement.
Que deviennent, dès lors, les grands organismes de recherche, en particulier le CNRS ?
Le projet de loi crée l'Agence d'évaluation de la recherche, qui aurait pour mission de rendre l'évaluation des activités de recherche publique systématique, transparente et homogène. Il n'en sera rien car, aux yeux de la communauté scientifique, la légitimité des évaluations tient au fait qu'elles portent régulièrement sur les unités et les personnes, et dépendent d'instances nationales, seules à même de s'affranchir des intérêts de chapelle. Ces évaluations n'ont de sens que si elles émanent de chercheurs reconnus et élus par leurs pairs. Après le financement et l'évaluation, le laminage de notre système de recherche produira une organisation laissant une large part au privé. Les outils que vous mettez en place, pour soi-disant renforcer les coopérations et favoriser le développement de grands campus de recherche, de visibilité internationale, vont en fait engendrer une concurrence effrénée entre établissements. Ainsi, les Pôles de Recherche et d'Enseignement Supérieur tels qu'ils sont décrits, font redouter une explosion des universités entre collèges universitaires, consacrés aux Licences, et Pôle de recherche et d'enseignement supérieur pour les meilleures, avec dans ce cas des personnels aux statuts et avantages très différents. Et les Pôles de recherche et d'enseignement supérieur, articulés aux pôles de compétitivité, conçus sur ce modèle concurrentiel, feront le tri au nom des priorités, entre les personnels et les projets.
Finalement, ce projet sans ambition de moyens, ne respecte aucun des principes énoncés par les Etats Généraux et les syndicats. L'empilement de structures créées ne résoudra pas les difficultés de concertation horizontale intra-publique, ou publique- privée ; concertation qu'il fallait encourager à travers les organismes existants plutôt que de créer la concurrence. Notre groupe a évidemment déposé des amendements. Nous exigeons des moyens financiers et humains à hauteur des enjeux pour notre pays, dans nos régions, y compris pour compenser des déséquilibres flagrants si j'en juge par le déficit dont souffre le Nord-Pas-de-Calais qui ne recensait par exemple, fin 2004, que 1,7 % des effectifs globaux du CNRS ! Il faut que les moyens de la recherche passent, non par une Agence nationale de la recherche surdimensionnée, mais par l'augmentation des crédits de base des laboratoires, articulée à l'investissement des entreprises dans la recherche.
Les établissements publics doivent conserver les moyens de leur autonomie, les missions de l'ANR devant être limitées par la loi. Nous voulons la programmation d'emplois de titulaires pour offrir aux personnels de l'emploi scientifique, technique et administratif, des carrières gratifiantes. Les doctorants doivent bénéficier d'un véritable statut de salariés. Nous voulons aussi promouvoir la coopération. Les PRES devraient la permettre entre universités et organismes de recherche, entre laboratoires et équipes grâce à des structures favorisant l'interdisciplinarité et le lien recherche-enseignement dans tous les cycles.
Libérer les capacités d'initiative
Il faut aussi libérer les capacités d'initiative. Et nous demandons que les évaluations des personnes et structures soient articulées, et relèvent des instances existantes, toutes restant composées majoritairement d'élus. Nous réaffirmons l'importance d'une Recherche publique. La Recherche fait progresser les connaissances au bénéfice de la collectivité et de son avenir. Le service public de recherche doit d'abord tenter de répondre aux demandes sociétales et ne doit pas avoir pour objectif le profit immédiat mais l'intérêt général à long terme. Comme le soulignait, récemment dans la presse, deux éminents directeurs de recherche du CNRS, Francis-André Wollman et Henri Audier : " ... nul ne conteste la nécessité de développer la recherche industrielle ou ses interactions avec le secteur public. Mais le vrai débat porte sur la nécessité, ou pas, d'un soutien renforcé aux recherches dont l'objectif principal est le développement des connaissances, sans, a priori, se soucier de leurs retombées. ... " Un exemple d'actualité : des chercheurs du secteur public belge sont en train de mettre au point un vaccin contre la grippe qui, contrairement au vaccin actuel valable un an, permettra d'être protégé pendant 10 ans. L'industrie pharmaceutique ne se bouscule pas pour le mettre sur le marché, animée qu'elle est par la recherche de rentabilité financière à court terme. C'est pourquoi il est important de défendre l'autonomie de la Recherche. Une des garanties de cette autonomie est le statut de service public et le recrutement de personnels permanents sur statut public. Votre projet de loi porte une conception en contradiction avec celle de la communauté scientifique. Il est à l'opposé de ce qu'attendent le monde de la recherche et ce dont la France a besoin. Il fait la part belle à la recherche privée ou partenariale, utilitariste et économiquement rentable, au détriment de la Recherche fondamentale et d'une recherche publique indépendante au service du bien commun. Il compromet l'avenir et menace un pays comme le nôtre qui est encore un des principaux acteurs de la Recherche en Europe et aussi dans le Monde, dans laquelle elle peut jouer un rôle moteur d'une vraie coopération. Notre combat sera donc à la hauteur de ces dangers et de ces enjeux.Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 2 mars 2006