Déclaration de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, sur les mesures en faveur de l'égalité des chances notamment à l'école, Paris le 30 juin 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence nationale pour l'égalité des chances, à Paris le 30 juin 2006

Texte intégral


Messieurs les Ministres,
cher Jean-Louis,
cher Azouz,
Mesdames, Messieurs, Chers amis,
Je me réjouis de me trouver parmi vous aujourd'hui pour clore la conférence nationale de l'égalité des chances. C'est un enjeu central pour la société française et c'est sans doute un des domaines où notre indignation doit rester la plus vigilante. Nous avançons trop lentement, les consciences s'ouvrent trop insuffisamment, et nos regards sont souvent trop blessants à l'endroit d'un certain nombre de nos compatriotes. C'est dire à quel point il faut effectuer un travail sur nous-mêmes, un changement dans nos esprits, dans nos mentalités et bien sûr dans nos politiques.
Avant toute chose, je voudrais insister sur une bonne nouvelle qui concerne l'emploi et l'emploi pour l'égalité des chances, c'est certainement un des points de départ les plus importants. Au mois de mai, avec près de 50 000 demandeurs d'emploi en moins, le taux de chômage est descendu à 9,1%. Alors les statistiques, dans leur sécheresse, n'expriment pas toujours la réalité des choses qui bougent. Mais ce résultat est une bonne nouvelle pour l'égalité des chances, parce qu'un pays qui crée de l'emploi, c'est un pays où il y a plus de possibilités et plus d'espoir pour chacun.
L'égalité des chances, c'est d'abord, nous le savons, un principe profondément ancré dans l'histoire de notre République. C'est l'héritage de 1789, et de l'idée que tous les hommes naissent libres et égaux. De l'abolition de l'esclavage à l'émancipation des juifs jusqu'à l'école de la République créée par Jules Ferry, les grandes avancées que notre pays a réalisé ont toujours été animées par cette conviction.
L'égalité des chances, c'est aujourd'hui une aspiration qui imprègne toute notre société. Pour nous Français, les inégalités qui existent à la naissance doivent être corrigées. Pour nous Français, chacun doit pouvoir accéder au savoir, au bien être, au bonheur personnel. La solidarité et la justice sont pour nous des valeurs essentielles, qui doivent irriguer la vie collective. Mais notre société est aussi attachée à la liberté individuelle, à la récompense des efforts et des mérites de chacun. C'est toute la différence entre le principe d'égalité des chances, celui qui nous anime, et l'égalitarisme qui ne correspond pas aux aspirations des Françaises et des Français : non seulement l'égalitarisme ne valorise personne, mais il conduit à une impasse, en proposant la même solution à des personnes dont les besoins sont souvent de plus en plus différents.
Ce que nous voulons faire aujourd'hui, avec Jean-Louis BORLOO et Azouz BEGAG, c'est permettre à chacun de construire son propre projet, un projet à la hauteur de ses talents et de ses ambitions. C'est remettre de l'espoir et du mouvement dans une société qui est encore trop figée, trop hiérarchique, trop cloisonnée. C'est faire en sorte que la France redevienne un pays où seuls comptent le tempérament, la personnalité, la volonté, l'enthousiasme. C'est cette ambition qui est au coeur de notre action depuis un an. C'est pour cela que nous avons voulu faire de l'égalité des chances la grande cause nationale de l'année 2006.
1. L'égalité des chances, elle se joue au premier rendez-vous, celui de l'école.
Nous ne pouvons pas accepter que des enfants ou des adolescents renoncent à leurs rêves en raison de leur origine, de leur milieu social ou de l'endroit où ils habitent. Face à cette injustice, la première réponse, c'est bien sûr une école efficace, adaptée aux besoins de chacun et qui accompagne tous les enfants vers la réussite.
Pour cela, nous devons d'abord donner de bonnes bases à tous les élèves.
C'est tout le sens du socle commun de connaissances qui permettra à chacun de disposer du bagage essentiel, du bagage nécessaire pour bien démarrer dans la vie, qu'il s'agisse de maîtriser la langue française, les mathématiques, l'informatique, de pratiquer des langues étrangères ou d'acquérir des éléments indispensables de culture générale.
Pour que chaque élève puisse acquérir correctement ces connaissances, nous devons repérer très tôt les difficultés que rencontrent certains d'entre eux.
C'est ce que nous faisons avec Gilles de ROBIEN en mettant en place dès la rentrée 2006 une évaluation pour tous les élèves de CE1 afin de nous assurer qu'ils savent correctement lire et écrire.
C'est aussi ce que nous faisons avec Philippe BAS, pour détecter les difficultés psychologiques, familiales ou de santé qui pèsent sur l'apprentissage. Le projet de loi de la protection de l'enfance prévoit ainsi la création de deux contrôles médicaux obligatoires à six et à douze ans.
Pour traiter ces difficultés et pour apporter un soutien scolaire personnalisé aux élèves en difficultés, nous avons pris des mesures fortes. Je pense aux 250 équipes de réussite éducative, qui associent des enseignants, des orthophonistes, des personnels de santé et des assistantes sociales. Je pense aussi au programme de tutorat « 100 000 étudiants pour 100 000 élèves ». Je pense enfin aux 50 000 salariés en contrat d'avenir qui épauleront les directeurs d'école et les enseignants dans leurs diverses tâches.
La deuxième exigence, c'est une exigence de concentration des moyens sur les établissements qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire ceux qui font face aux plus grandes difficultés. Dès la rentrée prochaine, 249 collèges feront partie d'un programme ambition - réussite et auront droit à 1000 enseignants expérimentés plus 3000 assistants pédagogiques pour aider les professeurs les plus jeunes et répondre concrètement aux attentes des élèves.
La troisième exigence, c'est d'offrir une orientation de qualité à tous les collégiens, lycéens et étudiants.
Aujourd'hui, trop d'élèves gâchent leurs talents, leurs capacités, parce qu'ils sont mal informés, parce qu'ils ne connaissent pas les filières ou les écoles auxquelles ils pourraient prétendre. Parfois aussi parce qu'ils n'osent pas et que personne n'est là pour les guider et les encourager, leur tendre la main.
C'est notamment pour leur apporter une réponse que nous allons mettre en place un véritable service public de l'orientation, comme l'a demandé le Président de la République. Dans le courant de l'année 2006-2007, chaque université se verra proposer un service de l'orientation, des stages et de l'emploi, qui travaillera en liaison étroite avec les lycées, les entreprises et les administrations. C'est la meilleure chance que nous avons, que ceux qui rentrent à l'université puissent en sortir avec un diplôme alors qu'aujourd'hui, nous le savons, 40 % d'entre eux sortent sans rien.
2. L'égalité des chances, il faut le rappeler, elle n'est pas acquise une fois pour toutes : nous devons la défendre à tous les âges et tout au long de la vie.
Pendant les années d'étude, d'abord. Depuis près de trente ans, les études supérieures constituent le principal moteur de l'ascension sociale dans notre pays. Pour beaucoup de parents, envoyer leurs enfants à l'Université alors qu'eux-mêmes n'ont pas toujours eu cette chance, c'est leur offrir l'espoir d'un avenir et d'une vie meilleure. Nous devons tout faire pour que cet espoir n'est pas comme il l'est trop souvent aujourd'hui déçu. Pour cela il faut veiller à ce que ni le logement, ni les droits d'inscription, ni le coût d'un stage à l'étranger, ni le coût de livres et de logiciels ne soient hors de portée des étudiants issues des familles modestes.
C'est pour cela que nous avons lancé un programme important en faveur du logement étudiant.
C'est aussi pour cela que nous ferons un effort significatif en faveur des bourses, en prenant notamment en compte le rapport que me remettra Laurent WAUQUIEZ la semaine prochaine.
De bonnes études, un bon diplôme c'est évidemment un atout. C'est pourquoi nous devons aider ceux qui n'ont pas eu cette chance. Avoir accès à une formation nouvelle à 30, 40 ou 50 ans, pouvoir valoriser les acquis de l'expérience, c'est indispensable si nous voulons permettre à chacun, quel que soit son âge et sa situation professionnelle, de prendre un nouveau départ ou tout simplement de faire valoir ce qu'il a réalisé dans sa vie professionnelle. Aider ceux qui sont confrontés à la maladie, au surendettement ou au chômage, c'est également indispensable si nous voulons que tous nos compatriotes aient confiance dans l'avenir. Car l'égalité des chances doit valoir pour tous.
Pour les hommes comme pour les femmes, qui doivent concilier vie familiale et vie professionnelle dans des conditions souvent très difficiles.
Pour les personnes âgées comme pour les jeunes.
Pour les handicapés, enfin, à qui notre société doit faire une place équitable, en facilitant l'accès aux études, aux loisirs, au travail dans les mêmes conditions que pour tous les autres citoyens.
Promouvoir l'égalité des chances pour tous, c'est aussi être intransigeant dans la lutte contre les discriminations. Nous ne pouvons pas accepter que certains de nos concitoyens ne puissent accéder à un logement ou à un emploi en raison de leur nom, de leur apparence physique ou de leur adresse. C'est une atteinte à l'esprit de notre République. C'est une blessure insupportable pour ceux qui la vivent et pourtant, c'est une blessure quotidienne dans notre pays.
Face à ce fléau, nous menons une action d'une fermeté exemplaire, avec le renforcement des pouvoirs de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations.
Nous voulons encourager aussi les bonnes pratiques, avec la charte pour la diversité qui a déjà été signée par 500 entreprises.
Mais nous avons encore beaucoup de progrès à faire, notamment pour mieux représenter la diversité de notre société dans les médias. La lutte contre les discriminations, la promotion de la diversité, c'est un combat de tous les instants, un combat de tous les regards, un combat qui doit nous mobiliser.
3. L'égalité des chances, c'est enfin dans notre pays l'égalité des territoires.
Nous le savons bien, les chances ne sont pas les mêmes selon la région où l'on vit, selon le quartier que l'on habite et où on grandit. La France est riche de la diversité de ses territoires : chaque ville, chaque village, chaque département a son propre héritage, sa propre identité. Là encore, il ne s'agit pas de nier la spécificité de nos régions et de nos quartiers. Il s'agit de donner les mêmes chances à ceux qui y habitent.
Pour cela, la première exigence c'est de garantir à tous les Français, quel que soit le lieu où ils habitent, à la ville ou à la campagne, l'accès à des services publics de qualité. C'est particulièrement important dans les territoires ruraux, où les services publics sont un moyen de rompre l'isolement. J'ai signé la semaine dernière la charte des services publics en milieu rural qui marque clairement l'engagement de l'Etat, des collectivités locales et des opérateurs de service à améliorer le service rendu aux usagers.
La deuxième exigence c'est de donner un nouvel espoir aux territoires et aux quartiers qui rencontrent le plus de difficultés. Comment accepter que certains de nos concitoyens vivent dans des quartiers où le taux de chômage est trois fois supérieur à la moyenne nationale, où la délinquance et la violence sont des réalités quotidiennes et où les espoirs se heurtent aux barrières de l'indifférence et des discriminations ?
Face à cette réalité, nous avons adopté en mars dernier la loi sur l'égalité des chances. Je veux le dire aujourd'hui à tous ceux qui ont participé à l'élaboration de ce texte : cette loi est une grande loi de la République et il nous faut la faire vivre. Elle nous a permis de créer de nouvelles zones franches urbaines pour renforcer le dynamisme économique des quartiers. Elle offre de nouveaux choix aux élèves qui veulent se lancer dans l'apprentissage d'un métier. Enfin, cette loi donne une vraie visibilité à l'action en faveur de l'égalité des chances en regroupant tous les moyens dans une agence unique. Cette loi, j'en suis convaincu, ouvrira de nouvelles perspectives pour tous les habitants des quartiers. Mais cette ambition, nous le savons, elle dépasse et de loin le seul cadre d'une loi. C'est un enjeu qui mériterait d'être placé au coeur de tous les débats des partis politiques, de tous les débats des partenaires sociaux, car s'il y a aujourd'hui dans notre pays un malaise français, c'est bien parce qu'il y a le sentiment d'une injustice au coeur de cette société, d'une injustice que vivent plus cruellement bien sûr ceux qui rencontrent le plus de difficultés, ceux qui sont laissés au bord du chemin. Mais ce sentiment fait que notre vouloir vivre ensemble paraît parfois bien loin des réalités quotidiennes, bien loin des réalités vécues, bien loin des réalités partagées ; et c'est dire si dans ce domaine, nous avons besoin de toutes les énergies, celles des citoyens, des associations, mais aussi des partis, des syndicats, du débat public, pour véritablement porter cet enjeu essentiel qui donnera à notre société le consensus indispensable qui est nécessaire pour avancer, s'adapter, se moderniser. Pour regarder vers l'avenir, oui, il faut se ferment indispensable de l'égalité des chances.
Grâce au plan de rénovation urbaine lancé par Jean-Louis BORLOO, nous avons également déployé des moyens considérables pour changer le visage de nombreux quartiers et offrir un cadre de vie plus agréable à leurs habitants.
Je sais qu'il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Et je sais que je peux compter sur l'énergie et l'engagement d'Azouz BEGAG et de tous les ministres pour trouver sans cesse de nouvelles solutions, de nouvelles idées qui nous permettront de décloisonner notre société, de renforcer les liens entre nos compatriotes, de redonner un espoir à tous si nous savons faire vivre ce devoir indispensable d'inquiétude vis-à-vis de l'autre, l'autre voisin, celui que l'on côtoie trop souvent sans le regarder.
Mesdames, Messieurs,
Avant de partir je voudrais vous livrer deux messages.
Le premier, c'est que notre travail au service de l'égalité des chances est indispensable, il est fondateur. Certains d'entre vous s'engagent depuis des années sur le terrain ou dans les administrations et je sais que c'est souvent difficile, je dirais même ingrat, lorsqu'on voit que les choses n'avancent pas aussi vite qu'on le voudrait ou lorsqu'on est confronté à des situations de grande injustice. Je voudrais saisir cette occasion pour vous remercier et pour saluer plus particulièrement l'action du collectif associatif qui s'engage pour soutenir la grande cause nationale de l'année 2006. A tous, je voudrais dire que nous avons plus que jamais besoin de vous. La République a besoin de vous.
La deuxième chose que je voudrais vous dire, c'est que ce combat que nous menons tous ensemble, c'est peut-être le combat le plus difficile que nous ayons à mener aujourd'hui. Il implique un vrai changement d'esprit, de mentalité, de regard, je l'ai dit. Cessons de penser qu'il y a un chemin, un seul chemin pour réussir. Cessons de penser qu'il n'y a qu'une façon d'être intelligent. Cessons de juger avec les mêmes critères. Sachons reconnaître la diversité des talents qui font la richesse de notre pays, cette diversité dont nous devons être fiers.
Aujourd'hui nous obtenons des résultats, de premiers résultats : dans le domaine de l'emploi, dans le domaine de la croissance, les choses vont mieux. Grâce aux efforts des Français, notre pays s'adapte et se modernise. Il se prépare à relever des défis de demain. Alors sachons porter inlassablement ce formidable défi de l'égalité des chances. Car la France, nous le savons, n'est elle-même que lorsqu'elle est rassemblée, lorsque chacun peut aller au bout de ses ambitions et de ses rêves. Ces évidences là, dans des sociétés où le possible rejoint plus facilement que chez nous l'impossible, il nous appartient de le rendre à nouveau possible au sein de la société française. Oui, nous avons besoin de plus d'espace dans nos têtes, d'un horizon plus grand dans nos coeurs, nous avons besoin de faire vivre ce qui est au fronton de nos édifices républicains et qui est trop souvent oublié dans notre quotidien, la fraternité. Alors oui, vive l'égalité des chances.
Merci.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 juillet 2006