Interview de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, à France-Info le 20 mars 2006, sur l'ouverture du Premier ministre au dialogue social sur l'application du contrat première embauche (CPE) et le soutien de la majorité à l'action gouvernementale face au conflit social.

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Média : France Info

Texte intégral

O. de Lagarde - Vous êtes ministre de l'Outre-mer, également un proche de J. Chirac. On va parler du CPE. Mais d'abord, un mot, tout de même, de la situation à la Réunion où vous étiez ce week-end. On en parle un petit peu moins ces derniers jours, probablement une des conséquences du CPE. Quelle est la situation sanitaire sur place ?
R - On en parle moins et pourtant l'épidémie se poursuit. Il y a eu 5.600 personnes, selon les autorités sanitaires, qui ont été touchées cette semaine en plus. C'est évidemment beaucoup moins que le pic qu'on a connu au début du premier trimestre, à 44.000 personnes. Mais la vigilance doit être maintenue, l'effort est soutenu, la solidarité nationale également. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre a souhaité que régulièrement les ministres en charge du dossier - la Santé, le Tourisme, l'Outre-mer, la Recherche, l'Environnement - puissent se rendre régulièrement à la Réunion. La population souffre, elle est inquiète et il y a une lutte contre le moustique qui doit être engagée avec beaucoup de vigueur, et dans la durée.
Q - Mais sait-on quand est-ce qu'on verra la fin de cette épidémie ?
R - On verra un jour la fin de cette épidémie, c'est indiscutable.
Q - Est-ce une question de semaine, de mois ?
R - Personne n'est capable de vous dire. Personne n'avait pu dire l'explosion de cette épidémie aussi rapide. Et la grande difficulté, en matière de santé publique, c'est un peu à l'opposé de la grippe aviaire où c'est l'OMS qui lance une alerte mondiale ; pour le chikungunya, l'OMS disait que c'était une maladie bénigne, elle ne l'est pas, et les médecins expliquaient que les symptômes étaient des symptômes de fortes courbatures. On en est loin maintenant, et donc il y a un travail de recherche important à mener. Et puis, il y a un travail d'efficacité d'action de lutte contre le moustique sur le terrain à engager dans la durée. Il ne faut pas que les chiffres qui sont présentés, qui sont à la baisse, fassent baisser la garde une nouvelle fois, aussi bien pour la population dans leur protection individuelle que pour l'ensemble de l'action collective dans la lutte contre le moustique.
Q - Sur un point plus économique maintenant : D. de Villepin avait rassuré en annonçant 72 millions d'aides. Et puis, des voix se sont élevées pour dire qu'elles ne voyaient rien venir...
R - Il ne faut pas [en] rajouter, je l'ai dit à plusieurs reprises, la polémique ne tue pas les moustiques. L'effort annoncé par D. de Villepin est un effort considérable, il allait au-delà des demandes des acteurs économiques. La méthode retenue est une méthode très simple : il y a un fonds de secours de 60 millions, une entreprise en difficulté constitue un dossier, est indemnisée à hauteur de 80 % pour ses déficits d'exploitation, et le chômage partiel, entre la part Etat et la part des partenaires sociaux, monte à 100 %. Permettez-moi de vous dire que les entreprises auront largement les moyens de passer cette crise.
[Deuxième partie]
Q - Les syndicats ont posé un ultimatum au Gouvernement : "Retirez le CPE ou c'est la grève générale". D. de Villepin a dit qu'il ne le retirait pas. Mais combien de temps va-t-il pouvoir tenir ?
R - Le CPE, ce n'est pas un simple contrat, c'est une loi. On n'adresse pas un ultimatum à une loi. Seul ce que le peuple souverain a fait, le peuple souverain peut le défaire, c'est un principe démocratique. C'est la raison pour laquelle et le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, au nom de ces deux institutions, ont rappelé l'esprit démocratique dans lequel ce débat autour du CPE doit se dérouler. Les manifestations font partie des droits imprescriptibles, l'expression des parlementaires également, et le choix du Gouvernement, comme l'a rappelé le Premier ministre ce matin, c'est à la fois de tenir et de poursuivre les explications, ce que nous faisons.
Q - Mais en même temps, le Premier ministre parle d'améliorer le CPE. Cela veut dire qu'il est améliorable. Le texte n'était donc pas parfait ? Vous ne l'avez pas adopté un peu vite ?
R - Justement, on a déjà voté une série de lois totalement inutiles. Celle-ci fait partie, de mon point de vue, pour l'ancien parlementaire que je suis, des bonnes lois, parce que justement a été prévue dans un article, la possibilité de renforcer le dispositif, de l'adapter, de faire des évaluations, de lui donner des garanties supplémentaires. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'on n'a pas besoin d'une nouvelle loi pour un nouveau contrat, cela veut dire qu'on applique la loi, mais qu'en même temps, on entend le message aussi bien de la rue, des étudiants, des organisations syndicales, du patronat, et qu'à l'intérieur de ce texte, les conditions d'un dialogue sont réunies. C'est ce que propose le Gouvernement.
Q - Tout de même, ce Gouvernement a réussi un petit exploit : se mettre à dos tous les syndicats, même la CFDT, qui avait pourtant accepté la réforme des retraites, celle des intermittents. Le syndicat le plus favorable aux réformes est dans l'opposition aujourd'hui. Cela ne vous chiffonne-t-il pas ? Vous n'avez pas l'impression d'être isolés ?
R - Qu'on soit chiffonnés ou pas, qu'il y ait des plis ou qu'il y ait des épis le matin ou pas, la question n'est pas là et cela n'ajoute rien à l'affaire. Ce qui compte, c'est d'avoir le message de l'action du Gouvernement. D. de Villepin est dans l'action, il veut réformer le pays, et il a raison. Deuxièmement, on est à l'approche de grandes échéances ; la question se pose pour tout Gouvernement dans ce cas de figure : on ne fait rien, on choisit l'immobilisme ; on s'attaque aux problèmes et on essaye d'agir. Dans les problèmes, il y en a un majeur pour la France : le taux de chômage des 18/25 ans. 24 % des moins de 25 ans sont actuellement sur le carreau ; on monte à 40 % pour les jeunes non qualifiés. C'est trois, quatre, cinq, six fois plus que les autres pays partenaires de l'Union européenne. Alors, en face de cela, on ne fait rien ? Et puis, on ajoute ce qui s'est passé dans les banlieues, et puis on ajoute l'augmentation des CDD, et puis les stages café, l'intérim, on ne se pose aucune question, on n'avance pas, on ne fait pas en sorte de tracer des perspectives ? Et quand on voit le débat entre les jeunes eux-mêmes, quand on voit ceux qui sont bloqués depuis trois semaines ou un mois, et qui souhaitent poursuivre leurs cours, il y a des chemins, il faut les emprunter, ce sont parfois des chemins de crête. Mais s'ils sont utiles pour l'intérêt général, et en l'occurrence pour les jeunes de France, alors il faut tenter.
Q - Je ne sais pas si vous avez vu le sondage que publie aujourd'hui la Dépêche du Midi. Il dit : "la gauche estime que le CPE est une mauvaise mesure ; la droite estime que c'est une bonne mesure, majoritairement, mais qu'elle est mal défendue". N'y a-t-il pas quand même un problème avec "la méthode Villepin" ?
R - D'abord, je vous remercie de m'inviter, cela permet de décliner l'action du Gouvernement sur ce point, cela permet d'expliquer le constat, cela permet d'expliquer la mesure, et c'est vrai que la pédagogie nécessite une répétition et c'est probablement le meilleur enseignement qu'on peut diffuser autour du CPE. La question de la méthode, en tant que telle, n'est pas non plus le sujet majeur, c'est la question de la compréhension d'un CPE où l'on a maintenant basculé dans un slogan : "c'est pour", "c'est contre", "c'est nul", "ça ne sert à rien", "ça sert à quelque chose", "il faut étudier", "il ne faut pas étudier". C'est la raison pour laquelle il faut reprendre progressivement le chemin du dialogue mais sans ultimatum.
Q - C'est quand même pas un grand secret de dire que J.-L. Borloo n'était pas très pour le CPE, en tout cas, pas pour "la méthode"...
R - Je ne l'ai jamais entendu dire ça.
Q - En tout cas pas pour la méthode utilisée ?
R - Vous le dites, je le conteste ; je ne l'ai personnellement jamais entendu dire ça.
Q - Encore un petit mot, vous êtes un proche de J. Chirac, les critiques se multiplient en ce moment sur le bilan du président de la République. Comment est-ce qu'il ressent ça ? Vous avez lu le livre de F.-O. Giesbert ?
R - J'ai lu les bonnes feuilles mais je n'ai pas eu le temps de le lire entre deux voyages à la Réunion, et un déplacement en Nouvelle-Calédonie, plus l'action gouvernementale, je n'ai pas eu le temps de le lire. Je le trouve cruel, injuste. C'est souvent comme ça, pour un chef de l'Etat en exercice : le temps du quotidien n'a rien à voir avec le temps de l'histoire, et les années qui viendront mettront en perspective, un peu d'ailleurs comme cela s'est fait pour Mitterrand, ou même pour Giscard lorsqu'il a quitté le pouvoir dans les conditions que l'on sait... L'histoire remet toujours en perspective le sens positif d'une action, met peut-être en lumière les parts qui n'ont pas été aussi spectaculaires ou lumineuses ou éclatantes. Mais faut du temps pour comprendre aussi une action.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2006