Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Vous avez souhaité que j'évoque la place de l'État entre Bruxelles et le marché. Je voudrais le faire à propos de certains aspects de notre politique industrielle.
Politique industrielle et réforme de l'État se rencontrent sur le terrain de la modernisation. Le monde change. Notre pays aussi. L'État ne peut échapper à ce mouvement. Si son besoin demeure, ses modes d'intervention doivent évoluer. Il était gendarme ou providence. Il reste un arbitre et un garant. Il se fait désormais vigie ou stratège. Il ne s'agit plus de se demander principalement ce que l'industrie peut apporter à l'État et à son prestige, mais ce que l'État peut apporter à l'industrie et à son développement, qui est aussi celui de la croissance et de l'emploi. Mener cette stratégie offensive est notre objectif.
Certes, le discours à la mode prétend parfois qu'une bonne part de ce qui fait l'entreprise, capitaux, sièges sociaux, pôles de recherche et centres de décision ou de production, a vocation à s'affranchir de toute base territoriale. Or, même résolument plongées dans la globalisation, mobilisées par la conquête des marchés internationaux, engagées dans des opérations de fusions transfrontalières, les entreprises, leurs dirigeants ressentent encore fortement leur appartenance à une culture nationale ou à l'espace européen. Firmes multinationales, Philips cultive son identité néerlandaise, Nokia son attachement finlandais, Siemens sa dimension allemande, et toutes leur atmosphère européenne, cependant que Microsoft ou Coca-Cola ont une part de singularité américaine. Dimension globale et enracinement national dans un cadre européen, cette double réalité existe.
Cet ancrage participe à l'expansion de la croissance, à la diffusion de l'innovation, à la création d'emplois et à l'évolution du chômage, qui s'est encore réduit de 55 000 le dernier mois. C'est pourquoi notre action doit favoriser l'émergence et le développement d'entreprises avec ce double prisme : une vocation mondiale ; la localisation de leurs centres de gravité, si possible, sur notre territoire, européen ou national. C'est dans ce cadre qu'avec le Premier ministre, Lionel Jospin, nous demanderons prochainement à un parlementaire en mission de tirer les conséquences pratiques du rapport que m'a remis récemment sur ce sujet Frédéric Lavenir. Comprendre finement les évolutions nouvelles de l'économie permet en effet de mieux déterminer quelle est la bonne politique industrielle pour le pays.
Notre stratégie industrielle repose sur deux piliers : des politiques de compétitivité transversale, qui visent à créer l'environnement le plus favorable possible à l'acte industriel ; des politiques de dynamisation des secteurs dans lesquels l'État a une responsabilité particulière.
1) L'impératif de compétitivité se décline dans les différents domaines de la vie économique . Prendre en compte le potentiel productif et, en particulier, industriel, dans la politique macro-économique, dans la politique fiscale, dans les nouvelles régulations ou dans nos dispositifs d'appui à l'exportation, est préférable aux politiques sectorielles à l'ancienne. Réformer les règles du jeu, cela peut impliquer d'introduire plus de concurrence dans des secteurs où prospèrent des rentes injustifiées ou de renforcer le rôle de la puissance publique pour remédier aux dysfonctionnements des marchés. Il ne s'agit pas de préférer l'offre à la demande ou l'inverse, mais de favoriser ce qui marche. La clef de notre compétitivité repose sur cette alliance entre des entreprises dynamiques et une action administrative transparente et équitable. Cet enjeu de compétitivité est aujourd'hui européen. Il n'y aura d'entreprise globale durablement française que sur un marché européen doté d'une dynamique autonome, d'une véritable extension continentale et d'une avance technologique. A cet égard nos intérêts sont convergents avec ceux de nos 14 autres partenaires.
Dans cette entreprise de modernisation et de transparence, l'État -mieux vaudrait d'ailleurs dire Paris- ne s'oppose pas à Bruxelles, mieux vaudrait dire l'Europe. Notre stratégie industrielle s'inscrit pleinement dans la dynamique d'ouverture des marchés dont les autorités communautaires sont les garantes. La concurrence est stimulante et elle doit être appréciée, selon moi, de plus en plus à un niveau européen. Je n'en prendrai qu'un exemple récent: la fusion des groupes TotalFina et Elf, qui forment aujourd'hui la 4ème entreprise mondiale du secteur pétrolier. Cette opération a été autorisée par la Commission en février dernier sous réserve de la mise en uvre d'un certain nombre d'engagements dont la cession de stations services d'autoroutes par les deux compagnies avant qu'elles se rejoignent. Dans un contexte de hausse du coût des carburants, Bruxelles a estimé que cette opération constituait l'opportunité de diversifier sur le marché l'offre d'hydrocarbures et de faciliter une baisse de leurs prix. J'apprécie particulièrement cette initiative de la commission que j'ai partagée parce qu'elle bénéficiait aux consommateurs français, comme aux conducteurs européens nombreux à traverser ou séjourner sur notre territoire. Pour les pouvoirs publics français, développer un climat européen de compétitivité passe par de multiples avancées.
Compétitivité par l'innovation. Elle ne se développera pas sans d'avantage d'initiative privée. Chacun voit également que les pouvoirs publics doivent s'employer à pallier les insuffisances du marché pour encourager la prise de risque et la recherche. Notre objectif doit être d'éviter la fragmentation des projets et des moyens, en nous appuyant sur les initiatives existantes comme Eurêka, en protégeant la propriété industrielle, en garantissant le long terme technologique et économique par une politique de brevets et d'incubateurs, d'universités et de laboratoires. C'est dans ce cadre que j'ai décidé de prolonger pour cinq ans la réduction d'impôt pour l'investissement des particuliers dans les FCP innovation qui venait à échéance fin 2001.
Compétitivité par le droit, afin de mettre un terme à la bataille coûteuse des législations nationales et de faire front commun, pour ce qui est des sécurités notamment, dans les enceintes internationales.
Compétitivité par l'harmonisation des règles du jeu commercial et fiscal, comme nous venons de le faire, pour la fiscalité de l'épargne, lundi à Bruxelles après plusieurs années de négociation. Il ne s'agit pas de tout uniformiser, mais de créer et de partager des règles transparentes pour éviter une compétition fiscale dangereuse entre États européens qui pèserait sur l'emploi et la croissance, nous handicaperait dans la mondialisation, nous retarderait sur la voie de l'Union.
Compétitivité par un espace financier intégré, sûr et transparent, capable de rivaliser avec l'Amérique financière, permettant à nos entreprises de lever des capitaux et d'investir au moindre coût, offrant aux emprunteurs des modalités de financement plus souples, moins chères.
Compétitivité par un environnement budgétaire également, alliant des dépenses maîtrisées et orientées vers l'avenir, des déficits et un endettement allégés, des impôts qui se modèrent dans un cadre pluriannuel, tout cela consolidant investissement et pouvoir d'achat, favorisant la consommation comme la production, soutenant l'initiative et l'emploi et conduisant à réformer -ce sera le cas au printemps prochain pour les finances publiques- nos pratiques et nos règles ainsi qu'on l'a commencé dès maintenant avec le code des marchés publics et le fonctionnement du Minefi.
Compétitivité par l'encouragement à la création d'entreprise. Des mesures importantes ont déjà été prises, notamment après les états généraux d'avril dernier. Il convient de donner une nouvelle impulsion à la simplification des procédures d'aides aux créateurs et de soutien aux PME. C'est pourquoi j'ai demandé à la Caisse des dépôts et consignations et à la BDPME, auxquelles pourront s'adjoindre d'autres établissements et d'autres partenaires, de concevoir en commun les moyens nécessaires pour offrir aux PME de nouveaux services : appui aux réseaux d'aide à la création d'entreprises, information sur les PME et pour les PME, prestation de services aux collectivités locales. Un " portail " unique permettra aux nouveaux entrepreneurs d'avoir accès à un même guichet recensant tous les soutiens publics.
Compétitivité par la modernisation de la société et de l'État. Cela passe par une gestion démocratique du social car l'implication et la formation des salariés est essentielle. Il faut faire la part de la convention et de la loi comme nous l'avons voulu dans le projet d'épargne salariale, considérant que le dialogue entre employeurs et employés est un facteur de performance, discernant l'intérêt partagé d'une association des salariés à la vie de l'entreprise, encourageant la mise en uvre de politiques d'éducation et de formation tout au long de la vie, d'adaptation et de développement des compétences de la main d'uvre, de valorisation des acquis, comprenant aussi que le numérique et donc l'apprentissage massif et rapide des NTIC, à l'école, dans l'entreprise, à la maison, sont la nouvelle frontière de l'économie, dans la société du savoir.
2) Dans cet environnement rendu plus propice, au renforcement de notre potentiel de croissance, l'État doit s'attacher à dynamiser les secteurs dans lesquels il a une responsabilité particulière. Il ne faudrait en effet pas déduire de ce que je viens de dire que la politique sectorielle n'a plus de justification. Là où il reste impliqué, l'État doit assumer les responsabilités qui sont les siennes. Nous devons considérer le secteur public comme un atout. Je ne traiterai pas de l'ensemble du secteur public ou de l'action publique, mais je prendrai quelques exemples significatifs.
Dans le domaine des nouvelles technologies et des télécommunications, où les pouvoirs publics avaient investi à juste titre précocement, ceux-ci ont démontré que la présence de l'État au capital pouvait être un accélérateur. Depuis le début de l'année, France Télécom a accéléré son développement dans le secteur des mobiles en europe. Le rachat d'Orange, ses prises de participations en Italie, en Allemagne, en Suisse, en font le numéro deux du secteur et lui donnent les moyens d'une stratégie UMTS globale et cohérente. De même, dans le secteur des services mondiaux aux entreprises, la consolidation successive de Global One et d'Equant place désormais France Télécom en tête.
Comme il l'a fait par exemple pour Thomson Multimédia, l'État doit se comporter comme un actionnaire actif qui accompagne le développement stratégique et met en ordre de bataille les entreprises publiques du secteur concurrentiel pour leur permettre de profiter des nouveaux espaces qui leurs sont ouverts. C'est particulièrement vrai aujourd'hui dans les secteurs de l'énergie, de l'aéronautique et de l'espace, ainsi que de la communication, que je voudrais prendre comme autant d'exemples de notre stratégie.
a) Dans le secteur énergétique, les pouvoirs publics doivent répondre à une redistribution des cartes. L'ouverture des marchés intérieurs de l'électricité et du gaz dans l'Union a transformé la donne. Une forte concurrence s'est déjà instaurée entre électriciens et elle va faire son apparition entre gaziers ; une concurrence " inter-énergie " va rapidement se développer.
Face à ces bouleversements, nous aurons pour les entreprises publiques françaises du secteur de l'énergie une stratégie offensive afin de les adapter à leur nouvel environnement. Beaucoup a été fait au cours des derniers mois, qu'il s'agisse de l'accord commercial qui vient d'être conclu entre la CNR et Electrabel, du partenariat noué entre la SNET et Endesa, ou encore de l'alliance industrielle et capitalistique entre EDF et Dalkia qui doit permettre à EDF de se développer dans le domaine des services et de valoriser son offre.
Beaucoup reste encore à faire. Pour la filière nucléaire, l'urgence était la remise en ordre. Nous avons défini notre stratégie que je suis heureux de présenter aujourd'hui . Simplifier un enchevêtrement juridique et un empilage capitalistique historiquement complexe au profit de l'efficacité industrielle, choisir la transparence, financer le démantèlement à venir des installations au nom du développement durable, compenser la stagnation d'un certain nombre de marchés, donner à FCI -troisième entreprise mondiale dans le secteur de la connectique- les moyens de son développement en accédant directement au marché, tout cela nécessitait de rassembler nos forces. C'est ce qui sera fait dans un groupe industriel intégré composé désormais de 2 pôles, l'un "nucléaire", avec Framatome ANP et COGEMA, l'autre "nouvelles technologies", avec FCI et STMicroelectronics. Cet acteur mondial de premier rang pourra accueillir dans son capital de grands partenaires industriels ou voir son " flottant " élargi, CEA-I étant d'ores et déjà coté. Ainsi, avec le Premier Ministre et le Secrétaire d'État Christian Pierret, nous avons voulu que la filière nucléaire trouve de nouveaux métiers, une large assise financière, une légitimité plus entière. L'annonce en sera précisée aujourd'hui même.
Au leader européen GDF, nous confirmons les moyens de ses ambitions tout en maintenant la sécurité d'approvisionnement du pays. Depuis août 2000, l'ouverture des marchés gaziers intervient dans un contexte marqué par des perspectives significatives de croissance, par la concentration des opérateurs, par une volatilité accrue des relations entre clients et fournisseurs. L'ambition des pouvoirs publics est de faire de GDF un acteur de taille européenne qui sera intégré de la prospection à la commercialisation afin de maintenir en France et d'exporter en europe un modèle de service public qui a fait ses preuves. Notre volonté implique des alliances industrielles entre gaziers, pétroliers et électriciens, français et étrangers. Une entreprise investie de missions de service public peut, sans tabou, nouer des partenariats industriels qui se traduisent par une alliance capitalistique. Une grande entreprise peut affronter sans frilosité la concurrence, même si elle est publique. Concilier compétitivité industrielle et service public " à la française ", ce peut être privilégier deux fois ce qui marche. C'est dans ce cadre, qu'avec pour objectif un projet industriel et social ambitieux, nous devons être ouverts pour faire évoluer le moment venu le statut de GDF.
b) Le secteur de l'aéronautique et de l'espace constitue un pôle d'excellence dont l'État, comme il l'a fait à chaque étape importante depuis 1997, doit soutenir le développement et les complémentarités à travers les groupes dont il est actionnaire. Nous l'avons fait avec EADS ou en constituant un grand pôle français d'électronique autour de Thomson-CSF privatisée dans le cadre d'une alliance stratégique avec Alcatel.
Nous soutiendrons ce développement avec la Snecma qui, depuis le début de l'année, a déjà fédéré les principaux acteurs français des moteurs d'avions et des équipements aéronautiques, et dont nous souhaitons que, renforcée, elle joue un rôle de premier plan dans l'évolution du secteur des motoristes en europe continentale.
Nos industries d'armement terrestre et naval doivent participer à ce même mouvement. C'est pourquoi une alliance commerciale portant sur tous les programmes à l'exportation et en coopération a été nouée entre DCN et Thomson-CSF. Elle se traduira rapidement par la création d'une société commune pour laquelle un accord est en voie de finalisation entre État et industriels.
c) J'évoquerai un dernier secteur, celui de la culture et de la communication. Comme l'énergie, les télécom, l'aéronautique, il constitue une réserve puissante de valeur et de richesses pour la France qui, en ce domaine, est leader. Diversité, excellence, nous devons renforcer nos positions et faire preuve d'esprit constructeur. Les industries culturelles connaissent une croissance que l'avènement du numérique nourrit et déstabilise à la fois. Au stade de la création, la notion de droits d'auteur est malmenée. Au stade de la diffusion, l'économie d'Internet révolutionne les pratiques. S'agissant de la consommation, les usages se transforment à vive allure. La France, première puissance touristique mondiale, sait déjà importer de la valeur ajoutée, sur la base d'un capital culturel. Demain, elle doit savoir davantage l'exporter.
Le numérique hertzien, qui correspond à la fois à une révolution industrielle et à une extension démocratique dans le domaine de l'information et de l'audiovisuel, permettra à chaque téléspectateur d'accéder à plus de 30 chaînes. Nous sommes résolus à aller vite dans sa mise en place, en associant dans une même démarche les opérateurs publics, les opérateurs privés historiques -TF1, Canal +, M6-, les nouveaux entrants et ce partenaire important qu'est la PQR, et en soutenant l'émergence de "champions mondiaux" dans le domaine des contenus. Ceci passe par une politique de production cinématographique, éditoriale, musicale qu'il faut vigoureusement soutenir et un accord Vivendi-Seagram qui doit être compatible avec les exigences du CSA, ainsi que par la définition de nouvelles formes de rémunération pour la protection des droits d'auteur.
Mesdames et Messieurs, il s'agit de quitter une habitude, celle de l'État prescripteur, pour adopter une pratique, celle de l'État-partenaire. Un État attaché au contrat social, aiguilleur du développement économique, centré sur ses missions régaliennes, soutenant et développant l'initiative privée, agissant en réseau, laissant les décisions se prendre entre autorités de même niveau plutôt qu'en les faisant systématiquement remonter, adoptant pour règles de fonctionnement la proximité et l'efficacité. A partir de là nous pouvons définir une politique industrielle pour la France. Sphère publique et sphère privée entretiennent depuis dix ans des relations pacifiées et bénéfiques pour le pays, compétitivité transversale et dynamisation sectorielle doivent être nos règles. Ceci doit être poursuivi et amplifié.
Résolument mondiales et passionnément françaises, nos entreprises inscrivent leur stratégie dans le cadre européen. C'est le cadre de la croissance, de l'emploi, du progrès. Ces objectifs ne peuvent être remplis qu'en misant à fond dans son dialogue social. Entre Bruxelles et le marché, avec Bruxelles et le marché, il y a donc place pour un État qui développe des partenariats et inscrit ses choix dans le long terme. Un État qui a une stratégie.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 4 décembre 2000)
Vous avez souhaité que j'évoque la place de l'État entre Bruxelles et le marché. Je voudrais le faire à propos de certains aspects de notre politique industrielle.
Politique industrielle et réforme de l'État se rencontrent sur le terrain de la modernisation. Le monde change. Notre pays aussi. L'État ne peut échapper à ce mouvement. Si son besoin demeure, ses modes d'intervention doivent évoluer. Il était gendarme ou providence. Il reste un arbitre et un garant. Il se fait désormais vigie ou stratège. Il ne s'agit plus de se demander principalement ce que l'industrie peut apporter à l'État et à son prestige, mais ce que l'État peut apporter à l'industrie et à son développement, qui est aussi celui de la croissance et de l'emploi. Mener cette stratégie offensive est notre objectif.
Certes, le discours à la mode prétend parfois qu'une bonne part de ce qui fait l'entreprise, capitaux, sièges sociaux, pôles de recherche et centres de décision ou de production, a vocation à s'affranchir de toute base territoriale. Or, même résolument plongées dans la globalisation, mobilisées par la conquête des marchés internationaux, engagées dans des opérations de fusions transfrontalières, les entreprises, leurs dirigeants ressentent encore fortement leur appartenance à une culture nationale ou à l'espace européen. Firmes multinationales, Philips cultive son identité néerlandaise, Nokia son attachement finlandais, Siemens sa dimension allemande, et toutes leur atmosphère européenne, cependant que Microsoft ou Coca-Cola ont une part de singularité américaine. Dimension globale et enracinement national dans un cadre européen, cette double réalité existe.
Cet ancrage participe à l'expansion de la croissance, à la diffusion de l'innovation, à la création d'emplois et à l'évolution du chômage, qui s'est encore réduit de 55 000 le dernier mois. C'est pourquoi notre action doit favoriser l'émergence et le développement d'entreprises avec ce double prisme : une vocation mondiale ; la localisation de leurs centres de gravité, si possible, sur notre territoire, européen ou national. C'est dans ce cadre qu'avec le Premier ministre, Lionel Jospin, nous demanderons prochainement à un parlementaire en mission de tirer les conséquences pratiques du rapport que m'a remis récemment sur ce sujet Frédéric Lavenir. Comprendre finement les évolutions nouvelles de l'économie permet en effet de mieux déterminer quelle est la bonne politique industrielle pour le pays.
Notre stratégie industrielle repose sur deux piliers : des politiques de compétitivité transversale, qui visent à créer l'environnement le plus favorable possible à l'acte industriel ; des politiques de dynamisation des secteurs dans lesquels l'État a une responsabilité particulière.
1) L'impératif de compétitivité se décline dans les différents domaines de la vie économique . Prendre en compte le potentiel productif et, en particulier, industriel, dans la politique macro-économique, dans la politique fiscale, dans les nouvelles régulations ou dans nos dispositifs d'appui à l'exportation, est préférable aux politiques sectorielles à l'ancienne. Réformer les règles du jeu, cela peut impliquer d'introduire plus de concurrence dans des secteurs où prospèrent des rentes injustifiées ou de renforcer le rôle de la puissance publique pour remédier aux dysfonctionnements des marchés. Il ne s'agit pas de préférer l'offre à la demande ou l'inverse, mais de favoriser ce qui marche. La clef de notre compétitivité repose sur cette alliance entre des entreprises dynamiques et une action administrative transparente et équitable. Cet enjeu de compétitivité est aujourd'hui européen. Il n'y aura d'entreprise globale durablement française que sur un marché européen doté d'une dynamique autonome, d'une véritable extension continentale et d'une avance technologique. A cet égard nos intérêts sont convergents avec ceux de nos 14 autres partenaires.
Dans cette entreprise de modernisation et de transparence, l'État -mieux vaudrait d'ailleurs dire Paris- ne s'oppose pas à Bruxelles, mieux vaudrait dire l'Europe. Notre stratégie industrielle s'inscrit pleinement dans la dynamique d'ouverture des marchés dont les autorités communautaires sont les garantes. La concurrence est stimulante et elle doit être appréciée, selon moi, de plus en plus à un niveau européen. Je n'en prendrai qu'un exemple récent: la fusion des groupes TotalFina et Elf, qui forment aujourd'hui la 4ème entreprise mondiale du secteur pétrolier. Cette opération a été autorisée par la Commission en février dernier sous réserve de la mise en uvre d'un certain nombre d'engagements dont la cession de stations services d'autoroutes par les deux compagnies avant qu'elles se rejoignent. Dans un contexte de hausse du coût des carburants, Bruxelles a estimé que cette opération constituait l'opportunité de diversifier sur le marché l'offre d'hydrocarbures et de faciliter une baisse de leurs prix. J'apprécie particulièrement cette initiative de la commission que j'ai partagée parce qu'elle bénéficiait aux consommateurs français, comme aux conducteurs européens nombreux à traverser ou séjourner sur notre territoire. Pour les pouvoirs publics français, développer un climat européen de compétitivité passe par de multiples avancées.
Compétitivité par l'innovation. Elle ne se développera pas sans d'avantage d'initiative privée. Chacun voit également que les pouvoirs publics doivent s'employer à pallier les insuffisances du marché pour encourager la prise de risque et la recherche. Notre objectif doit être d'éviter la fragmentation des projets et des moyens, en nous appuyant sur les initiatives existantes comme Eurêka, en protégeant la propriété industrielle, en garantissant le long terme technologique et économique par une politique de brevets et d'incubateurs, d'universités et de laboratoires. C'est dans ce cadre que j'ai décidé de prolonger pour cinq ans la réduction d'impôt pour l'investissement des particuliers dans les FCP innovation qui venait à échéance fin 2001.
Compétitivité par le droit, afin de mettre un terme à la bataille coûteuse des législations nationales et de faire front commun, pour ce qui est des sécurités notamment, dans les enceintes internationales.
Compétitivité par l'harmonisation des règles du jeu commercial et fiscal, comme nous venons de le faire, pour la fiscalité de l'épargne, lundi à Bruxelles après plusieurs années de négociation. Il ne s'agit pas de tout uniformiser, mais de créer et de partager des règles transparentes pour éviter une compétition fiscale dangereuse entre États européens qui pèserait sur l'emploi et la croissance, nous handicaperait dans la mondialisation, nous retarderait sur la voie de l'Union.
Compétitivité par un espace financier intégré, sûr et transparent, capable de rivaliser avec l'Amérique financière, permettant à nos entreprises de lever des capitaux et d'investir au moindre coût, offrant aux emprunteurs des modalités de financement plus souples, moins chères.
Compétitivité par un environnement budgétaire également, alliant des dépenses maîtrisées et orientées vers l'avenir, des déficits et un endettement allégés, des impôts qui se modèrent dans un cadre pluriannuel, tout cela consolidant investissement et pouvoir d'achat, favorisant la consommation comme la production, soutenant l'initiative et l'emploi et conduisant à réformer -ce sera le cas au printemps prochain pour les finances publiques- nos pratiques et nos règles ainsi qu'on l'a commencé dès maintenant avec le code des marchés publics et le fonctionnement du Minefi.
Compétitivité par l'encouragement à la création d'entreprise. Des mesures importantes ont déjà été prises, notamment après les états généraux d'avril dernier. Il convient de donner une nouvelle impulsion à la simplification des procédures d'aides aux créateurs et de soutien aux PME. C'est pourquoi j'ai demandé à la Caisse des dépôts et consignations et à la BDPME, auxquelles pourront s'adjoindre d'autres établissements et d'autres partenaires, de concevoir en commun les moyens nécessaires pour offrir aux PME de nouveaux services : appui aux réseaux d'aide à la création d'entreprises, information sur les PME et pour les PME, prestation de services aux collectivités locales. Un " portail " unique permettra aux nouveaux entrepreneurs d'avoir accès à un même guichet recensant tous les soutiens publics.
Compétitivité par la modernisation de la société et de l'État. Cela passe par une gestion démocratique du social car l'implication et la formation des salariés est essentielle. Il faut faire la part de la convention et de la loi comme nous l'avons voulu dans le projet d'épargne salariale, considérant que le dialogue entre employeurs et employés est un facteur de performance, discernant l'intérêt partagé d'une association des salariés à la vie de l'entreprise, encourageant la mise en uvre de politiques d'éducation et de formation tout au long de la vie, d'adaptation et de développement des compétences de la main d'uvre, de valorisation des acquis, comprenant aussi que le numérique et donc l'apprentissage massif et rapide des NTIC, à l'école, dans l'entreprise, à la maison, sont la nouvelle frontière de l'économie, dans la société du savoir.
2) Dans cet environnement rendu plus propice, au renforcement de notre potentiel de croissance, l'État doit s'attacher à dynamiser les secteurs dans lesquels il a une responsabilité particulière. Il ne faudrait en effet pas déduire de ce que je viens de dire que la politique sectorielle n'a plus de justification. Là où il reste impliqué, l'État doit assumer les responsabilités qui sont les siennes. Nous devons considérer le secteur public comme un atout. Je ne traiterai pas de l'ensemble du secteur public ou de l'action publique, mais je prendrai quelques exemples significatifs.
Dans le domaine des nouvelles technologies et des télécommunications, où les pouvoirs publics avaient investi à juste titre précocement, ceux-ci ont démontré que la présence de l'État au capital pouvait être un accélérateur. Depuis le début de l'année, France Télécom a accéléré son développement dans le secteur des mobiles en europe. Le rachat d'Orange, ses prises de participations en Italie, en Allemagne, en Suisse, en font le numéro deux du secteur et lui donnent les moyens d'une stratégie UMTS globale et cohérente. De même, dans le secteur des services mondiaux aux entreprises, la consolidation successive de Global One et d'Equant place désormais France Télécom en tête.
Comme il l'a fait par exemple pour Thomson Multimédia, l'État doit se comporter comme un actionnaire actif qui accompagne le développement stratégique et met en ordre de bataille les entreprises publiques du secteur concurrentiel pour leur permettre de profiter des nouveaux espaces qui leurs sont ouverts. C'est particulièrement vrai aujourd'hui dans les secteurs de l'énergie, de l'aéronautique et de l'espace, ainsi que de la communication, que je voudrais prendre comme autant d'exemples de notre stratégie.
a) Dans le secteur énergétique, les pouvoirs publics doivent répondre à une redistribution des cartes. L'ouverture des marchés intérieurs de l'électricité et du gaz dans l'Union a transformé la donne. Une forte concurrence s'est déjà instaurée entre électriciens et elle va faire son apparition entre gaziers ; une concurrence " inter-énergie " va rapidement se développer.
Face à ces bouleversements, nous aurons pour les entreprises publiques françaises du secteur de l'énergie une stratégie offensive afin de les adapter à leur nouvel environnement. Beaucoup a été fait au cours des derniers mois, qu'il s'agisse de l'accord commercial qui vient d'être conclu entre la CNR et Electrabel, du partenariat noué entre la SNET et Endesa, ou encore de l'alliance industrielle et capitalistique entre EDF et Dalkia qui doit permettre à EDF de se développer dans le domaine des services et de valoriser son offre.
Beaucoup reste encore à faire. Pour la filière nucléaire, l'urgence était la remise en ordre. Nous avons défini notre stratégie que je suis heureux de présenter aujourd'hui . Simplifier un enchevêtrement juridique et un empilage capitalistique historiquement complexe au profit de l'efficacité industrielle, choisir la transparence, financer le démantèlement à venir des installations au nom du développement durable, compenser la stagnation d'un certain nombre de marchés, donner à FCI -troisième entreprise mondiale dans le secteur de la connectique- les moyens de son développement en accédant directement au marché, tout cela nécessitait de rassembler nos forces. C'est ce qui sera fait dans un groupe industriel intégré composé désormais de 2 pôles, l'un "nucléaire", avec Framatome ANP et COGEMA, l'autre "nouvelles technologies", avec FCI et STMicroelectronics. Cet acteur mondial de premier rang pourra accueillir dans son capital de grands partenaires industriels ou voir son " flottant " élargi, CEA-I étant d'ores et déjà coté. Ainsi, avec le Premier Ministre et le Secrétaire d'État Christian Pierret, nous avons voulu que la filière nucléaire trouve de nouveaux métiers, une large assise financière, une légitimité plus entière. L'annonce en sera précisée aujourd'hui même.
Au leader européen GDF, nous confirmons les moyens de ses ambitions tout en maintenant la sécurité d'approvisionnement du pays. Depuis août 2000, l'ouverture des marchés gaziers intervient dans un contexte marqué par des perspectives significatives de croissance, par la concentration des opérateurs, par une volatilité accrue des relations entre clients et fournisseurs. L'ambition des pouvoirs publics est de faire de GDF un acteur de taille européenne qui sera intégré de la prospection à la commercialisation afin de maintenir en France et d'exporter en europe un modèle de service public qui a fait ses preuves. Notre volonté implique des alliances industrielles entre gaziers, pétroliers et électriciens, français et étrangers. Une entreprise investie de missions de service public peut, sans tabou, nouer des partenariats industriels qui se traduisent par une alliance capitalistique. Une grande entreprise peut affronter sans frilosité la concurrence, même si elle est publique. Concilier compétitivité industrielle et service public " à la française ", ce peut être privilégier deux fois ce qui marche. C'est dans ce cadre, qu'avec pour objectif un projet industriel et social ambitieux, nous devons être ouverts pour faire évoluer le moment venu le statut de GDF.
b) Le secteur de l'aéronautique et de l'espace constitue un pôle d'excellence dont l'État, comme il l'a fait à chaque étape importante depuis 1997, doit soutenir le développement et les complémentarités à travers les groupes dont il est actionnaire. Nous l'avons fait avec EADS ou en constituant un grand pôle français d'électronique autour de Thomson-CSF privatisée dans le cadre d'une alliance stratégique avec Alcatel.
Nous soutiendrons ce développement avec la Snecma qui, depuis le début de l'année, a déjà fédéré les principaux acteurs français des moteurs d'avions et des équipements aéronautiques, et dont nous souhaitons que, renforcée, elle joue un rôle de premier plan dans l'évolution du secteur des motoristes en europe continentale.
Nos industries d'armement terrestre et naval doivent participer à ce même mouvement. C'est pourquoi une alliance commerciale portant sur tous les programmes à l'exportation et en coopération a été nouée entre DCN et Thomson-CSF. Elle se traduira rapidement par la création d'une société commune pour laquelle un accord est en voie de finalisation entre État et industriels.
c) J'évoquerai un dernier secteur, celui de la culture et de la communication. Comme l'énergie, les télécom, l'aéronautique, il constitue une réserve puissante de valeur et de richesses pour la France qui, en ce domaine, est leader. Diversité, excellence, nous devons renforcer nos positions et faire preuve d'esprit constructeur. Les industries culturelles connaissent une croissance que l'avènement du numérique nourrit et déstabilise à la fois. Au stade de la création, la notion de droits d'auteur est malmenée. Au stade de la diffusion, l'économie d'Internet révolutionne les pratiques. S'agissant de la consommation, les usages se transforment à vive allure. La France, première puissance touristique mondiale, sait déjà importer de la valeur ajoutée, sur la base d'un capital culturel. Demain, elle doit savoir davantage l'exporter.
Le numérique hertzien, qui correspond à la fois à une révolution industrielle et à une extension démocratique dans le domaine de l'information et de l'audiovisuel, permettra à chaque téléspectateur d'accéder à plus de 30 chaînes. Nous sommes résolus à aller vite dans sa mise en place, en associant dans une même démarche les opérateurs publics, les opérateurs privés historiques -TF1, Canal +, M6-, les nouveaux entrants et ce partenaire important qu'est la PQR, et en soutenant l'émergence de "champions mondiaux" dans le domaine des contenus. Ceci passe par une politique de production cinématographique, éditoriale, musicale qu'il faut vigoureusement soutenir et un accord Vivendi-Seagram qui doit être compatible avec les exigences du CSA, ainsi que par la définition de nouvelles formes de rémunération pour la protection des droits d'auteur.
Mesdames et Messieurs, il s'agit de quitter une habitude, celle de l'État prescripteur, pour adopter une pratique, celle de l'État-partenaire. Un État attaché au contrat social, aiguilleur du développement économique, centré sur ses missions régaliennes, soutenant et développant l'initiative privée, agissant en réseau, laissant les décisions se prendre entre autorités de même niveau plutôt qu'en les faisant systématiquement remonter, adoptant pour règles de fonctionnement la proximité et l'efficacité. A partir de là nous pouvons définir une politique industrielle pour la France. Sphère publique et sphère privée entretiennent depuis dix ans des relations pacifiées et bénéfiques pour le pays, compétitivité transversale et dynamisation sectorielle doivent être nos règles. Ceci doit être poursuivi et amplifié.
Résolument mondiales et passionnément françaises, nos entreprises inscrivent leur stratégie dans le cadre européen. C'est le cadre de la croissance, de l'emploi, du progrès. Ces objectifs ne peuvent être remplis qu'en misant à fond dans son dialogue social. Entre Bruxelles et le marché, avec Bruxelles et le marché, il y a donc place pour un État qui développe des partenariats et inscrit ses choix dans le long terme. Un État qui a une stratégie.
(source http://www.finances.gouv.fr, le 4 décembre 2000)