Extraits de l'entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Canal Plus le 27 juin 2006, sur le projet UNITAID d'achat de médicaments, la prolifération nucléaire iranienne, l'aide européenne aux Palestiniens et les négociations pour la libération du soldat franco-israélien otage d'activistes palestiniens.

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Média : Canal Plus

Texte intégral

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Q - Le président Chirac a donné une feuille de route au Premier ministre, il a parlé de social, il a parlé de l'économie, mais il n'a pas parlé diplomatie. Donc, vous n'avez pas de feuille de route ?
R - D'abord, la diplomatie, c'est lui qui la conduit. Moi, je la conduis derrière lui. Je ressens une chose : plus on parle de déclin, plus je trouve étonnant de voir la place de la France dans le monde. On dit que l'on rit de nous, que ce pays n'est pas considéré, qu'il n'est pas respecté ; je retrouve exactement le contraire. Pourquoi ? Parce que le président de la République et ses prédécesseurs n'ont jamais voulu s'aligner sur une grande puissance.
Q - Alors, cela veut dire qu'il va parler de ça, le 14 juillet ?
R - Certainement, c'est à lui à choisir. On ne peut pas aujourd'hui ne pas évoquer des grands sujets du monde aussi dangereux que la prolifération nucléaire - on le voit avec l'Iran - que la montée des intégrismes religieux ou que la grande pauvreté.
Q - Justement, si on parlait de cette taxe sur les billets d'avions. Cette taxe rentre en vigueur samedi prochain, elle a été difficile à mettre en route et est-ce que cela a été difficile de convaincre les quelques 34 pays ?
R - Je préfère parler de contribution de solidarité. Il faut comprendre que ce que l'on veut, c'est de la solidarité internationale. C'est la première fois dans l'histoire de l'humanité où il y aura une solidarité internationale.
C'est le président Chirac et le président Lula du Brésil qui l'ont voulu : un citoyen du monde en prenant un avion, va aider un autre citoyen du monde qui est malade. Ce n'est pas un Français qui va aider quelqu'un du Togo, ce n'est pas un Allemand qui va aider quelqu'un du Congo ; c'est un citoyen du monde qui aide un autre citoyen du monde. On a tellement parlé de la taxe Tobin sans arriver à la mettre en place...
Aujourd'hui, vous avez le Chili, la Norvège, le Royaume-Uni, la Corée du Sud, le Qatar, l'Espagne qui va le faire. 43 pays ont décidé de participer au "Groupe pilote" sur les financements innovants. Nous sommes persuadés qu'on ne peut pas laisser mourir quelqu'un toutes les trois secondes dans le Sud parce qu'il n'a pas de médicaments contre la tuberculose, le sida et le paludisme.
Vous avez dit qu'il s'agissait d'affaires humanitaires ; ce n'est pas uniquement des affaires humanitaires. C'est avant tout politique. Imaginez que votre fils, ou le mien, soit atteint de tuberculose, et que la Rifampicine, qui est un médicament connu depuis 1954, ne soit pas disponible là où vous habitez et qu'il existe de l'autre côté de la frontière : vous vous mettrez en marche pour aller le chercher.
Q - Alors quels objectifs vous vous êtes fixés ? L'OMS a estimé qu'il faudrait 18 milliards d'euros par an pour enrayer les trois pandémies. Vous vous donnez quels objectifs ? Quand les médicaments arriveront et quel argent vous comptez récolter ?
R - D'abord une loi a été votée en décembre 2005, même si certaines personnes ont rechigné. Vous savez c'est toujours pareil tant qu'on ne sait pas à quoi va servir cet argent : un euro par billet d'avion pour une destination en Europe ou en France, 4 euros pour un voyage transcontinental. Ce n'est rien, à condition que cela aille dans de bonnes mains.
Nous avons monté une centrale d'achat, une pharmacie mondiale auprès de l'Organisation mondiale de la Santé. Je n'ai pas voulu créer une nouvelle bureaucratie ; l'OMS et l'UNICEF pourront assurer la diffusion des médicaments. Je pense que les premiers médicaments arriveront dès le mois d'octobre. Mais sachez que 50 tonnes de médicaments antibiotiques sur le tarmac d'un aéroport africain, cela ne sert à rien. Il faut des dispensaires, des infirmières et des médecins derrière.
Q - On a aussi envie de vous interroger ce matin sur ce qui se passe en ce moment en Israël. Il y a ce soldat franco-israélien qui a été enlevé dimanche matin. On sait que les services israéliens sont mobilisés. Quelles informations pouvez-vous nous donner ce matin ?
R - En effet, le soldat israélien qui a été enlevé dimanche matin près de la bande de Gaza est né de père français. Il est inscrit sur nos registres du consulat d'Haïfa, il est de nationalité française. Notre ambassade et nos services consulaires en Israël, ainsi que tous les services du Quai d'Orsay sont mobilisés. Nous sommes en contact avec les deux parties, Israël, le président de l'Autorité palestinienne, pour qu'il soit libéré.
Q - Il est en vie ce matin ?
R - Je l'espère. Ce que je peux vous dire, c'est qu'au-delà de cela, ce qui est terrible, c'est le processus de la violence qui est engagé aujourd'hui, toujours de la violence. Or la seule solution, et c'est le message de la France, c'est que seul le processus politique peut régler ce problème.
Q - Mais si par malheur ce soldat franco-israélien devait périr, est-ce que cela remettrait en cause l'aide européenne aux Palestiniens ?
R - Nous n'en sommes pas là. Il ne faut pas parler de cela. On fait tout aujourd'hui pour qu'il soit libéré.
Q - Est-ce qu'il faut parler avec le Hamas ?
R - Nous avons déjà dit que nous parlons avec le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Nous ne parlons pas avec le Hamas tant que le Hamas ne reconnaît pas Israël, tant qu'il ne veut pas renoncer à la violence et tant que le Hamas ne reconnaît pas les accords de l'OLP.
Q - J'ai une question également sur l'Iran. On a demandé à l'Iran de se prononcer sur les propositions occidentales qui ont été faites, et l'Iran demande encore des délais. Allons-nous pouvoir attendre longtemps les réponses de l'Iran sur la question du nucléaire, ou allons-nous devoir passer au Conseil de sécurité ou aux sanctions ?
R - Javier Solana est allé à Téhéran le 6 juin pour exposer une proposition qui pour la première fois, et c'est historique, associait les Européens, mais aussi les Russes, les Chinois et les Américains - qui le 31 mai ont décidé, pour la première fois, de négocier si Téhéran donnait des signes positifs. Téhéran n'a pas répondu. Nous attendons des résultats dans les semaines qui viennent, je dis bien des semaines, pas des mois. Il est très important que l'Iran puisse saisir cette occasion, c'est-à-dire le développement de l'énergie nucléaire civile, et la signature d'accords commerciaux. Il faut que l'Iran choisisse cela. Elle a le choix : ou elle s'isole de la communauté internationale, ce qui serait très grave, ou alors elle accepte et l'on pourra s'assoir autour de la table pour parler de la prolifération nucléaire.
(...).Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2006