Interview de M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, à France-Info le 2 mars 2006, sur la promotion de l'enseignement du chinois en ZEP, le chômage des jeunes dans les banlieues et les manifestations des lycéens et des étudiants contre le contrat première embauche (CPE).

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Média : France Info

Texte intégral

O. de Lagarde - Vous avez lancé hier avec G. de Robien un plan pour promouvoir l'enseignement du chinois. Je comprends que ça concerne l'Education nationale, mais en quoi cela vous concerne-t-il, vous, ministre délégué à la Promotion de l'Egalité des chances ?
R - Imaginez, aujourd'hui, des jeunes qui, dans les ZEP, dans les quartiers en difficulté, apprennent le chinois, des jeunes issus d'une immigration maghrébine, africaine. Des jeunes issus de ces quartiers qui, dans dix ans, s'ils maîtrisent le chinois, vont être super bien placés sur le marché de l'emploi. Moi, j'imagine un employeur qui fait passer un entretien à un des jeunes, et qui va immédiatement le prendre parce qu'il est bon, parce qu'il aura fait pendant dix ans du chinois. Voilà l'idée que j'ai.
Q - Mais il n'y a rien de démagogique là-dedans ? Souvent, quand on interroge les professeurs, ils se plaignent que les enfants n'arrivent pas à parler le français dans les écoles...
R - Justement.
Q - ...Et vous, vous voulez leur apprendre le chinois !
R - C'est une façon d'abord de sortir d'eux-mêmes, de sortir de la langue française pour aller vers une autre langue [parlée par] 1,4 milliard d'habitants. Je crois que, pour bien parler le chinois, pour bien apprendre le chinois, il faut revenir à la maîtrise du français. Or, l'un des handicaps majeurs des jeunes des quartiers sur le marché du travail, c'est une insuffisante maîtrise de la langue orale et écrite en français. Apprendre le chinois, paradoxalement, permet de mieux se muscler en français. C'est bon des deux côtés.
Q - En même temps, ce n'est pas très très européen comme démarche ?
R - Mais c'est mondial.
Q - L'apprentissage du chinois va se faire au détriment des langues de nos partenaires : l'italien, l'anglais, l'espagnol, forcément.
R - Ce qui m'intéresse moi, c'est d'essayer, avec D. de Villepin et tout le Gouvernement, de réduire les taux de chômage - 30, 40, 50 % - qu'on trouve aujourd'hui dans les quartiers. Et je me dis que, dans dix ans, voilà, si ces jeunes, dans les ZEP, parlent chinois, eh bien on va contribuer sérieusement à réduire leur taux d'inemploi dans ces quartiers.
Q - Comment allez-vous faire pour leur apprendre le chinois ?
R - Moi, je ne sais dire que "merci" en chinois. En revanche, on a impulsé avec de Robien, cette idée ; hier, on a nommé un inspecteur général du chinois en compagnie de l'ambassadeur de Chine à Paris. Et on va faire en sorte qu'à la rentrée prochaine, tous les établissements de ZEP qui sont candidats pour cet enseignement, se présentent, et on va répondre à la demande. Cela va faire tâche d'huile, j'en suis persuadé. C'est une très bonne idée.
Q - Nous sommes à un peu plus de trois mois après les explosions de violences dans certaines cités. Comment vont les banlieues aujourd'hui ? Certains craignent que le feu couve toujours sous la cendre...
R - Les banlieues attendent... Hier j'étais à Aulnay, avant-hier à Sartrouville, avant avant-hier à Courcouronnes. Les banlieues attendent qu'on réduise leur taux de chômage inacceptable : 40, 50 % les jeunes. Les banlieues attendent qu'on lutte d'une manière très sérieuse...
Q - Elles attendent, elles attendent...
R - Oui. On est en train de faire ce travail, et notamment avec ce projet de loi Egalité des chances, qu'on lutte contre les discriminations, qu'on dote la Haute autorité de lutte contre les discriminations de pouvoirs de sanctions pécuniaires et administratives. Qu'on fasse la diversité, la di-ver-si-té, à France Info, à Radio France, à la télévision, dans les entreprises, en politique. Qu'on fasse enfin cette diversité pour que les enfants des banlieues, trois mois après les violences, s'y retrouvent dans cette société française.
Q - Alors, vous parliez de votre projet de loi sur l'égalité des chances, et il est un peu passé inaperçu. On ne parle que de l'amendement créant le CPE. Etait-ce une bonne idée de lier les deux ?
R - J'insiste depuis tout à l'heure, vous voyez, depuis quelques secondes, sur l'idée du chômage. C'est insupportable ces différentiels de taux de chômage ! 50 % ici, 9,5 % en moyenne nationale. Ce n'est pas possible ! Donc, il fallait utiliser un levier. Ce levier, qui est le contrat "première embauche", il faut l'utiliser pour donner une chance à ces enfants des quartiers. Je suis un peu triste aujourd'hui de voir que ce sont les lycéens de 16-17 ans, et les étudiants en fac, 20 ans, 22 ans, qui sont au lycée, qui sont en fac, qui, me semble-t-il, vont manifester dans quelques jours. Ils ont complètement oublié qu'il y a trois mois ça "pétait" dans les banlieues, et que ces jeunes, qui réclamaient dans ces quartiers qu'on les prenne en considération, aujourd'hui, ils n'existent plus. Sont-ce eux, ces jeunes des banlieues, qui vont manifester le 7 ? Je ne crois pas. C'est pour ça que j'invite tous les lycéens et tous les étudiants qui vont manifester le 7 mars à manifester, non pas au centre des villes, c'est trop facile, mais à manifester là où il y a la plus grande précarité dans ce pays, c'est-à-dire, dans les quartiers. Je les invite à aller faire leurs manifs dans les quartiers ! Alors, là, cela aura du sens. Mais tant qu'il y aura ce décalage géographique, économique entre les jeunes des cités et le reste de la ville, eh bien tout cela sera préjudiciable pour le pacte républicain."source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 2 mars 2006