Interview de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, dans "Le Parisien" le 7 mars 2006, sur le contrat première embauche (CPE), la fusion de Gaz de France et Suez, l'avenir des entreprises publiques et le calendrier électoral.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

On dit les ministres fatigués. Et vous ?
Tout le gouvernement est au travail ! C'est vrai que nous faisons face à des difficultés : les nouvelles épidémies sanitaires, la concurrence économique internationale accrue, une anxiété sociale que je mesure et à laquelle je suis attentif. Mais c'est justement dans ces moments-là qu'il faut faire preuve de détermination et de conviction. Je suis fidèle au cap qui est le mien : celui de l'intérêt général de notre pays. Cela passe d'abord par la bataille pour l'emploi que je continue à mener sous l'autorité du président de la République.
Syndicats et organisations de jeunes promettent, mardi, une mobilisation massive contre le CPE...
Je respecte les positions et engagements de chacun. Ma responsabilité, c'est de prendre à bras le corps le problème du chômage des jeunes. Près de 23% d'entre eux cherchent un emploi, 40% chez les non qualifiés : cette situation est inacceptable. Avec le CPE, j'ai la conviction que des milliers de jeunes qui n'ont ni expérience, ni qualification, pourront enfin trouver rapidement un emploi stable. Ouvrons les portes de l'emploi à tous. On me dit qu'il y a le CDD : mais le CDD, ce n'est pas une solution ! Comment faites-vous pour vous former, pour trouver un crédit ou un logement, pour progresser dans l'entreprise avec un CDD ? La solution, c'est un vrai parcours d'embauche, avec des stages encadrés par une convention et rémunérés, des emplois plus nombreux en alternance, une entrée directe sur le marché du travail par un contrat à durée indéterminée comme le CPE, des garanties réelles de formation. Donnons une vraie chance à chacun.
Vous ne modifierez donc pas le CPE ?
Je comprends les interrogations, j'écoute les inquiétudes. Mais une fois encore : nous ne pouvons pas laisser les jeunes dans un tel désarroi face à l'emploi. Face au traumatisme du chômage des jeunes, les demi-mesures ne sont plus de circonstance : il est temps de faire des choix et de les assumer. Mon choix, c'est de permettre à tous les jeunes d'être enfin accueilli dans de bonnes conditions sur le marché du travail.
Comment expliquez-vous que l'opinion soit aujourd'hui réservée voire hostile au CPE ?
Face à des changements importants, il est naturel que des peurs et des réticences s'expriment. Je souhaite convaincre chacun, pour que le pays puisse franchir sereinement un nouveau cap. Il faut du temps, il faut de la persévérance, le gouvernement n'en manque pas.
Mais les réticences sont fortes...
Ce n'est pas la première fois que notre pays a des choix difficiles à faire. Changer les choses, cela ne va jamais de soi. Tous nos voisins se sont engagés dans cette voie, l'Allemagne, l'Espagne, le Royaume-Uni. Avec tous les Français, nous avons une étape importante à franchir ensemble : permettre à chaque jeune de bien démarrer dans la vie. C'est pour moi une question de justice.
Le CPE est-il selon vous à l'origine de la baisse de votre popularité ?
Je ne crois pas que cela soit la question. La question, c'est comment répondre à une réalité inacceptable : le chômage massif des jeunes.
Sur le CPE, avez-vous le sentiment d'avoir été bien soutenu par l'UMP ?
Nous sommes tous rassemblés. C'est la condition du succès de l'action gouvernementale.
Les chiffres du chômage sont remontés en janvier...
Oui. Et c'est bien la preuve qu'il ne faut pas baisser les bras. La tendance globale reste à la baisse : nous sommes passés de 10,2 % à 9,6 % de taux de chômage en quelques mois. Maintenant il faut poursuivre nos efforts.
Comment expliquez-vous la morosité actuelle ?
Il y a une force de l'identité française, à laquelle je crois : la volonté de ne laisser personne au bord du chemin, le sens de l'Etat, le goût de l'universel. Dans un monde qui change rapidement, nous nous demandons tous si nous pourrons préserver cette identité. Et bien oui, nous le pouvons. La France connaît de vrais succès, elle a des résultats : la baisse du nombre de demandeurs d'emploi, les succès de nos grands champions industriels, les records de créations d'entreprises, les perspectives de croissance pour 2006 montrent que nous tenons le bon bout. Les efforts de chacun paient.
Vous attendez-vous à un printemps chaud ?
Ce que je vois surtout en France, c'est une réelle impatience et la volonté de voir s'ouvrir de nouvelles perspectives. Pour répondre à la fois aux inquiétudes et à l'impatience, nous devons trouver le bon équilibre entre l'écoute et l'action.
Au nom de ce pragmatisme, ne vous affichez-vous pas plus libéral qu'avant ?
Regardons la réalité de notre action : je veux conjuguer plus de souplesse et plus de solidarité, plus de protection pour chacun et une chance pour tous. Prenez le projet de loi sur l'égalité des chances : ce sera un formidable outil pour lutter contre les discriminations, pour donner de nouvelles opportunités à des élèves en difficulté, pour valoriser des quartiers en y développant l'activité économique.
La fusion annoncée de GDF-Suez soulève un tollé des syndicats...
La fusion de Gaz de France et de Suez garantira la sécurité de nos approvisionnements énergétiques dans un contexte international particulièrement agité. Elle renforcera notre dynamisme économique. Elle est donc dans l'intérêt de tous. Bien sûr, le gouvernement sera extrêmement vigilant sur un certain nombre de points : l'Etat ne cèdera aucun titre et restera le premier actionnaire du groupe. Il gardera sa capacité de contrôle sur les décisions stratégiques et le respect des missions de service publics. Il restera enfin garant du statut des personnels. Les intérêts des consommateurs seront préservés et les tarifs du gaz continueront d'être régulés.
Comment réguler le prix du gaz alors que le futur groupe sera privé et les prix libres ?
Quelle est la situation aujourd'hui ? Les tarifs du gaz sont régulés par l'Etat sous le contrôle d'une commission indépendante. La fusion ne change rien à ce dispositif.
Il y a moins de deux ans, le gouvernement s'était engagé à ne pas descendre sous la barre de 70% dans le capital de GDF...
Au cours des deux dernières années, le marché européen de l'énergie a été profondément bouleversé. Nous devons mettre tous les atouts de notre côté pour réussir sur ce marché. Avec la fusion entre Gaz de France et Suez, avec EDF, nous y arriverons.
Bruxelles demande des explications...
Tout se fait bien entendu dans le respect des règles européennes.
Vous êtes d'accord avec François Fillon, conseiller de Nicolas Sarkozy, qui évoque la possibilité de privatiser EDF et la SNCF ?
EDF, la SNCF ou Areva sont des atouts majeurs pour notre pays. Les Français sont attachés à leur statut public, pour de bonnes raisons : ils garantissent l'égalité entre territoire et les citoyens. Il est donc exclu de nous engager dans la voie de la privatisation de ces services publics.
Le patriotisme économique, c'est du protectionnisme ?
Pas du tout. Nous sommes l'un des pays les plus ouverts au monde. Un salarié français sur sept travaille dans une entreprise étrangère. La France est l'une des premières terres d'accueil des investissements étrangers au monde. Cela n'interdit pas de nous protéger contre les actions hostiles et de défendre nos intérêts économiques.
L'approche de la présidentielle ne pollue-t-elle pas l'action gouvernementale ?
Le gouvernement est en action. C'est ma seule préoccupation.
Etes-vous favorable à la modification du calendrier électoral pour les municipales ?
Le calendrier a été fixé. La présidentielle et les législatives en 2007 et les municipales en 2008. On ne change pas les règles du jeu à un an de l'échéance.
Vos liens avec Jacques Chirac se sont-ils distendus, comme l'affirment certains ?
Il y a une chose constante depuis plus de vingt-cinq ans : mes relations avec le président de la République ont toujours été des relations de confiance et d'amitié. C'est vrai depuis 25 ans et ce sera vrai pour les 25 ans à venir ! Le reste n'est que rumeur.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 mars 2006