Texte intégral
Jean-Michel Aphatie - Bonsoir, bienvenue dans le grand studio de RTL, dans le Grand Jury, diffusé simultanément sur RTL et LCI, et dont vous retrouverez les meilleurs moments repris et analysés demain dans le Figaro. C'est donc votre Grand Jury François Bayrou. Bonsoir.
François Bayrou - Bonsoir
Jean-Michel Aphatie - Vous répondrez donc aux questions de Pierre Luc Séguillon de LCI, de Nicolas Beytout, du Figaro. Nous avons tous entendu, écouté le Président de la République vendredi soir, qui a dit d'une part qu'il promulguait la Loi égalité des chances, dont l'article 8 institue le Contrat Nouvelle Embauche, et qui a demandé d'autre part à son gouvernement, de prendre toutes les dispositions nécessaires, et je cite le chef d'Etat « pour que ce contrat ne soit pas appliqué ». Avez-vous compris cette position, François Bayrou ?
François Bayrou - Non, parce que ou bien c'est incohérent, ou bien c'est une duperie. Prenons d'abord incohérence, et incohérence, franchement, avec l'aspect risible. Promulguer, ça veut dire, rendre applicable. Si ceux qui nous écoute ouvrent leur dictionnaire, ils vont voir que « promulgation », c'est l'acte qui rend applicable une loi. Donc, comment dire dans la même phrase, je rends applicable, une loi que je demande de ne pas appliquer. C'est inédit, c'est la première fois dans les annales...
JMA - C'est incohérent, est-ce que c'est institutionnel selon vous, François Bayrou ?
François Bayrou - Personne n'aura jamais à en juger, puisque vous le savez, le Président de la République, n'a pas à en répondre. C'est d'ailleurs, à mon sens, un retard français, de ne pas voir les actes les plus importants de l'Etat, soumis à une Cour Suprême, on va dire ça comme ça. C'est une incohérence, et évidemment, personne ne peut s'y retrouver, et c'est un facteur de désordre. Ou bien c'est une duperie, car en réalité, la Loi est applicable. Demain, n'importe qui peut signer un CPE, sur papier libre, en l'intitulant CPE, en faisant référence à la Loi, et la loi s'applique, parce que c'est ainsi que la promulgation en a décidé. Ainsi, entre l'incohérence et la duperie, il y a un point commun, c'est que personne ne peut s'y retrouver, c'est que les Français ne peuvent avoir confiance.
Nicolas Beytout - Est-ce que vous vous y retrouvez. Entre incohérence et duperie, vous pencheriez plutôt pour la duperie, ou du moins pour le subterfuge, qui permet à la fois de sauver l'honneur du Premier ministre, et en même temps d'essayer d'éteindre l'incendie crée par le CPE.
François Bayrou - Dans le subterfuge, on est plutôt dans la première option : incohérence. Incohérence voulue, puisqu'il s'agissait à la fois d'éviter la montée des tensions inéluctables dès l'instant qu'il y a avait promulgation, et d'éviter une crise avec le Premier ministre, qui paraît-il, vous l'avez écrit très largement, avait mis sa démission dans la balance. Mais, ceci n'est pas une option. Il n'y avait en réalité que deux options justes. La première, à mes yeux risquée, et avec laquelle j'étais en désaccord, qui était « je promulgue, et après la loi s'applique » ; la deuxième que je souhaitais, qui était de dire « il y a un texte, qui a été proposé par le gouvernement, il y a beaucoup d'incompréhension autour de ce texte, remettons nous autour de la table, je demande une seconde délibération ». Cela était républicain. Voilà les deux options, et les deux seules qui étaient ouvertes.
NB - Cela revient au même au fond.
Il y a un nouveau, une nouvelle proposition de loi qui va être déposée, qui vaut au fond une deuxième lecture. On a bien compris que vos n'aimiez pas la méthode, mais le résultat final peut être exactement le même, est-ce que ce n'est pas le cas ?
François Bayrou - Une République, une démocratie, ça repose sur un contrat, c'est que les citoyens comprennent ce qu'il se passe. Or là, les citoyens ne peuvent rien y comprendre, et c'est une déstabilisation profonde, qui d'ailleurs marque tout ce qui se passe dans notre pays ces dernières années, et qui a mon sens est dommageable.
Pierre-Luc Séguillon - Ca c'est pour la méthode, mais pour l'objectif final qui est de rediscuter cette loi, et en particulier les deux points qui soulevaient les plus fortes critiques, y compris de votre part : la durée de deux ans, et la non-motivation des ruptures de contrat. Si la proposition de loi modifie ces deux éléments, alors est-ce qu'elle aura votre soutien ?
François Bayrou - Et bien je ne crois pas qu'on y arrive ainsi. Je vais vous dire pourquoi. D'abord, il me paraît impossible qu'après toutes ces péripéties, et bien on passe en force. C'est-à-dire, qu'on recommence le passage en force qu'on a fait avec le 49-3, simplement parce que l'UMP aurait la majorité, et dans l'opposition avec le pays, les syndicats, les gens raisonnables qui ont dit "attention, il y a des risques", je ne vois pas l'UMP passer en force.
PLS - Pardonnez- moi, il y a un changement de méthode de l'UMP, puisqu'elle dit « on ne passe plus en force, mais on discute avec les organisations syndicales ».
François Bayrou - Et bien je ne le crois pas du tout. Parce que, je peux me tromper et j'espère me tromper, mais les responsables syndicaux que j'ai eus au téléphone, tous dans la journée, les responsables syndicaux disent deux choses : la première « nous voulons l'abrogation du texte. Nous voulions une deuxième délibération, au point où nous en sommes arrivés, nous voulons l'abrogation du texte », et ils disent une deuxième chose « Nous voulons la motivation écrite ». Et c'est la motivation écrite du licenciement. Or l'UMP a dit « Urbi et orbi », qu'elle n'accepterait pas la motivation écrite du licenciement, ce en quoi elle a tort à mes yeux, et que cette motivation écrite signifierait qu'il n'y a plus de CPE.
NB - Est-ce que cette façon que vous avez de soutenir, au fond, la position des syndicats, ce n'est pas une façon de donner le pouvoir à la rue. Est-ce que aujourd'hui, l'UMP ne peut pas essayer de négocier, essayer de faire revenir à la table les syndicats, par exemple avec votre appui ?
François Bayrou - Monsieur Beytout, les lecteurs du Figaro savent qu'il y a 20 ans à peu près, il y a avait une majorité légitime, un gouvernement légitime, qui avait décidé d'une loi qui portait atteinte au principe de l'école privée, au principe de la liberté scolaire, en 1984. Et la rue, comme vous dites, c'est-à-dire, nous, les citoyens, considérant qu'il y avait une atteinte insupportable à nos principes, nous sommes, avec le concours du Figaro, descendus dans la rue comme vous dites...
NB - Et avec Jacques Chirac
François Bayrou - Et avec tout le monde, heureusement. Et nous avons imposé à François Mitterrand, le retrait de cette Loi, heureusement. Ce n'est pas la rue, ce n'est pas l'émeute, c'est le droit pour les citoyens de défendre les principes auxquels ils sont attachés. Et je n'ai pas d'autre lecture en 2006, et en 1984.
JM A - Vous venez de dire que vous avez eu tous les responsables syndicaux aujourd'hui, qu'est-ce qui vous a incité à les appeler, et qu'est ce que vous en avez retiré comme enseignement, du dialogue que vous avez eu avec eux aujourd'hui ?
François Bayrou - Je voulais essentiellement leur dire, puisque désormais il va y avoir un texte à l'Assemblée nationale, proposition de loi, je reviens dans une seconde sur proposition de loi, mais une proposition de loi à l'Assemblée nationale, alors il faut en discuter avec tous les groupes de l 'Assemblée nationale. On ne peut pas imaginer une République, aussi désordonnée que la nôtre, dans lequel le Président de la République s'efface, le gouvernement s'efface, il ne resterait plus qu'un seul parti l'UMP. Ça c'est un autre régime, et ce n'est pas la démocratie. Donc que toutes les formations politiques puissent échanger avec les syndicats, et au nom de l'UDF, et de ses présidents Hervé Morin et Michel Mercier, à l'Assemblée nationale et au Sénat, j'ai invité les centrales syndicales à nous rencontrer pour échanger nos idées sur le CPE.
JMA - Cette demande de réécriture de la loi, l'avez-vous formulée auprès de Nicolas Sarkozy, puisque visiblement vous étiez au téléphone ce matin, vous en avez profité pour l'appeler ?
François Bayrou - Non, la délégation de pouvoir du gouvernement, au président de l'UMP, puisque c'est ça que j'ai cru comprendre...
PLS - Une délégation de pouvoir, ou une captation de pouvoir ?
François Bayrou - Et bien ça vous êtes en commentateur avisé, Pierre Luc Séguillon, je suis certain que vous allez arriver à une conclusion si vous formulez clairement cette question. Je ne veux pas commenter les personnes, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est de voir le désordre qui est introduit dans nos institutions. Que le gouvernement s'efface au profit du Président du parti qui est numéro deux du gouvernement, c'est un système qui n'a jamais existé, que le Général De Gaulle aurait condamné avec la plus extrême violence, car ceci n'est plus le régime des partis, c'est le régime du parti, et ceci n'a aucun sens, dans une République comme la nôtre. Je n'approuve pas cette délégation de pouvoir, et je suis d'ailleurs sûr qu'il y a de nombreux membres du gouvernement qui n'approuvent pas non plus cette délégation de pouvoir. Chacun doit rester dans son rôle, et le rôle d'une formation politique, d'après la constitution, c'est de concourir au suffrage, très bien, mais ce n'est pas de se substituer au gouvernement, car je rappelle que les régimes de concentration du pouvoir qui ont substitué le parti au gouvernement, il y en a eu dans l'histoire, et ce ne sont pas des régimes que nous aimons.
NB - J'aimerais comprendre ce qu'il s'est passé dans votre démarche depuis quelques jours.
François Bayrou - Attendez, j'ai oublié une chose. Proposition de loi. Pourquoi fait-on une proposition de loi ? J'explique pour ceux qui nous écoute, qui peut-être l'ont oublié, qu'il y a une grande différence entre projet et proposition de loi, c'est qu'un projet de loi est présenté par le gouvernement, et qu'une proposition de loi, c'est proposé par des parlementaires. Pourquoi a t-on choisi une proposition de loi, et pourquoi a t-on fait le CPE sous forme d'amendement. Chose que les observateurs ont regardé avec étonnement. C'est parce qu'il y a un loup sous cette affaire, et le loup, c'est que sous cette proposition de loi, on évite une obligation, qui est de soumettre au Conseil d'Etat une loi que l'on veut faire voter.
PLS - On peut éteindre l'incendie plus rapidement...
François Bayrou - Or il se trouve que le Conseil d'Etat, a, dans sa décision sur le CNE, indiqué qu'il ne pouvait pas y avoir dans le respect des règles internationales, qu'il ne pouvait pas y avoir un texte discriminatoire à l'égard des jeunes, qui leur donne moins de droits qu'à ceux qui sont plus âgés qu'eux. Voilà la raison, à mon sens, pour laquelle, si mes informations sont exactes, on a décidé de court-circuiter le Conseil d'Etat.
NB - Sur la proposition de loi, si vous n'êtes pas consulté par l'UMP, est-ce que vous auriez l'intention vous-même, comme le fait le PS, de déposer votre propre proposition de loi.
François Bayrou - Bien sur, sachant qu'en France, elle sera écartée, elle ne sera même pas examinée, mais on le fera. Et que comporterait cette proposition ?
NB - C'est ça qui est intéressant.
François Bayrou - Je veux dire d'abord qu'il me semble que ce qui est intéressant aujourd'hui, au point où nous en sommes arrivés, l'abrogation est inéluctable. Parce qu'il faut enlever l'écharde qui est dans l'abcès.
NB - Y compris le CNE, qui est la matrice du CPE
François Bayrou - Et bien non, je ne suis pas d'accord. Le CNE est en place, allons jusqu'au bout de l'expérimentation. On a promis une expérimentation dans quelques mois, un bilan de l'expérimentation dans quelques mois, moi je ne suis pas dans la situation d'un intégrisme « jusqu'au boutisme ». Je n'ai pas voté les ordonnances comme vous le savez, mais le CPE est en place, il y a des jugements extrêmement mitigés sur ce sujet, certains disent que cela crée de l'emploi, d'autres disent que non, ça s'adresse aux petites entreprises. Allons au bout de cette affaire. Pour moi, l'abrogation, c'est le CPE. Il faut enlever l'épine qui est dans cet abcès. On aurait pu, il y a deux mois, prendre l'amendement que l'UDF a proposé. C'est exactement ce que le Président de la République, deux mois après, a évoqué.
JMA - Et le contenu de votre proposition de loi.
François Bayrou - Moi je pense qu'il faut s'attaquer à l'emploi des jeunes, sous un autre angle que celui de la précarité. Et l'angle par lequel il faut attaquer, c'est les 150 000 jeunes qui sont sans aucune formation aujourd'hui, qui sortent sans formation chaque année. Et il faut faire un contrat formation -emploi dans l'entreprise, destiné aux jeunes sans formation, dont l'Etat prendrait en charge la partie salaire, la partie du salaire qui correspondrait à la partie d'accompagnement et de formation de ces jeunes.
PLS - Ce n'est pas très loin de la proposition de François Hollande.
François Bayrou - Ah si c'est très loin.
JMA - On ne va pas creuser cette différence.
François Bayrou - C'est absolument pas la même approche.
JMA - On y reviendra
François Bayrou - En tout cas si j'ai bien lu la proposition que vous évoquez...
Mais vous savez, Pierre Luc Séguillon, je vais vous répondre, ce que j'évoque là, peut -être faut-il rappeler que c'est ce qu'il se passe dans la plupart des pays européens. Il y a des pays qui vont jusqu'à prendre un an de salaire à leur charge, un an de salaire, de manière à mettre un pied à l'étrier de ces jeunes qui sont écartés de l'entreprise. Vous savez, le PS avait fait les emplois jeunes, mais qui étaient limités à la fonction publique. Et bien moi je pense, qu'il faut ouvrir cette démarche de pied à l'étrier jusqu 'à l'entreprise, et ça c'est une démarche que le PS, jusqu'à maintenant n'a jamais acceptée, et qui me paraît saine.
NB - Vous êtes pour l'abrogation du CPE, vous venez de le dire. Il y a quelques jours, jeudi encore, vous disiez « il faut ouvrir les négociations, et tout mettre sur la table ». Alors qu'est-ce qui fait que vous êtes passé d'une attitude plutôt conciliante en tout cas prête à la négociation, il y a deux jours, et qu'aujourd'hui vous êtes pour l'abrogation : première question. Et d'autre part, à quoi cela sert-il de rencontrer les syndicats, puisque vous proposez de réduire, et rabaisser la carte.
François Bayrou - Il y a une grande différence Monsieur Beytout, c'est que j'appelais à cette négociation, dans le cadre de la deuxième délibération. J'ai sans cesse, et peut-être même le premier, appelé à ce que l'article 10 de la constitution s'applique, et que le président de la République, demande une deuxième délibération.
NB - À quoi sert une négociation avec les syndicats, si d'ores et déjà vous proposez une abrogation ? Qu'est-ce que vous voulez négocier ?
François Bayrou - Vous savez très bien ce qui se dit, Monsieur Beytout, dans les heures que nous sommes en train de vivre. On a fait savoir aux syndicats que, naturellement, l'abrogation était une solution qui était retenue.
NB - Qui, et où ?
François Bayrou - Je ne sais pas.
NB - Si, vous savez.
JMA - Le Président de l'UMP.
François Bayrou - Le Président de l'UMP, et ceux qui s'expriment en son nom, ont fait savoir que désormais ils étaient prêts, et la formule a été reprise je crois dans les journaux de ce matin, qu'ils » étaient prêts à aller beaucoup beaucoup plus loin que ce que le Président de la République avait indiqué ».
JMA - Vous décrivez un Premier Ministre totalement dépossédé des choses...
François Bayrou - Je décris une République, dans laquelle plus personne ne sait, ce qui se fait, et qui fait quoi. Qui n'a plus ses principes, au point que le Président de la République peut promulguer en demandant qu'on n'applique pas, au point que le gouvernement peut dire « Je ne m'occupe plus de l'affaire, c'est le parti politique qui s'en occupe », au point que le Parlement n'est plus considéré dans son ensemble, mais est considéré parti par parti. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point les principes sont mis en cause, lorsqu'on dit « Nous allons discuter avec tel groupe de l'Assemblée nationale...
JMA - C'est le groupe majoritaire, celui qui peut faire avancer la loi, c'est lui qui peut trouver une issue à tout.
François Bayrou - Et bien, Monsieur Apathie, en République, et dans les institutions, il n'y a pas plus de groupe majoritaire, que de beurre en broche. Si vous trouvez quelque part dans la Constitution, écrit « La charge du parti majoritaire est celle-ci, je vous en supplie, présentez -la moi, je vous paie un coup de Jurançon...
JMA - Vous nous dites, c'est un moment important François Bayrou, ce matin, les représentants syndicaux, puisque vous leur avez téléphoné, vous laissent penser aujourd'hui que les représentants syndicaux qui mènent la contestation contre le CPE, pensent que le groupe majoritaire représenté par Nicolas Sarkozy, va bientôt en arriver à l'abrogation du texte. C'est ça ?
François Bayrou - L'impression que j'ai retenue de ces dialogues, et après tout c'est logique, puisque si l'on veut discuter, il faut d'abord mettre sur la table toutes les options. Simplement, je pense que cette espèce de mise hors -jeu du gouvernement, ne ressemble pas à ce que la République a voulu de ses institutions.
NB - Mais quelles conclusions, je reprends ce qu'a dit Jean-Michel Apathie à l'instant, quelles conclusions à votre avis, devrait en tirer le Premier Ministre, dès lors qu'il est totalement déjugé -si je vous suis bien- et que le CPE est un projet mort-né.
François Bayrou - Et bien ça, ça dépend des relations et des discussions qui ont lieu au sein du gouvernement. J'ai toujours pensé que, contrairement à ce qu'on racontait, le Premier ministre ne démissionnerait pas. D'abord parce que c'est lui qui est le père de ce projet, et j'imagine que le Président de la République lui aurait dit « Vous êtes le père du projet, s'il vous plaît, allons désormais au bout de cette affaire ». Il n'est pas sain de changer de gouvernement tous les 8 jours. Il y a quelque chose qui serait, là encore, une exception française : au bout de 9 mois, changer de gouvernement. Mais il aurait été plus clair, plus franc, de dire « Il y a quelque chose qui ne va pas. On ne va pas déchirer le pays pour une affaire qui n'est, somme toute, pas centrale pour notre avenir. Reprenons les choses et faisons une deuxième délibération ».
JMA - On ne gouverne pas non plus, Monsieur Bayrou, sans autorité. Or dans la séquence que vous décrivez, l'autorité du Premier Ministre, est réduite à pas grand-chose.
François Bayrou - Je crois en tout cas, que c'est l'impression qu'on a voulu donnée, de ce changement d'influence au sein du gouvernement. Mais, encore une fois, pour moi, ce qui m'importe, c'est la démocratie et la République que nous formons tous ensemble. Les commentaires politiques, Dieu sait que vous êtes habiles pour en faire, devant les micros, sur les écrans, dans les journaux, et sur des blogs. Vous faites très bien ces commentaires politiques, mais mon souci à moi, ce n'est pas de faire des commentaires politiques, c'est de savoir qui a plus d'influence que qui. Qui gagne des points ou qui perd des points, ça, c'est une affaire secondaire. En revanche, il y a une affaire essentielle pour des républicains, c'est de savoir où est le pouvoir ? qui l'exerce ? sous quelle forme ? et si les citoyens peuvent comprendre ce qu'il se passe ? Depuis la déclaration du Président de la République, et les développements qu'on a eus hier, c'est que plus personne ne peut plus rien y comprendre. Et quand on n'a pas cette franchise-là, cette loyauté-là, il ne peut pas y avoir de confiance. Et donc rien de bon ne peut sortir de cette affaire.
NB - Et précisément, si on se met sur ce registre, si le Premier Ministre n'a plus beaucoup d'autorité pendant les mois qui viennent. Est-ce que vous ne craignez pas que la République soit en panne, et que rien ne se passe plus. Autrement dit, est- ce que la sagesse, ce ne serait pas de presser certaines échéances ?
François Bayrou - Je crois que cette fin de cycle est mal partie. Je pense que les signes qui sont donnés là, l'influence qui est exercée sur le Président de la République, lui faisant suivre des voies détournées alors qu'il aurait dû choisir des voies directes : l'une ou l'autre.
NB - L'influence c'est Dominique de Villepin ?
François Bayrou - En tout cas au moins, il y a celle-là, peut-être y en a t-il d'autres. En tout cas, le fait que le Président de la République ait dû ruser, au lieu de trancher, tout ça ne ressemble pas à ce qui me paraît sain pour un pays comme la France. Comment voulez-vous qu'on y comprenne quelque chose ? En tout cas, les juristes, -vous avez vu ce matin les déclarations de juristes-les titres c'étaient « abracadabrantesque », pour reprendre l'expression que Jacques Chirac, par Dominique de Villepin interposé, avait piqué paraît-il à Rimbaud.
PLS - Qu'est-ce que vous en tirez comme conclusion ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour sortir de cette situation abracadabrantesque?
François Bayrou - Hélas, aujourd'hui il n'y a plus qu'une voie si l'on veut enlever l'épine de l'abcès. C'est abroger le CPE, c'est repartir à frais nouveaux, sur un texte nouveau, qui prendra d'autres aspects...
PLS - Ça ne résout pas le problème de savoir si le gouvernement conserve l'autorité, et en particulier son Premier Ministre ?
François Bayrou - Non, le gouvernement a perdu beaucoup d'autorité, si c'est ça la réponse.
PLS - Ça veut dire aussi, qu'une fois prononcée l'abrogation, on puisse prendre à bras le corps, comme vous le dites, la réforme est une chose quasi impossible avant l'échéance présidentielle.
François Bayrou - Pierre-Yves Séguillon, on a beaucoup reculé ces derniers jours, on a passé la marche arrière.
La question des contrats de travail était sur la table, et on a reculé de plusieurs cases, et probablement de plusieurs années. La question de l'approche des jeunes au travail, était sur la table ; de grandes organisations syndicales, ont dit « nous avons des propositions à faire sur ce sujet ». Plusieurs, -je les ai entendues, et vous les avez entendues, c'était souvent sur vos plateaux. Mais désormais, on est devant un organisme qui a subi une inflammation très importante, et quand il y a inflammation, vous ne pouvez même plus approcher le doigt de l'endroit douloureux. Il y a une espèce de rétractation. Et bien tout ceci est en effet, me semble t-il, mauvais service à rendre au pays, dans l'état où il se trouve.
PLS - En janvier dernier, vous déclariez,-je cite-, que « Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, sont deux avatars d'un même système initié, voulu et incarné par Jacques Chirac ». Vous diriez la même chose aujourd'hui ?
François Bayrou - Il faut peut-être expliquer à ceux qui nous écoutent, qui pourraient croire que « avatar » est un gros mot, -comme un certain nombre l'ont cru-, que avatar signifie « incarnation de vichnou » dans la religion Hindoue. Ils sont tous les deux des incarnations du même système . Ce système, on va le nommer si vous voulez : il est bonapartiste, disent les uns, jacobin, disent les autres. L'idée qu'on peut gouverner tout seul, sans le pays, qu'il suffit d'avoir tous les leviers de commande entre les mêmes mains, et que tout le pays suivra. Tout ceci, c'est l'erreur fondamentale du système dans lequel nous vivons. C'est pourquoi je milite pour qu'on change nos institutions. Pour que, par exemple, on abandonne le 49-3, c'est-à-dire qu'on cesse de donner, ou qu'on enlève dans notre Constitution future, ce droit du gouvernement, qui consiste à passer en force, sans écouter l'Assemblée nationale. Il y a là quelque chose qui est passage de force et bras de fer perpétuel, on l'utilise, comme vous le savez régulièrement depuis des années. Je crois au contraire, que dans une démocratie saine, dans une République saine, il faut que le Parlement puisse dire son mot jusqu'au bout : c'est le cas aux Etats-Unis, c'est le cas dans les institutions européennes, et les deux y gagnent.
PLS - Enfin ça, ça fait changer de République...
François Bayrou - En tous cas, pour moi, il faut changer de Constitution, celle-ci est épuisée, on est à bout de force, et on ne peut pas continuer comme ça.
JMA - En même temps François Bayrou, ça fait longtemps que vous, -vous faisiez même parti d'un gouvernement qui s'est heurté au problème-, que l'on pense que des aménagements du code du travail sont nécessaires pour permettre aux jeunes de rentrer plus facilement dans la vie active, peut-être pour enlever des freins psychologiques à l'embauche. Des solutions ont été recherchées par le dialogue, les syndicats se prêtent peu à ce dialogue qui est censé aboutir. Donc à un moment, on attend aussi que la politique décide, et prenne ses responsabilités. Au fond, c'est ce qu'a voulu faire Dominique de Villepin. Alors le lui reprocher après coup, c'est peut-être un peu facile. Le pays est peut-être difficile à gouverner, d'une certaine façon.
François Bayrou - Je ne le crois pas. Alors ce n'est pas facile de gouverner la France, personne ne le niera. Et moi, je ne jette pas la pierre, mais je ne crois pas que ce soit un pays ingouvernable. Je pense simplement qu'il devient ingouvernable, dès lors qu'on décide de l'ignorer, dès lors que l'on ne prend pas en compte les représentations légitimes du pays, les corps intermédiaires comme on dit ; dès lors qu'on décide tout seul, à Paris, parce qu'on a eu une idée soit- disant de génie, et qu'on découvre après coup, que cette idée de génie, était en fait une idée qui recelait bien des pièges, et qui était dangereuse. Le travail humble et profond, qui consiste à avoir des partenaires en face de soi, et qui consiste à discuter avec eux, de vos idées, ce n'est pas une perte de temps, c'est un gain de temps.
JMA - En même temps, on a fait beaucoup de réformes, les retraites par exemples, on a suscité des oppositions très profondes, et peu de partenaires sociaux ont été disponibles pour trouver...
François Bayrou - D'abord il y a eu plus de partenaires sociaux que vous ne dites, de disponibles.
JMA - Je pense à la CFDT notamment, qui a emporté un peu le morceau.
François Bayrou - Pour moi, la situation est totalement différente de celle des retraites, totalement différente. Sur les retraites, il y avait eu un grand débat national, au moment de l'élection présidentielle. C'était dans le programme, les Français avaient voté, et au fond d'eux-mêmes, les Français savaient qu'il fallait y aller. Je n'étais pas totalement d'accord avec tout, je pense qu'on a fait qu'un tiers du chemin sur les retraites, et que cette question se reposera inéluctablement. Mais j'ai été de ceux qui ont soutenu le gouvernement au moment des retraites, car cette réforme était une réforme juste. Et ma conviction, c'est que les manifestations n'étaient pas destinées à empêcher que les retraites passent. C'était une expression, on voulait colorer, on ne voulait pas donner son assentiment. Mais au fond, et on l'a bien vu quand il s'est agit d'aller jusqu'au bout, les manifestations de l'époque, avaient décidé de laisser passer les réformes des retraites.
JMA - On doit rendre l'antenne pour le journal peut-être.
NB - D'une certaine manière c'est un coup de chapeau à la méthode Raffarin.
François Bayrou - Oui, en tout cas là, j'ai soutenu le gouvernement, parce qu'il me paraissait que la démarche, si elle était insuffisante, -et je maintiens qu'elle l'était-, était juste.
JMA - Si Jean-Pierre Raffarin nous écoute, c'est un petit coup de chapeau.
On se retrouve après le journal, avec François Bayrou.
(journal)
JMA - Nous sommes de retour dans le grand studio de RTL. Nous continuons à parler du CPE. Vous demandez, vous l'avez dit, l'abrogation du CPE, c'est la seule logique dites vous. D'une certaine façon, c'est encourager les syndicats, au succès de mardi. Vous appelez les manifestants à descendre dans la rue : l'abrogation du CPE.
François Bayrou - Jean-Michel Apathie. Ou bien il y aura abrogation du CPE, et on aura des négociations, et peut-être on pourra réécrire un texte plus consensuel. Ou bien il n'y aura pas abrogation, et il n'y aura pas de négociation, et il n'y aura pas de vote de loi correctrice.
JMA - Pardon, le succès de la manifestation de mardi, peut permettre d'obtenir ce que vous demandez, c'est-à-dire l'abrogation qui permettra la négociation.
François Bayrou - Je pense que la situation a été créée par la déclaration du Président de la République, et par le changement de responsabilité qui fait que le gouvernement a abandonné sa responsabilité de négociation, pour la transmettre à quelque chose qui n'a pas d'existence institutionnelle, et qui est le parti majoritaire. Et ça, ça n'est pas dans nos institutions.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Vous évoquiez juste avant le journal, ces grèves autour de la réforme des retraites, et vous disiez que au fond elle était là juste pour donner une couleur, une inflexion à la réforme, qui au fond était légitime. Mardi, dans la rue, pour obtenir l'abrogation, il y a aura beaucoup de représentants de toutes les professions, beaucoup de fonctionnaires, et beaucoup de salariés qui ont un statut, et aucun de cela ne sera jamais concerné par le moindre CPE. Est-ce le fait que ces gens- là soient en grève, bloquent la France, ne vous choque pas ?
François Bayrou - D'abord, je ne fais pas de différence entre les Français. Citoyens, ils le sont tous, et je ne les juge pas à travers de leur fonction ou de leur métier. Deuxièmement, vous m'avez peut-être entendu à la tribune de l'Assemblée nationale lors du débat sur cette affaire, d'hier. Si vous aviez voulu poser ce problème de la flexibilité du travail, il fallait le faire pour tout le monde. Mais, le reproche principal que je fais au CPE, c'est qu'il crée deux catégories de français.
NB - Il y a déjà deux catégories, il y a les fonctionnaires qui ne peuvent pas être menacés dans leur emploi, et il y a les autres. Est-ce que ça vous choque ça ?
François Bayrou - Je ne suis absolument pas d'accord pour faire la guerre aux fonctionnaires, qui est derrière ces propos. Parce que les statuts, dans les grandes entreprises privées, je peux vous assurer, que c'est aussi confortable au point de vue de la sécurité, et plus confortable, du point de vue des revenus, que ne le sont ceux des statuts de la fonction publique. Il y a beaucoup beaucoup,-je connais bien le monde enseignant-, il y a beaucoup de jeunes enseignants très diplômés, agrégés, docteurs, certifiés, qui au bout de dix ans ont des salaires que personne n'a dans votre entreprise.
NB - Ce n'était pas ma question. C'était, est-ce que des gens qui ne sont aucunement concernés par la réforme, sont au fond légitimes à défiler et à bloquer le pays ?
François Bayrou - Vous dites « Ce n'était pas ma question », c'était exactement votre question ! Parce que votre question, elle dépeignait une France dans laquelle il y a ces fonctionnaires, vraiment, abusant perpétuellement...
NB - Non, non, c'est vous qui caricaturez...
François Bayrou - Non, je traduis ce qu'il y avait dans votre question. Ce que vous présentez comme un extraordinaire confort, le statut de la fonction publique... .Demandez ce que gagne un agrégé docteur, un maître de conférences dans une université, ayant plus de 10 ans de carrière. Et bien il gagne...
NB - François Bayrou, je ne vais pas polémiquer là-dessus, je voudrais juste vous dire que le salaire moyen dans la fonction publique en France, est aujourd'hui supérieur au salaire moyen dans le secteur privé.
François Bayrou - Ce point est vrai. Et on entre dans la fonction publique uniquement par concours. Moi, je ne veux pas opposer les deux France. Il y a des inconvénients et des avantages entre la fonction publique et le secteur privé. Mais il y a des statuts et des protections dans le secteur privé, qui sont incomparablement, ou au moins aussi importantes, que les statuts et les protections dans la fonction publique. Moi, en tout cas, je n'accepte pas cette stigmatisation- si je puis dire. Mais je reviens à la question. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on regarde les impératifs de flexibilité que l'économie moderne impose et exige. Ce que je ne trouve pas normal, c'est que l'on concentre tous les dangers de la flexibilité sur les moins de 26 ans.
JMA - Parce qu'ils ont beaucoup de mal, disait le Premier Ministre, à trouver un emploi. Beaucoup plus de mal que les autres catégories de la population.
François Bayrou - Oui, enfin ils ont beaucoup de mal quand ils n'ont aucune formation. Et c'est donc au problème de la formation en entreprise qu'il faut s'attaquer. Un contrat simple, un mécanisme simple, qui permette de vous embaucher, et de donner le temps nécessaire à la formation à vous guider, à vous apprendre le métier et l'entreprise, sans que ça coûte à l'entreprise.
JMA - On voit de nombreux jeunes en France qui ont Bac+3, Bac+4, et qui passent de nombreuses années avant de trouver un CDI. C'est une situation que l'on connaît aussi. Comme quoi pour eux, ce n'est pas une garantie.
François Bayrou - Dans mon idée, si vous permettez que je m'y arrête un instant, le Contrat Formation Emploi, comment est-il fait, comment se pratique t-il ? Si vous êtes un chef d'entreprise, vous avez un jeune qui vous intéresse, mais ce jeune, quel que soit son niveau de diplôme, il n'est pas opérationnel. Vous discutez avec l'ANPE, et vous dites « Est-ce que vous prendriez en charge 20 % de son salaire ? Pour que je m'y retrouve, et que je l'aide en même temps ». Si vous avez un accord avec l'ANPE, qui considère que « oui », en effet, 20 % du salaire pendant 6 mois, c'est bien. Et bien vous avez ainsi mis le pied à l'étrier à un jeune, et vous avez changé fondamentalement le rapport de la formation au sein de l'entreprise.
JMA - Pierre- Luc Séguillon
PLS - Il n'y a pas d'offense, mais quand vous regardez les manifestations, est-ce qu'il n'y a pas une fracture entre deux types de jeunesse ? C'est-à-dire qu'on a vu des étudiants, futurs diplômés, manifester contre le CPE, et puis on a vu ces manifestations de violence d'une partie de jeunes qui sont non scolarisés, ou déscolarisés. Quelle est la réponse qui peut être apportée ?
François Bayrou - Ce que vous décrivez là, c'est une des choses les plus difficiles, les plus lourdes de la société française, on a vu en novembre, on a eu ces incidents dans les banlieues. Qu'est-ce qu'on a fait dans les banlieues depuis ? Rien. Rien. On avait fait de grandes déclarations, on avait fait « l'état d'urgence », et puis qu'est-ce qu'on a fait ? Rien. Et les maires des banlieues, si vous les interrogez, ils vous le diront. Il y a donc là quelque chose qui ne va pas. Je pense qu'il n'y a pas de chemin dans les banlieues si on ne réimplante pas une présence des entreprises et de l'Etat dans ces secteurs qui sont aujourd'hui abandonnés. Par exemple, je ne crois pas qu'on trouvera des apprentis ou des contrats d'apprentissage dans les banlieues, il n'y a pas d'entreprises. Et donc, travail de très longue haleine, qui passe par un changement fondamental à l'Education nationale, qui consiste à offrir aux jeunes déstabilisés, un chemin de formation, qui ne soit pas le chemin de formation du collège ordinaire. Si vous continuez à avoir dans chaque établissement, dix ou vingt jeunes qui sont des éléments de déstabilisation de tout le système, et que votre seule réponse, consiste à les changer d'établissement s'il y a un établissement disponible, mais à rien ne leur proposer d'autre, vous êtes à mille lieux de ce qu'il faut faire.
JMA - La violence que l'on a constatée pendant les manifestations, n'est pas que le fait de jeunes, il y a des étudiants aussi qui ont été violents : l'occupation de l'Ecole des Hautes Etudes de Sciences Sociales, ce sont des étudiants qui l'ont menée, et qui ont tout dégradé. Beaucoup de témoignages montrent qu'il y a une part de cette jeunesse-là qui est très radicalisée, très hostile au monde politique, et qui s'est comportée avec violence. Peut-être que le tableau de la violence que vous décrivez, va au-delà de ce que vous décrivez.
François Bayrou - Sans doute, mais sur le problème de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, j'ai entendu la directrice de l'établissement dire deux choses, qui sont l'une et l'autre très importantes. La première : elle a dit qu'il n'y avait pas un seul étudiant parmi ceux qui occupaient. J'ai entendu cette phrase. Et deuxièmement, elle a dit « On a appelé la Police pendant quatre jours, on n'a pas de réponses ». Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit excentré, et dans des quartiers infréquentables. Donc, il y a là quelque chose que je ne comprends pas très bien.
PLS - De ce point de vue, vous comprenez les manifestations, vous comprenez ceux qui s'opposent au CPE, et qui demandent l'abrogation. Est-ce que vous comprenez....
François Bayrou - Je leur reconnais ce droit.
PLS - Est-ce que vous comprenez ceux qui occupent les Facultés ? Quand bien même ça se fait contre une grande partie qui voudrait travailler.
François Bayrou - Non, je préférerais que ce soit un processus de respect mutuel et que tous ceux qui voudraient travailler puisse le faire. Je ne suis pas du tout ...
NB - Gilles de Robien, ministre UDF, chargé de l'éducation, a demandé à ce qu'on évacue les lycées et les universités. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée ? Qu'on évacue par la Police...
François Bayrou - Je pense que multiplier les déclarations qui mettent de l'huile sur le feu, pendant une période aussi brûlante, c'est très risqué.
JMA - Il vaut mieux ne rien faire ?....
François Bayrou - Les chefs d'établissement sont les mieux à même de décider ce qu'ils font. Au demeurant, ils ont décidé. Et je sais très bien que tous préfère que les lycées soient ouverts, mais ils ne veulent pas en rajouter dans l'épreuve de force.
NB - Et vous pensez qu'il revient à un recteur ou à un proviseur de lycée, de prendre la responsabilité de faire rentrer la Police chez lui ? C'est ça que vous proposez ?
François Bayrou - Qui a fait entrer la Police ? Est-ce que depuis que cette circulaire a été prise, quelque part, on a fait rentrer la Police ?
PLS - Est-ce que vous voulez dire par là que Nicolas Sarkozy est un élément modérateur dans cette affaire ?
François Bayrou - Je pense que ce n'est pas l'affaire de tel ou tel. Je pense que c'est l'affaire de l'Etat ?
PLS - Non. Attendez, je précise ma question.
François Bayrou - Non, non...
PLS - Est-ce que vous estimez que Nicolas Sarkozy, comme Ministre de l'Intérieur, a géré correctement les problèmes de sécurité ?
François Bayrou - Est-ce qu'il a géré correctement ? Oui, en dehors des incidents des Invalides l'autre jour, qui étaient étranges, parce qu'on voyait des casseurs -alors que la Police était là-, multiplier les agressions contre les voitures. Pour l'essentiel, je pense qu'il a fait son travail de Ministre de l'intérieur, qu'il n'y a pas de reproches à lui faire de ce point de vue-là. J'ai signalé le cas de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, j'ai signalé les Invalides, pour le reste, c'est très difficile de maintenir l'ordre, je fais absolument confiance aux autorités de la République pour le faire, pour l'instant il n'y a pas eu à s'en plaindre.
JMA - On a un problème particulier, si les cours ne reprennent pas vite dans les Facultés, les examens de fin d'années devront être annulés, et pour les étudiants, certains sont d'ailleurs opposés au CPE, certains trouvent ça dommage, pour ne pas dire plus. Est-ce que ce n'est pas aussi la responsabilité du pouvoir politique, de faire que si les manifestations continuent, les examens ne soient pas compromis ?
François Bayrou - Et bien, il y a eu toutes les déclarations nécessaires, nous allons voir comment elles sont appliquées. J'ai été ministre de l'éducation, vous avez en face de vous des proviseurs qui sont des gens très expérimentés, responsables, donnez leur la mission de faire au mieux, et ils le feront. Et d'ailleurs, depuis que la circulaire a été prise, ils l'ont fait. Tous ceux qui peuvent ouvrir, ouvrent. Tous ceux qui sont empêchés, essayent de convaincre, et c'est bien. Ce sont nos enfants qui sont là, ce n'est pas une France menaçante contre une France menacée. Ce sont nos enfants, et il n'y a, à mon sens, pas de risque. Il ne faut pas prendre de risque excessif. En tout cas, il faut faire des choses, et pas trop de déclarations.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Gilles de Robien est ministre UDF, et encore une fois, membre de votre parti.
François Bayrou - Non, Gilles de Robien...
NB - Gilles de Robien, « virgule, Ministre, « virgule », UDF, « virgule »... a eu dans toute cette crise une attitude et un jugement politique qui vous satisfait ?
François Bayrou - Non
NB - Vous lui reprochez de s'être trompé au départ sur le diagnostic, en disant que les universités ne bougeraient pas ?
François Bayrou - Non, il n'y a pas de raison de personne. Je dirais simplement qu'il a été depuis le début, très très très... « boutefeux ». Je pense qu'il y a au sein de l'Education nationale, des forces qui ne sont pas des forces modératrices. Et je pense qu'il a choisi une attitude politique, partisane, ou militante, qui ne ressemble pas à la mission d'un ministre de l'Education nationale dans l'esprit où il a été le plus souvent appliqué. Alors, ça fait sûrement plaisir à beaucoup de gens, mais après ça laisse des traces, qui font qu'après, il est très difficile d'exercer sereinement cette mission.
JMA - Est-ce que c'est gênant pour votre parti, François Bayrou, l'UDF, que le seul ministre, que le public repère un peu comme appartenant à votre formation politique, se soit comporté comme ça ?
François Bayrou - Il appartient au gouvernement, contre l'avis de sa formation politique.
JMA - Oui, mais il appartient toujours.
François Bayrou - Et vous savez que nous avons eu un Congrès pour trancher cette question. 92 contre 8...Alors, si un jour il y a des décisions à prendre, je les prendrai.
PLS - Il ne se reconnaît plus dans votre démarche, vous ne vous reconnaissez plus dans son comportement de ministre.
François Bayrou - Pas du tout, je ne me reconnais plus dans la manière qu'il a de conduire cette mission.
JMA - Il y avait une coupure entre vous, il y avait déjà une distance ?...
JB - Ah oui, c'est une fracture politique.
JMA - D'accord.
On voit le chef de l'Etat qui pose aussi la question de l'université dans son intervention de vendredi. Il dit « Je demande au Premier ministre et au gouvernement d'ouvrir un grand débat national sur les liens entre l'université et l'emploi, afin de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes ». L'état de l'université aujourd'hui en France- vous avez été ministre de l'Education il y a 10 ans- est assez déplorable. Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Et quel type de responsabilité...
François Bayrou - Il y a dix ans nous avons fait une grande réforme, vous vous en souviendrez peut-être- et elle a été approuvée à l'unanimité, de l'UNI, à l'UNEF. Et en disant UNI et UNEF, je dis... .très à droite, et très à gauche. Elle avait été approuvée à l'unanimité, et cette réforme instaurait l'orientation à l'entrée de l'université, pour que précisément soit posée la question de la réalité de la vocation. Est-ce que les jeunes savent ce qui les attend lorsqu'ils choisissent droit, lorsqu'ils choisissent psycho, STPAS, est-ce qu'ils savent réellement ce qui les attend ? Et on avait même pour cela, changé intégralement le calendrier universitaire, puisque l'on avait instauré la semestrialisation de l'université française. Ce qui n'a pas été facile à mettre en place, notamment chez les juristes, qui pour certains m'en veulent encore d'avoir pris cette responsabilité 10 ans après. Je regrette beaucoup qu'on ait abandonné l'orientation à l'entrée de l'université, je regrette beaucoup qu'on n'ait pas fait ce grand travail. Et selon moi, il faudra reprendre ce chantier, et le reprendre avec des idées qui n'ont jamais été avancées, et qui sont nécessaires.
PLS - François Bayrou, au fil de notre conversation, vous évoquez un certain nombre de réformes possibles dans le domaine social, dans le domaine de l'université...Quand est-ce que le candidat François Bayrou va présenter les grands chantiers qui seraient les siens, si d'aventure il était élu à la présidence de la République.
François Bayrou - Quand il sera temps.
PLS - C'est-à-dire ?
François Bayrou - Nous ne sommes pas dans la phase de l'élection présidentielle. Nous sommes...
PLS - J'ai le sentiment que nous sommes en pleine bataille présidentielle entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy...
François Bayrou - Bataille oui, mais j'ai la chance d'être à la tête d'un mouvement politique au sein du quel, il n'y a pas ce genre de bataille. La phase que nous sommes en train de vivre, est une phase extrêmement pédagogique pour les Français. Ils voient, sous leurs yeux, l'effondrement de l'Etat, et ils voient sous leurs yeux, la démocratie qui s'abîme. Autrement dit, tout ce qui fait la légitimité de la République est en train de craquer de toutes parts, et craquer parfois de façon dérisoire, ce qui ajoute encore quelque chose à l'inquiétude qui doit être la nôtre. Dangereuse et dérisoire.
JLS - Ça c'est cassant...
François Bayrou - Non, cette phrase est me semble t-il suffisante en elle-même, pour que chaque fois qu'un éléments se produit, on dise « Voilà la cause, voilà ce qu'il faut changer ». C'est ce que je fais. Je dis « Le passage en force, est une des causes des drames que nous vivons, et c'est cela qu'il faut changer, je propose qu'on change la Constitution ». Je dis, le problème de l'emploi des jeunes, la cause est dans la non-qualification, c'est cela qu'il faut changer, je propose le contrat formation -emploi. Et on pourrait ainsi faire le tour : justice, éducation, de toutes les visions nouvelles que nous dessinons pour que les Français s'y retrouvent. Mais le temps des programmes n'est pas venu, et le temps de la campagne non plus, du moins, je le crois. Je suis un peu moins sur de cela que je ne l'aurais été il y a deux mois.
PLS - Vous voulez dire quoi ?
François Bayrou - Je veux dire quoi ?
PLS - Vous voulez dire qu'il y a une accélération des choses.
François Bayrou - Oui, je veux dire qu'il y a une accélération des choses, je veux dire que tout s'abîme, qu'il y a un moment où on se pose des questions sur combien de temps ça va durer, est - ce qu'on va pouvoir aller comme ça jusqu'au bout ?
PLS - Vous craigniez que tout cela se termine par une crise, par une crise institutionnelle ?
François Bayrou - Nous sommes en pleine crise de régime. Quand le Président de la République, vient à la télévision dans une intervention suivie par 20 millions de français, et qu'il dit « Je promulgue une loi que je ne promulgue pas », « je rends applicable une loi, que ne rend pas applicable ». Le contrat de confiance entre les citoyens, qui est le contrat des mots justes, -c'est très important les mots justes pour diriger un pays et pour une démocratie vivante-, ce contrat est rompu. Lorsque vous avez un gouvernement, qui renonce à l'oeuvre législative qu'il a lui-même conduite, et qu'il va chercher non pas un médiateur extérieur, mais le président du parti unique de la majorité, vous dites... »Dans quel monde vivons- nous ? ». C'est tout cela qu'il faut changer.
JMA - Cela vous fait penser François Bayrou, que l'élection présidentielle pourrait avoir lieu à un terme plus proche que celui auquel elle doit normalement intervenir ?
François Bayrou - Cela me fait penser que la dégradation est plus profonde qu'on ne le croyait, et quand la dégradation est profonde, on ne sait jamais ce qu'il peut se produire. Et en tout cas, il y a beaucoup de Français aujourd'hui qui se disent « mais comment ça va durer ? ».
JMA - Alors le rythme peut s'accélérer.
François Bayrou - Le rythme peut s'accélérer.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Il y a quelques jours un de vos très proches, Hervé Morin, qui est président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, disait, je le cite « Villepin n'est pas seulement en train de creuser sa tombe, mais aussi celle de Sarkozy, le seul recours de la droite sera donc François Bayrou ». Est-ce que tout cela, au fond, ne vous arrange pas ?
François Bayrou - Je ne suis pas le porte-drapeau de la droite, je suis le porte-drapeau d'une autre vision de la France, si vous me permettez de le dire comme ça. Je suis un homme du centre, et je l'ai toujours été.
JMA - Le centre a toujours...
François Bayrou - Vous dites cela...
JMA - ...pris des voix de droite. Est-ce que tout cela ne vous arrange pas ?
François Bayrou - Je reprends cette très importante question à mes yeux. Il y a des valeurs de droite que je respecte et que j'aime, il y a des valeurs : la fidélité, la loyauté, le sens du travail... Je respecte ces valeurs et je les aime. Il y a des valeurs de gauche que je respecte et que j'aime : le sentiment de générosité, le sentiment qu'on n'est pas là pour des intérêts personnels, mais qu'on a quelque chose de plus grand à porter que soit- même, le sentiment qu'on peut changer les choses, on n'est alourdi par le poids du passé. Je respecte et j'aime ces valeurs, et je crois qu'on peut les concilier.
NB - Vous n'avez pas répondu à ma question...
François Bayrou - Mais je vais répondre. Mais c'est un sujet très important Nicolas Beytout, très important pour moi, et c'est rare que j'ai l'occasion dans une émission, d'y venir. Je pense qu'un temps viendra où les valeurs de droite respectables, et les valeurs de gauche respectables, seront conciliées dans une synthèse nouvelle. Vous savez, on a vécu les cinquante premières années du vingtième siècle, en France, habités par une guerre irréconciliable : c'était les cathos d'un côté, et les laïcs de l'autre, les cathos et les anti-cathos. Et aucun de ceux qui vivaient cette guerre, n'imaginait qu'on pourrait un jour s'en sortir. Les cathos sont restés cathos, les laïcs sont restés laïcs, simplement, un jour ça n'a plus été la question. C'est-à-dire qu'ils se sont rendus compte, tous, qu'on pouvait, en restant soit- même, entrer dans un travail en commun nouveau. Et je crois, en tout cas tout montre à mes yeux, que cela est nécessaire. Une réconciliation de cet ordre est nécessaire pour la France. J'ai fini. Lorsque le Général De Gaulle en 1958, a voulu reconstruire son pays : qu'a t-il fait ? Il a appelé au gouvernement, des hommes fiables d'horizons politiques, qui la veille étaient opposés. Ca été un grand service à rendre au pays. Je pense que le temps viendra d'un service de cet ordre.
NB - Si vous étiez demain candidat à la présidence de la République, est -ce que dans votre programme il y aurait l'idée d'un gouvernement d'Union nationale, pour reprendre les termes que vous venez de dire ?
François Bayrou - L'unité nationale, et sans doute l'union nationale, sont aujourd'hui nécessaires pour reconstruire la France. Les démarches partisanes d'affrontement d'un camp contre l'autre, n'y parviendront pas.
JMA - Voilà, il nous reste 45 secondes. Jean Lassalle, député UDF, 27ème jour de grève contre la faim, peut-être pouvez-vous nous donner des nouvelles François Bayrou ?
François Bayrou - Jean Lassalle, ce n'est pas un ami pour moi, c'est un frère. C'est un homme formidable, qui pour sa vallée -il est issu d'une famille de bergers dans les Pyrénées- fait une action qui n'a jamais été entreprise. Il va bien, on se fait beaucoup de soucis pour sa santé, mais il va bien. Il allait bien en tout cas jusqu'à la dernière conversation que j'ai eue. J'espère que ça commence à bouger un peu, et il suffisait de lire un grand journal d'un de vos confrères, aujourd'hui, pour voir qu'en effet, tout montre qu'il avait raison.
PLS - C'est une bonne méthode pour un député ? C'est républicain, comme on dit ?
François Bayrou - Non, ce n'est pas une bonne méthode au sens où les députés installés entendent la politique. J'ai dit souvent, sur un millions de députés, il y en a 99 999 qui auraient baissé les bras. Ils seraient allés dans les ministères, ils auraient écrit des lettres, on leur aurait expliqué qu'il n'y avait rien à faire, ils auraient baissé les bras. 99 999, vous êtes tombé sur le millionième !
JMA - C'était le Grand Jury de François Bayrou, on se retrouve dimanche prochain. Bonsoir.
source http://www.udf.org, le 5 avril 2006
François Bayrou - Bonsoir
Jean-Michel Aphatie - Vous répondrez donc aux questions de Pierre Luc Séguillon de LCI, de Nicolas Beytout, du Figaro. Nous avons tous entendu, écouté le Président de la République vendredi soir, qui a dit d'une part qu'il promulguait la Loi égalité des chances, dont l'article 8 institue le Contrat Nouvelle Embauche, et qui a demandé d'autre part à son gouvernement, de prendre toutes les dispositions nécessaires, et je cite le chef d'Etat « pour que ce contrat ne soit pas appliqué ». Avez-vous compris cette position, François Bayrou ?
François Bayrou - Non, parce que ou bien c'est incohérent, ou bien c'est une duperie. Prenons d'abord incohérence, et incohérence, franchement, avec l'aspect risible. Promulguer, ça veut dire, rendre applicable. Si ceux qui nous écoute ouvrent leur dictionnaire, ils vont voir que « promulgation », c'est l'acte qui rend applicable une loi. Donc, comment dire dans la même phrase, je rends applicable, une loi que je demande de ne pas appliquer. C'est inédit, c'est la première fois dans les annales...
JMA - C'est incohérent, est-ce que c'est institutionnel selon vous, François Bayrou ?
François Bayrou - Personne n'aura jamais à en juger, puisque vous le savez, le Président de la République, n'a pas à en répondre. C'est d'ailleurs, à mon sens, un retard français, de ne pas voir les actes les plus importants de l'Etat, soumis à une Cour Suprême, on va dire ça comme ça. C'est une incohérence, et évidemment, personne ne peut s'y retrouver, et c'est un facteur de désordre. Ou bien c'est une duperie, car en réalité, la Loi est applicable. Demain, n'importe qui peut signer un CPE, sur papier libre, en l'intitulant CPE, en faisant référence à la Loi, et la loi s'applique, parce que c'est ainsi que la promulgation en a décidé. Ainsi, entre l'incohérence et la duperie, il y a un point commun, c'est que personne ne peut s'y retrouver, c'est que les Français ne peuvent avoir confiance.
Nicolas Beytout - Est-ce que vous vous y retrouvez. Entre incohérence et duperie, vous pencheriez plutôt pour la duperie, ou du moins pour le subterfuge, qui permet à la fois de sauver l'honneur du Premier ministre, et en même temps d'essayer d'éteindre l'incendie crée par le CPE.
François Bayrou - Dans le subterfuge, on est plutôt dans la première option : incohérence. Incohérence voulue, puisqu'il s'agissait à la fois d'éviter la montée des tensions inéluctables dès l'instant qu'il y a avait promulgation, et d'éviter une crise avec le Premier ministre, qui paraît-il, vous l'avez écrit très largement, avait mis sa démission dans la balance. Mais, ceci n'est pas une option. Il n'y avait en réalité que deux options justes. La première, à mes yeux risquée, et avec laquelle j'étais en désaccord, qui était « je promulgue, et après la loi s'applique » ; la deuxième que je souhaitais, qui était de dire « il y a un texte, qui a été proposé par le gouvernement, il y a beaucoup d'incompréhension autour de ce texte, remettons nous autour de la table, je demande une seconde délibération ». Cela était républicain. Voilà les deux options, et les deux seules qui étaient ouvertes.
NB - Cela revient au même au fond.
Il y a un nouveau, une nouvelle proposition de loi qui va être déposée, qui vaut au fond une deuxième lecture. On a bien compris que vos n'aimiez pas la méthode, mais le résultat final peut être exactement le même, est-ce que ce n'est pas le cas ?
François Bayrou - Une République, une démocratie, ça repose sur un contrat, c'est que les citoyens comprennent ce qu'il se passe. Or là, les citoyens ne peuvent rien y comprendre, et c'est une déstabilisation profonde, qui d'ailleurs marque tout ce qui se passe dans notre pays ces dernières années, et qui a mon sens est dommageable.
Pierre-Luc Séguillon - Ca c'est pour la méthode, mais pour l'objectif final qui est de rediscuter cette loi, et en particulier les deux points qui soulevaient les plus fortes critiques, y compris de votre part : la durée de deux ans, et la non-motivation des ruptures de contrat. Si la proposition de loi modifie ces deux éléments, alors est-ce qu'elle aura votre soutien ?
François Bayrou - Et bien je ne crois pas qu'on y arrive ainsi. Je vais vous dire pourquoi. D'abord, il me paraît impossible qu'après toutes ces péripéties, et bien on passe en force. C'est-à-dire, qu'on recommence le passage en force qu'on a fait avec le 49-3, simplement parce que l'UMP aurait la majorité, et dans l'opposition avec le pays, les syndicats, les gens raisonnables qui ont dit "attention, il y a des risques", je ne vois pas l'UMP passer en force.
PLS - Pardonnez- moi, il y a un changement de méthode de l'UMP, puisqu'elle dit « on ne passe plus en force, mais on discute avec les organisations syndicales ».
François Bayrou - Et bien je ne le crois pas du tout. Parce que, je peux me tromper et j'espère me tromper, mais les responsables syndicaux que j'ai eus au téléphone, tous dans la journée, les responsables syndicaux disent deux choses : la première « nous voulons l'abrogation du texte. Nous voulions une deuxième délibération, au point où nous en sommes arrivés, nous voulons l'abrogation du texte », et ils disent une deuxième chose « Nous voulons la motivation écrite ». Et c'est la motivation écrite du licenciement. Or l'UMP a dit « Urbi et orbi », qu'elle n'accepterait pas la motivation écrite du licenciement, ce en quoi elle a tort à mes yeux, et que cette motivation écrite signifierait qu'il n'y a plus de CPE.
NB - Est-ce que cette façon que vous avez de soutenir, au fond, la position des syndicats, ce n'est pas une façon de donner le pouvoir à la rue. Est-ce que aujourd'hui, l'UMP ne peut pas essayer de négocier, essayer de faire revenir à la table les syndicats, par exemple avec votre appui ?
François Bayrou - Monsieur Beytout, les lecteurs du Figaro savent qu'il y a 20 ans à peu près, il y a avait une majorité légitime, un gouvernement légitime, qui avait décidé d'une loi qui portait atteinte au principe de l'école privée, au principe de la liberté scolaire, en 1984. Et la rue, comme vous dites, c'est-à-dire, nous, les citoyens, considérant qu'il y avait une atteinte insupportable à nos principes, nous sommes, avec le concours du Figaro, descendus dans la rue comme vous dites...
NB - Et avec Jacques Chirac
François Bayrou - Et avec tout le monde, heureusement. Et nous avons imposé à François Mitterrand, le retrait de cette Loi, heureusement. Ce n'est pas la rue, ce n'est pas l'émeute, c'est le droit pour les citoyens de défendre les principes auxquels ils sont attachés. Et je n'ai pas d'autre lecture en 2006, et en 1984.
JM A - Vous venez de dire que vous avez eu tous les responsables syndicaux aujourd'hui, qu'est-ce qui vous a incité à les appeler, et qu'est ce que vous en avez retiré comme enseignement, du dialogue que vous avez eu avec eux aujourd'hui ?
François Bayrou - Je voulais essentiellement leur dire, puisque désormais il va y avoir un texte à l'Assemblée nationale, proposition de loi, je reviens dans une seconde sur proposition de loi, mais une proposition de loi à l'Assemblée nationale, alors il faut en discuter avec tous les groupes de l 'Assemblée nationale. On ne peut pas imaginer une République, aussi désordonnée que la nôtre, dans lequel le Président de la République s'efface, le gouvernement s'efface, il ne resterait plus qu'un seul parti l'UMP. Ça c'est un autre régime, et ce n'est pas la démocratie. Donc que toutes les formations politiques puissent échanger avec les syndicats, et au nom de l'UDF, et de ses présidents Hervé Morin et Michel Mercier, à l'Assemblée nationale et au Sénat, j'ai invité les centrales syndicales à nous rencontrer pour échanger nos idées sur le CPE.
JMA - Cette demande de réécriture de la loi, l'avez-vous formulée auprès de Nicolas Sarkozy, puisque visiblement vous étiez au téléphone ce matin, vous en avez profité pour l'appeler ?
François Bayrou - Non, la délégation de pouvoir du gouvernement, au président de l'UMP, puisque c'est ça que j'ai cru comprendre...
PLS - Une délégation de pouvoir, ou une captation de pouvoir ?
François Bayrou - Et bien ça vous êtes en commentateur avisé, Pierre Luc Séguillon, je suis certain que vous allez arriver à une conclusion si vous formulez clairement cette question. Je ne veux pas commenter les personnes, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse c'est de voir le désordre qui est introduit dans nos institutions. Que le gouvernement s'efface au profit du Président du parti qui est numéro deux du gouvernement, c'est un système qui n'a jamais existé, que le Général De Gaulle aurait condamné avec la plus extrême violence, car ceci n'est plus le régime des partis, c'est le régime du parti, et ceci n'a aucun sens, dans une République comme la nôtre. Je n'approuve pas cette délégation de pouvoir, et je suis d'ailleurs sûr qu'il y a de nombreux membres du gouvernement qui n'approuvent pas non plus cette délégation de pouvoir. Chacun doit rester dans son rôle, et le rôle d'une formation politique, d'après la constitution, c'est de concourir au suffrage, très bien, mais ce n'est pas de se substituer au gouvernement, car je rappelle que les régimes de concentration du pouvoir qui ont substitué le parti au gouvernement, il y en a eu dans l'histoire, et ce ne sont pas des régimes que nous aimons.
NB - J'aimerais comprendre ce qu'il s'est passé dans votre démarche depuis quelques jours.
François Bayrou - Attendez, j'ai oublié une chose. Proposition de loi. Pourquoi fait-on une proposition de loi ? J'explique pour ceux qui nous écoute, qui peut-être l'ont oublié, qu'il y a une grande différence entre projet et proposition de loi, c'est qu'un projet de loi est présenté par le gouvernement, et qu'une proposition de loi, c'est proposé par des parlementaires. Pourquoi a t-on choisi une proposition de loi, et pourquoi a t-on fait le CPE sous forme d'amendement. Chose que les observateurs ont regardé avec étonnement. C'est parce qu'il y a un loup sous cette affaire, et le loup, c'est que sous cette proposition de loi, on évite une obligation, qui est de soumettre au Conseil d'Etat une loi que l'on veut faire voter.
PLS - On peut éteindre l'incendie plus rapidement...
François Bayrou - Or il se trouve que le Conseil d'Etat, a, dans sa décision sur le CNE, indiqué qu'il ne pouvait pas y avoir dans le respect des règles internationales, qu'il ne pouvait pas y avoir un texte discriminatoire à l'égard des jeunes, qui leur donne moins de droits qu'à ceux qui sont plus âgés qu'eux. Voilà la raison, à mon sens, pour laquelle, si mes informations sont exactes, on a décidé de court-circuiter le Conseil d'Etat.
NB - Sur la proposition de loi, si vous n'êtes pas consulté par l'UMP, est-ce que vous auriez l'intention vous-même, comme le fait le PS, de déposer votre propre proposition de loi.
François Bayrou - Bien sur, sachant qu'en France, elle sera écartée, elle ne sera même pas examinée, mais on le fera. Et que comporterait cette proposition ?
NB - C'est ça qui est intéressant.
François Bayrou - Je veux dire d'abord qu'il me semble que ce qui est intéressant aujourd'hui, au point où nous en sommes arrivés, l'abrogation est inéluctable. Parce qu'il faut enlever l'écharde qui est dans l'abcès.
NB - Y compris le CNE, qui est la matrice du CPE
François Bayrou - Et bien non, je ne suis pas d'accord. Le CNE est en place, allons jusqu'au bout de l'expérimentation. On a promis une expérimentation dans quelques mois, un bilan de l'expérimentation dans quelques mois, moi je ne suis pas dans la situation d'un intégrisme « jusqu'au boutisme ». Je n'ai pas voté les ordonnances comme vous le savez, mais le CPE est en place, il y a des jugements extrêmement mitigés sur ce sujet, certains disent que cela crée de l'emploi, d'autres disent que non, ça s'adresse aux petites entreprises. Allons au bout de cette affaire. Pour moi, l'abrogation, c'est le CPE. Il faut enlever l'épine qui est dans cet abcès. On aurait pu, il y a deux mois, prendre l'amendement que l'UDF a proposé. C'est exactement ce que le Président de la République, deux mois après, a évoqué.
JMA - Et le contenu de votre proposition de loi.
François Bayrou - Moi je pense qu'il faut s'attaquer à l'emploi des jeunes, sous un autre angle que celui de la précarité. Et l'angle par lequel il faut attaquer, c'est les 150 000 jeunes qui sont sans aucune formation aujourd'hui, qui sortent sans formation chaque année. Et il faut faire un contrat formation -emploi dans l'entreprise, destiné aux jeunes sans formation, dont l'Etat prendrait en charge la partie salaire, la partie du salaire qui correspondrait à la partie d'accompagnement et de formation de ces jeunes.
PLS - Ce n'est pas très loin de la proposition de François Hollande.
François Bayrou - Ah si c'est très loin.
JMA - On ne va pas creuser cette différence.
François Bayrou - C'est absolument pas la même approche.
JMA - On y reviendra
François Bayrou - En tout cas si j'ai bien lu la proposition que vous évoquez...
Mais vous savez, Pierre Luc Séguillon, je vais vous répondre, ce que j'évoque là, peut -être faut-il rappeler que c'est ce qu'il se passe dans la plupart des pays européens. Il y a des pays qui vont jusqu'à prendre un an de salaire à leur charge, un an de salaire, de manière à mettre un pied à l'étrier de ces jeunes qui sont écartés de l'entreprise. Vous savez, le PS avait fait les emplois jeunes, mais qui étaient limités à la fonction publique. Et bien moi je pense, qu'il faut ouvrir cette démarche de pied à l'étrier jusqu 'à l'entreprise, et ça c'est une démarche que le PS, jusqu'à maintenant n'a jamais acceptée, et qui me paraît saine.
NB - Vous êtes pour l'abrogation du CPE, vous venez de le dire. Il y a quelques jours, jeudi encore, vous disiez « il faut ouvrir les négociations, et tout mettre sur la table ». Alors qu'est-ce qui fait que vous êtes passé d'une attitude plutôt conciliante en tout cas prête à la négociation, il y a deux jours, et qu'aujourd'hui vous êtes pour l'abrogation : première question. Et d'autre part, à quoi cela sert-il de rencontrer les syndicats, puisque vous proposez de réduire, et rabaisser la carte.
François Bayrou - Il y a une grande différence Monsieur Beytout, c'est que j'appelais à cette négociation, dans le cadre de la deuxième délibération. J'ai sans cesse, et peut-être même le premier, appelé à ce que l'article 10 de la constitution s'applique, et que le président de la République, demande une deuxième délibération.
NB - À quoi sert une négociation avec les syndicats, si d'ores et déjà vous proposez une abrogation ? Qu'est-ce que vous voulez négocier ?
François Bayrou - Vous savez très bien ce qui se dit, Monsieur Beytout, dans les heures que nous sommes en train de vivre. On a fait savoir aux syndicats que, naturellement, l'abrogation était une solution qui était retenue.
NB - Qui, et où ?
François Bayrou - Je ne sais pas.
NB - Si, vous savez.
JMA - Le Président de l'UMP.
François Bayrou - Le Président de l'UMP, et ceux qui s'expriment en son nom, ont fait savoir que désormais ils étaient prêts, et la formule a été reprise je crois dans les journaux de ce matin, qu'ils » étaient prêts à aller beaucoup beaucoup plus loin que ce que le Président de la République avait indiqué ».
JMA - Vous décrivez un Premier Ministre totalement dépossédé des choses...
François Bayrou - Je décris une République, dans laquelle plus personne ne sait, ce qui se fait, et qui fait quoi. Qui n'a plus ses principes, au point que le Président de la République peut promulguer en demandant qu'on n'applique pas, au point que le gouvernement peut dire « Je ne m'occupe plus de l'affaire, c'est le parti politique qui s'en occupe », au point que le Parlement n'est plus considéré dans son ensemble, mais est considéré parti par parti. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point les principes sont mis en cause, lorsqu'on dit « Nous allons discuter avec tel groupe de l'Assemblée nationale...
JMA - C'est le groupe majoritaire, celui qui peut faire avancer la loi, c'est lui qui peut trouver une issue à tout.
François Bayrou - Et bien, Monsieur Apathie, en République, et dans les institutions, il n'y a pas plus de groupe majoritaire, que de beurre en broche. Si vous trouvez quelque part dans la Constitution, écrit « La charge du parti majoritaire est celle-ci, je vous en supplie, présentez -la moi, je vous paie un coup de Jurançon...
JMA - Vous nous dites, c'est un moment important François Bayrou, ce matin, les représentants syndicaux, puisque vous leur avez téléphoné, vous laissent penser aujourd'hui que les représentants syndicaux qui mènent la contestation contre le CPE, pensent que le groupe majoritaire représenté par Nicolas Sarkozy, va bientôt en arriver à l'abrogation du texte. C'est ça ?
François Bayrou - L'impression que j'ai retenue de ces dialogues, et après tout c'est logique, puisque si l'on veut discuter, il faut d'abord mettre sur la table toutes les options. Simplement, je pense que cette espèce de mise hors -jeu du gouvernement, ne ressemble pas à ce que la République a voulu de ses institutions.
NB - Mais quelles conclusions, je reprends ce qu'a dit Jean-Michel Apathie à l'instant, quelles conclusions à votre avis, devrait en tirer le Premier Ministre, dès lors qu'il est totalement déjugé -si je vous suis bien- et que le CPE est un projet mort-né.
François Bayrou - Et bien ça, ça dépend des relations et des discussions qui ont lieu au sein du gouvernement. J'ai toujours pensé que, contrairement à ce qu'on racontait, le Premier ministre ne démissionnerait pas. D'abord parce que c'est lui qui est le père de ce projet, et j'imagine que le Président de la République lui aurait dit « Vous êtes le père du projet, s'il vous plaît, allons désormais au bout de cette affaire ». Il n'est pas sain de changer de gouvernement tous les 8 jours. Il y a quelque chose qui serait, là encore, une exception française : au bout de 9 mois, changer de gouvernement. Mais il aurait été plus clair, plus franc, de dire « Il y a quelque chose qui ne va pas. On ne va pas déchirer le pays pour une affaire qui n'est, somme toute, pas centrale pour notre avenir. Reprenons les choses et faisons une deuxième délibération ».
JMA - On ne gouverne pas non plus, Monsieur Bayrou, sans autorité. Or dans la séquence que vous décrivez, l'autorité du Premier Ministre, est réduite à pas grand-chose.
François Bayrou - Je crois en tout cas, que c'est l'impression qu'on a voulu donnée, de ce changement d'influence au sein du gouvernement. Mais, encore une fois, pour moi, ce qui m'importe, c'est la démocratie et la République que nous formons tous ensemble. Les commentaires politiques, Dieu sait que vous êtes habiles pour en faire, devant les micros, sur les écrans, dans les journaux, et sur des blogs. Vous faites très bien ces commentaires politiques, mais mon souci à moi, ce n'est pas de faire des commentaires politiques, c'est de savoir qui a plus d'influence que qui. Qui gagne des points ou qui perd des points, ça, c'est une affaire secondaire. En revanche, il y a une affaire essentielle pour des républicains, c'est de savoir où est le pouvoir ? qui l'exerce ? sous quelle forme ? et si les citoyens peuvent comprendre ce qu'il se passe ? Depuis la déclaration du Président de la République, et les développements qu'on a eus hier, c'est que plus personne ne peut plus rien y comprendre. Et quand on n'a pas cette franchise-là, cette loyauté-là, il ne peut pas y avoir de confiance. Et donc rien de bon ne peut sortir de cette affaire.
NB - Et précisément, si on se met sur ce registre, si le Premier Ministre n'a plus beaucoup d'autorité pendant les mois qui viennent. Est-ce que vous ne craignez pas que la République soit en panne, et que rien ne se passe plus. Autrement dit, est- ce que la sagesse, ce ne serait pas de presser certaines échéances ?
François Bayrou - Je crois que cette fin de cycle est mal partie. Je pense que les signes qui sont donnés là, l'influence qui est exercée sur le Président de la République, lui faisant suivre des voies détournées alors qu'il aurait dû choisir des voies directes : l'une ou l'autre.
NB - L'influence c'est Dominique de Villepin ?
François Bayrou - En tout cas au moins, il y a celle-là, peut-être y en a t-il d'autres. En tout cas, le fait que le Président de la République ait dû ruser, au lieu de trancher, tout ça ne ressemble pas à ce qui me paraît sain pour un pays comme la France. Comment voulez-vous qu'on y comprenne quelque chose ? En tout cas, les juristes, -vous avez vu ce matin les déclarations de juristes-les titres c'étaient « abracadabrantesque », pour reprendre l'expression que Jacques Chirac, par Dominique de Villepin interposé, avait piqué paraît-il à Rimbaud.
PLS - Qu'est-ce que vous en tirez comme conclusion ? Qu'est-ce qu'il faut faire pour sortir de cette situation abracadabrantesque?
François Bayrou - Hélas, aujourd'hui il n'y a plus qu'une voie si l'on veut enlever l'épine de l'abcès. C'est abroger le CPE, c'est repartir à frais nouveaux, sur un texte nouveau, qui prendra d'autres aspects...
PLS - Ça ne résout pas le problème de savoir si le gouvernement conserve l'autorité, et en particulier son Premier Ministre ?
François Bayrou - Non, le gouvernement a perdu beaucoup d'autorité, si c'est ça la réponse.
PLS - Ça veut dire aussi, qu'une fois prononcée l'abrogation, on puisse prendre à bras le corps, comme vous le dites, la réforme est une chose quasi impossible avant l'échéance présidentielle.
François Bayrou - Pierre-Yves Séguillon, on a beaucoup reculé ces derniers jours, on a passé la marche arrière.
La question des contrats de travail était sur la table, et on a reculé de plusieurs cases, et probablement de plusieurs années. La question de l'approche des jeunes au travail, était sur la table ; de grandes organisations syndicales, ont dit « nous avons des propositions à faire sur ce sujet ». Plusieurs, -je les ai entendues, et vous les avez entendues, c'était souvent sur vos plateaux. Mais désormais, on est devant un organisme qui a subi une inflammation très importante, et quand il y a inflammation, vous ne pouvez même plus approcher le doigt de l'endroit douloureux. Il y a une espèce de rétractation. Et bien tout ceci est en effet, me semble t-il, mauvais service à rendre au pays, dans l'état où il se trouve.
PLS - En janvier dernier, vous déclariez,-je cite-, que « Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy, sont deux avatars d'un même système initié, voulu et incarné par Jacques Chirac ». Vous diriez la même chose aujourd'hui ?
François Bayrou - Il faut peut-être expliquer à ceux qui nous écoutent, qui pourraient croire que « avatar » est un gros mot, -comme un certain nombre l'ont cru-, que avatar signifie « incarnation de vichnou » dans la religion Hindoue. Ils sont tous les deux des incarnations du même système . Ce système, on va le nommer si vous voulez : il est bonapartiste, disent les uns, jacobin, disent les autres. L'idée qu'on peut gouverner tout seul, sans le pays, qu'il suffit d'avoir tous les leviers de commande entre les mêmes mains, et que tout le pays suivra. Tout ceci, c'est l'erreur fondamentale du système dans lequel nous vivons. C'est pourquoi je milite pour qu'on change nos institutions. Pour que, par exemple, on abandonne le 49-3, c'est-à-dire qu'on cesse de donner, ou qu'on enlève dans notre Constitution future, ce droit du gouvernement, qui consiste à passer en force, sans écouter l'Assemblée nationale. Il y a là quelque chose qui est passage de force et bras de fer perpétuel, on l'utilise, comme vous le savez régulièrement depuis des années. Je crois au contraire, que dans une démocratie saine, dans une République saine, il faut que le Parlement puisse dire son mot jusqu'au bout : c'est le cas aux Etats-Unis, c'est le cas dans les institutions européennes, et les deux y gagnent.
PLS - Enfin ça, ça fait changer de République...
François Bayrou - En tous cas, pour moi, il faut changer de Constitution, celle-ci est épuisée, on est à bout de force, et on ne peut pas continuer comme ça.
JMA - En même temps François Bayrou, ça fait longtemps que vous, -vous faisiez même parti d'un gouvernement qui s'est heurté au problème-, que l'on pense que des aménagements du code du travail sont nécessaires pour permettre aux jeunes de rentrer plus facilement dans la vie active, peut-être pour enlever des freins psychologiques à l'embauche. Des solutions ont été recherchées par le dialogue, les syndicats se prêtent peu à ce dialogue qui est censé aboutir. Donc à un moment, on attend aussi que la politique décide, et prenne ses responsabilités. Au fond, c'est ce qu'a voulu faire Dominique de Villepin. Alors le lui reprocher après coup, c'est peut-être un peu facile. Le pays est peut-être difficile à gouverner, d'une certaine façon.
François Bayrou - Je ne le crois pas. Alors ce n'est pas facile de gouverner la France, personne ne le niera. Et moi, je ne jette pas la pierre, mais je ne crois pas que ce soit un pays ingouvernable. Je pense simplement qu'il devient ingouvernable, dès lors qu'on décide de l'ignorer, dès lors que l'on ne prend pas en compte les représentations légitimes du pays, les corps intermédiaires comme on dit ; dès lors qu'on décide tout seul, à Paris, parce qu'on a eu une idée soit- disant de génie, et qu'on découvre après coup, que cette idée de génie, était en fait une idée qui recelait bien des pièges, et qui était dangereuse. Le travail humble et profond, qui consiste à avoir des partenaires en face de soi, et qui consiste à discuter avec eux, de vos idées, ce n'est pas une perte de temps, c'est un gain de temps.
JMA - En même temps, on a fait beaucoup de réformes, les retraites par exemples, on a suscité des oppositions très profondes, et peu de partenaires sociaux ont été disponibles pour trouver...
François Bayrou - D'abord il y a eu plus de partenaires sociaux que vous ne dites, de disponibles.
JMA - Je pense à la CFDT notamment, qui a emporté un peu le morceau.
François Bayrou - Pour moi, la situation est totalement différente de celle des retraites, totalement différente. Sur les retraites, il y avait eu un grand débat national, au moment de l'élection présidentielle. C'était dans le programme, les Français avaient voté, et au fond d'eux-mêmes, les Français savaient qu'il fallait y aller. Je n'étais pas totalement d'accord avec tout, je pense qu'on a fait qu'un tiers du chemin sur les retraites, et que cette question se reposera inéluctablement. Mais j'ai été de ceux qui ont soutenu le gouvernement au moment des retraites, car cette réforme était une réforme juste. Et ma conviction, c'est que les manifestations n'étaient pas destinées à empêcher que les retraites passent. C'était une expression, on voulait colorer, on ne voulait pas donner son assentiment. Mais au fond, et on l'a bien vu quand il s'est agit d'aller jusqu'au bout, les manifestations de l'époque, avaient décidé de laisser passer les réformes des retraites.
JMA - On doit rendre l'antenne pour le journal peut-être.
NB - D'une certaine manière c'est un coup de chapeau à la méthode Raffarin.
François Bayrou - Oui, en tout cas là, j'ai soutenu le gouvernement, parce qu'il me paraissait que la démarche, si elle était insuffisante, -et je maintiens qu'elle l'était-, était juste.
JMA - Si Jean-Pierre Raffarin nous écoute, c'est un petit coup de chapeau.
On se retrouve après le journal, avec François Bayrou.
(journal)
JMA - Nous sommes de retour dans le grand studio de RTL. Nous continuons à parler du CPE. Vous demandez, vous l'avez dit, l'abrogation du CPE, c'est la seule logique dites vous. D'une certaine façon, c'est encourager les syndicats, au succès de mardi. Vous appelez les manifestants à descendre dans la rue : l'abrogation du CPE.
François Bayrou - Jean-Michel Apathie. Ou bien il y aura abrogation du CPE, et on aura des négociations, et peut-être on pourra réécrire un texte plus consensuel. Ou bien il n'y aura pas abrogation, et il n'y aura pas de négociation, et il n'y aura pas de vote de loi correctrice.
JMA - Pardon, le succès de la manifestation de mardi, peut permettre d'obtenir ce que vous demandez, c'est-à-dire l'abrogation qui permettra la négociation.
François Bayrou - Je pense que la situation a été créée par la déclaration du Président de la République, et par le changement de responsabilité qui fait que le gouvernement a abandonné sa responsabilité de négociation, pour la transmettre à quelque chose qui n'a pas d'existence institutionnelle, et qui est le parti majoritaire. Et ça, ça n'est pas dans nos institutions.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Vous évoquiez juste avant le journal, ces grèves autour de la réforme des retraites, et vous disiez que au fond elle était là juste pour donner une couleur, une inflexion à la réforme, qui au fond était légitime. Mardi, dans la rue, pour obtenir l'abrogation, il y a aura beaucoup de représentants de toutes les professions, beaucoup de fonctionnaires, et beaucoup de salariés qui ont un statut, et aucun de cela ne sera jamais concerné par le moindre CPE. Est-ce le fait que ces gens- là soient en grève, bloquent la France, ne vous choque pas ?
François Bayrou - D'abord, je ne fais pas de différence entre les Français. Citoyens, ils le sont tous, et je ne les juge pas à travers de leur fonction ou de leur métier. Deuxièmement, vous m'avez peut-être entendu à la tribune de l'Assemblée nationale lors du débat sur cette affaire, d'hier. Si vous aviez voulu poser ce problème de la flexibilité du travail, il fallait le faire pour tout le monde. Mais, le reproche principal que je fais au CPE, c'est qu'il crée deux catégories de français.
NB - Il y a déjà deux catégories, il y a les fonctionnaires qui ne peuvent pas être menacés dans leur emploi, et il y a les autres. Est-ce que ça vous choque ça ?
François Bayrou - Je ne suis absolument pas d'accord pour faire la guerre aux fonctionnaires, qui est derrière ces propos. Parce que les statuts, dans les grandes entreprises privées, je peux vous assurer, que c'est aussi confortable au point de vue de la sécurité, et plus confortable, du point de vue des revenus, que ne le sont ceux des statuts de la fonction publique. Il y a beaucoup beaucoup,-je connais bien le monde enseignant-, il y a beaucoup de jeunes enseignants très diplômés, agrégés, docteurs, certifiés, qui au bout de dix ans ont des salaires que personne n'a dans votre entreprise.
NB - Ce n'était pas ma question. C'était, est-ce que des gens qui ne sont aucunement concernés par la réforme, sont au fond légitimes à défiler et à bloquer le pays ?
François Bayrou - Vous dites « Ce n'était pas ma question », c'était exactement votre question ! Parce que votre question, elle dépeignait une France dans laquelle il y a ces fonctionnaires, vraiment, abusant perpétuellement...
NB - Non, non, c'est vous qui caricaturez...
François Bayrou - Non, je traduis ce qu'il y avait dans votre question. Ce que vous présentez comme un extraordinaire confort, le statut de la fonction publique... .Demandez ce que gagne un agrégé docteur, un maître de conférences dans une université, ayant plus de 10 ans de carrière. Et bien il gagne...
NB - François Bayrou, je ne vais pas polémiquer là-dessus, je voudrais juste vous dire que le salaire moyen dans la fonction publique en France, est aujourd'hui supérieur au salaire moyen dans le secteur privé.
François Bayrou - Ce point est vrai. Et on entre dans la fonction publique uniquement par concours. Moi, je ne veux pas opposer les deux France. Il y a des inconvénients et des avantages entre la fonction publique et le secteur privé. Mais il y a des statuts et des protections dans le secteur privé, qui sont incomparablement, ou au moins aussi importantes, que les statuts et les protections dans la fonction publique. Moi, en tout cas, je n'accepte pas cette stigmatisation- si je puis dire. Mais je reviens à la question. Je suis tout à fait d'accord pour qu'on regarde les impératifs de flexibilité que l'économie moderne impose et exige. Ce que je ne trouve pas normal, c'est que l'on concentre tous les dangers de la flexibilité sur les moins de 26 ans.
JMA - Parce qu'ils ont beaucoup de mal, disait le Premier Ministre, à trouver un emploi. Beaucoup plus de mal que les autres catégories de la population.
François Bayrou - Oui, enfin ils ont beaucoup de mal quand ils n'ont aucune formation. Et c'est donc au problème de la formation en entreprise qu'il faut s'attaquer. Un contrat simple, un mécanisme simple, qui permette de vous embaucher, et de donner le temps nécessaire à la formation à vous guider, à vous apprendre le métier et l'entreprise, sans que ça coûte à l'entreprise.
JMA - On voit de nombreux jeunes en France qui ont Bac+3, Bac+4, et qui passent de nombreuses années avant de trouver un CDI. C'est une situation que l'on connaît aussi. Comme quoi pour eux, ce n'est pas une garantie.
François Bayrou - Dans mon idée, si vous permettez que je m'y arrête un instant, le Contrat Formation Emploi, comment est-il fait, comment se pratique t-il ? Si vous êtes un chef d'entreprise, vous avez un jeune qui vous intéresse, mais ce jeune, quel que soit son niveau de diplôme, il n'est pas opérationnel. Vous discutez avec l'ANPE, et vous dites « Est-ce que vous prendriez en charge 20 % de son salaire ? Pour que je m'y retrouve, et que je l'aide en même temps ». Si vous avez un accord avec l'ANPE, qui considère que « oui », en effet, 20 % du salaire pendant 6 mois, c'est bien. Et bien vous avez ainsi mis le pied à l'étrier à un jeune, et vous avez changé fondamentalement le rapport de la formation au sein de l'entreprise.
JMA - Pierre- Luc Séguillon
PLS - Il n'y a pas d'offense, mais quand vous regardez les manifestations, est-ce qu'il n'y a pas une fracture entre deux types de jeunesse ? C'est-à-dire qu'on a vu des étudiants, futurs diplômés, manifester contre le CPE, et puis on a vu ces manifestations de violence d'une partie de jeunes qui sont non scolarisés, ou déscolarisés. Quelle est la réponse qui peut être apportée ?
François Bayrou - Ce que vous décrivez là, c'est une des choses les plus difficiles, les plus lourdes de la société française, on a vu en novembre, on a eu ces incidents dans les banlieues. Qu'est-ce qu'on a fait dans les banlieues depuis ? Rien. Rien. On avait fait de grandes déclarations, on avait fait « l'état d'urgence », et puis qu'est-ce qu'on a fait ? Rien. Et les maires des banlieues, si vous les interrogez, ils vous le diront. Il y a donc là quelque chose qui ne va pas. Je pense qu'il n'y a pas de chemin dans les banlieues si on ne réimplante pas une présence des entreprises et de l'Etat dans ces secteurs qui sont aujourd'hui abandonnés. Par exemple, je ne crois pas qu'on trouvera des apprentis ou des contrats d'apprentissage dans les banlieues, il n'y a pas d'entreprises. Et donc, travail de très longue haleine, qui passe par un changement fondamental à l'Education nationale, qui consiste à offrir aux jeunes déstabilisés, un chemin de formation, qui ne soit pas le chemin de formation du collège ordinaire. Si vous continuez à avoir dans chaque établissement, dix ou vingt jeunes qui sont des éléments de déstabilisation de tout le système, et que votre seule réponse, consiste à les changer d'établissement s'il y a un établissement disponible, mais à rien ne leur proposer d'autre, vous êtes à mille lieux de ce qu'il faut faire.
JMA - La violence que l'on a constatée pendant les manifestations, n'est pas que le fait de jeunes, il y a des étudiants aussi qui ont été violents : l'occupation de l'Ecole des Hautes Etudes de Sciences Sociales, ce sont des étudiants qui l'ont menée, et qui ont tout dégradé. Beaucoup de témoignages montrent qu'il y a une part de cette jeunesse-là qui est très radicalisée, très hostile au monde politique, et qui s'est comportée avec violence. Peut-être que le tableau de la violence que vous décrivez, va au-delà de ce que vous décrivez.
François Bayrou - Sans doute, mais sur le problème de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, j'ai entendu la directrice de l'établissement dire deux choses, qui sont l'une et l'autre très importantes. La première : elle a dit qu'il n'y avait pas un seul étudiant parmi ceux qui occupaient. J'ai entendu cette phrase. Et deuxièmement, elle a dit « On a appelé la Police pendant quatre jours, on n'a pas de réponses ». Pourtant, on ne peut pas dire que ce soit excentré, et dans des quartiers infréquentables. Donc, il y a là quelque chose que je ne comprends pas très bien.
PLS - De ce point de vue, vous comprenez les manifestations, vous comprenez ceux qui s'opposent au CPE, et qui demandent l'abrogation. Est-ce que vous comprenez....
François Bayrou - Je leur reconnais ce droit.
PLS - Est-ce que vous comprenez ceux qui occupent les Facultés ? Quand bien même ça se fait contre une grande partie qui voudrait travailler.
François Bayrou - Non, je préférerais que ce soit un processus de respect mutuel et que tous ceux qui voudraient travailler puisse le faire. Je ne suis pas du tout ...
NB - Gilles de Robien, ministre UDF, chargé de l'éducation, a demandé à ce qu'on évacue les lycées et les universités. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée ? Qu'on évacue par la Police...
François Bayrou - Je pense que multiplier les déclarations qui mettent de l'huile sur le feu, pendant une période aussi brûlante, c'est très risqué.
JMA - Il vaut mieux ne rien faire ?....
François Bayrou - Les chefs d'établissement sont les mieux à même de décider ce qu'ils font. Au demeurant, ils ont décidé. Et je sais très bien que tous préfère que les lycées soient ouverts, mais ils ne veulent pas en rajouter dans l'épreuve de force.
NB - Et vous pensez qu'il revient à un recteur ou à un proviseur de lycée, de prendre la responsabilité de faire rentrer la Police chez lui ? C'est ça que vous proposez ?
François Bayrou - Qui a fait entrer la Police ? Est-ce que depuis que cette circulaire a été prise, quelque part, on a fait rentrer la Police ?
PLS - Est-ce que vous voulez dire par là que Nicolas Sarkozy est un élément modérateur dans cette affaire ?
François Bayrou - Je pense que ce n'est pas l'affaire de tel ou tel. Je pense que c'est l'affaire de l'Etat ?
PLS - Non. Attendez, je précise ma question.
François Bayrou - Non, non...
PLS - Est-ce que vous estimez que Nicolas Sarkozy, comme Ministre de l'Intérieur, a géré correctement les problèmes de sécurité ?
François Bayrou - Est-ce qu'il a géré correctement ? Oui, en dehors des incidents des Invalides l'autre jour, qui étaient étranges, parce qu'on voyait des casseurs -alors que la Police était là-, multiplier les agressions contre les voitures. Pour l'essentiel, je pense qu'il a fait son travail de Ministre de l'intérieur, qu'il n'y a pas de reproches à lui faire de ce point de vue-là. J'ai signalé le cas de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, j'ai signalé les Invalides, pour le reste, c'est très difficile de maintenir l'ordre, je fais absolument confiance aux autorités de la République pour le faire, pour l'instant il n'y a pas eu à s'en plaindre.
JMA - On a un problème particulier, si les cours ne reprennent pas vite dans les Facultés, les examens de fin d'années devront être annulés, et pour les étudiants, certains sont d'ailleurs opposés au CPE, certains trouvent ça dommage, pour ne pas dire plus. Est-ce que ce n'est pas aussi la responsabilité du pouvoir politique, de faire que si les manifestations continuent, les examens ne soient pas compromis ?
François Bayrou - Et bien, il y a eu toutes les déclarations nécessaires, nous allons voir comment elles sont appliquées. J'ai été ministre de l'éducation, vous avez en face de vous des proviseurs qui sont des gens très expérimentés, responsables, donnez leur la mission de faire au mieux, et ils le feront. Et d'ailleurs, depuis que la circulaire a été prise, ils l'ont fait. Tous ceux qui peuvent ouvrir, ouvrent. Tous ceux qui sont empêchés, essayent de convaincre, et c'est bien. Ce sont nos enfants qui sont là, ce n'est pas une France menaçante contre une France menacée. Ce sont nos enfants, et il n'y a, à mon sens, pas de risque. Il ne faut pas prendre de risque excessif. En tout cas, il faut faire des choses, et pas trop de déclarations.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Gilles de Robien est ministre UDF, et encore une fois, membre de votre parti.
François Bayrou - Non, Gilles de Robien...
NB - Gilles de Robien, « virgule, Ministre, « virgule », UDF, « virgule »... a eu dans toute cette crise une attitude et un jugement politique qui vous satisfait ?
François Bayrou - Non
NB - Vous lui reprochez de s'être trompé au départ sur le diagnostic, en disant que les universités ne bougeraient pas ?
François Bayrou - Non, il n'y a pas de raison de personne. Je dirais simplement qu'il a été depuis le début, très très très... « boutefeux ». Je pense qu'il y a au sein de l'Education nationale, des forces qui ne sont pas des forces modératrices. Et je pense qu'il a choisi une attitude politique, partisane, ou militante, qui ne ressemble pas à la mission d'un ministre de l'Education nationale dans l'esprit où il a été le plus souvent appliqué. Alors, ça fait sûrement plaisir à beaucoup de gens, mais après ça laisse des traces, qui font qu'après, il est très difficile d'exercer sereinement cette mission.
JMA - Est-ce que c'est gênant pour votre parti, François Bayrou, l'UDF, que le seul ministre, que le public repère un peu comme appartenant à votre formation politique, se soit comporté comme ça ?
François Bayrou - Il appartient au gouvernement, contre l'avis de sa formation politique.
JMA - Oui, mais il appartient toujours.
François Bayrou - Et vous savez que nous avons eu un Congrès pour trancher cette question. 92 contre 8...Alors, si un jour il y a des décisions à prendre, je les prendrai.
PLS - Il ne se reconnaît plus dans votre démarche, vous ne vous reconnaissez plus dans son comportement de ministre.
François Bayrou - Pas du tout, je ne me reconnais plus dans la manière qu'il a de conduire cette mission.
JMA - Il y avait une coupure entre vous, il y avait déjà une distance ?...
JB - Ah oui, c'est une fracture politique.
JMA - D'accord.
On voit le chef de l'Etat qui pose aussi la question de l'université dans son intervention de vendredi. Il dit « Je demande au Premier ministre et au gouvernement d'ouvrir un grand débat national sur les liens entre l'université et l'emploi, afin de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes ». L'état de l'université aujourd'hui en France- vous avez été ministre de l'Education il y a 10 ans- est assez déplorable. Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Et quel type de responsabilité...
François Bayrou - Il y a dix ans nous avons fait une grande réforme, vous vous en souviendrez peut-être- et elle a été approuvée à l'unanimité, de l'UNI, à l'UNEF. Et en disant UNI et UNEF, je dis... .très à droite, et très à gauche. Elle avait été approuvée à l'unanimité, et cette réforme instaurait l'orientation à l'entrée de l'université, pour que précisément soit posée la question de la réalité de la vocation. Est-ce que les jeunes savent ce qui les attend lorsqu'ils choisissent droit, lorsqu'ils choisissent psycho, STPAS, est-ce qu'ils savent réellement ce qui les attend ? Et on avait même pour cela, changé intégralement le calendrier universitaire, puisque l'on avait instauré la semestrialisation de l'université française. Ce qui n'a pas été facile à mettre en place, notamment chez les juristes, qui pour certains m'en veulent encore d'avoir pris cette responsabilité 10 ans après. Je regrette beaucoup qu'on ait abandonné l'orientation à l'entrée de l'université, je regrette beaucoup qu'on n'ait pas fait ce grand travail. Et selon moi, il faudra reprendre ce chantier, et le reprendre avec des idées qui n'ont jamais été avancées, et qui sont nécessaires.
PLS - François Bayrou, au fil de notre conversation, vous évoquez un certain nombre de réformes possibles dans le domaine social, dans le domaine de l'université...Quand est-ce que le candidat François Bayrou va présenter les grands chantiers qui seraient les siens, si d'aventure il était élu à la présidence de la République.
François Bayrou - Quand il sera temps.
PLS - C'est-à-dire ?
François Bayrou - Nous ne sommes pas dans la phase de l'élection présidentielle. Nous sommes...
PLS - J'ai le sentiment que nous sommes en pleine bataille présidentielle entre Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy...
François Bayrou - Bataille oui, mais j'ai la chance d'être à la tête d'un mouvement politique au sein du quel, il n'y a pas ce genre de bataille. La phase que nous sommes en train de vivre, est une phase extrêmement pédagogique pour les Français. Ils voient, sous leurs yeux, l'effondrement de l'Etat, et ils voient sous leurs yeux, la démocratie qui s'abîme. Autrement dit, tout ce qui fait la légitimité de la République est en train de craquer de toutes parts, et craquer parfois de façon dérisoire, ce qui ajoute encore quelque chose à l'inquiétude qui doit être la nôtre. Dangereuse et dérisoire.
JLS - Ça c'est cassant...
François Bayrou - Non, cette phrase est me semble t-il suffisante en elle-même, pour que chaque fois qu'un éléments se produit, on dise « Voilà la cause, voilà ce qu'il faut changer ». C'est ce que je fais. Je dis « Le passage en force, est une des causes des drames que nous vivons, et c'est cela qu'il faut changer, je propose qu'on change la Constitution ». Je dis, le problème de l'emploi des jeunes, la cause est dans la non-qualification, c'est cela qu'il faut changer, je propose le contrat formation -emploi. Et on pourrait ainsi faire le tour : justice, éducation, de toutes les visions nouvelles que nous dessinons pour que les Français s'y retrouvent. Mais le temps des programmes n'est pas venu, et le temps de la campagne non plus, du moins, je le crois. Je suis un peu moins sur de cela que je ne l'aurais été il y a deux mois.
PLS - Vous voulez dire quoi ?
François Bayrou - Je veux dire quoi ?
PLS - Vous voulez dire qu'il y a une accélération des choses.
François Bayrou - Oui, je veux dire qu'il y a une accélération des choses, je veux dire que tout s'abîme, qu'il y a un moment où on se pose des questions sur combien de temps ça va durer, est - ce qu'on va pouvoir aller comme ça jusqu'au bout ?
PLS - Vous craigniez que tout cela se termine par une crise, par une crise institutionnelle ?
François Bayrou - Nous sommes en pleine crise de régime. Quand le Président de la République, vient à la télévision dans une intervention suivie par 20 millions de français, et qu'il dit « Je promulgue une loi que je ne promulgue pas », « je rends applicable une loi, que ne rend pas applicable ». Le contrat de confiance entre les citoyens, qui est le contrat des mots justes, -c'est très important les mots justes pour diriger un pays et pour une démocratie vivante-, ce contrat est rompu. Lorsque vous avez un gouvernement, qui renonce à l'oeuvre législative qu'il a lui-même conduite, et qu'il va chercher non pas un médiateur extérieur, mais le président du parti unique de la majorité, vous dites... »Dans quel monde vivons- nous ? ». C'est tout cela qu'il faut changer.
JMA - Cela vous fait penser François Bayrou, que l'élection présidentielle pourrait avoir lieu à un terme plus proche que celui auquel elle doit normalement intervenir ?
François Bayrou - Cela me fait penser que la dégradation est plus profonde qu'on ne le croyait, et quand la dégradation est profonde, on ne sait jamais ce qu'il peut se produire. Et en tout cas, il y a beaucoup de Français aujourd'hui qui se disent « mais comment ça va durer ? ».
JMA - Alors le rythme peut s'accélérer.
François Bayrou - Le rythme peut s'accélérer.
JMA - Nicolas Beytout
NB - Il y a quelques jours un de vos très proches, Hervé Morin, qui est président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, disait, je le cite « Villepin n'est pas seulement en train de creuser sa tombe, mais aussi celle de Sarkozy, le seul recours de la droite sera donc François Bayrou ». Est-ce que tout cela, au fond, ne vous arrange pas ?
François Bayrou - Je ne suis pas le porte-drapeau de la droite, je suis le porte-drapeau d'une autre vision de la France, si vous me permettez de le dire comme ça. Je suis un homme du centre, et je l'ai toujours été.
JMA - Le centre a toujours...
François Bayrou - Vous dites cela...
JMA - ...pris des voix de droite. Est-ce que tout cela ne vous arrange pas ?
François Bayrou - Je reprends cette très importante question à mes yeux. Il y a des valeurs de droite que je respecte et que j'aime, il y a des valeurs : la fidélité, la loyauté, le sens du travail... Je respecte ces valeurs et je les aime. Il y a des valeurs de gauche que je respecte et que j'aime : le sentiment de générosité, le sentiment qu'on n'est pas là pour des intérêts personnels, mais qu'on a quelque chose de plus grand à porter que soit- même, le sentiment qu'on peut changer les choses, on n'est alourdi par le poids du passé. Je respecte et j'aime ces valeurs, et je crois qu'on peut les concilier.
NB - Vous n'avez pas répondu à ma question...
François Bayrou - Mais je vais répondre. Mais c'est un sujet très important Nicolas Beytout, très important pour moi, et c'est rare que j'ai l'occasion dans une émission, d'y venir. Je pense qu'un temps viendra où les valeurs de droite respectables, et les valeurs de gauche respectables, seront conciliées dans une synthèse nouvelle. Vous savez, on a vécu les cinquante premières années du vingtième siècle, en France, habités par une guerre irréconciliable : c'était les cathos d'un côté, et les laïcs de l'autre, les cathos et les anti-cathos. Et aucun de ceux qui vivaient cette guerre, n'imaginait qu'on pourrait un jour s'en sortir. Les cathos sont restés cathos, les laïcs sont restés laïcs, simplement, un jour ça n'a plus été la question. C'est-à-dire qu'ils se sont rendus compte, tous, qu'on pouvait, en restant soit- même, entrer dans un travail en commun nouveau. Et je crois, en tout cas tout montre à mes yeux, que cela est nécessaire. Une réconciliation de cet ordre est nécessaire pour la France. J'ai fini. Lorsque le Général De Gaulle en 1958, a voulu reconstruire son pays : qu'a t-il fait ? Il a appelé au gouvernement, des hommes fiables d'horizons politiques, qui la veille étaient opposés. Ca été un grand service à rendre au pays. Je pense que le temps viendra d'un service de cet ordre.
NB - Si vous étiez demain candidat à la présidence de la République, est -ce que dans votre programme il y aurait l'idée d'un gouvernement d'Union nationale, pour reprendre les termes que vous venez de dire ?
François Bayrou - L'unité nationale, et sans doute l'union nationale, sont aujourd'hui nécessaires pour reconstruire la France. Les démarches partisanes d'affrontement d'un camp contre l'autre, n'y parviendront pas.
JMA - Voilà, il nous reste 45 secondes. Jean Lassalle, député UDF, 27ème jour de grève contre la faim, peut-être pouvez-vous nous donner des nouvelles François Bayrou ?
François Bayrou - Jean Lassalle, ce n'est pas un ami pour moi, c'est un frère. C'est un homme formidable, qui pour sa vallée -il est issu d'une famille de bergers dans les Pyrénées- fait une action qui n'a jamais été entreprise. Il va bien, on se fait beaucoup de soucis pour sa santé, mais il va bien. Il allait bien en tout cas jusqu'à la dernière conversation que j'ai eue. J'espère que ça commence à bouger un peu, et il suffisait de lire un grand journal d'un de vos confrères, aujourd'hui, pour voir qu'en effet, tout montre qu'il avait raison.
PLS - C'est une bonne méthode pour un député ? C'est républicain, comme on dit ?
François Bayrou - Non, ce n'est pas une bonne méthode au sens où les députés installés entendent la politique. J'ai dit souvent, sur un millions de députés, il y en a 99 999 qui auraient baissé les bras. Ils seraient allés dans les ministères, ils auraient écrit des lettres, on leur aurait expliqué qu'il n'y avait rien à faire, ils auraient baissé les bras. 99 999, vous êtes tombé sur le millionième !
JMA - C'était le Grand Jury de François Bayrou, on se retrouve dimanche prochain. Bonsoir.
source http://www.udf.org, le 5 avril 2006