Interview de Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à France 2 le 16 mai 2006, sur sa constitution en partie civile dans l'affaire Clearstream et sa détermination à rester au gouvernement, et les projets de loi sur les délinquants sexuels et sur l'immigration.

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Média : France 2

Texte intégral

DAVID PUJADAS
Nicolas SARKOZY, les leçons de cette journée, la motion est repoussée,
c'est un nouveau pacte de confiance qui a été voté autour de Dominique
de VILLEPIN, on efface tout et on recommence ?
NICOLAS SARKOZY
Non, ce n'est pas du tout ça. Il faut essayer de clarifier les choses
et de voir les choses avec un peu de recul et un peu de calme. D'abord,
qu'est-ce que c'est que l'affaire CLEARSTREAM ? L'affaire CLEARSTREAM,
c'est d'une simplicité absolue, un certain nombre d'hommes politiques,
dont moi, se sont trouvé titulaires de comptes dans une banque
étrangère dont ils ignoraient même l'existence. Premier élément. Je
veux savoir qui m'a mis là-dedans...
DAVID PUJADAS
Vous avez des soupçons ?
NICOLAS SARKOZY
Pourquoi on m'a mis là-dedans et comment on m'a mis là-dedans ? C'est
le travail de la justice, je me suis constitué partie civile, la
justice fait son travail. Et ce n'est ni monsieur HOLLANDE, ni monsieur
BAYROU, ni personne qui dira la vérité. La vérité sera dite par les
juges et je leur fais totalement confiance. Premier point. Deuxième
point, à partir de ce moment-là, j'appartiens à un gouvernement, je ne
vois pas ce qu'aurait amené mon départ du gouvernement, si ce n'est d'
ajouter une crise politique à une situation déjà complexe. Les Français
attendent de moi une chose, c'est que j'obtienne des résultats dans la
lutte contre la délinquance. Je me devais donc de continuer mon
travail, je le continue. Troisième élément, monsieur HOLLANDE donnait
des grandes leçons d'entente, il a déjà beaucoup de travail au sein du
Parti socialiste, qu'il s'occupe de FABIUS, de STRAUSS-KAHN et de tous
les autres. Quatrième élément, s'agissant de François BAYROU, c'est un
non-événement, depuis quatre ans, il ne vote quasiment rien, c'est son
droit le plus absolu, ça ne change rien au travail que nous avons à
faire au service des Français.
DAVID PUJADAS
Nicolas SARKOZY, vous avez répété aujourd'hui que vous n'aimiez pas la
langue de bois, alors, on va dire les choses de façon assez directe.
Est-ce que vous pouvez rester dans un gouvernement où vous avez émis
des soupçons directs, vous et vos proches, sur le Premier ministre qui
aurait, qui serait à l'origine, d'après vos proches, encore une fois,
de cette manipulation ? Est-ce que vous pouvez travailler en confiance
?
NICOLAS SARKOZY
David PUJADAS, la question que vous me posez est très directe et j'y
réponds de la même façon. Je n'ai pas à avoir des soupçons à l'endroit
de qui que ce soit. Je veux savoir qui m'a mis dans les fichiers d'une
banque dont j'ignorais l'existence. Vous me posez la question : Est-ce
que j'ai des soupçons ? La réponse, c'est non. Je lis, comme vous, un
certain nombre de choses, j'ai donc...
DAVID PUJADAS
Vos proches disent qu'ils ont des soupçons qui concernent Dominique de
VILLEPIN...
NICOLAS SARKOZY
Non, non, attendez... Monsieur PUJADAS, si vous me faites l'honneur de
m'inviter, c'est pour que je réponde moi-même à des questions. Comme je
n'ai pas accepté que mon honneur soit bafoué maintenant qu'il est
prouvé que ces comptes sont une invention et que je suis un honnête
homme, j'ai donc demandé à la justice de faire le clair. La justice est
en train d'enquêter, c'est elle qui le dira. Si j'avais quitté le
gouvernement, alors même que je n'ai pas la réponse de la justice...
DAVID PUJADAS
Vous avez hésité ?
NICOLAS SARKOZY
... C'est donc... J'ai réfléchi. C'est donc que j'anticiperais sur les
conclusions de la justice et que la victime que je suis s'instaurerait
en justicier. Ce n'est pas ma conception d'un état de droit. Voilà.
DAVID PUJADAS
Est-ce que vous n'avez pas décidé de rester au gouvernement pour vous
protéger aussi, comme vous le disiez, il y a un an, lorsque vous avez
retrouvé le ministère de l'intérieur ?
NICOLAS SARKOZY
Non. Je vais essayer de vous répondre. Comment voulez-vous que je
quitte le gouvernement alors que je n'ai pas les réponses de la
justice, que, par ailleurs, demain, je ferai voter un texte de loi sur
l'immigration choisie, texte auquel je tiens beaucoup, et que, par
ailleurs, j'ai deux autres projets de réforme très importants sur la
lutte contre les délinquants sexuels, sur la répression des mineurs
multirécidivistes...
DAVID PUJADAS
On va en dire un mot.
NICOLAS SARKOZY
... Et, par ailleurs, un troisième sur la prévention de la délinquance ?
J'ai un travail à faire. Vous me posez la question : Est-ce que je peux
le faire dans le cadre de ce gouvernement ? Ce n'est pas seulement que
je peux, David PUJADAS, c'est que je dois.
DAVID PUJADAS
Mais, on vous a entendu, dimanche, dire : Mon coeur me dit de partir,
ma raison me dit de rester.
NICOLAS SARKOZY
Ce n'était pas dimanche, c'était samedi, mais c'est un détail. Il
arrive parfois que mon coeur écoute mon tempérament, mais j'ai des
responsabilités. Je suis ministre de l'intérieur, en charge de la
sécurité des Français, je suis président du premier parti politique de
France, je n'ai pas l'intention de faillir à mes responsabilités. Mes
responsabilités consistaient à ne pas ajouter une crise à la crise.
Donc, à votre question : Est-ce que je reste pour continuer à gouverner
? La réponse est oui.
DAVID PUJADAS
Mais vous avez conscience, Nicolas SARKOZY, que ceux qui nous écoutent
ont assisté ces dernières semaines à un tir nourri entre les
responsables de la majorité et du gouvernement. Vos proches, François
FILLON, par exemple, ont directement fait allusion à Dominique de
VILLEPIN comme étant à l'origine de ces manipulations. Comment
persuader, comment convaincre que cette équipe va travailler en
confiance ?
NICOLAS SARKOZY
Vous me posez une question encore très claire, je vais vous répondre de
la façon la plus simple. Qu'est-ce qu'il fallait que je fasse ? Que je
considère que le fait de me retrouver sur les fichiers d'une banque
luxembourgeoise, c'est naturel ? Que je ne dise rien ? Permettez-moi de
vous dire qu'il y a une autre façon d'être dans l'amalgame, c'est la
complaisance. Parce que la complaisance, cela aboutit à la complicité.
Je veux savoir pourquoi je me suis trouvé titulaire de deux comptes et
pourquoi le juge Van RUYMBEKE a lancé deux commissions rogatoires
internationales à mon nom pour savoir si les rétro-commissions des
frégates de Taiwan, dossier que je n'ai jamais touché, ni de près, ni
de loin, si j'avais pu les mettre sur des comptes qui n'existaient pas.
DAVID PUJADAS
Ca vous a blessé ?
NICOLAS SARKOZY
Beaucoup. Il y a une manipulation, je veux savoir qui est derrière. Et
puis, j'ai mon travail au gouvernement et il y a la justice, nous
sommes dans un Etat de droit. Alors, je ne vois pas ce qu'il y a de
compliqué à vouloir la vérité, alors qu'on a voulu me salir, à
continuer à travailler au sein d'un gouvernement où j'ai d'immenses...
DAVID PUJADAS
En toute confiance ?
NICOLAS SARKOZY
Confiance dans la justice, tout à fait.
DAVID PUJADAS
Et en Dominique de VILLEPIN ?
NICOLAS SARKOZY
Attendez. A continuer à travailler dans un gouvernement où j'ai d'
immenses responsabilités, avec un chef de gouvernement qui a été nommé
par le président de la République et je suis moi-même le président du
parti majoritaire. Quoi de plus normal que je continue à travailler !
Si, demain, la justice devait découvrir qui était derrière cela, alors,
à ce moment-là, je pourrais en tirer les conséquences. Pas avant. Il
faut agir et non pas réagir.
DAVID PUJADAS
Sur le fond, alors c'est vrai, on l'a beaucoup dit, vous êtes une des
victimes de cette tentative de manipulation. Mais, certains estiment
aussi que vous avez été averti assez tôt et que vous avez, de par vos
interventions publiques, de par votre constitution de partie civile, en
quelque sorte, tenté de retourner le coup tordu contre ceux qui l'ont
monté pour exploiter cette affaire à votre avantage.
NICOLAS SARKOZY
Extraordinaire, David PUJADAS ! Extraordinaire ! Je ne suis pas au-
dessus des lois, je ne suis pas en dessous des lois. La commission
rogatoire internationale, qui a enquêté sur mes prétendus comptes
manipulés, est rentrée au mois de décembre 2005. J'ai appris qu'elle
était rentrée, m'innocentant totalement, en lisant LE FIGARO en janvier
2006. Je me suis constitué partie civile en janvier 2006. Parce que,
pour démontrer que c'était qu'une calomnie, encore fallait-il que j'ai
la preuve que j'ai été calomnié.
DAVID PUJADAS
Vous, vous saviez que vous étiez innocent, vous auriez pu...
NICOLAS SARKOZY
Ah bon, parce que ça suffit ! ? Pendant deux ans, je me suis trimballé
avec une enquête sur des comptes qui n'ont jamais existé et vous
considérez que c'est normal que je veuille me défendre ? Et vous
considérez que ça me choque et que ça me blesse de me retrouver
titulaire de comptes dans une banque dont j'ignorais même l'existence.
Mais, maintenant, c'est fini. La justice est saisie, qu'elle dise le
droit et qu'elle dise la vérité. Pour le reste, moi, j'ai à travailler.
DAVID PUJADAS
Et vous êtes au gouvernement jusqu'à quand ?
NICOLAS SARKOZY
Je suis au gouvernement pour obtenir des résultats. Quand la justice
dira la vérité, on verra les conséquences à en tirer.
DAVID PUJADAS
Alors, on en vient maintenant à deux sujets qui préoccupent aussi les
Français. D'abord...
NICOLAS SARKOZY
Qui préoccupent surtout !
DAVID PUJADAS
Disons " aussi " parce que cette affaire CLEARSTREAM...
NICOLAS SARKOZY
C'est vrai.
DAVID PUJADAS
... Intéresse aussi beaucoup et pour cause. D'abord, après le viol et le
meurtre du petit Mathias, la controverse a resurgi sur le suivi des
délinquants sexuels. Vous avez reçu - on en découvre quelques images -
les gendarmes qui ont mené l'enquête aujourd'hui, ainsi que celles
concernant la mort de la petite Madison. Est-ce qu'il y a vraiment une
solution simple en la matière ?
NICOLAS SARKOZY
Non. Il n'y a pas de solution simple. D'abord, j'ai reçu les gendarmes
parce qu'ils ont fait un travail remarquable et que ce soit pour le
meurtre de la petite Madison ou pour l'assassinat de Mathias, aujourd'
hui, les coupables présumés sont sous les verrous. Je me suis rendu
dans la famille de Mathias. J'ai vu ses parents, ce sont des gens d'une
très grande dignité. Nous leur devons la vérité. Nous devons réagir
pour que plus jamais un monstre ne soit installé à côté de petites
victimes innocentes. Donc, avec le Premier ministre justement, on
travaille là-dessus. Qu'est-ce qu'on essaye de faire ? D'abord, je
voudrais proposer qu'un délinquant sexuel ne puisse sortir de prison
que s'il s'engage à suivre un traitement. On ne peut plus laisser les
gens sortir de prison sans être obligés d'être traités.
DAVID PUJADAS
Il faut des moyens.
NICOLAS SARKOZY
Peut-être. Mais les moyens par rapport à la vie d'un gosse, ça n'existe
pas. Enfin, quand je dis ça n'existe pas, ça ne devrait pas compter.
C'est un premier élément, il me paraît essentiel. Deuxième élément,
quand un délinquant sexuel ou un criminel sexuel est relâché, je
demande que tous les mois, il aille pointer au commissariat ou à la
gendarmerie de son domicile pour qu'on sache où il est et que chaque
fois qu'il fait un déplacement de plus d'une semaine il dise où il va.
Et, troisième élément, je veux poser la question des délinquants
anciens, c'est-à-dire comme ceux auxquels la nouvelle loi ne s'
appliquera pas du fait de la non-rétroactivité des lois. Je crois à la
non-rétroactivité de la loi, c'est-à-dire, vous savez, quand vous votez
une loi en 2006, elle ne s'applique pas...
DAVID PUJADAS
Elle ne concerne que...
NICOLAS SARKOZY
... Pour ceux qui ont fait un crime ou un délit avant. Je souhaite qu'il
y ait une exception à en la matière. Parce qu'on ne peut pas laisser
des gens qui sont des malades ; parce que violer un gosse de quatre ans
et demi, le noyer, l'assassiner, ça ne peut être qu'un malade ; on ne
peut pas laisser des malades qui ne soient pas soignés et on ne peut
pas s'en tenir à leur seule bonne volonté pour les soigner. Alors, j'
avais créé le fichier des délinquants sexuels, le fichier des
empreintes génétiques - vous savez que ça avait fait un grand débat et
un grand scandale auprès des associations, soi-disant, protectrices des
droits de l'homme - moi, ce que je veux dire, c'est que les droits de
l'homme qui me préoccupent c'est les droits des victimes et notamment
de ces petites victimes innocentes.
DAVID PUJADAS
Dernière chose : votre loi sur l'immigration, elle sera votée demain.
Vous avez entendu, vous avez vu qu'elle suscitait beaucoup de
désapprobation en Afrique...
NICOLAS SARKOZY
C'est pour ça que j'y vais...
DAVID PUJADAS
... Le président sénégalais...
NICOLAS SARKOZY
C'est pour ça que j'y vais. Je serais demain au Mali. Je serais après-
demain au Bénin. J'ai le plus grand respect pour l'Afrique et pour le
président WADE. Mais, je veux lui dire...
DAVID PUJADAS
Vous l'avez entendu.
NICOLAS SARKOZY
Exactement. Ce n'est pas moi qui définit les conditions d'émigration au
Sénégal. Mais, je le dis avec beaucoup de respect et beaucoup d'amitié
que ce n'est pas lui non plus qui définit les conditions d'immigration
en France. Qu'est-ce que je dis ? Qu'on ne peut plus continuer à
accueillir en France tous ceux qui veulent venir et à qui nous n'avons
ni logement ni travail à offrir. Le président WADE dit : Attention,
vous allez me prendre tous mes cadres. C'est un malentendu parce que
l'immigration choisie, c'est choisi par la France et choisi par les
pays d'émigration. Discutons-en ensemble. Il ne s'agit pas de piller
les élites des pays en voie de développement, il s'agit d'accueillir en
France des gens pour qui on a un travail et non pas des gens qui vont
s'entasser, les pauvres, dans un taudis pour qu'en pleine nuit il y ait
des incendies et il y ait des morts comme on a vu cet été à Paris. Et
je pose une question très simple : pourquoi la France serait-elle le
seul pays au monde qui ne puisse décider librement de qui a le droit de
venir chez nous et de qui n'y est pas le bienvenu ? Les Etats Unis le
font, le Canada le fait, l'Australie le fait, l'Angleterre le fait, l'
Allemagne le fait ; les démocraties du Nord de l'Europe le font. Qui
pourrait nous le reprocher ? C'est une politique volontariste ; j'irai
l'expliquer demain au président malien, je l'expliquerai aux autorités
béninoises mais il faut en finir avec la langue de bois. On ne peut pas
continuer dans la situation que nous connaissons aujourd'hui.
DAVID PUJADAS
Merci..
NICOLAS SARKOZY
Non, merci de m'avoir permis de m'expliquer.
DAVID PUJADAS
D'avoir accepté notre invitation. Source http://www.u-m-p.org, le 19 mai 2006