Déclaration de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, pour la commémoration du soixantième anniversaire de la création des quatre départements d'outre-mer, le 19 mars 1946, sur le multiculturalisme dans les DOM, sur la départementalisation et la décentralisation, La Réunion le 18 mars 2006.

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Je suis particulièrement honoré et fier de me retrouver ici parmi vous aujourd'hui, dans ce merveilleux département français, pour marquer ce moment si symbolique, riche de partage et de fraternité ?un moment républicain, au sens le plus plein du terme.
Nous sommes réunis pour célébrer le soixantième anniversaire de la loi du 19 mars 1946 faisant de la Réunion, de la Guadeloupe, de la Guyane et de la Martinique des départements français. Et c'est avec beaucoup d'émotion que je m'adresse à vous en cette occasion?
Je parlais de moment républicain, car, avec cette loi de 1946, il est bien sûr question de liberté. Cette liberté, c'est d'abord celle de la période historique dans laquelle elle s'inscrit : la France sortait libre d'une terrible épreuve. Cette libération est le fruit d'un combat commun auquel l'outre-mer à largement participé ?et il en a malheureusement payé durement le prix. l'historie de la France libérée est aussi celle de Félix EBOUE, l'un des premiers compagnons du Général de GAULLE, gouverneur du Tchad qu'il rallia à la France Libre. C'est cette France unie par-delà les mers et pour sa propre survie qui a forgé notre destin commun après-guerre.
C'est dans cet esprit de cohésion nationale et d'un avenir partagé au sein de la République que l'Assemblée constituante a voté à l'unanimité la loi sur la départementalisation des « 4 vieilles ».
Cette loi a été portée par des hommes dont je voudrais saluer l'action : je pense naturellement à Monsieur Aimé CESAIRE ?qui, par ailleurs, en a été le rapporteur à l'Assemblée-, Messieurs Raymond VERGES, Léon de LEPERVANCHE, Léopold BISSOL ou encore Georges GRATIANT.
Moment républicain aussi, car cette marche vers la liberté a sonné le glas de l'époque post-coloniale. Il y avait deux voies possibles pour accéder à cette liberté : l'indépendance ou l'égalité. Les 4 vieilles ont choisi la voie de l'égalité républicaine. Je garde en mémoire ces mots célèbres d'Aimé CESAIRE prononcés lors des débats à l'Assemblée à propos de la volonté de ces quatre terres de faire partie intégrante de notre République : « (?) cette demande d'intégration constitue un hommage rendu à la France et à son génie, et cet hommage dans l'actuelle conjoncture internationale prend une importance singulière (?) ». Cette importance était celle qui vous a permis, entre autres, de recouvrer successivement une égalité politique, une égalité sociale, et une égalité économique avec la métropole.
Egalité politique car il s'agissait d'assurer à chacun l'égalité des droits, notamment sociaux, que ne leur garantissait pas le principe colonial de spécialité législative.
Une égalité sociale qui se mettra progressivement en oeuvre avec, en particulier, l'alignement du SMIC et des minima sociaux à partir des années 80. L'identité législative garantissant l'application du droit social commun.
Une égalité économique en cours avec la loi de programme pour l'outre-mer voulue par le Président de la République et fondée sur une logique d'activité et de responsabilité. L'accès à l'égalité économique constitue l'étape ultime qui est en passe d'être totalement réalisée. Aujourd'hui, l'économie des DOM s'est diversifiée, structurée, organisée. Contrairement à la situation des pays qui les entourent, caractérisée par une économique de rente ou polarisée, les économies domiennes ne reposent plus sur un seul secteur. Les activités de services participent de façon croissante à la formation du PIB et le potentiel en matière de recherche et de formation est un gage des futurs pôles d'excellence régionaux que le gouvernement veut encourager. Le haut niveau de création d'emplois salariés ou de croissance est cependant nuancé par la persistance d'un taux de chômage ou de précarité très largement supérieur à celui de la métropole.
Bien évidemment, des efforts restent à faire pour faire face aux handicaps structurels qui affectent les DOM, liés à une évolution démographique quatre fois plus rapide qu'en métropole et au défi d'une population jeune qui doit accéder à l'ensemble des droits économiques et sociaux.
Cette égalité voulue communément est respectueuse des différences, des traditions, des cultures qui composent, avec tant de richesses, les départements d'Outre-mer. Après avoir évoqué la Liberté, après avoir évoqué l'Egalité, j'en viens ainsi à la Fraternité.
Fraternité tout d'abord, de ce lendemain de guerre, où, je le rappelais tout à l'heure, chacun, métropolitains et ultra marins, ayant payé le même prix du sang pour le même idéal, ont voulu donner un sens à la fois symbolique et concret à leur volonté de destin commun.
Mais l'Outre-mer demeure également en soi l'exemple d'un espace de fraternité envié et attractif. Un espace de fraternité apaisé et solide. Ce multiculturalisme originel a conduit à développer des modes de vie et d'acceptation de la différence, un exercice remarqué de la laïcité qui facilite la cohésion sociale. Christianisme, islam, hindouisme se côtoient dans le cadre de la laïcité sans verser dans le communautarisme ou l'intolérance. Et c'est bien cette exemplarité qui a été mise à l'honneur en 2005, année du centenaire de la loi de 1905, lorsque le Ministre de l'intérieur est venu ici, où la première mosquée de France a été bâtie, pour signifier la concorde de votre vivre-ensemble.
A l'heure où en métropole se posent gravement les questions identitaires ou de modèle sociétal, je tenais à souligner que l'outre-mer a su faire de son multiculturalisme une véritable force au service d'un pacte social réussi. Notre pays traverse un moment de doute face aux extrémismes et aux tensions religieuses. Il s'interroge sur son destin et son rôle dans un monde de dangers. Il existe des peurs nées de la mondialisation. Pour moi, cette mondialisation est une force. Elle est une force grâce à nos départements ultra marins parce qu'ils sont source de rayonnement de la France aux quatre coins de la planète.
Je sais combien l'outre-mer se décline au pluriel, combien son identité est multiple. C'est une chance et une exigence pour notre pays que de comprendre et agir en fonction de cette pluralité, de ces spécificités. C'est une exigence pour la France vis-à-vis de ses compatriotes d'Outre-Mer que de renforcer sans cesse cette présence française à travers le monde. C'est cet élan que nous devons poursuivre en commun, au-delà même de la notion de départementalisation.
Car si la départementalisation a été un moment fort et essentiel, une forme moderne de décolonisation, elle n'est pas une fin en soi. Il est temps désormais d'inventer, ensemble, autre chose. Il est temps de tourner nos regards vers l'avenir, conscients des ombres de l'Histoire, mais résolus à faire avancer les lumières de la République que nous continuons de porter conjointement.
Vous êtes les plus à même de sentir combien la notion d'espace est primordiale. Je veux parler ici d'un monde multipolaire, d'un enrichissement mutuel, qui ne doit pas pour autant faire perdre de vue ce qui nous rapproche tous : notre citoyenneté. Je veux parler de vous, départements d'Outre-mer, qui êtes en prise quotidienne avec la pluralité du monde ?que ce soit ici, dans l'Océan indien ou, pour la Guadeloupe, la Guyane et la Martinique, dans les Caraïbes? Vous faites vivre la France dans le chant du monde, vous la faites vivre hors de l'Europe continentale.
La France doit s'appuyer plus souvent sur vous, s'appuyer sur ses départements d'Outre-mer pour pouvoir en dépasser les frontières grâce à une République qui a renforcé, en 2003, sa décentralisation. Avec cette redéfinition de la République décentralisée, la page de la post-décolonisation a définitivement été tournée. Et nous devons puiser nos forces dans cette décentralisation pour faire partager, grâce à vous, notre vision multipolaire du monde.
Ici, à La Réunion, vous êtes une terre de convergences de cultures africaines, indiennes, chinoises et malgaches. Ce qui vous lie, comme ce qui vous rapproche des Antilles ou de la Métropole, c'est l'appartenance à un même pays, à une même République. Ce qui fait la force de notre République, c'est notre vivre-ensemble dans le respect des différences. C'est cette pluralité unifiée que nous devons revendiquer, qui doit être porteuse d'une nouvelle étape à franchir, au-delà de la départementalisation.
Aujourd'hui, l'assimilation est dépassée, nous n'en sommes plus là !
La République est désormais décentralisée et offre de nouvelles perspectives. Aujourd'hui, la Constitution contient trois notions essentielles qui peuvent servir à évoluer vers un nouvel horizon : le droit à l'adaptation, le droit à l'expérimentation et le développement de la démocratie locale, notamment au travers du référendum décisionnel et de l'exercice du droit de pétition.
La République offre ainsi la capacité à chaque département, à chaque territoire, de prendre en main son développement en fonction de ses propres richesses, de sa propre diversité dans le respect, bien sûr, de nos valeurs communes. Plus qu'ailleurs, peut-être, ces possibilités trouvent un écho particulier dans les départements d'Outre-mer où les spécificités sont si importantes.
Regarder vers l'horizon, c'est également prendre pleinement conscience du rôle essentiel qui est le vôtre dans votre environnement géographique. Regarder à l'horizon, c'est développer plus avant la force de la France dont vous êtes le moteur dans l'Océan indien, dans les Caraïbes. C'est à vous désormais de faire partager autour de vous l'universalité des valeurs républicaines qui sont les nôtres. Je sais que vous avez pris la pleine mesure de cette grande et belle responsabilité.
Il y a 60 ans, notre objectif commun était le plein partage de ces valeurs. Aujourd'hui, nous devons ensemble porter ces valeurs, grâce à vous, au travers le monde.
Je suis venu ici pour marquer ce véritable acte de foi que représente la loi du 19 mars 1946. Et pour vous redire combien la France est fière de son Outre-mer. Cette fierté, cette affection de la France pour ses départements d'Outre-mer se sont particulièrement exprimées, outre au travers, bien sûr, de grandes figures de l'Etat qui vont du Général de GAULLE à Jacques CHIRAC, grâce à un homme à qui je voudrais rendre hommage aujourd'hui ici, à La Réunion. Cet homme, mon cher Jean-Louis, est Michel DEBRE.
Guidé par sa foi en la République et la Nation, Michel DEBRE s'est mis au service de nos concitoyens réunionnais pendant les 25 ans de sa députation. La vision politique de cet extraordinaire homme d'Etat, son dévouement et son oeuvre ont été déterminants non seulement pour La Réunion, mais aussi pour les relations entre la société réunionnaise et la France?
Je voudrais terminer en vous disant combien, pour moi, dans la profonde et complexe relation qui unit l'outre-mer à la métropole, la notion d'éloignement est à l'opposée de celle de la distance.
Il y a dix ans, le Président de la République, dans un discours qu'il avait prononcé ici, à l'occasion du 50ème anniversaire de la loi sur la départementalisation, parlait à juste titre d'un « élan du coeur » à propos des relations entre la métropole et l'outre-mer. Un élan du coeur qui allait naturellement au-delà des considérations constitutionnelles ou politiques. Cet élan du coeur ne reconnaît pas les distances géographiques. Il est un perpétuel rapprochement. Il est une exigence de rapprochement.
Je sais que l'éloignement géographique peut vous sembler être un isolement. Que ce même éloignement fait voir à la métropole l'outre-mer telle qu'il n'est pas. C'est là une grande partie de ma mission que de me faire un incessant porte-parole de l'Outre-mer ?votre porte-parole, pour faire vivre plus fortement et partager, dans notre pays comme ailleurs, toute la richesse qui est la vôtre.
La place que vous occupez au sein de notre République n'est pas simplement géographique, elle est avant tout celle de la générosité, celle du partage d'un futur que nous créerons ensemble dans le concert des Nations qui composent l'humanité marqué du sceau de plus que jamais d'actualité, « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Je vous remercie.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 29 mars 2009