Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à Europe 1 le 31 mars 2006, sur les chiffres des demandeurs d'emploi de l'ANPE, le contrat première embauche et l'insertion professionnelle des jeunes.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Loïc (auditeur de 32 ans, informaticien) : J'ai découvert il n'y a pas longtemps Mme Brutus à la télévision [Fabienne Brutus, auteur de "La vérité sur l'ANPE" (éd. Jean-Claude Gawsewitch, avril 2006, ndlr)] qui a fait des révélations dans son livre. Je voudrais demander à Monsieur Larcher s'il était vrai que les chiffres publiés sur la baisse du chômage sont basés uniquement sur le premier des huit barèmes de classement des chômeurs à l'ANPE ?
R- Tout d'abord, ce livre : il ne faut pas oublier que c'est le livre d'une militante d'un syndicat, Sud et qui est salarié de l'ANPE. Je respecte les militants mais je voudrais simplement dire que j'ai pour les agents de l'ANPE une grande considération et la reconnaissance du travail qu'ils font, et que parfois, j'ai trouvé qu'un certain nombre de raccourcis dans cet ouvrage faisaient des agents de l'ANPE des espèces de complices de je ne sais quelle machination qui n'existe pas. Je renvoie d'ailleurs à ce que disait le secrétaire d'un autre syndicat, qui ne passe pas pour un syndicat ménageant le Gouvernement, le SNU de l'ANPE, disant qu'il n'a jamais reçu aucune consigne de radiation. Il faut qu'on en finisse avec cette espèce de sentiment. La deuxième des choses : les chiffres de catégorie 1, qui sont les chiffres publiés. Je voudrais simplement vous dire que ce sont des chiffres qui sont comparés au plan international et qui répondent à des normes du BIT, une organisation qui dépend de l'ONU. Ce ne sont pas des chiffres fabriqués dans je ne sais quelle officine gouvernementale.
[...]
Q- Loïc, avez-vous une question complémentaire ?
R- Loïc : Je n'ai pas été très convaincu.
Q- Qu'est-ce qui ne vous convainc pas ?
R- Loïc : Je voulais un oui ou un non, si cela est vrai, de monsieur le ministre. Il m'a renvoyé sur Mme Brutus. Moi, je ne suis personnellement ni militant pour ni militant contre. Je vote comme tout citoyen, mais je voulais juste un oui ou un non...
Loïc, si je peux me permettre, c'est J.-J. Bourdin qui nous a renvoyés
sur cet ouvrage. La deuxième des choses, c'est pour vous dire que les
chiffres sont totalement exacts et correspondent à des normes
internationales. Donc, ce sont des chiffres qui sont vrais.
Q- On va prendre Evelyne, en Dordogne. Elle est commerciale.
R- Evelyne (auditrice) : Plutôt très clairement favorable, au départ, au CPE, je sais que la loi a été adoptée effectivement par le Parlement. La question que j'ai à poser c'est de savoir qui a créé la loi ? Qui, au niveau du Gouvernement, a décidé de faire cette loi en disant : on ne pas exposer la question ne serait-ce qu'à des syndicats étudiants pour voir quelle va être la perception de cette loi ?
Q- Qui a eu l'idée, G. Larcher ?
R- La loi est née tout simplement d'une observation que nous avions faite avec J.-L. Borloo, le 30 juin 2004, en recevant les partenaires sociaux. C'était le constat d'un taux de chômage chez les jeunes, qui quelle que soit la situation de croissance - le mail de votre autre auditeur, qui a raison, à savoir que pour créer de l'emploi, il faut de la croissance - eh bien quelle que soit la situation de la croissance, quel que soit le nombre d'emplois jeunes qui avaient été créés dans la période 2000, nous avions un taux de chômage chez les jeunes, toujours 2,2 fois supérieur à la moyenne du taux de chômage national. Et nous avions proposé alors aux partenaires sociaux de débattre de tous les sujets, de le faire sans tabou. Il est vrai que le sujet des jeunes est un sujet difficile, on le voit. C'est un sujet qui touche à l'essence même et qui -est parfois crispant. Je suis le père de jeunes de 20 à 25 ans ; croyez-moi, il y a des débats à la maison sur l'entrée dans la vie professionnelle des jeunes. C'est donc à l'issue de ce travail collectif que le Premier ministre, parce que c'est sa responsabilité, a arbitré et qu'a été préparé un projet de loi. Ce projet de loi s'appelle "la loi Égalité des chances". Elle porte sur un certain nombre de dispositifs, par exemple la fin des stages non rémunérés et non reconnus...
Q- Là, vous vous adressez à Antoine, notre lycéen...
R- Oui, c'est-à-dire ces stages dans lesquels les jeunes allaient sans être reconnus comme des parcours professionnels. [La loi] prévoit notamment que nous puissions aider, de manière renforcée, des jeunes qui sont depuis plus de six mois au chômage et dans lequel les contrats Jeunes en entreprise sont doublés en terme de moyens. Une meilleure orientation, l'obligation faite aux grandes entreprises d'accueillir dans leurs effectifs - je pense aux entreprises de plus de 250 - 3 % de leurs effectifs en formation en alternance. Et puis, il y a eu cet amendement gouvernemental portant création du contrat "première embauche", qui est un outil parmi d'autres, il faut le comprendre comme un outil parmi d'autres, parce que notre objectif - aujourd'hui, nous avons 355.000 jeunes en formation en alternance - notre objectif avec le contrat de professionnalisation c'est en avoir 800.000 à la fin de l'année 2009, parce que la vraie réponse, elle s'appelle orientation, elle s'appelle formation en alternance. Voilà la vraie réponse pour que les jeunes puissent entrer dans un emploi durable.
Q- Antoine, vous êtes dans un lycée professionnel de Trappes, vous avez 18 ans. Vous êtes contre ce contrat "première embauche". Pourquoi ?
R- Antoine (lycéen) : Je suis clairement contre. Tout d'abord, on va commencer par la forme. Pour moi, c'est un mépris absolu de la démocratie, parce que c'est un article qui a été rajouté à la va-vite à la loi sur l'égalité des chances. Vous n'avez eu aucune discussion avec les partenaires sociaux, même avec le Medef, au mépris de la loi Fillon sur le dialogue social qui a été votée en 2004, ce qui fait que maintenant, ça met le Gouvernement face à ses contradictions. Aujourd'hui, le Gouvernement a beau jeu d'appeler à négocier, après avoir méprisé la jeunesse. Vous voyez très bien qu'autour de ce contrat, vous avez une unité politique et syndicale qui, pour l'instant, ne s'est pas brisée, de Lutte Ouvrière à l'UDF, de Force Ouvrière jusqu'à la CFDT contre le CPE. Est-ce que c'est un hasard ? Est-ce que Monsieur de Villepin, votre gouvernement, monsieur le ministre, peut avoir raison tout seul contre tous, au jour d'aujourd'hui ?
Je voudrais dire à Antoine, qui est dans une formation qui a des débouchées - je regardais sur l'agence ANPE dans les Yvelines, il y a 650 offres en alternance pour la formation qu'il suit - qu'aujourd'hui, c'est bien un parcours réussi à partir d'un bac pro qui est le sien que nous souhaitons conduire. Et que notre objectif rejoint la préoccupation de nombreux jeunes. Et donc, la première réponse du Gouvernement, c'est d'essayer de construire des parcours d'entrée dans l'emploi pour les jeunes qui soient des parcours réussis. Alors, le contrat "première embauche". L'objectif du contrat "première embauche" il a été de faire qu'il y ait une rencontre entre l'entreprise et le jeune, parce que, disons le, à l'exception des Petites et moyennes entreprises, la rencontre entre le jeune, notamment le jeune peu qualifié - d'ailleurs le Conseil constitutionnel dans son arrêt, hier, reconnaît pleinement la légitimité d'offrir une réponse à une précarité, qui est celle du jeune peu ou pas qualifié. N'oublions pas, Antoine, vous allez faire partie de ceux qui sortent avec un diplôme et une qualification. Chaque année, il y en 150.000 qui sortent sans diplôme ni aucune qualification ; il y en 60.000 qui sortent du système scolaire en ayant même pas acquis le socle fondamental des connaissances. Voilà pourquoi le Gouvernement a voulu leur donner, par la voie de la filière professionnelle, j'allais dire une vraie chance de réussir dans la vie. On n'est pas opposé les uns aux autres...
Q- De quoi avez-vous peur, Antoine ?
R- Antoine : J'ai peur, honnêtement, parce qu'avec ce contrat, je ne pourrai pas m'assumer. C'est clair que de savoir que je suis en CPE, que je peux être viré, licencié dans les deux jours, est-ce qu'un banquier ou un bailleur...
Q- G. Larcher, je m'arrête là, parce que j'ai des quantités d'appels. Le Gouvernement nous dit : "Mais les banquiers vont jouer le jeu". Ce n'est pas vrai, je vous dis ce n'est pas vrai : les banquiers ne jouent pas le jeu, vous n'arrivez pas à les contraindre.
R- Première des choses, la première garantie que nous avons apportée, parce que la réalité d'aujourd'hui, de ces jeunes dont 70 % rentrent par le CDD et l'intérim - je rappelle qu'il y a 50 % des CDD inférieurs à un mois -, ont-ils accès au logement. J'ai été pendant vingt-et-un an, maire de cette ville. Le nombre de jeunes que j'ai vu avec des difficultés d'accès au logement, ce qui nous a amené à créer avec la MJC locale une passerelle en direction des logements, c'est la réalité d'aujourd'hui ! Quand nous transformons le Loca-Pass, qui est un système d'assurance - faisons simple - pour celui qui n'a pas les moyens de déposer une caution, et que nous allons donner l'accès au système Loca-Pass à tous ceux qui auront notamment un contrat "première embauche", et pas uniquement ceux-là, naturellement, nous répondons à une des préoccupations majeures qui est posée, c'est-à-dire l'insertion dans la vie sociale.
Q- Antoine : Vous parlez pour cette ville ou pour l'ensemble du pays ?
R- Je parle pour le pays, parce que le Loca-Pass est un dispositif national, financé par le 1 % logement - je ne vais pas entrer dans la technique. Sur la question de J.-J. Bourdin, concernant notamment l'attitude des organismes de crédit, il y a des engagements nationaux qui ont été pris par ces organismes de crédit, je ne vois pas pourquoi je ne ferais pas confiance à leur engagement. Par contre, mon boulot, c'est de recevoir toutes les observations parce que le Premier ministre veut en même temps créer un service universel bancaire, c'est-à-dire, l'accès de tous à un système bancaire. Il y a encore beaucoup d'exclus du système bancaire.
Q- C'est nouveau ça ! ? Le Premier ministre veut créer un service universel bancaire ?
R- Quand vous n'avez pas de logement et que vous n'avez pas d'accès à un service bancaire, vous êtes vraiment exclu dans cette société...
Antoine : Je n'ai pas envie de rester jusqu'à 25 ans chez mes parents...
Aujourd'hui, un contrat "première embauche", par rapport à un CDI : au cours des deux premières années, il y a plus de garanties au travers du contrat "première embauche". Je sais que c'est quasiment inaudible, mais pourtant, c'est la vérité. Il y a un préavis pour le contrat "première embauche", il y a des indemnités de cessation de contrat...
Q- Un préavis de deux semaines pour un contrat conclu depuis moins de six mois et d'un mois pour un contrat conclu depuis au moins six mois.
R- C'est totalement comparable avec les CDI. Indemnités de cessation de contrat, de 8 % par mois de présence, sans charges fiscales ni sociales. Il n'y a pas d'indemnités, sauf clause conventionnelle, dans la rupture d'un CDI les deux premières années. Seul le juge peut fixer des indemnités. Combien de jeunes iront devant le juge quand on sait ce que cela représente ? A partir de quatre mois, dans le contrat "première embauche", l'accès à deux mois d'allocations chômage, auxquelles le Premier ministre a pris l'engagement de mettre trois mois supplémentaires de formation rémunérée, assurée par l'Afpa, pour permettre d'entrer ensuite vers des contrats de professionnalisation. Ceci n'existe pas dans le CDI. Dois-je rappeler que 60 % des jeunes n'accèdent jamais au régime d'assurance chômage, parce qu'ils ne font jamais les fameux six mois pleins qui permettent d'accéder au régime d'assurance chômage. Donc, quand on compare le contrat "première embauche" et le CDI au cours des deux premières années, la comparaison ne montre pas cette discordance que l'on a voulu nous faire croire. Vous savez, le CDI, ce n'est pas le statut de la fonction publique. Quel est le chef d'entreprise qui ferait l'investissement de huit mois, de quinze mois, de vingt mois sur un jeune - parce que chacun sait qu'investir, former, cela coûte au départ dans une entreprise - pour, ensuite, considérer que le jeune serait le Kleenex ou la variable d'ajustement ? Il l'est beaucoup plus aujourd'hui au travers d'un CDD ou d'un CDI.
Q- Antoine, êtes-vous convaincu ?
R- Antoine : Non, pas du tout. Tout à l'heure, vous m'avez parlé de précarité, mais la précarité ne doit pas être un alibi du Gouvernement pour la destruction du code du travail. Nous n'avons pas de leçons à recevoir de la précarité. Nous, nous sommes dans la précarité, le Gouvernement n'y est pas...
Ah si ! Les ministres le sont chaque jour.
Q- Le Premier ministre est dans la précarité en ce moment...
R- La précarité, c'est la réalité d'aujourd'hui. Je crois qu'il faut que l'on arrête de parler uniquement par slogans et par mots, il faut que l'on fasse dans le concret. Le contrat "première embauche" est un outil, il ne mérite pas comme l'écrivait le sénateur de Mulhouse, il y a deux mois, ni l'excès d'éloge, ni l'excès de critiques que l'on entend depuis deux mois. Si on retrouvait ensemble la raison et la voie du dialogue ? Voilà pourquoi le président de la République a totalement raison de nous appeler, les uns et les autres, au dialogue. Je trouve que nous sommes en train de gâcher une occasion pour, ensemble, tenter de mettre ce pays devant la réalité. Et la réalité, aujourd'hui, c'est les plus de 50 ans exclus du marché du travail extrêmement rapidement, et ce, depuis des années, et des jeunes de moins de 26 ans qui ont beaucoup de mal à s'y insérer.
Q- Je crois que vous rencontrez le Premier ministre dans la journée, pour décider de la marche à suivre, c'est cela ?
R- Naturellement, le Premier ministre travaille avec l'ensemble de ses ministres. Nous sommes quand même, avec J.-L. Borloo...
Antoine : ... Je voudrais savoir pourquoi le Gouvernement n'a pas attendu les deux ans d'application du contrat "nouvelles embauches" pour faire un bilan, comme D. de Villepin s'était engagé, à ne pas toucher au code du travail pendant les deux d'application du contrat "nouvelles embauches" ?
Parce que le contrat "nouvelles embauches" est un outil qui a été créé pour les petites entreprises qui hésitaient à embaucher. Tout près d'ici, il y a un menuisier qui me disait l'an dernier "je suis débordé de travail". Je lui ai demandé pourquoi il n'embauchait pas, et il m'a répondu que c'était trop compliqué et qu'il avait peur d'aller devant les prud'hommes. Aujourd'hui, il a embauché, le contrat "nouvelles embauches" lui a permis d'embaucher et il va pérenniser un emploi, parce que la petite entreprise ne connaît pas bien son carnet de commande au départ, son développement. Le contrat "première embauche" a été créé pour des entreprises de plus de 20, pour permettre cette rencontre entre l'entreprise et le jeune. C'est bien notre objectif, mais cela ne suffit pas : meilleure orientation, meilleure formation professionnelle, avoir des jeunes qui répondent à la réalité de l'économie. [...] Je voulais vous remercier d'avoir choisi Rambouillet et vous dire, aux chefs d'entreprise et à Antoine, que le temps du dialogue entre les uns et les autres est une nécessité. Une société a besoin de cohésion sociale pour réussir. Je crois que le temps de la raison est venu et le président de la République, sans aucun doute, rappellera les règles essentielles dans une démocratie.
Q- Antoine : Juste une dernière phrase. Je pense qu'on reconnaît la force d'un homme politique à sa capacité à se remettre en cause et à reconnaître ses erreurs lorsqu'il en commet. J'appelle très clairement monsieur de Villepin et monsieur J. Chirac à retirer immédiatement ce contrat.
R- Antoine, dans le métier de ministre, qui est un métier de service - moi qui ai été parlementaire -, je veux simplement vous dire que le doute existe mais que le courage aussi doit exister. Et que le courage, parfois, c'est de ne pas céder simplement à la pente des sondages ou aux cris des uns et des autres. C'est un moment d'affirmer qu'il est intolérable de continuer à faire des plus de 50 ans la variable d'ajustement et que l'on se satisfasse depuis vingt ans de la précarité des jeunes pour être les variables d'ajustement du marché du travail.
Q- Courage ou orgueil ? Courage pour certains, orgueil pour les autres.
R- Quelle est la limite entre le courage et l'orgueil ? En tout les cas, je vais vous dire, face au chômage, face à l'emploi, je pense que la vraie voie, c'est la volonté et l'humilité.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 avril 2006