Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, dans "Le Parisien" du 31 janvier 2001, sur les liens entre la sécurité et le fonctionnement de la justice.

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Média : Le Parisien

Texte intégral

On reparle de sécurité... C'est donc que nous sommes en campagne électorale?
Election ou pas, on parle de sécurité parce qu'il y a un sentiment d'insécurité qui grandit à mesure que grandit aussi le sentiment d'impunité.
Pourquoi ces sentiments pèsent-ils aujourd'hui davantage, selon vous?
La sécurité des Français est inséparable du bon fonctionnement de la justice. Pour que la délinquance recule, il faut qu'une infraction soit suivie d'un vrai risque d'arrestation, d'une condamnation et d'une punition proportionnelle à sa gravité. Or ce risque n'a cessé de diminuer. Aujourd'hui, tout le monde est fatigué: les policiers sont fatigués de courir derrière les délinquants qu'ils ont arrêté la veille, les juges sont fatigués de ne pas avoir les moyens d'exécuter leurs jugements, et les Français sont fatigués de déposer des plaintes qui sont classées sans suite. N'oubliez pas que, en dix ans, les actes de délinquance et le nombre des mineurs ont été multipliés par deux. Dans le même temps le nombre de places dans les prisons est resté stable, ce qui signifie qu'il est deux fois moins risqué d'être délinquant aujourd'hui qu'il y a dix ans.
La cause de tout serait le manque de places dans les prisons?
L'embouteillage de la justice et des prisons, le manque de centres adaptés aux mineurs délinquants nourrissent à l'évidence l'impunité. Quand j'entends les socialistes proposer un numerus clausus fixant un nombre maximum de personnes incarcérées, cela revient à demander à la Justice de juger non plus par rapport au crime ou au délit commis, mais par rapport au nombre de places disponibles dans les prisons...
Que vous inspirent les mesures que vient d'annoncer le gouvernement ?
Franchement quand je vois le gouvernement annoncer une "obligation de formation civique pour faire prendre aux jeunes caïds la mesure de leur incivilité", je dis qu'on est à côté de la plaque, et que cela va faire rigoler dans les banlieues. Ce qu'on attend, c'est qu'on mette les petits caïds au trou pour casser le sentiment d'impunité.
Comment?
En s'en donnant les moyens! Il faut un "plan ORSEC" que j'estime à douze milliards de francs, soit 10% de la facture des 35heures! Il s'agit de renforcer le rôle du maire, de développer de vraies polices territoriales, de permettre une meilleure utilisation des personnels de police... Mais si l'on veut que l'autorité soit respectée, il faut aussi que celle-ci soit respectable. La tolérance zéro pour les petits actes de délinquance dans les banlieues n'a de sens que si elle s'accompagne du sentiment qu'on pratique aussi la tolérance zéro, et même la tolérance double zéro, pour la délinquance en col blanc ou en cocarde! Comment réagissez-vous quand certains de vos amis de l'opposition expliquent que "seuls les actes de délinquance accompagnés de violences, peuvent conduire à la prison"... Je suis inquiet... Pardon, mais dire que la corruption, le trafic d'influence ou le trafic d'armes mériteraient "seulement" juste réparation financière et non pas condamnation à des peines de prison, c'est conduire au désordre social.
Faut-il engager un débat sur l'abaissement de la majorité pénale?
C'est un fait: la délinquance commence de plus en plus jeune, et l'appareil de sanction est largement inadapté. Si l'on veut sanctionner beaucoup plus fortement les premiers actes de délinquance, pour les décourager, encore faut-il avoir la palette d'établissements spécialisés: des établissements éducatifs ouverts jusqu'aux établissements de type carcéral pour les actes les plus graves. Leur création est une priorité. On s'y engage, mais trop lentement et trop timidement.

(Source http://www.demlib.com, le 08 mars 2001).