Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 4 mai 2006, sur les révélations de l'affaire Clearstream mettant en cause plusieurs membres du gouvernement et sur sa demande que le Gouvernement démissionne.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- On va de révélations en révélations dans l'affaire Clearstream. Hier, le quotidien Le Monde, a publié une note du général Rondot, saisie par la justice. La note raconte ce qui s'est passé, le 9 janvier 2004, au Quai d'Orsay : réunion dans le bureau de D. de Villepin, réunion largement consacrée, selon le général Rondot "à N. Sarkozy", cité dans le listing de Clearstream. Avant hier, D. de Villepin a démenti que le nom du ministre de l'Intérieur ait été prononcé durant cette réunion... Invité de "Question Directe", au téléphone, F. Hollande. Qui ment : Rondot ou Villepin ?
R- Ecoutez ! Je ne sais pas qui ment mais je sais qu'il y a, aujourd'hui, une affaire au sommet de l'Etat, qui n'est plus supportable. Il ne peut pas y avoir de doute sur des déclarations du Premier ministre ; il ne peut pas y avoir de suspicion entre le ministre de l'Intérieur et le ministre de la Défense, entre le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre, comme nous l'avons aujourd'hui. Nous sommes dans une situation où le président de la République lui-même est interpellé puisque son nom figure également comme ayant donné les instructions. Et où il doit, comme président de la République, être le garant de nos institutions...
Q- D. de Villepin a-t-il menti, selon vous ?
R- Ce que je peux relever, c'est que la déclaration de D. de Villepin, avant hier, à l'Assemblée nationale, est en contradiction avec ce que dit le général Rondot dans un procès-verbal donné sous serment.
Q- Doit-il démissionner ?
R- Je pense que c'est toute l'équipe du Gouvernement qui est aujourd'hui mise en cause. Il n'est plus possible de travailler pour le pays dans cette ambiance-là. Rendez-vous compte ! Nous avons eu, hier, un Premier ministre soupçonné d'avoir menti ; un ministre de l'Intérieur, qui engage une procédure judiciaire, qui vise le Premier ministre, et qui tient, au moment où le Premier ministre s'exprime à l'Assemblée nationale, une convention de l'UMP, où il dit, sans insister davantage - mais chacun a compris quel était le message - qu'il est lui-même visé par une procédure, qui a été engagée par le Premier ministre, à l'époque, ministre des Affaires étrangères puis ministre de l'Intérieur. Comment pouvons-nous continuer comme cela !
Q- On est bien clair : vous, vous voulez que D. de Villepin quitte son poste ?
R- Moi, je veux que l'ensemble du Gouvernement soit remplacé. Il n'est plus possible d'avoir dans le même Gouvernement, D. de Villepin, N. Sarkozy, M. Alliot-Marie.
Q- D. de Villepin, parle d'attaques "calomnieuses", "injustes", de "propos tronqués", de "jugements hâtifs", "d'approximations", de lynchage". Il vous a traité, hier, de "procureur". Votre réponse ?
R- C'est au sein de son Gouvernement qu'il y a des procureurs. Il y a même des accusés, il y a même des manipulés. C'est au sein de son Gouvernement que cette affaire se situe. Qu'est-ce qui s'est produit ? Il y a eu, il y a maintenant plus de deux ans, D. de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, qui, dans une réunion a évoqué des noms - je ne dis pas qu'il a fait enquêter sur eux - qui sont aujourd'hui des membres de son Gouvernement. Puis, ensuite, il y a eu, au ministère de l'Intérieur, D. de Villepin, ministre de l'Intérieur, des enquêtes, là, qui ont été diligentées contre N. Sarkozy et peut-être contre d'autres. Puis, il y a aujourd'hui N. Sarkozy, président de l'UMP, qui met en cause directement, par voie de justice, le Premier ministre. Et vous voulez que cela continue comme cela ?
Q- Le fait d'avoir commandé une enquête secrète auprès du général Rondot, en découvrant ces listings truqués de Clearstream, ce n'est pas une infraction pénale !
R- Mais c'est une infraction grave à la morale politique. Quand on est ministre des Affaires étrangères, on n'a pas autorité sur les services secrets. Comment peut-on convoquer un général, spécialiste du renseignement dans son bureau, au ministère des Affaires étrangères, en présence d'un industriel, qui amène, paraît-il, des informations dont nul ne connaît la teneur ?
Q- N'allez-vous pas un peu trop vite en demandant la démission de D. de Villepin ? Ne faudrait-il pas attendre les résultats de l'enquête des juges ?
R- Vous n'avez pas forcément bien compris ce que je voulais dire : je ne me place pas sur un terrain judiciaire, je ne sais pas si, au bout du compte, les instructions et enquêtes amèneront à des condamnations pénales. Nous ne sommes pas sur un terrain judiciaire ou un terrain pénale. Je me situe sur un terrain politique. Comment, au sein d'un même Gouvernement, est-il possible de travailler quand la suspicion est à son comble ? Quand il y a eu des enquêtes diligentées par les uns contre les autres ? Et quand il y a peut-être, de la part de N. Sarkozy, la vocation d'être manipulé pour manipuler lui-même la situation et le Premier ministre ? Comment peut-on gouverner avec cette équipe, dans cette ambiance ? C'est la seule question que je pose. Après, la justice doit faire son travail, toute la vérité doit être connue. Mais d'ores et déjà, il n'est plus possible de laisser cette équipe travailler.
Q- Vous l'avez rappelé : J. Chirac est aussi mis en cause dans cette machination. Selon les déclarations du général Rondot publiées dans le Monde, J. Chirac a demandé à D. de Villepin d'en savoir plus sur ce listing mystérieux de Clearstream, avec, a dit J. Chirac - aurait dit J. Chirac - "discernement, précaution et discrétion". Est-ce que, maintenant, J. Chirac doit parler, doit s'expliquer ?
R- Je pense que de toute façon, J. Chirac doit s'expliquer et s'exprimer. S'expliquer sur le rôle qui a pu être le sien dans cette affaire. Il n'est pas anormal qu'il ait donné des instructions, faut-il encore les connaître, et que savait-il ? Deuxièmement, il doit s'expliquer, parce qu'il est le président de la République, et s'exprimer pour dire combien cette situation est insupportable au sommet de l'Etat et les conséquences qu'il faut en tirer. Le président de la République ne peut pas rester silencieux, il est le garant de nos institutions, elles ne fonctionnent plus. Il y a un Gouvernement qui est à l'arrêt, qui est paralysé, qui est tétanisé, qui est, aujourd'hui, en plus accusé - qui s'accuse lui-même - des pires turpitudes. Le président de la République est forcément interpellé.
Q- Vous avez lu dans Le Monde cette note du général Rondot. Il écrit ceci : "début novembre 2003, il dit qu'il y a des rumeurs concernant une liste Clearstream, avec des noms : D. Strauss-Kahn, L. Fabius, M. Rocard, N. Sarkozy. Vous, à l'époque, n'en avez-vous jamais rien su ? Vous ne connaissiez pas l'existence de cette liste truquée avec les noms de dirigeants du PS ?
R- Jamais ! Jamais nous n'avions été informés de quoi que ce soit. Et d'ailleurs, il aurait été utile, une fois les investigations élémentaires faites, que les personnes dont vous parlez puissent être elles-mêmes informées. C'est quand même très grave de penser qu'il y ait eu des faux, parce qu'il s'agit de faux - : faux listing, des noms qui ont été ajoutés sans qu'on sache exactement pourquoi et par qui - et que jamais les autorités de l'Etat n'ont informé les personnes, qui ont été abusivement citées des enquêtes dont elles ont été l'objet, et surtout, des conclusions négatives quant à leur implication.
Q- N. Sarkozy, pour vous, c'est la victime dans cette affaire ?
R- Je pense qu'il a été manipulé et qu'il est, aujourd'hui, manipulateur. Il a été manipulé parce qu'il a été l'objet, effectivement, d'un "ciblage" - pour reprendre le mot du général Rondot - et, en même temps, il est le manipulateur car c'est lui qui a engagé la procédure judiciaire. Cette affaire aurait très bien pu en rester à un strict plan politique. Ils auraient pu s'expliquer entre eux, par rapport à ce qu'ils avaient diligenté comme enquête ou de suspicion qu'ils avaient pu avoir les uns par rapport aux autres. Cette affaire n'avait pas besoin de venir sur le terrain judiciaire. C'est N. Sarkozy qui l'y a mis. Vous vous rendez compte quand même de la situation dans laquelle est notre pays, où un ministre de l'Intérieur engage une procédure judiciaire qui peut viser le Premier ministre ! Ecoutez ! Nous n'avons jamais rien vu de la sorte !
Q- Voulez-vous des élections anticipées ?
R- Non. Moi, je suis un républicain, je respecte les échéances. La droite peut gouverner, hélas - ce sont les électeurs qui en ont décidé, dans des conditions, il est vrai, exceptionnelles - jusqu'en 2007. Ce que je demande, c'est qu'elle ne gouverne pas dans ce climat-là, dans cette ambiance-là, et dans finalement cette interrogation que l'on a, à chaque moment : est-ce que cela va durer encore ?
Q- Vous avez dénoncé, je vous cite "les cabinets noirs", "les complots au sommet du pouvoir". Que répondez-vous à ceux qui, à droite, rappellent les cabinets noirs de l'Elysée sous la présidence de F. Mitterrand ?
R- Je pense que pas plus qu'il ne fallait admettre telle ou telle pratique, hier, il ne faut pas les admettre aujourd'hui. Et inversement. Ce n'est pas parce qu'il y a eu des turpitudes, il y a bien longtemps, des habitudes en tout cas, des façons de faire, que moi je condamne complètement, qu'aujourd'hui, il faudrait être clément, indulgent, par rapport à une autre affaire qui est d'une autre dimension. Rendez-vous compte ! Il ne s'agit pas simplement d'avoir des écoutes sur telle ou telle personne qu'on soupçonne d'avoir voulu mettre en cause la vie privée du président de la République - à l'époque, c'était F. Mitterrand. Là, il s'agit d'enquêtes qui ont porté sur des membres du Gouvernement.
Q- Si on a bien compris : vous souhaitez que ce matin, dans sa conférence de presse, D. de Villepin annonce sa démission ?
R- Ce que je demande, c'est que l'ensemble du Gouvernement, aujourd'hui, laisse sa place et que le président de la République prenne sa responsabilité.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mai 2006