Texte intégral
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, François Bayrou.
François Bayrou : Bonjour.
Avant d'aller au fond de l'affaire Clearstream, la presse publie, ce jeudi - des pièces qui sont normalement couvertes par le secret de l'instruction. On ne s'en étonne plus ? On ne s'en offusque plus ? On a tort ?
Une des questions, en effet, qu'on aurait dû poser, c'est : comment se fait-il qu'il y ait, quelque part - et personne ne sait où, naturellement - une organisation de distribution des pièces normalement couvertes par le secret de l'instruction ? Comment se fait-il qu'il y ait, ainsi, une coordination extrêmement élaborée, extrêmement savante, de tous les organes de presse qui ont, chacun, leurs pièces secrètes. Et cela, naturellement, Jean-Michel Aphatie, ni vous, ni moi, n'avons la moindre idée d'où cela vient.
Moi, non, en tout cas !
Nous sommes deux, vous voyez !
Au moins deux ! Nous l'enregistrons, ce jeudi. Alors, François Bayrou, sur le fond, les juges ont saisi une note dans laquelle Philippe Rondot dit que, le 9 janvier 2004 - dans le bureau de Dominique de Villepin, au quai d'Orsay, il était ministre des Affaires étrangères, et en présence de Jean-Louis Gergorin, qui est l'un des cadres dirigeants d'EADS - il l'est encore aujourd'hui, d'ailleurs - nous avons parlé de Fabius, Pasqua, Strauss-Kahn, Marchiani... « enjeu politique, Nicolas Sarkozy » est-il écrit sur cette note. Or, le Premier ministre, depuis quelques jours dit que "lors de cette réunion - il n'en conteste pas la réalité - nous n'avons évoqué aucun nom des responsables politiques". Peut-on dire - diriez-vous, ce matin, François Bayrou, sur RTL - que le Premier ministre a menti ?
Je n'en sais absolument rien parce que - je vais vous faire une confidence - je n'étais pas invité à cette réunion. Mais, en dehors de cela, les documents accablants publiés par les journaux qui sont - je vous le rappelle - des comptes-rendus d'audition sous serment, signés par la personne qui est soumise à l'audition des juges.
Le Général Rondot, en l'occurrence.
Ces documents contredisent, point par point, ce que le Premier ministre - et ses ministres - nous ont dit, lors des questions d'actualité, mardi et mercredi, et ont dit au micro de certaines radios. Donc, il y a une contradiction flagrante, et cette contradiction donne toute la dimension de la République opaque dans laquelle nous vivons.
Mais là, c'est parole contre parole. C'est un homme qui dit quelque chose devant des juges, et puis c'est un Premier ministre qui dit : "ce qui est dit là est faux !". Alors, comment en sort-on ?
Encore une fois, je ne veux pas faire le travail des juges : j'en suis absolument incapable, et ce n'est pas ma vocation. Mais il y a des documents écrits. Et il y a des documents écrits qui traduisent quelque chose qui, pour moi, est extrêmement fort : c'est l'ambiance de rivalité haineuse qui existe, au sommet de l'État et au sommet du gouvernement.
Vous vous souvenez que, lorsque le gouvernement a été formé, j'ai employé une expression qui est apparue, à l'époque, très forte. J'ai parlé "d'opéra bouffe" entre eux, parce que la haine entre le numéro 1 et le numéro 2 était telle que l'architecture du gouvernement me paraissait extrêmement fragilisée. L'expression était faible.
Vous perceviez déjà cette haine ?
Mais enfin, tout le monde, Jean-Michel Aphatie ! Vous, Alain Duhamel - qui est en face de nous - tout le monde, ici, était au courant de ce qui se passe, de ce qui se passe réellement, dans les rapports politiques - pas seulement dans les rapports personnels, mais dans les rapports politiques - au sein de l'U.M.P. Dans ce parti qui était prétendument unique, et fait pour qu'il n'y ait plus jamais de querelles au sein de cette famille politique, et dont on découvre, aujourd'hui, ce qu'est la réalité.
Il y a deux choses frappantes. La première, c'est qu'avec tout ce qu'on nous a raconté : vous vous souvenez les 100 jours pour revenir à la confiance, le gouvernement rassemblé... C'est que, tout cela repose sur une guerre de succession inextinguible. Et la deuxième chose, c'est que l'Etat est mis au service de cette guerre. L'Etat dans ce qu'il a de plus secret, normalement à quoi on ne devrait toucher qu'avec les plus extrêmes précautions : c'est-à-dire, les services secrets, les services de police.
On est revenu au temps où la Ve République vivait ses pires errements, parce qu'elle était aux mains de petits cercles d'intérêts, ou de cercles de puissances personnelles, de clans. On a déjà vécu cela. Mitterrand a fait écouter des centaines de personnes, à la fois journalistes, acteurs, personnalités qui le gênaient. Il les a fait écouter par des services de police dont on ne sait pas quelle est la vraie nature. C'est la même chose qu'on est en train de vivre. Et ceci fait que la France est une démocratie montrée du doigt, dans le reste du monde, et c'est cela qui ne peut pas durer.
Aujourd'hui, François Bayrou, le gouvernement est-il paralysé dans son action par cette affaire, par ce climat ?
Il est complètement paralysé, il est complètement bloqué, il est complètement déconsidéré dans sa composition, dans son architecture et dans son action. Et tout cela, c'est peut-être là-dessus qu'il faut mettre l'accent : tout cela, on peut en sortir.
Comment ?
On peut en sortir en choisissant de donner à notre pays les institutions d'une démocratie normale, d'une République saine.
Non ! Comment on en sort là, maintenant ! On ne va pas changer la Constitution la semaine prochaine !
Peut-être faut-il s'y intéresser. Et s'y intéresser au-delà des appartenances partisanes.
Faut-il que Dominique de Villepin démissionne ? Faut-il que Nicolas Sarkozy quitte le gouvernement ? Que souhaitez-vous, François Bayrou ?
Cet attelage est invivable, intenable. Cela fait huit mois que la France est prise dans cette guerre perpétuelle de positions, où l'un essaie de doubler l'autre, tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite, tantôt par des coups bas comme ceux qu'on est en train de vivre. C'est cela qui est impossible ! C'est impossible pour notre pays, et c'est impossible même pour ceux qui leur ont donné leur confiance.
Le Premier ministre fera une conférence de presse, tout à l'heure, à 11 heures. Si vous étiez journaliste, là, rapidement : une question que vous lui poseriez. Laquelle serait-elle, François Bayrou ?
Je lui demanderais sans doute : je ne sais pas bien parce qu'il y a tellement de questions !
C'est dur d'être journaliste ! Il faut choisir une question.
Il y a tellement de questions à poser. Il y a une question qu'on pourrait poser à Dominique de Villepin : partout, lui et ses ministres nous disent que c'est une affaire manipulée. Manipulée
par qui ?
On va voir si quelqu'un lui pose. Tout le monde dit que le Front National profite de cette crise. Qu'il n'y a que lui qui en profite.
Ce n'est sûrement pas lui qui est aux commandes, dans cette affaire.
Non, qu'il profite de cette crise. Que les électeurs disent : "Ras-le-bol. Je finirai, un jour, par voter Front National".
Il y a deux issues à la vague qui se prépare. Ou bien, en effet, on fait un vote protestataire et négatif pour les extrêmes. Ou bien, on fait un vote de reconstruction. C'est-à-dire qu'ayant identifié les causes du mal, et les causes du mal sont dans nos institutions et dans le caractère clanique du pouvoir. "Ce qui n'est pas avec moi, est contre moi. Tout le pouvoir pour moi. Et qui n'est pas avec moi, est contre moi". Voilà ce que semblent dire ceux qui le détiennent, de droite et de gauche, depuis des années.
Quand on a analysé les causes du mal, on est capable de rassembler des gens qui viennent d'horizons différents pour dire : "On va réparer la France. On va la remettre d'aplomb. On va faire en sorte que nous redevenions un pays et une démocratie, et une République normale".
Pour qui faut-il voter pour faire cela, on ne sait pas trop ?
Vous chercherez peut-être, vous trouverez !
On cherche - les auditeurs de RTL ont peut-être trouvé - François Bayrou, président de l'U.D.F, était l'invité de RTL, ce jeudi. Bonne journée ! Source http://www.udf.org, le 4 mai 2006
François Bayrou : Bonjour.
Avant d'aller au fond de l'affaire Clearstream, la presse publie, ce jeudi - des pièces qui sont normalement couvertes par le secret de l'instruction. On ne s'en étonne plus ? On ne s'en offusque plus ? On a tort ?
Une des questions, en effet, qu'on aurait dû poser, c'est : comment se fait-il qu'il y ait, quelque part - et personne ne sait où, naturellement - une organisation de distribution des pièces normalement couvertes par le secret de l'instruction ? Comment se fait-il qu'il y ait, ainsi, une coordination extrêmement élaborée, extrêmement savante, de tous les organes de presse qui ont, chacun, leurs pièces secrètes. Et cela, naturellement, Jean-Michel Aphatie, ni vous, ni moi, n'avons la moindre idée d'où cela vient.
Moi, non, en tout cas !
Nous sommes deux, vous voyez !
Au moins deux ! Nous l'enregistrons, ce jeudi. Alors, François Bayrou, sur le fond, les juges ont saisi une note dans laquelle Philippe Rondot dit que, le 9 janvier 2004 - dans le bureau de Dominique de Villepin, au quai d'Orsay, il était ministre des Affaires étrangères, et en présence de Jean-Louis Gergorin, qui est l'un des cadres dirigeants d'EADS - il l'est encore aujourd'hui, d'ailleurs - nous avons parlé de Fabius, Pasqua, Strauss-Kahn, Marchiani... « enjeu politique, Nicolas Sarkozy » est-il écrit sur cette note. Or, le Premier ministre, depuis quelques jours dit que "lors de cette réunion - il n'en conteste pas la réalité - nous n'avons évoqué aucun nom des responsables politiques". Peut-on dire - diriez-vous, ce matin, François Bayrou, sur RTL - que le Premier ministre a menti ?
Je n'en sais absolument rien parce que - je vais vous faire une confidence - je n'étais pas invité à cette réunion. Mais, en dehors de cela, les documents accablants publiés par les journaux qui sont - je vous le rappelle - des comptes-rendus d'audition sous serment, signés par la personne qui est soumise à l'audition des juges.
Le Général Rondot, en l'occurrence.
Ces documents contredisent, point par point, ce que le Premier ministre - et ses ministres - nous ont dit, lors des questions d'actualité, mardi et mercredi, et ont dit au micro de certaines radios. Donc, il y a une contradiction flagrante, et cette contradiction donne toute la dimension de la République opaque dans laquelle nous vivons.
Mais là, c'est parole contre parole. C'est un homme qui dit quelque chose devant des juges, et puis c'est un Premier ministre qui dit : "ce qui est dit là est faux !". Alors, comment en sort-on ?
Encore une fois, je ne veux pas faire le travail des juges : j'en suis absolument incapable, et ce n'est pas ma vocation. Mais il y a des documents écrits. Et il y a des documents écrits qui traduisent quelque chose qui, pour moi, est extrêmement fort : c'est l'ambiance de rivalité haineuse qui existe, au sommet de l'État et au sommet du gouvernement.
Vous vous souvenez que, lorsque le gouvernement a été formé, j'ai employé une expression qui est apparue, à l'époque, très forte. J'ai parlé "d'opéra bouffe" entre eux, parce que la haine entre le numéro 1 et le numéro 2 était telle que l'architecture du gouvernement me paraissait extrêmement fragilisée. L'expression était faible.
Vous perceviez déjà cette haine ?
Mais enfin, tout le monde, Jean-Michel Aphatie ! Vous, Alain Duhamel - qui est en face de nous - tout le monde, ici, était au courant de ce qui se passe, de ce qui se passe réellement, dans les rapports politiques - pas seulement dans les rapports personnels, mais dans les rapports politiques - au sein de l'U.M.P. Dans ce parti qui était prétendument unique, et fait pour qu'il n'y ait plus jamais de querelles au sein de cette famille politique, et dont on découvre, aujourd'hui, ce qu'est la réalité.
Il y a deux choses frappantes. La première, c'est qu'avec tout ce qu'on nous a raconté : vous vous souvenez les 100 jours pour revenir à la confiance, le gouvernement rassemblé... C'est que, tout cela repose sur une guerre de succession inextinguible. Et la deuxième chose, c'est que l'Etat est mis au service de cette guerre. L'Etat dans ce qu'il a de plus secret, normalement à quoi on ne devrait toucher qu'avec les plus extrêmes précautions : c'est-à-dire, les services secrets, les services de police.
On est revenu au temps où la Ve République vivait ses pires errements, parce qu'elle était aux mains de petits cercles d'intérêts, ou de cercles de puissances personnelles, de clans. On a déjà vécu cela. Mitterrand a fait écouter des centaines de personnes, à la fois journalistes, acteurs, personnalités qui le gênaient. Il les a fait écouter par des services de police dont on ne sait pas quelle est la vraie nature. C'est la même chose qu'on est en train de vivre. Et ceci fait que la France est une démocratie montrée du doigt, dans le reste du monde, et c'est cela qui ne peut pas durer.
Aujourd'hui, François Bayrou, le gouvernement est-il paralysé dans son action par cette affaire, par ce climat ?
Il est complètement paralysé, il est complètement bloqué, il est complètement déconsidéré dans sa composition, dans son architecture et dans son action. Et tout cela, c'est peut-être là-dessus qu'il faut mettre l'accent : tout cela, on peut en sortir.
Comment ?
On peut en sortir en choisissant de donner à notre pays les institutions d'une démocratie normale, d'une République saine.
Non ! Comment on en sort là, maintenant ! On ne va pas changer la Constitution la semaine prochaine !
Peut-être faut-il s'y intéresser. Et s'y intéresser au-delà des appartenances partisanes.
Faut-il que Dominique de Villepin démissionne ? Faut-il que Nicolas Sarkozy quitte le gouvernement ? Que souhaitez-vous, François Bayrou ?
Cet attelage est invivable, intenable. Cela fait huit mois que la France est prise dans cette guerre perpétuelle de positions, où l'un essaie de doubler l'autre, tantôt sur la gauche, tantôt sur la droite, tantôt par des coups bas comme ceux qu'on est en train de vivre. C'est cela qui est impossible ! C'est impossible pour notre pays, et c'est impossible même pour ceux qui leur ont donné leur confiance.
Le Premier ministre fera une conférence de presse, tout à l'heure, à 11 heures. Si vous étiez journaliste, là, rapidement : une question que vous lui poseriez. Laquelle serait-elle, François Bayrou ?
Je lui demanderais sans doute : je ne sais pas bien parce qu'il y a tellement de questions !
C'est dur d'être journaliste ! Il faut choisir une question.
Il y a tellement de questions à poser. Il y a une question qu'on pourrait poser à Dominique de Villepin : partout, lui et ses ministres nous disent que c'est une affaire manipulée. Manipulée
par qui ?
On va voir si quelqu'un lui pose. Tout le monde dit que le Front National profite de cette crise. Qu'il n'y a que lui qui en profite.
Ce n'est sûrement pas lui qui est aux commandes, dans cette affaire.
Non, qu'il profite de cette crise. Que les électeurs disent : "Ras-le-bol. Je finirai, un jour, par voter Front National".
Il y a deux issues à la vague qui se prépare. Ou bien, en effet, on fait un vote protestataire et négatif pour les extrêmes. Ou bien, on fait un vote de reconstruction. C'est-à-dire qu'ayant identifié les causes du mal, et les causes du mal sont dans nos institutions et dans le caractère clanique du pouvoir. "Ce qui n'est pas avec moi, est contre moi. Tout le pouvoir pour moi. Et qui n'est pas avec moi, est contre moi". Voilà ce que semblent dire ceux qui le détiennent, de droite et de gauche, depuis des années.
Quand on a analysé les causes du mal, on est capable de rassembler des gens qui viennent d'horizons différents pour dire : "On va réparer la France. On va la remettre d'aplomb. On va faire en sorte que nous redevenions un pays et une démocratie, et une République normale".
Pour qui faut-il voter pour faire cela, on ne sait pas trop ?
Vous chercherez peut-être, vous trouverez !
On cherche - les auditeurs de RTL ont peut-être trouvé - François Bayrou, président de l'U.D.F, était l'invité de RTL, ce jeudi. Bonne journée ! Source http://www.udf.org, le 4 mai 2006