Discours de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur sur la participation active de la France à l'élaboration et au suivi de la politique commerciale européenne , Paris le 23 mars 2006

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Circonstance : Intervention au Club des ambassadeurs sur le thème : la politique commerciale européenne : réussir la mondialisation à Paris le 23 mars 2006

Texte intégral


L'Union européenne qui est le premier exportateur au monde, mène la politique commerciale de l'Union. La France est aujourd'hui le cinquième exportateur mondial. Sa part de marché mondiale est de 5 %. 22 % de notre population active ont une activité qui dépend directement ou indirectement des exportations. Ceci illustre par ailleurs la nature très ouverte de notre économie qui est aussi la deuxième destination pour les investissements étrangers au sein de l'Union.
Cette importance des échanges internationaux pour l'économie française explique la participation active de la France à l'élaboration et au suivi de la politique commerciale européenne.
La France n'est pas protectionniste. Elle applique évidemment la même politique que l'Union (tarifs, normes, réglementations) car l'Union européenne est un marché unique doté d'une monnaie commune. Au sein des 25, les mêmes règles s'appliquent à tous en matière de politique commerciale.
I. Les négociations du cycle de Doha ne sont pas encore entrées dans un cercle vertueux mais il ne faut pas baisser les bras
1.Sans être un réel succès, Hong-Kong a permis de préserver l'essentiel
La conférence ministérielle de Hong Kong, sans être un échec, ne peut pas être qualifiée de grand succès. Si l'objectif du développement a pu progresser, ce dont la France se félicite, les intérêts offensifs de l'Union n'ont pas connu de mouvement positif, notamment en matière d'accès aux marchés des produits manufacturés et des services.
Le commissaire au Commerce a pu, en dépit d'une pression considérable à Hong Kong, maintenir une position ferme, consistant à refuser de mettre une nouvelle offre sur la table tant que nos partenaires de la négociation n'avaient pas montré leur volonté de faire des concessions à leur tour. Avant Hong-Kong, l'Union a en effet par deux fois mis sur la table des offres crédibles et ambitieuses, y compris sur l'agriculture. Il n'était donc pas concevable de se montrer encore plus généreux alors que nous n'avions rien obtenu en retour. La fermeté du Commissaire, qui s'est appuyé sur un Conseil uni et solidaire, a permis à l'Union de franchir l'étape de Hong Kong, en préservant l'essentiel.
2.Les pays émergents et les Etats-Unis doivent s'engager dans les négociations
La question qui se pose aujourd'hui est assez simple : les grands pays émergents, comme l'Inde ou le Brésil, sont-il disposés à ouvrir leurs marchés ? Ou cherchent-il à obtenir « un cycle gratuit », en demandant beaucoup aux pays développés ? La réunion du G6 de Londres, les 10 et 11 mars dernier, n'a, à cet égard, pas apporté de réponse.
La déclaration ministérielle de Hong Kong prévoit que les modalités techniques de l'accès aux marchés agricole et industriel devront être arrêtées au 30 avril. Pour cela, il faut entrer en négociation de bonne foi avec l'objectif d'obtenir un résultat équilibré. L'Union européenne, selon la formule du Commissaire Mandelson, ne pourra pas être « le seul banquier du cycle ». La France soutient totalement l'approche offensive du commissaire sur l'accès au marché pour les produits manufacturés et les services : nos entreprises veulent un accès effectif au marché, et non simplement un accès au marché sur le papier. La France, comme l'ensemble des Etats membres de l'Union, considère que les pays émergents et les Etats Unis doivent ouvrir effectivement leurs marchés des biens et des services aux entreprises européennes.
S'agissant des services, les offres de nos partenaires sont insuffisantes et inférieures au niveau d'ambition de l'offre communautaire. Cette situation est préoccupante car le volet services concentre l'essentiel des intérêts offensifs de la France et des autres Etats Membres. Les gains potentiels de la libéralisation des échanges de services sont élevés, en particulier pour les pays en développement : en refusant de s'engager dans cette négociation, et en ne déposant que des offres modestes, largement en dessous des conditions actuelles d'accès au marché, ces pays manquent l'opportunité d'améliorer leur attractivité pour les investissements étrangers qui sont pourtant créateurs d'emplois et de croissance.
Les perspectives se sont toutefois quelque peu éclaircies depuis le début d'année, avec en ligne de mire l'échéance de juillet 2006 pour le dépôt de nouvelles offres. Les Membres se sont rapprochés par petits groupes d'intérêts pour s'adresser des requêtes dans les secteurs où ils attendent des concessions supplémentaires. La négociation va donc pouvoir se nouer sur cette nouvelle base dans les semaines à venir, autour du processus dit « plurilatéral ».
L'Union s'est associée à un grand nombre d'initiatives plurilatérales, notamment concernant les secteurs des services professionnels, environnementaux et financiers et les services de construction. Ces initiatives sont compatibles avec les objectifs européens concernant les secteurs sensibles des services publics et de la diversité culturelle, qui seront préservés. Cette dynamique doit maintenant être entretenue. C'est l'objectif de la revue à mi-parcours organisée à la fin avril.
3.La négociation agricole concentre encore une grande attention, parfois disproportionnée
3.1S'agissant de la négociation agricole, je souhaite réfuter quelques contrevérités :
3.1.1. La politique agricole commune n'est pas une politique du passé. La réforme majeure de 2003, avec le découplage des aides, et l'acceptation sous condition de l'élimination des subventions aux exportations d'ici fin 2013, témoignent d'une évolution claire dans un sens qui ne perturbent plus les échanges mondiaux. L'agriculture et l'agroalimentaire sont des secteurs économiques majeurs. En France, par exemple, les exportations agroalimentaires représentent 12 % des exportations. Il nous faut préparer l'avenir: relever le défi de la sécurité alimentaire et de l'approvisionnement mondial, dans un contexte où les besoins mondiaux de nourriture augmenteront de 55 % d'ici 2050, alors même que les surfaces cultivées diminueront. Qui peut contester le choix politique d'une agriculture respectueuse de l'environnement, de la traçabilité, du terroir et qui contribue à façonner nos valeurs européennes ?
3.1.2. Deuxièmement, l'Europe n'est pas une « forteresse agricole » qui existerait aux dépens des pays en développement. Avec ses régimes commerciaux préférentiels, l'UE importe plus de produits agricoles des PED que les Etats-Unis, le Canada, le Japon, l'Australie et la Nouvelle- Zélande réunis.
3.1.3. Troisièmement, une libéralisation agricole ne favoriserait pas le développement des pays les plus pauvres. Elle bénéficiera plutôt à un petit nombre de pays agricoles exportateurs très compétitifs, tel que le Brésil, parfois au détriment de la forêt amazonienne. Derrière des positions tactiques, les pays agro exportateurs cherchent à négocier un Yalta des marchés agricoles au détriment de l'Europe et sans être à l'avantage de l'Afrique.
3.2 La PAC réformée sera préservée
Dans la négociation en cours, la position de la France est claire et elle est partagée par la majorité des Etats membres. Le premier souci de tous les Etats Membres, qui ont donné à l'unanimité un mandat en ce sens à la Commission, est d'éviter que la négociation en cours ne remette en cause la PAC réformée.
Pour cela, la France souhaite tout d'abord un équilibre au sein du pilier des soutiens export : la date d'élimination de 2013 pour les subventions à l'exportations des produits agricoles doit s'accompagner d'un effort symétrique de nos partenaires, en matière d'aide alimentaire abusive et déstabilisatrice, de crédits à l'exportation à des conditions plus favorables que celles du marché, ou encore de pouvoirs monopolistiques de certaines sociétés canadiennes, néo-zélandaises ou australiennes.
En outre, l'Union européenne demande un équilibre entre les trois volets de la négociation agricole : soutiens exports, soutiens internes, et accès au marché. En matière d'accès au marché agricole, l'offre faite par la Commission européenne le 28 octobre dernier est très ambitieuse, beaucoup plus que ce que nous proposent les pays émergents sur les produits manufacturés : elle représente en effet une baisse du droit de douane moyen réel de l'ordre de 47 %. La France et de nombreux Etats Membres, considèrent que cette offre est aux limites de ce que la PAC peut supporter et, comme les Commissaires au commerce et à l'agriculture l'ont reconnu, aux limites du « socialement acceptable ».
4. Le cycle de Doha doit être celui du développement
L'Union européenne se réjouit du résultat de Hong Kong sur ce point. Tous les pays développés ont accepté, d'ici 2008, de suivre l'exemple de l'initiative communautaire « Tout sauf les armes », en donnant un large accès en franchise de droits et quotas aux produits des pays les moins avancés (PMA). L'Union et la France ont également joué un rôle essentiel pour la transposition dans le droit de l'OMC, de l'accord de 2003 sur l'accès des pays pauvres aux médicaments.
Mais pour que ce cycle réalise pleinement ses objectifs en termes de développement, il faudra aller plus loin : les pays en développement réalisent 40 % de leur commerce entre eux et devront accepter de diminuer leurs tarifs douaniers en fonction de leur richesse ; les grands pays émergents devront aussi s'ouvrir aux produits des PMA ;
Il est normal que les droits et les obligations soient adaptés au niveau de développement des pays. Par exemple, demander moins et offrir plus au Ghana dont le PIB est de 260 euros par habitant, qu'au Brésil qui est 10 fois plus riche. L'UE se bat pour que les pays émergents acceptent cette différentiation entre pays en voie de développement. Enfin, je crois que nous devons convaincre pour faire reconnaître que la négociation sur les services, en améliorant l'environnement des affaires, est un puissant levier pour le développement économique de ces pays.
II. La France est attachée au système multilatéral qui devra se réformer
Le système multilatéral reste, et de loin, le meilleur système pour élaborer ensemble les règles d'un commerce plus ouvert, plus juste, et plus équitable qui bénéficie à tous, et notamment aux plus pauvres. La France et l'Europe qui a l'habitude de travailler en groupe dans le cadre communautaire, souhaitent évidemment jouer pleinement la carte multilatérale.
Ceci ne veut pas dire que nous n'ayons pas à réfléchir sur des façons de travailler plus efficaces et à une meilleure organisation à l'OMC : ce sera une des priorités dès que le cycle de Doha sera conclu. Comment en effet progresser, négocier à 150 par consensus ? Peut-on trouver des formes de gouvernance et de prise de décision originales et efficaces pour gérer correctement la croissance du commerce mondial ?
III. Les négociations bilatérales méritent aussi une attention accrue
La France accorde bien entendu une forte priorité au multilatéralisme. Elle n'exclut toutefois pas de développer aussi des accords bilatéraux ou régionaux. Les deux approches sont complémentaires et peuvent se renforcer mutuellement.
En ce qui concerne les négociations en cours, la France appuie fortement les discussions actuelles avec la zone Euromed, pour des raisons évidentes d'ordre social, historique et géographique. La rencontre ministérielle de Marrakech, de demain permettra d'enregistrer des progrès dans le secteur des services. La France appuie aussi les discussions avec les pays du Golfe dont les négociations sont bien avancées. Pour celles engagées avec le Mercosur, les progrès de Doha permettront peut-être d'insuffler un nouveau souffle dans ces négociations.
Au-delà des négociations existantes, le temps est bientôt venu de définir de nouveaux objectifs simples, crédibles et réalisables, susceptibles de renforcer les négociations bilatérales avec certains de nos principaux partenaires. Cela favorisera le développement, la croissance et l'emploi et sera conforme aux intérêts de nos entreprises. Lorsque les conditions seront remplies, et notamment lorsque nous auront une bonne visibilité sur les résultats du cycle de Doha, nous pourrons engager de nouvelles discussions : avec l'Amérique centrale et du sud, mais aussi en Asie.
IV. Les instruments de la politique commerciale sont indispensables pour réussir la mondialisation
Ces instruments contribuent à la mise en place d'un commerce plus juste et plus équitable.
La France soutient l'utilisation d'instruments qui permettent l'instauration d'une concurrence loyale entre partenaires commerciaux. C'est le cas notamment des mesures anti-dumping et des instruments anti-subventions.
La Commission européenne et la France, participent par ailleurs à l'instruction et au suivi des contentieux portés devant l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC. Un peu plus de 10 ans après son entrée en vigueur, saluée, à juste titre, à l'époque comme une étape décisive dans la multilatéralisation du commerce international, ce juge des litiges commerciaux entre Etats a atteint son régime de croisière.
Cet organe est la propriété de tous les membres de l'OMC, y compris des pays en développement (PED) qui se sont habitués à recourir à ce mécanisme de règlement des différends qui permet aux plus faibles de faire valoir leurs droits.
Le grand défi qui se pose à l'ORD est de devoir trancher les conflits de préférences collectives du vingt et unième siècle. C'est notamment le cas du contentieux relatif aux hormones et au débat sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) ; dans ce dernier cas, les panélistes de l'OMC ont, semble-t-il, reconnu le bien fondé de la législation communautaire, axée sur le triptyque étiquetage, traçabilité et analyse scientifique préalable. Cette position confirme l'heureuse évolution de la jurisprudence OMC qui est illustrée également par le cas "tortue-crevette" et qui ne remet pas en question les choix légitimes des peuples à définir des politiques visant à protéger leur environnement et leur santé.
Le mécanisme de règlement des différends a aussi pour nous un aspect offensif, puisqu'il permet de faire valoir la légitimité de nos intérêts, comme le cas FSC, dans lequel la condamnation des Etats-Unis a été récemment confirmée, ou encore au cas des soutiens aéronautiques Boeing/Airbus, et dont les enjeux financiers et industriels sont considérables et que l'Union européenne aborde avec confiance. Je ne doute pas que l'Union européenne et les Etats-Unis qui sont des partenaires économiques de longue date et dont les économies sont fortement intégrées sauront trouver les moyens de parvenir à un accord équilibré et bénéfique au commerce mondial dans le secteur aéronautique.
Source http://www.exporter.gouv.fr, le 31 mars 2006