Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, sur son opposition à tous types de contrats précaires, sur le nouveau projet de loi sur l'immigration, sur les diverses candidatures à l'élection présidentielle et sur la mise en place d'un véritable "Plan d'urgence" en faveur des travailleurs, Lille le 3 mars 2006.

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Circonstance : Meeting à Lille le 3 mars 2006

Texte intégral


Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Eh bien oui, la jeunesse scolarisée a eu raison de continuer à manifester pour le retrait du Contrat Première Embauche et du Contrat Nouvelles Embauches. Malgré les congés scolaires étalés, les manifestations d'étudiants et des lycéens, les blocages d'universités se sont succédé depuis les manifestations du 7 février, tantôt dans une ville, tantôt dans une autre.
Les jeunes ont eu raison de ne pas être impressionnés par le fait que l'Assemblée ait déjà adopté ce projet de loi. Même adoptée, une mauvaise loi peut être retirée sous la pression de la rue.
Balladur en a fait l'expérience en 1994 lorsqu'il a voulu imposer son Smic Jeunes, inférieur au Smic normal. Juppé aussi qui a du, en 1995, remballer sa réforme des retraites dans le service public. Lui qui, quelques semaines avant, était " si droit dans ses bottes ", finit par craquer devant la grève des cheminots en train de s'étendre à d'autres secteurs du service public.
Qu'il ait été voté, avec discussion, par une majorité aux ordres ou qu'il ait été imposé à l'Assemblée elle-même sans discussion par l'article 49-3, le CPE est de toute façon une attaque de plus contre les droits des travailleurs.
Oh, la généralisation de la précarité ne date pas d'aujourd'hui. Depuis un quart de siècle, sous prétexte d'inciter les patrons à créer des emplois, tous les gouvernements qui se sont succédé se sont ingéniés à inventer de nouvelles catégories d'emplois précaires, de stages mal payés ou pas payés du tout, des contrats qui violaient le peu de la législation du travail qui protègent les travailleurs contre l'arbitraire patronal.
Le CNE d'abord, puis le CPE constituent cependant des pas supplémentaires dans la légalisation de la précarité. D'exception, la précarité devient la règle.
Le CNE autorisait déjà, pendant deux ans, un patron à mettre à la porte un travailleur sans motif, c'est-à-dire sans raison. Mais ce contrat était encore limité à des entreprises de moins de 20 salariés.
N'importe quelle entreprise pourra, en revanche, avoir recours au CPE, même si, pour le moment, la loi ne concerne que les moins de 26 ans.
Et chacun sait les conséquences de ce type de précarité pour une multitude d'aspects de la vie quotidienne, à commencer par le logement car les propriétaires sont entièrement libres de ne louer qu'à ceux qui ont un revenu stable.
Villepin et ses ministres se répandent sur les ondes pour expliquer que c'est mieux que rien car cela permet à un jeune qui n'a pas d'emploi d'un trouver un. Mais c'est un mensonge. Quel que soit le contrat, les entreprises n'embauchent que si la production l'exige. Celles qui embaucheront en CPE l'auraient fait de toute façon. Mais, avec le CPE, elles peuvent le faire dans des conditions plus avantageuses pour les patrons et plus défavorables pour le travailleur embauché. C'est un beau cadeau au patronat, sans que cela crée un seul emploi en plus !
Eh bien, il n'y a aucune raison de faire ce cadeau de plus au patronat !
Cela fait des années, sinon des décennies, que les patrons violent ouvertement ce qui protège les travailleurs. Les grandes entreprises fonctionnent en permanence avec un fort contingent d'intérimaires et toute une panoplie de contrats précaires que les gouvernements leur ont offert. Mais l'Etat lui-même recourt de plus en plus largement aux contractuels, aux auxiliaires, aux stagiaires, à toute une variété de contrats précaires aussi bien dans l'enseignement qu'à la Poste, dans les hôpitaux ou dans la Fonction publique.
L'Etat parvient même à faire plus fort que les entreprises privées : sur les quelque cinq millions de travailleurs du secteur public, 860 000 sont des contractuels, dont une petite fraction seulement peut espérer être embauchée définitivement un jour. Pour ne citer qu'un exemple publié il y a quelques jours dans un quotidien, celui d'une employée à La Poste, précaire depuis 19 ans et qui a enchaîné pendant cette période 574 CDD ! Et ce n'est pas une exception !
Alors, il ne faut pas les laisser aller plus loin ! Il faut les arrêter avant qu'on revienne complètement à ces situations du passé, où on était embauché chaque matin pour la journée.
La lutte contre la précarité ne se limite absolument pas à la lutte contre son dernier avatar, le CPE. Mais puisque Villepin a engagé une épreuve de force sur ce terrain, cette épreuve de force, il faut la gagner !
Nous sommes, bien sûr, solidaires de toutes les manifestations qui sont organisées contre le CPE et nous devons faire tout ce qui dépend de nous pour que la journée nationale du 7 mars soit un succès.
La loi sur " l'égalité des chances ", dont l'article établissant le CPE est un amendement, contient d'autres mesures anti-ouvrières. C'est cette loi qui autorise l'apprentissage à 14 ans et le travail de nuit dès 15 ans ! En continuant comme cela, on finira par revenir légalement au travail des enfants !
Cette loi, dont la dénomination même d' " égalité des chances " est une provocation, prescrit également un " contrat de responsabilité parentale " qui permet de suspendre le versement des allocations familiales aux parents d'enfants turbulents.
Et comment ne pas être révoltés, aussi, par le projet de loi sur l'immigration de Sarkozy ?
Il aggrave les conditions d'obtention de la carte de séjour, rend pratiquement impossible pour un sans-papiers la régularisation de sa situation, interdit pratiquement le regroupement familial, fragilise la situation de tous les travailleurs immigrés.
Sarkozy et ses semblables savent que les chaînes de production des grandes entreprises ne peuvent pas se passer des travailleurs immigrés. Alors, ils parlent " d'immigration choisie " et de " sélectionner des immigrés en fonction des besoins de l'économie ", c'est-à-dire en fonction des demandes du patronat. Les immigrés doivent être célibataires, en bonne santé, en bonne condition physique, exploitables à merci, sans les frais d'une famille ou de la maladie. Et il faudrait, en plus, qu'ils considèrent le droit de se faire exploiter ici comme un privilège, qu'ils se fassent tout petits et qu'ils acceptent tout.
Oui, cette loi est un coup contre tous les travailleurs. Car, si le gouvernement parvenait à rendre une fraction de la classe ouvrière plus malléable, c'est l'ensemble des travailleurs qui serait affaibli, qu'ils aient la carte d'identité française ou pas.
Mais je suis convaincue que, lorsque le monde du travail se mettra en branle pour se défendre, il n'y aura plus de différences en fonction des origines des uns et des autres. Il n'y aura que le combat d'une seule et même classe ouvrière.
L'autre façon, pour les patrons, de peser sur les salaires est de faire appel à des sous-traitants, voire à des sous-traitants de sous-traitants, qui font venir de la main-d'oeuvre notamment de l'est de l'Union européenne, en lui imposant des salaires minables.
Pour ne citer que des exemples récents : A Saint-Nazaire, sur les Chantiers de l'Atlantique, le trust Alstom fait travailler des sociétés sous-traitantes qui emploient des salariés venus d'Europe de l'Est ou d'Asie avec des salaires de l'ordre de 400 euros par mois ! De surcroît, ils sont logés dans des conditions infectes. EDF, elle-même société où la participation de l'Etat reste encore présente, a sous-traité le travail sur un de ses chantiers, à Porcheville, à une entreprise polonaise employant également des travailleurs amenés de Pologne payés à ce salaire dérisoire !
Alors, bien sûr, les syndicats ont raison de mener la chasse à ce genre de pratique. Non pas en s'opposant à la venue de travailleurs de l'Est européen ou du tiers-monde mais, au contraire, en ??tablissant avec eux des relations fraternelles et en imposant que, quel que soit leur pays d'origine ou celui du sous-traitant qui les emploie, les salaires soient les mêmes pour tous les travailleurs !
Pour les patrons, les travailleurs sont des marchandises qu'ils achètent, ici ou ailleurs, en fonction du profit qu'ils rapportent. Eh bien, il faut que leur calcul se retourne contre eux ! Oui, qu'ils mélangent donc, dans les mêmes entreprises, sur les mêmes chantiers, des travailleurs importés des quatre coins du monde ! Si le mouvement ouvrier est digne de ses traditions et agit en conséquence, c'est dans ce creuset, mis en place par les patrons eux-mêmes, que se formera la conscience de faire partie de la même classe ouvrière internationale.
Certaines des mesures décidées par le gouvernement, celles notamment concernant la précarité, profitent directement au patronat. D'autres, celles qui sont décidées avec le prétexte de faire faire des économies au budget de l'Etat ou de la Sécurité sociale, leur profitent tout autant. L'argent que l'Etat économise sur le dos des travailleurs, des chômeurs, des retraités, finit par se transformer en subventions, en passe-droits, en baisses de fiscalité ou de cotisations sociales, pour les entreprises, c'est-à-dire pour leurs patrons et pour leurs actionnaires.
Voilà comment l'action de l'Etat s'ajoute au poids de l'exploitation, à l'intensification des rythmes de travail, pour permettre aux grandes entreprises de dégager des profits sans précédent, dans une période où pourtant leur économie est poussive.
Je ne vous ferai pas la litanie des annonces de profits par les grandes entreprises. Ceux de Total, les plus élevés de tous, ont soulevé des protestations même dans les milieux bien pensants tant il est choquant que ces bénéfices, obtenus sur le dos de ses travailleurs et en volant les consommateurs, ne profitent qu'aux seuls actionnaires. Mais le chiffre de progression des profits tourne dans bien des grandes entreprises autour de 15, 20 %, voire bien plus.
Ces bénéfices ne servent à rien pour la société. Ils ne sont pas investis dans la production. Ils ne sont pas utilisés pour la recherche. Ils sont distribués aux actionnaires, dont les plus riches deviennent encore plus riches. Les profits exceptionnels des grandes entreprises se traduisent par des dividendes exceptionnels. Ils sont dilapidés en consommation de luxe ou en placements spéculatifs. Ce n'est pas pour rien que le secteur de la production de luxe est un de ceux qui enregistrent la plus forte croissance. Bernard Arnault, patron du numéro un mondial des produits de luxe, vient de déclarer que " l'environnement économique est extrêmement porteur ". Oui, porteur pour ceux qui boivent du champagne Dom Pérignon, qui sont amateurs de joaillerie et qui ont les moyens de l'être !
Ce qui n'est pas directement empoché par les actionnaires sert à alimenter des batailles boursières où de grandes entreprises essaient d'en avaler d'autres.
La plus récente va aboutir à la fusion du groupe Suez avec Gaz de France. L'Etat a pourtant la majorité des actions dans la très rentable entreprise Gaz de France et le gouvernement s'est engagé devant le Parlement à conserver 70 % des actions. Eh bien, qu'à cela ne tienne : Villepin et Thierry Breton ont entonné la chanson du " patriotisme économique " en prétendant vouloir empêcher qu'un groupe italien puisse mettre la main sur le groupe Suez. Et voilà donc Gaz de France en train d'être privatisé en permettant aux grands actionnaires de Suez d'empocher une plus-value considérable en devenant actionnaires du nouveau groupe ! On pourrait dire que ce monopoly est seulement stupide, sachant qu'il n'y a pas si longtemps on a coupé EDF de GDF, pour nous expliquer aujourd'hui qu'il manque un grand groupe français !
Oui, on pourrait dire que les capitalistes sont de grands enfants qui jouent au monopoly, mais derrière leur jeu stupide, il y a la sueur des travailleurs, leur exploitation, il y a les bas salaires, la précarité et le chômage.
Une autre bataille qui se déroule dans la sidérurgie en fournit un exemple, avec l'offre publique d'achat de Mittal Steel, premier trust mondial, sur Arcelor, qui est le deuxième, deux entreprises que vous avez bien des raisons de connaître dans la région.
Les travailleurs de la sidérurgie ont toutes les raisons de s'inquiéter devant cette opération boursière. Si Mittal Steel parvient à avaler Arcelor, il y aura des restructurations qui se traduiront inévitablement par des suppressions d'emplois. Si Arcelor parvient à résister, la direction fera payer à ses travailleurs le prix de sa résistance victorieuse.
Cela fait une trentaine d'années que la sidérurgie est marquée par de prétendues modernisations, par des restructurations, par des concentrations. Et 100 000 emplois ont été supprimés en un quart de siècle alors que la production, elle, est restée identique. Mais cela a coûté cher aussi à l'Etat. Celui-ci n'a cessé d'intervenir pendant tout ce temps, prétendant " voler au secours de la profession ", mais, en réalité, au secours des actionnaires. Il a déversé des milliards en subventions lorsque le secteur était déficitaire pour finir par le nationaliser en rachetant au prix fort des entreprises dont les actionnaires ne voulaient plus? Puis, après la fermeture de nombre d'entreprises, des licenciements massifs, le secteur, devenu rentable, a été reprivatisé.
Le total de toutes ces opérations représente quinze milliards d'euros, cent milliards de francs, déboursés par l'Etat au seul bénéfice des actionnaires de la sidérurgie !
Voilà de quelle façon on creuse le déficit de l'Etat ! Voilà pourquoi l'Etat n'a plus d'argent ensuite pour les services publics ! Voilà pourquoi on oblige les hôpitaux à ne pas dépasser un certain montant de dépenses même si cela se traduit par une absence criante de personnel, soignant ou pas !
Voilà pourquoi il n'y a pas d'argent non plus pour l'Education nationale et que le nombre d'enseignants est insuffisant par rapport aux besoins.
Le gouvernement a gelé pour le moment son annonce qu'un certain nombre d'écoles classées auparavant en zones d'éducation prioritaire seront déclassées. Il l'a fait devant la réaction des enseignants qui ont intérêt à rester mobilisés.
D'ailleurs, Sarkozy se propose de faire encore mieux en supprimant complètement les zones d'éducation prioritaire et en proposant que les enseignants soient payés au mérite.
L'exploitation aggravée des travailleurs, que traduit la hausse spectaculaire des profits, arrose toute une classe de privilégiés, qui vivent bien. Ceux-là ont de solides raisons de considérer ce gouvernement comme le leur, à applaudir comme " courageuse " la politique qui diminue la part des travailleurs, car elle augment leur part, à eux.
Ce sont ceux-là, le ban et l'arrière-ban de la bourgeoise petite et grande, qui constituent la base électorale de la droite. C'est à elle que s'adressent les déclarations, les gestes politiques, de la droite au pouvoir.
Et ces gestes se multiplient maintenant que la vie politique tourne de plus en plus autour des élections à venir. Ces élections sont encore loin : la présidentielle dans quatorze mois, les législatives dans la foulée, mais elles sont au centre des préoccupations aussi bien des milieux politiques que des médias.
La présidentielle conditionne les législatives. Et de ces législatives dépend la place des 577 députés, sans parler de tous ceux -et ils sont nombreux- qui tournent autour. Cela représente des milliers de sinécures, de places d'assistants, de conseillers en tout genre, et puis tous les services qu'on peut rendre à des amis.
Pour le moment, les grandes manoeuvres et les petites vacheries lancées aux concurrents se déroulent à l'intérieur de chacun des camps qui s'affronteront en 2007.
A droite, c'est la guerre entre Sarkozy et Villepin.
Pour tout dire, la question de savoir qui de Sarkozy ou de Villepin parviendra à exécuter l'autre nous indiffère totalement. Du point de vue des travailleurs, ils se valent. Mais c'est une question, ô combien essentielle, évidemment pour les deux hommes. Car celui qui étranglera l'autre sera non seulement désigné candidat de l'UMP mais aura de grandes chances d'être le futur président de la République.
Ce n'est, en tout cas, pas Bayrou qui pourra s'immiscer dans leur duel. Si Bayrou n'a guère ses chances à l'élection présidentielle, la jonglerie politique qu'il mène depuis plusieurs mois pour apparaître comme faisant partie de la majorité, tout en jouant à l'oppositionnel indigné lorsque le gouvernement prend des mesures mal vues, pourra conditionner le nombre de postes de députés que l'UDF décrochera.
Dans la compétition à droite, Sarkozy, qui tient en main l'appareil de l'UMP, a choisi son créneau. Il cherche à s'adresser aux fantassins de la classe privilégiée, la petite bourgeoisie réactionnaire, hostile à la classe ouvrière et surtout à ses revendications. Sarkozy en reprend le conformisme, les préjugés, son mépris des pauvres, et les formule en termes à peine plus atténués que ne le fait Le Pen, dont il voudrait bien conquérir une partie de l'électorat. D'où ce ramassis de slogans, de gestes réactionnaires, du karcher à sa loi sur l'immigration, qu'il envoie tous azimuts en attendant que l'écho lui en revienne sous la forme de quelques points gagnés dans les sondages.
Son rival, Villepin, a un temps de retard qu'il essaie de combler avec l'aide de Chirac - si tant est que le soutien de Chirac soit vraiment une aide !
Les deux hommes sont engagés dans une sorte de course à l'initiative. Quand l'un propose une loi, l'autre en propose une autre ou prétend que le premier lui a pris son idée. Quand l'un va à Berlin pour se faire photographier auprès d'Angela Merkel, l'autre court d'abord dans l'Ain manger du poulet pour montrer qu'il compatit aux ennuis des éleveurs de volaille, puis s'envole à La Réunion pour montrer à quel point il s'occupe du chikungunya. Les Réunionnais sont évidemment fondés à se dire qu'il aurait mieux fait de s'en occuper plus tôt lorsque la prévention aurait été utile et de ne pas débarquer lorsqu'un habitant sur cinq a déjà été atteint. Mais ce ne sont pas les virus ni les moustiques qui préoccupent Villepin, mais le baromètre des sondages. Du coup, pendant quelques jours, les ministres se sont succédé sur l'île, au point qu'un quotidien a pu titrer : " Epidémie de ministres à La Réunion " ! Et passons sur la compétition pour faire le beau devant veaux, vaches, couvées, au Salon de l'Agriculture, cette fois gauche et droite confondues. A ce qu'il paraît, c'est un casse-tête pour les organisateurs que d'éviter que les ex, les actuels et les futurs ministres se télescopent dans les allées et devant les caméras.
A gauche aussi, les rivalités se déroulent à l'intérieur d'un même camp, ou plus exactement à l'intérieur d'un même parti. Car cela ne fait de doute à personne que celui qui représentera la gauche au deuxième tour, si la gauche y est représentée, sera le candidat du PS.
Mais, justement, des candidats, le PS en a trop? : une demi-douzaine qui, soit, ont fait officiellement acte de candidature, soit, y pensent tellement fort que tout le monde les entend.
Les Verts, de leur côté, sont surtout préoccupés à départager les cinq candidats déclarés à la candidature.
Quant au PC, cela fait des mois qu'il semble partagé entre ceux qui veulent que le parti présente un candidat, ceux qui préféreraient s'effacer dès le premier tour devant le PS, ceux, enfin, qui seraient tentés par un candidat à la gauche du PS mais pas forcément membre du PC. La direction du PCF semble vouloir une synthèse de ces différentes attitudes en essayant d'obtenir que Marie-George Buffet puisse se présenter, non pas comme la candidate du seul PCF, mais comme celle d'une union à la gauche du PS. Encore faudrait-il que José Bové, autre candidat à une " candidature d'union " sur la gauche du PCF, ou encore la LCR acceptent la proposition de la direction du PCF !
Mais les débats et les campagnes internes aux différents partis de feu la Gauche plurielle ne les ont pas empêchés de se retrouver tous ensemble le 8 février. C'était une grande première depuis l'échec cuisant de Jospin en 2002. Il n'est pas sorti grand-chose de cette réunion, si ce n'est le fait de se retrouver. Mais, à en juger par les déclarations des participants à la sortie, c'était cela, l'essentiel.
Essentiel, en effet, pour eux car chacun des partis représentés sait qu'il a besoin des autres, et surtout qu'ils ont tous besoin du PS. La loi électorale étant ce qu'elle est, majoritaire par circonscription, ni les Verts, ni même le PC ne peuvent espérer conquérir ne serait-ce que le nombre de circonscriptions qui correspond à leur influence dans l'électorat sans le soutien du PS.
Il est cependant quand même sorti quelque chose de cette rencontre : la décision de s'engager sur le CPE. La réunion a même donné l'occasion au PS de se poser en chef de file des partis de gauche opposés au gouvernement sur cette question. Oh, la forme d'action choisie n'est pas d'une virulence extrême ! C'est un tract unitaire, élaboré par l'ensemble de l'ex-Gauche plurielle, accompagné d'une pétition qui demande le retrait du seul CPE. La pétition promet que " portée par des centaines de milliers de citoyens, elle obligera le Parlement à en débattre à nouveau ". Il faut une très grande imagination pour espérer de cette pétition que la majorité de droite, écrasée par le poids du papier ou touchée par une grâce tardive, décide au terme de ce " nouveau débat " de retirer la loi !
Heureusement que, pendant que la pétition circule, les jeunes manifestent !
Cela dit, la prise de position du PS, aussi modérée qu'elle soit, joue un certain rôle dans l'évolution de l'opinion publique.
Le CPE est la première mesure du gouvernement que François Hollande s'est engagé publiquement à retirer si la gauche arrivait au pouvoir.
Et les prises de position des dirigeants du PS, via les médias auxquels ils ont accès, la participation de militants socialistes à l'agitation contre le CPE soit par la diffusion de tracts, soit dans les organisations de la jeunesse scolarisée qu'il influence, font dans une certaine mesure contrepoids à la débauche de propagande orchestrée par le gouvernement pour expliquer les charmes du CPE. Et c'est tant mieux.
Cela me réjouit que, pour une fois, les militants socialistes agissent dans un sens favorable aux travailleurs. Mais combattre la précarité, ce serait combattre pour que tous les contrats précaires soient transformés en CDI. Il n'en est évidemment pas question pour le PS car ce serait, alors, prendre le contre-pied du grand patronat.
Car le PS se garde bien de mettre en cause les multiples formes de contrats précaires qui existent déjà. En d'autres termes, ce n'est pas la précarité qu'il combat, mais un seul de ces contrats, le dernier en date, le CPE. Comment pourrait-il en être autrement puisque, parmi les multiples formes de contrats précaires inventés au fil du temps, tous ces SIVP, TUC, CES, Emplois Jeunes -et j'en passe-, combien y en a-t-il qui ont été décidés par le gouvernement de gauche ?
François Hollande a d'ailleurs une proposition à la place du CPE. Il l'appelle le " contrat de sécurité de formation ". Ce contrat serait un CDI, et ce serait bien sûr mieux pour le jeune embauché. Mais, pour convaincre le patronat d'utiliser ce type de contrat, il propose que l'Etat prenne en charge intégralement les frais de formation. C'est encore de l'argent pour les patrons !
Le Conseil d'orientation pour l'emploi vient de faire une étude sur toutes les formes d'emplois aidés, sur toutes les façons dont l'Etat aide les entreprises, sous prétexte de favoriser l'emploi, c'est-à-dire soit en prenant en charge tout ou partie des cotisations sociales, de la fiscalité, voire même telle ou telle proportion des salaires eux-mêmes. Leur nombre s'élève à 2 500. Et dans ces " emplois aidés ", il n'y a que l'employeur qui soit aidé, et pas du tout le salarié.
Ce même Conseil d'orientation en estime le coût pour le budget à une somme colossale comprise entre 30 et 60 milliards d'euros ! Il ne sait même pas combien au juste ! Pourtant, même la très officielle Cour des comptes exprime ses doutes sur l'efficacité de ce système coûteux. Mais si les " emplois aidés " sont totalement inefficaces pour réduire le chômage, ils sont en revanche efficaces pour contribuer aux profits des patrons car cette somme fantastique a bel et bien été empochée !
Martine Aubry, elle, vient de présenter, paraît-il, à la direction du PS un autre projet lumineux pour contrer le CPE. Ce projet s'appellerait " EVA " pour " Entrée dans la vie active ". Il s'agirait, en gros, de proposer aux 18-25 ans qui cherchent du travail une indemnisation mensuelle. Oh, si cela se réalisait, cela arrangerait les affaires de bien des jeunes, même si le montant de cette allocation est minime.
Mais en quoi cela justifierait-il le nom pompeux " d'entrée dans la vie active " puisqu'il ne garantit en rien une embauche ? Il est plus facile d'inventer un RMI jeunes dont rien ne garantit ni le montant ni même l'existence, que d'obliger les patrons à embaucher !
Alors, autant dire que les travailleurs et les chômeurs n'ont pas grand-chose à espérer d'un retour du PS au gouvernement.
Contrairement à ce qu'on nous reproche bien souvent, nous ne disons pas que les partis de droite et les partis de gauche sont identiques. Ce que nous disons, c'est que les partis de droite comme les partis de gauche sont des partis bourgeois, car ni les uns ni les autres ne veulent toucher à l'ordre social existant mais, au contraire, le gérer tel qu'il est, avec son économie de marché aveugle, sa classe capitaliste rapace, ses injustices sociales criantes.
Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les partis de gauche ont cependant pris quelques mesures progressistes. Mitterrand a aboli la peine de mort, ce qui est certainement un pas en avant du point de vue tout simplement humain. C'est encore un gouvernement socialiste qui a décidé le PACS. Mais l'une comme l'autre de ces mesures avaient l'avantage pour le PS de ne pas toucher aux intérêts du patronat, et ne pouvaient en rien changer la situation des salariés.
Quant au PC, il mène campagne autour du thème " Battre la droite et réussir à gauche ". Non seulement, il dit bien des choses fort justes lorsqu'il critique les mesures anti-ouvrières du gouvernement, mais plus on s'éloigne de 2002, plus il lui arrive même de mettre en cause certains aspects politiques du gouvernement Jospin. Ce qui a valu à Marie-George Buffet cette réflexion ironique de Jospin: " Elle a bien travaillé pendant cinq ans? (sous-entendu dans mon gouvernement) mais elle a parfois tendance à l'oublier "
Mais, à quoi bon le langage actuel du PC alors que " l'alternative " qu'il se propose de construire, il l'envisage avec le PS, c'est-à-dire derrière.
Le PCF, qui avait la présence que l'on sait dans la classe ouvrière, a usé tout son crédit auprès des travailleurs pour les détourner de la lutte de classe et pour les convaincre depuis trente ans que la seule perspective pour les travailleurs, le seul débouché politique possible, était un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes. Mais, malgré la présence de ses ministres au gouvernement pendant trois ans sous Mitterrand, pendant cinq ans avec Jospin, le PCF, jamais en situation de peser sur la politique menée, n'a fait que la cautionner devant les travailleurs, y compris dans ses aspects les plus anti-ouvriers.
C'est à cause de cette politique que le PCF a perdu une grande partie de ses militants et une grande partie de son influence dans la classe ouvrière.
Alors oui, nous, Lutte ouvrière, serons présents dans ces campagnes électorales pour nous adresser au monde du travail. Nous y défendrons les intérêts vitaux de tous ceux qui n'ont que leur salaire pour vivre, ouvriers, employés, cheminots, enseignants, postiers, personnel des hôpitaux et des services publics. Nous y défendrons aussi les chômeurs et ceux qui, aujourd'hui à la retraite après une vie de travail, n'ont qu'une pension dérisoire.
Et, puisque les campagnes électorales, et plus particulièrement l'élection présidentielle, sont les seules occasions qui nous sont données de nous faire entendre de l'ensemble des classes populaires de ce pays, nous saisirons bien sûr cette occasion pour le faire.
Mais d'ici les élections, il y a encore quatorze mois, et j'espère, je souhaite que les travailleurs fassent irruption dans les préparatifs électoraux. Dans l'immédiat, tous ceux qui militent dans le camp des travailleurs doivent tout faire pour que la journée du 7 mars soit une réussite.
Pour le moment l'appel des confédérations syndicales est très prudent. Nationalement, FO a appelé à la grève. Certaines fédérations de la CGT laissent entendre qu'au moins dans certains secteurs du service public, elles pourraient y appeler. Sans doute un certain nombre de syndicats d'entreprises appelleront au moins à débrayer pour participer aux manifestations.
Comme d'habitude, les confédérations syndicales en général, et aucune d'entre elles en particulier, n'ont prévu et annoncé une suite à l'avance. Mais une participation très importante des travailleurs est le meilleur moyen de les obliger à envisager une suite, de façon à ce que le 7 mars ne soit pas un baroud d'honneur.
Il est indispensable que les travailleurs retrouvent confiance en leur force pour faire revenir le gouvernement sur toutes les mesures anti-ouvrières de ces dernières années, contre les retraites, contre l'assurance maladie, contre les droits des chômeurs. C'est indispensable pour imposer les revendications de l'ensemble du monde du travail contre les licenciements et le chômage, et pour l'augmentation générale des salaires !
Gagner l'épreuve de force déclenchée par le gouvernement, imposer le retrait du CPE et du CNE, ne serait pas encore automatiquement l'amorce de cette contre-offensive, mais cela montrerait que les travailleurs ont la capacité de faire reculer ce gouvernement, non pas en attendant 2007, non pas au Parlement, mais par leurs propres moyens de classe.
Cela fait bien des années que nous avons commencé à développer, sous le nom de " plan d'urgence ", un ensemble de revendications qui n'ont rien perdu de leur actualité. Bien au contraire.
- Il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits, et imposer le maintien de tous les emplois en prenant sur ces profits.
- Il faut que les salariés, les consommateurs et la population aient accès à toute la comptabilité des grandes entreprises. Il faut éclairer les circuits de l'argent, voir d'où il vient, par où il passe, où il va et à qui il va. Il faut connaître et rendre publics, à l'avance, les projets des grandes sociétés. La gestion capitaliste des entreprises, menée dans le secret des conseils d'administration, en fonction de la seule rentabilité financière, montre jour après jour à quel point elle est nuisible pour la collectivité.
- Il faut une augmentation générale du Smic et de tous les bas salaires d'au moins 300 euros.
- Il faut mettre fin aux contrats précaires, à commencer par le CNE et le CPE. Il faut supprimer le temps partiel imposé. Il faut des salaires en aucun cas inférieurs au Smic augmenté, quel qu'en soit le prétexte invoqué : âge, stage?
- Quant au problème du logement, devenu insupportable pour les classes populaires, on ne sait que trop bien que les municipalités des villes bourgeoises sont surtout sensibles à la pression de leur clientèle électorale et que les notables préfèrent payer les amendes dérisoires dont la loi les menace plutôt que de construire des logements corrects à la portée de salaires de travailleurs.
Il faut donc imposer la construction par l'Etat, et non par les municipalités, d'habitats sociaux dans toutes les villes, en réquisitionnant les terrains nécessaires.
- Il faut embaucher des enseignants en nombre suffisant dans les quartiers populaires ! Il faut que, dans les quartiers les plus défavorisés, tous les enfants, et en particulier ceux issus de l'immigration et qui maîtrisent mal le français, trouvent des classes maternelles en nombre suffisant ! Il faut que les effectifs de ces classes permettent aux enseignants de transmettre à ces enfants les connaissances élémentaires que leurs familles sont dans l'incapacité de leur transmettre.
- Il faut en conséquence contraindre l'Etat à prendre sur la classe riche, sur ses revenus et, au besoin, sur sa fortune, de quoi faire face à ces obligations. En commençant d'abord par arrêter toute subvention ouverte ou déguisée aux entreprises, et tout cadeau aux riches particuliers.
Pour imposer tout cela, il faut une lutte déterminée et radicale du monde du travail. Si dur que cela paraisse aujourd'hui, c'est moins utopique qu'espérer que les élections de 2007, quels qu'en soient les résultats, changent en quoi que ce soit le sort des travailleurs.
Voilà, amis et camarades, les revendications que nous aurons à populariser pendant la période qui vient, car elles correspondent aux intérêts vitaux du monde du travail. Nous le ferons autour de nous, dans nos entreprises comme en dehors, avec nos moyens qui sont certes limités, mais nous le ferons avec détermination. Nous le ferons pendant la campagne électorale, avec les moyens plus larges dont nous disposerons peut-être.
Et j'espère, je souhaite, que tous ceux qui sympathisent avec nos idées ou qui, simplement, se retrouvent dans les objectifs que je viens d'énumérer, nous rejoignent pour mener ce combat, avant comme pendant la campagne électorale !
Alors, camarades, bon courage et à bientôt !
Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 7 mars 2006