Point de presse de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, notamment sur la réforme des institutions communautaires, l'Europe des projets, l'élargissement de l'Union européenne et sur les grands dossiers de politique étrangère, à Bruxelles le 15 mai 2006.

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Circonstance : Conseil affaires générales et relations extérieures, à Bruxelles (Belgique) le 15 mai 2006

Texte intégral

Je voudrais vous remercier de votre présence et vous rendre compte des travaux du Conseil Affaires générales Relations extérieures. L'ordre du jour était assez chargé, avec la préparation du Conseil européen de juin, puis nous avons tenu une session Relations extérieures ainsi qu'une session conjointe des ministres des Affaires étrangères et ministres de la Défense.
Sur la préparation du Conseil européen de juin :
Nous avons examiné un premier projet d'ordre du jour soumis par la présidence autrichienne. J'ai rappelé nos priorités en vue de cette échéance importante.
L'évaluation de la période de réflexion, les institutions et les améliorations à apporter dans le cadre des traités existants sont une 1ère priorité. Vous vous souvenez que les 25 ont ouvert en juin dernier une période de réflexion et se sont donné rendez-vous en juin prochain pour faire le point de la situation. Cette période, il a toujours été entendu qu'elle devait être active, aussi bien sur le fond des dossiers, pour permettre à l'Europe d'avancer de façon plus efficace et plus concrète, que sur la question institutionnelle proprement dite. Pour contribuer à la réflexion collective des 25 sur ce dernier point, la France a transmis, en avril dernier, un document, une contribution sur les améliorations que nous permettent les textes actuels. Ces améliorations sont possibles et nécessaires, que ce soit pour l'action extérieure, pour les affaires de sécurité intérieure, pour la dimension sociale de l'Union ou pour un accroissement du rôle des parlements nationaux comme du Parlement européen. Vous avez eu connaissance de ce document.
Nous avons précisé que ces propositions sont faites sans préjudice de la question de l'avenir du traité constitutionnel. Commençons par regarder quelles sont les améliorations d'ores et déjà possibles. Non seulement cela ne nuit pas au traité constitutionnel, mais c'est utile car le statu quo, l'immobilisme seraient dangereux. Je note avec satisfaction que nos propositions sont désormais au centre des débats du Conseil.
La deuxième priorité est l'Europe des projets - je ne les classe pas d'ailleurs pas ordre de préférence - mais l'Europe des projets, l'Europe des résultats est également une priorité pour nous, avec, en particulier, la recherche, la question de la politique énergétique, mais aussi la volonté de renforcer notre capacité collective de réponse aux catastrophes et aux crises, donc aux situations d'urgence. La Commission a insisté, à juste titre, sur la priorité à donner aux initiatives répondant à des demandes concrètes des citoyens, dans sa contribution récente, c'est aussi notre position depuis longtemps et ce que nous nous employons à faire depuis bientôt un an.
Enfin, l'élargissement, toujours en relation avec le Conseil européen de juin. Vous savez que nous avons demandé et obtenu que le débat s'engage lors du Conseil de juin sur la stratégie d'élargissement et sur la capacité d'absorption. Il s'agit d'une question importante qui engage notre avenir commun, non seulement celui de nos pays, Etats membres mais celui de ceux qui souhaitent nous rejoindre, nous devons préparer et réussir leur adhésion future. Si nous sommes sérieux sur la volonté de continuer - de façon réussie - le processus d'élargissement, en particulier aux Balkans, il est important et même indispensable de commencer à réfléchir parallèlement à ce que sera cette future Europe élargie : quelles seront ses politiques ? Quelles seront les politiques de l'Europe à 30 ? Quel financement pour l'Union ? Quelles seront ses institutions ? Nous devrons répondre à toutes ces questions. C'est aussi indispensable et beaucoup l'ont dit, pour s'assurer de la poursuite du soutien des opinions publiques. Vous avez vu que la présidence autrichienne, par la voix de Mme Ursula Plassnik, l'a récemment rappelé avec beaucoup d'éloquence. Nous considérons donc que le débat sur la capacité d'absorption, la capacité d'assimilation de l'Union, qui est un critère de Copenhague comme tous les autres, aidera à la réussite de l'élargissement futur. Le sens de notre démarche est, je crois, bien compris. Une majorité de nos partenaires ont intégré ces préoccupations, c'est aussi une démarche largement soutenue par le Parlement européen qui a adopté, il y a quelques semaines, à une très large majorité, une résolution sur le sujet.
Je suis heureuse, d'ailleurs, de constater, après les échanges au Conseil, que les propositions de la présidence comme les contributions de la Commission vont tout à fait dans le sens de ces trois priorités que je viens de décrire. Nous aurons l'occasion d'en débattre à nouveau avant le Conseil européen de juin lors de la réunion informelle du séminaire réuni par la présidence autrichienne en Autriche des 27 et 28 mai.
La session "Relations extérieures" a été très riche. Nous avons abordé un grand nombre de sujets : Proche-Orient, Balkans, Russie et Afrique.
S'agissant du Proche-Orient, nous avons eu une discussion approfondie sur notre politique au Proche-Orient. J'ai insisté sur la nécessité d'agir dans trois directions :
Premièrement, il faut d'abord éviter une crise humanitaire, sanitaire et sociale dans les Territoires palestiniens, qui serait, de plus, lourde de conséquences politiques.
Nous savons que la situation sur le terrain est alarmante comme le rapport du 9 mai de la Banque mondiale le montre, entre autres indications. Il faut donc agir vite. Le Quartet a pris une décision importante la semaine dernière, celle d'élaborer un mécanisme international provisoire qui assurera l'acheminement de l'aide directe à la population palestinienne sans passer par le gouvernement dirigé par le Hamas. C'était, vous le savez, ce que la France avait souhaité, le président de la République avait fait des réflexions dans ce sens alors qu'il recevait le président de l'Autorité palestinienne.
La Commission travaille et va continuer à travailler à l'élaboration de ce mécanisme pour qu'il soit opérationnel le plus rapidement possible.
Je rappelle que l'Union européenne a maintenu l'intégralité de son aide humanitaire aux Palestiniens, qui représente plus de la moitié de son aide annuelle, et suspendu les versements budgétaires directs au gouvernement du Hamas. Ce nouveau mécanisme doit permettre de répondre aux principaux besoins des populations. Voilà quel est son objectif.
J'ajoute que dans l'immédiat, le commissaire chargé de l'aide humanitaire, M. Louis Michel, a déjà fait connaître son intention de demander au Conseil et au Parlement de débloquer sur la réserve d'urgence une aide humanitaire supplémentaire de 34 millions d'euros pour les Palestiniens. C'est une initiative que nous soutenons.
Le Conseil demande, par ailleurs et à nouveau, à Israël de reverser à l'Autorité palestinienne les recettes fiscales et douanières qu'il perçoit. Ceci figure dans les conclusions. C'est un élément essentiel pour répondre aux besoins de la population palestinienne. Ce sont des sommes mensuelles très importantes.
En second lieu, j'ai marqué la nécessité de continuer d'agir pour amener le Hamas au respect des trois principes fondamentaux rappelés par le Conseil le mois dernier : renonciation à la violence et au terrorisme, reconnaissance de l'Etat d'Israël et acceptation des accords de paix. Pour cela, il faudra maintenir une pression forte sur le plan politique. Ceci passe notamment par une grande fermeté dans l'absence de contacts politiques des Européens avec les ministres du gouvernement et les élus du Hamas. Nous souhaitons également encourager l'organisation d'un dialogue national et inciter les Palestiniens à travailler eux-mêmes dans ce sens.
Enfin et surtout, il ne faut pas perdre de vue l'objectif fondamental, qui est celui des Européens, qui est le nôtre, de ramener la paix dans la région. Seul un processus politique peut permettre d'atteindre cet objectif, les conclusions le rappellent. Tous les acteurs et notamment l'Union européenne doivent oeuvrer à une relance du processus de négociation. Le gouvernement Hamas doit évoluer. Israël doit comprendre que la politique du fait accompli fragilise toute perspective politique crédible. La question des frontières de l'Etat d'Israël doit être négociée et non pas fixée de manière unilatérale. Et nous rappelons, qu'il y a, dans ces négociations, un interlocuteur, le président de l'Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas.
Sur l'Iran, je vous disais aussi que le Conseil avait traité aussi de la question de l'Iran.
Nous avons adopté des conclusions à l'issue de ce Conseil, qui confirment l'unité et la détermination des Européens à obtenir la suspension par l'Iran de ses activités d'enrichissement de l'uranium, activités que rien ne justifie. Les Européens souhaitent, pour cela, privilégier la voie diplomatique. Côté français, nous insistons sur 3 éléments :
Nous devons veiller à préserver le consensus de la communauté internationale. Il est évident que ce consensus est une condition de l'efficacité de l'action de la communauté internationale. Nous avons bon espoir que le Conseil de sécurité des Nations unies parvienne à adopter une résolution sous chapitre VII. Parce qu'elle a toujours su maintenir une vision équilibrée et déterminée du dossier, l'Europe a un rôle particulier à jouer dans la préservation du consensus international avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine. Elle doit garder le rôle moteur qu'elle joue pour forger ce consensus.
Deuxièmement, l'AIEA demeure au centre du dispositif. L'Agence doit, en particulier, continuer ses investigations et inspections sur les questions qui sont nombreuses et préoccupantes. Le CSNU doit continuer d'apporter son autorité aux demandes faites à l'Iran de prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la confiance.
Troisièmement, nous sommes déterminés à trouver une solution diplomatique à la question iranienne. Nous avons discuté les grandes lignes de deux paquets de mesures que nous avons l'intention de présenter prochainement aux Iraniens.
Tout d'abord, un paquet de mesures de coopération qui inclura :
- un volet nucléaire : l'appui au développement d'un programme de coopération nucléaire civil qui doit donner toute garantie de non-prolifération ;
- un volet économique ;
- un volet politique.
Ensuite, il faudra, bien entendu, approfondir l'examen de mesures que nous pourrions prendre si l'Iran devait rejeter cette proposition et continuer dans sa ligne actuelle.
La finalisation de ces deux paquets ira de pair avec des mesures contraignantes du CSNU.
Nous avons enfin redit toute notre inquiétude devant la situation des Droits de l'Homme en Iran, notamment devant la multiplication des atteintes au droit à l'information et devant les arrestations arbitraires d'intellectuels.
S'agissant des Balkans occidentaux, nous avons évoqué l'ensemble des enjeux de la région, notamment notre déception devant la décision de la Chambre des représentants de Bosnie-Herzégovine de ne pas approuver le projet réforme constitutionnelle. C'est une occasion manquée. Nous avons également parlé de la perspective prochaine du référendum au Monténégro.
Concernant la Serbie-et-Monténégro, le Conseil avait pris une importante décision de principe en janvier pour rappeler la Serbie-et-Monténégro à ses engagements et ses obligations. La coopération avec le TPIY n'étant pas suffisante, les négociations sur l'Accord de stabilisation et d'association (ASA), qui devaient reprendre le 11 mai, sont interrompues jusqu'à ce que la coopération soit pleine et entière entre la Serbie-et-Monténégro et le TPIY. En particulier, nous considérons que l'arrestation de Ratko Mladic est une nécessité pressante.
La France apporte son plein soutien à cette décision de la Commission. Elle souhaite que la Serbie-et-Monténégro se soumette à ses obligations dans les plus brefs délais. Cela permettra de reprendre les négociations sur l'ASA, étape essentielle sur la voie du rapprochement de la Serbie-et-Monténégro avec l'Europe.
Je redis, à nouveau, que l'engagement pris par le gouvernement serbe de transférer Mladic et les autres criminels de guerre à La Haye doit absolument être tenu. C'est une question de justice et une exigence morale, c'est une obligation internationale et cela figure dans les accords de paix. C'est aussi une condition reconnue, dès l'origine, en 2002, dans la perspective européenne. L'Union européenne a toujours tenu ses promesses. Elle maintient la perspective européenne. Il est normal que les pays de la région tiennent aussi leurs propres engagements.
S'agissant de la Russie, nous avons fait le point sur la préparation du prochain sommet Union européenne/Russie de Sotchi, pour constater que des avancées devraient être possibles dans la mise en oeuvre des 4 espaces de coopération. Nous aborderons également les questions énergétiques et l'avenir du cadre de la relation Union européenne/Russie.
Nous attachons également de l'importance à ce que des progrès soient accomplis dans les négociations bilatérales sur les délais de réadmission, afin qu'il soit possible de signer à Sotchi les accords Union européenne/Russie de facilitation des visas et de réadmission.
S'agissant de l'Afrique, nous avons abordé la crise au Darfour, où la situation demeure très préoccupante malgré la signature de l'accord de paix. J'ai souligné que nous devions rester mobilisés sur les différents aspects du dossier du Darfour pour amener les parties récalcitrantes à signer l'Accord d'Abuja et veiller à sa bonne application. Mais aussi parce que nous poursuivrons notre soutien à la force africaine au Darfour (AMIS). A cet égard, l'Union européenne a un rôle important à jouer.
En ce qui concerne la République démocratique du Congo, la force de l'Union européenne (EUFOR, RD. Congo) devra s'y déployer prochainement et la France prendra toute sa part, puisqu'elle contribuera à hauteur de 850 hommes pour cette force dont le total doit s'élever à 1.500 hommes.
Nous avons également adopté des conclusions sur la Côte d'Ivoire qui se félicitent des avancées récentes, mais s'inquiètent des retards dans la mise en oeuvre de la feuille de route. Le temps presse à six mois de la date butoir des élections.
S'agissant de la session conjointe avec les ministres de la Défense, vous savez que les ministres de la Défense ont eu, aujourd'hui, de leur côté, une séance de travail, qui a notamment porté sur l'Agence européenne de Défense, les capacités militaires de l'Union et l'opération EUFOR RD Congo. Mais les ministres de la Défense ont également participé à notre Conseil dans le cadre d'une session conjointe qui a été entièrement consacrée à l'interaction entre les moyens civils et les capacités militaires de l'Union européenne dans ses interventions extérieures, en particulier de ce qui relève de la coordination civilo-militaire, en général, dans la gestion des opérations de l'Union européenne.
Au cours de cette session conjointe, nous avons également eu un échange approfondi sur la réaction de l'Union européenne en cas de catastrophe ou de crise sur un théâtre extérieur à l'Union. Les travaux avaient été engagés en décembre 2004 après le tsunami. La France a fait plusieurs propositions à ses partenaires depuis. La présidence autrichienne a donné une nouvelle impulsion à cette réflexion. Notre Conseil d'aujourd'hui a permis de bien progresser sur ce dossier. Grâce au travail préliminaire réalisé par Javier Solana, nous avons pu décider d'organiser le recours aux moyens militaires en soutien à une opération civile de l'Union européenne, quand ceci sera nécessaire.
Nous avons également entendu Michel Barnier, qui a été mandaté par la présidence et la Commission pour présenter des propositions concrètes en matière d'aide d'urgence et de protection consulaire. La France a accueilli favorablement ses propositions qui doivent nous permettre de progresser vers le Conseil européen de juin, et qui devront être affinées dans les prochaines semaines. Nous souhaitons que des premiers pas concrets et pragmatiques puissent être engagés en juin.
Q - (Sur la stratégie d'élargissement de l'Union européenne ?)
R - Nous avons insisté sur l'importance qu'il y avait, à 25, d'avoir un débat ouvert sur la stratégie d'élargissement de l'Union. Il nous semble, je l'ai dit, que pour la réussite des futurs élargissement, il faudra que nous ayons trouvé des réponses à toutes les questions qui se posent. Quel sera le degré d'intégration de l'Europe élargie ? Quelle sera la répartition de son budget ? Quelles institutions nous permettront de bien fonctionner ? Enfin, qu'entend-on par capacité d'absorption ? C'est un critère qui existe depuis Copenhague. L'Union européenne est-elle en mesure d'absorber, d'assimiler de nouveaux partenaires ?
La discussion qui doit s'engager en juin se poursuivra certainement dans les mois qui viennent. C'est un rendez-vous important que nous ne voulons pas rater et pour lequel nous avons transmis un certain nombre d'orientations et de réflexions, en particulier sur ce que nous pourrions entendre les uns et des autres, sur la base des décisions et travaux passés, comme capacité d'absorption de l'Union européenne.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 mai 2006