Texte intégral
Monsieur le Président de l'association Seine Moselle Rhône, cher André ROSSINOT,
Monsieur le Ministre, Maire de Marseille, cher Jean-Claude GAUDIN,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'intervenir aujourd'hui en ouverture de l'assemblée générale annuelle de votre association. André ROSSINOT, votre président, me l'avait proposé il y a quelques semaines et j'avais aussitôt accepté. En effet, c'est une excellente opportunité pour moi de vous faire partager quelques-unes de mes convictions profondes dans le domaine du transport des marchandises.
Autant vous le dire de suite, ces convictions ne sont pas partagées par tous. Mais une chose est sûre : mes convictions rejoignent les vôtres sur la nécessité, l'impérieuse nécessité de donner à notre pays une grande ambition en matière de report modal de marchandises, et en particulier une grande ambition fluviale. Je me permets d'ailleurs de vous féliciter pour le travail accompli par votre association. Elle apporte une précieuse contribution aux réflexions actuellement en cours au sein du Gouvernement.
Depuis que je m'occupe d'aménagement du territoire, au sein de ce Gouvernement, je n'ai eu de cesse d'élargir le champ couvert par mon ministère, de lui donner de nouvelles ambitions et d'imaginer de nouvelles perspectives. Après tout, c'est la mission historique de l'aménagement du territoire. Souvent, on essaie de me faire comprendre que j'ai tort de vouloir faire changer les situations acquises, les plans bien ordonnés, les projections toutes faites.
Mais voilà, je n'aime pas qu'on me dise : "c'est comme ça! c'est trop tard ! on n'y peut rien changer ! et puis, de toute façon, les enjeux sont trop importants". Ce qui me passionne dans l'aménagement du territoire, c'est de lutter contre la fatalité et c'est d'étudier tous les chemins possibles pour renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos territoires. C'est précisément ce qui m'a conduit à militer ces derniers mois en faveur d'une politique ambitieuse de report modal ou, pour être plus précis, de co-modalité.
Vous êtes tous, je le sais, dans cette salle, convaincus de l'importance stratégique du transport de fret, du transport de marchandises pour la France. Je pourrais être intarissable sur le sujet, vous parler des autoroutes ferroviaires, des autoroutes maritimes, du fret ferroviaire à grande vitesse... Ce matin, je veux centrer mon propos sur la place stratégique qu'occupe, que devrait occuper le transport fluvial dans toute politique gouvernementale ambitieuse. Je vous ferai part également des 3 pistes de travail, très concrètes, que je poursuis aujourd'hui et sur lesquelles je souhaiterais que le Gouvernement s'engage.
* Pourquoi un tel retour en force du transport fluvial aujourd'hui ?
Il n'est pas inutile, je crois, de rappeler les quelques évolutions fondamentales qui font que le transport fluvial effectue à l'heure actuelle un retour en force remarqué.
Avec un baril à 70 dollars, on ne peut pas continuer à favoriser le "tout routier". Les transports représentent les 2/3 de la consommation des produits pétroliers en France. Le routier représente à lui seul 80 % de cette consommation.
On ne peut pas continuer comme cela. La solution à l'engorgement de nos autoroutes ne peut pas être d'élargir toujours plus les autoroutes existantes ou de construire encore de nouvelles autoroutes. Ceci est particulièrement valable pour l'axe Nord - Sud avec les goulets d'étranglement que sont le couloir rhodanien et le pourtour méditerranéen.
A cet égard, il suffit de regarder les premiers enseignements du débat public sur la politique des transports dans la vallée du Rhône et l'arc languedocien. Qu'est-ce qui remonte du terrain ? Des nuisances vécues comme insupportables par nos concitoyens, un état des lieux environnemental préoccupant, une opposition ferme aux nouvelles autoroutes, une demande pour un autre choix de société, en particulier une demande forte de report modal des marchandises de la route vers le fer, le fleuve et la mer.
L'enjeu est évidemment celui du développement durable : la réduction de la congestion routière, la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre, la réduction de la pollution de l'air, la diminution de l'insécurité routière...
Vous le savez, le transport fluvial consomme 4 fois moins d'énergie que la route et 2 fois moins que le fer. Et il y a cette image, très parlante, que j'aime rappeler : 1 convoi fluvial toutes les 30 minutes, c'est 1 camion toutes les 18 secondes.
Mais attention! Je n'oppose pas un mode de transport à un autre. Ils sont complémentaires. Simplement, je ne veux pas du "tout routier", du "tout fer" ou du "tout fluvial". Il est absurde de passer son temps à opposer les modes de transport les uns aux autres. Il vaut mieux exploiter leur complémentarité qui est réelle. Il vaut mieux additionner les talents plutôt que de les diviser. D'ailleurs, plus que d'intermodalité, je parle aujourd'hui de co-modalité.
Il y a aussi l'impact de la mondialisation sur le transport de marchandises, la tendance lourde à l'allongement des distances moyennes de transport de fret. Mais ce qui accompagne généralement cet allongement des distances, c'est une tendance à la concentration spatiale des activités logistiques. La mondialisation fait émerger des points de regroupement, des noeuds d'échanges, des carrefours, en particulier autour des ports et des aéroports. Et autour s'agrègent de vastes plate-formes logistiques qui irriguent toute une économie territoriale.
La prise en compte de ces noeuds logistiques est, à mes yeux, l'un des enjeux majeurs de la politique des transports en Europe pour les années à venir. Avec une double question : que deviennent les marchandises qui arrivent dans nos ports ? Comment repenser les liens entre nos ports et leur hinterland ?
L'enjeu pour la France est simple : notre pays ne doit pas se résigner à être un simple corridor de passage pour le trafic de marchandises. Il doit s'affirmer comme une plaque tournante du fret au sein de l'Europe d'une part, une portée d'entrée incontournable entre l'Europe et le reste du monde d'autre part. Avec, à l'arrière plan, le cercle vertueux de la création d'emplois car, aujourd'hui, l'offre logistique devient un facteur puissant - pour ne pas dire déterminant - de la localisation des activités. La diversité et la qualité des services logistiques figurent donc parmi les premiers facteurs clés d'attractivité d'un territoire pour attirer des activités de transformation ou de distribution.
Et, dans ce contexte, le transport fluvial représente un intérêt évident. Les pouvoirs publics ont un devoir d'intervention. Je ne peux me résigner au déséquilibre actuel dans la répartition modale des flux. Les chiffres sont connus de tous et cités à l'envi. Ils sont pourtant parlants. En 20 ans, la route est passée de 58 % de parts de marché à 80 %. Le fer a diminué et le fluvial a stagné à 2 ou 3 %.
Face à ces évolutions majeures, la France dispose d'atouts importants et je veux prendre ma part dans le renouveau d'une politique fluviale ambitieuse.
* Quelles sont les pistes de travail que je cherche à concrétiser dans les prochains mois ?
J'ai une grande ambition. Faire en sorte que notre pays s'intéresse autant au transport de marchandises qu'il s'intéresse au transport de voyageurs. Et ce qui en découle : rééquilibrer les masses financières consacrées par le Gouvernement entre le transport de voyageurs et le transport de marchandises. Mais c'est un objectif de moyen terme qui nécessite de faire évoluer les esprits. En effet, le fluvial n'a pas bonne presse dans certains cénacles. On dit que cela coûte trop cher. On dit que le fluvial n'est pas compétitif. On dit qu'il faut préférer le train. En France, ce qui est difficile, ce n'est pas de construire des lignes à grande vitesse ou des autoroutes, c'est de parvenir à changer les esprits, à faire évoluer les mentalités, à bousculer les a priori.
Comme je suis un homme pragmatique, comme je sais aussi la durée incertaine de la vie ministérielle, je veux vous exposer les 3 pistes que je poursuis à court terme pour faire avancer les sujets qui nous tiennent à coeur.
1ère piste : soutenir nos deux grands ports nationaux, Le Havre et Fos - Marseille
Je veux que le Gouvernement tienne un discours fort sur le devenir de nos ports et sur la qualité de nos services portuaires. Je considère l'enjeu comme stratégique pour notre pays. Dans la concurrence que se livrent les Etats membres de l'Union, la France doit s'affirmer comme une porte d'entrée incontournable du continent européen. Elle est en mesure de le faire sur l'aérien avec cet exceptionnel outil qu'est Roissy - Charles de Gaulle. Elle doit en revanche transformer l'essai sur les ports, à la fois sur la façade atlantique avec Le Havre et sur la façade méditerranéenne avec Fos - Marseille. Si nous ne faisons rien, dans quelques années, nous aurons perdu la course face à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou à l'Espagne.
Concrètement, pour Le Havre, j'ai proposé au Premier Ministre d'inscrire le programme Port 2000 comme "grand projet" dans la génération 2007-2013 du contrat de projet de la Haute-Normandie.
Ce grand projet s'inscrit dans la volonté d'augmenter la compétitivité du pôle portuaire normand en y développant des services logistiques d'excellence et des connexions en matière de transport.
Cela passe notamment par la promotion de la compétitivité des équipements portuaires du Havre et de Rouen ainsi que la fluidification et la diversification des modes de transport des marchandises. Il s'agit :
- D'augmenter et de moderniser les capacités portuaires, de moderniser les accès maritimes, d'adapter les voies ferrées portuaires ;
- De développer le transport fluvial notamment avec l'écluse de Port 2000 ;
Pour moi, cet engagement de principe doit aussi s'accompagner d'un engagement financier fort de l'Etat.
Je sais que cela répond en partie aux interrogations de votre association. J'ai bien noté que vous vous interrogiez sur le dimensionnement futur de l'écluse de Port 2000. Je me ferai le relais de vos préoccupations auprès de Dominique PERBEN afin que la décision qui sera prise par le Gouvernement réponde aux besoins du marché et aux attentes des acteurs privés.
Concernant le port de Fos - Marseille, j'ai proposé au Premier Ministre que le mandat de négociation du préfet de région pour le contrat de projet 2007-2013 comporte comme "grand projet" le développement et la modernisation des infrastructures du port de Fos-Marseille. Cela doit se faire en priorité par le développement de nouveaux terminaux à conteneurs prolongeant l'opération Fos 2XL, la percée fluviale en darse 2, la réhabilitation du patrimoine portuaire et l'adaptation des voies ferrées portuaires.
Le fret combiné ferroviaire devra être amélioré, notamment par la restructuration des chantiers, mais également dans sa composante fluvio-maritime. J'ai également insisté pour que la modernisation et le développement des infrastructures d'interface entre le maritime et le fluvial à Fos ainsi que l'aménagement et l'équipement des ports fluviaux de la basse vallée du Rhône soient une priorité gouvernementale, y compris et surtout financière.
2ème piste : faire du canal Seine - Nord une réussite exemplaire
Le canal Seine - Nord - dont les travaux devraient être achevés d'ici 2012 - est un puissant stimulant pour l'avenir. C'est notre priorité absolue du moment. Nicolas SARKOZY a, lors d'un déplacement en avril dernier dans le Nord - Pas - de - Calais, apporté tout son soutien à ce projet.
Le canal Seine - Nord, c'est l'exemple de ce qu'il fallait faire.
- sur le plan économique : il permet de relier Le Havre à Rotterdam et de connecter le bassin parisien à l'ensemble de l'Europe fluviale ;
- sur le plan territorial : le tracé est truffé de zones logistiques, de zones d'activité, de plates-formes agricoles d'expédition qui innervent les territoires ;
- sur le plan environnemental : le projet répond d'abord à la congestion routière du corridor nord - européen entre Paris et Amsterdam avec un report de 300 à 400 000 poids-lourds. C'est ensuite un transfert d'eau d'un bassin hydrographique à un autre ce qui permet de limiter les risques d'inondation ;
- sur le plan de la concertation : avec les collectivités territoriales, avec les associations, avec les acteurs socio-économiques... C'est près de 70 réunions de concertation entre mars et septembre 2005. Près de 450 avis recueillis.
Je sais que les besoins de financement ont augmenté. Je sais aussi que la participation de l'Europe n'est finalement pas aussi élevée que prévue à l'origine. Pour moi, ainsi que pour Nicolas SARKOZY, cela ne doit pas être l'occasion de remettre en cause l'engagement gouvernemental sur ce grand projet.
3ème piste : relancer un grand débat national sur une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée
La France, j'en suis de plus en plus convaincu, se doit de renouer avec une grande politique fluviale. Les enjeux sont immenses : économiques bien sûr pour nos ports et nos territoires, environnementaux aussi, territoriaux également, géostratégiques surtout. La façade orientale de la France ne doit pas être à l'écart des grands flux de marchandises à l'heure où le centre de gravité de l'Europe se déplace vers l'est.
Je le disais, il faut encore se battre pour le canal Seine Nord. Mais ce "grand" projet doit nous inspirer pour passer à une autre étape, celle d'une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée.
Ce projet, ancien, initié par le président POMPIDOU, a été injustement caricaturé par la décision polémique de Mme Dominique VOYNET de mettre un terme en 1997 à une liaison Rhin - Rhône par la vallée du Doubs. Pourtant, l'enjeu demeure. Même si je pense qu'une option par la vallée du Doubs est désormais irréaliste.
J'ai proposé au Premier Ministre d'ouvrir à nouveau la réflexion sur cet axe d'importance européenne. Des études, en grande partie financées par les collectivités locales, ont déjà été réalisées sur la pertinence d'une liaison fluviale Rhin - Rhône via la Saône et la Moselle. Je sais toute la part que votre association y a prise. Elles ont le mérite d'exister mais l'inconvénient d'être partielles.
C'est pourquoi j'ai proposé qu'à l'occasion de la prochaine génération des contrats de projets 2007-2013 soit inscrite une étude globale sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat portant sur l'intérêt d'une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée. Cette étude aborderait tous les thèmes - économique, environnemental, technique, budgétaire - et associerait les 6 grandes régions concernées : Provence - Alpes - Côte d'Azur, Rhône - Alpes, Bourgogne, Franche - Comté, Lorraine et Alsace. Elle s'intéresserait évidemment à la mise à grand gabarit de la liaison Saône - Moselle mais aussi à l'opportunité d'un nouveau barreau fluvial reliant la Saône - au niveau de Port-sur-Saône - au Doubs - au niveau de Montbéliard par exemple. La coordination de cette étude interrégionale pourrait être confiée au préfet de région Bourgogne.
Au passage, je souligne que le sujet est essentiel pour Marseille, une opportunité unique de donner à Marseille deux façades : une façade maritime - cela va sans dire - mais aussi une façade terrestre, une ouverture phénoménale vers l'Europe du Nord.
* Pour conclure, la France possède certes le 1er réseau fluvial d'Europe devant l'Allemagne et les Pays-Bas, mais elle ne représente que le 3ème trafic fluvial européen, très loin derrière l'Allemagne (9 fois moins de trafic) et loin derrière les Pays-Bas (6 fois moins). L'explication, vous la connaissez : elle tient en partie au manque de développement de nos ports et à la faible interconnexion entre nos bassins fluviaux et ceux du reste de l'Europe.
En matière de transports de marchandises et de logistique, notre pays est à la croisée des chemins. Le risque territorial que je perçois est que la France se transforme en une extrémité, une sorte de Finistère d'une Europe recentrée à l'Est.
Quand je discute avec des acteurs du fret, du transport de marchandises, de la logistique, la 1ère chose qu'ils me demandent, ce n'est pas de l'argent. Rassurez-vous! Cette demande arrive quand même rapidement. En général, c'est la deuxième. Mais ce qu'ils veulent, avant toute chose, c'est un discours clair de la part de l'Etat. Les acteurs du secteur sont attachés au rôle de l'Etat en tant que stratège. Ils veulent un discours transparent, éclairé, justifié. En d'autres termes, ils veulent savoir où ils mettent les pieds.
Pour ma part, je pense qu'il est temps que la France ait un discours beaucoup plus ambitieux sur le fret, en particulier sur le fret fluvial. Le fret est un formidable outil de compétitivité pour notre pays. Et je veux que la France saisisse cette opportunité. Je veux que la France soit à la hauteur de son rôle historique qui a toujours été d'être un carrefour dans les flux de marchandises en Europe.
Merci de votre attention. Source http://www.interieur.gouv.fr, le 30 juin 2006
Monsieur le Ministre, Maire de Marseille, cher Jean-Claude GAUDIN,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'intervenir aujourd'hui en ouverture de l'assemblée générale annuelle de votre association. André ROSSINOT, votre président, me l'avait proposé il y a quelques semaines et j'avais aussitôt accepté. En effet, c'est une excellente opportunité pour moi de vous faire partager quelques-unes de mes convictions profondes dans le domaine du transport des marchandises.
Autant vous le dire de suite, ces convictions ne sont pas partagées par tous. Mais une chose est sûre : mes convictions rejoignent les vôtres sur la nécessité, l'impérieuse nécessité de donner à notre pays une grande ambition en matière de report modal de marchandises, et en particulier une grande ambition fluviale. Je me permets d'ailleurs de vous féliciter pour le travail accompli par votre association. Elle apporte une précieuse contribution aux réflexions actuellement en cours au sein du Gouvernement.
Depuis que je m'occupe d'aménagement du territoire, au sein de ce Gouvernement, je n'ai eu de cesse d'élargir le champ couvert par mon ministère, de lui donner de nouvelles ambitions et d'imaginer de nouvelles perspectives. Après tout, c'est la mission historique de l'aménagement du territoire. Souvent, on essaie de me faire comprendre que j'ai tort de vouloir faire changer les situations acquises, les plans bien ordonnés, les projections toutes faites.
Mais voilà, je n'aime pas qu'on me dise : "c'est comme ça! c'est trop tard ! on n'y peut rien changer ! et puis, de toute façon, les enjeux sont trop importants". Ce qui me passionne dans l'aménagement du territoire, c'est de lutter contre la fatalité et c'est d'étudier tous les chemins possibles pour renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos territoires. C'est précisément ce qui m'a conduit à militer ces derniers mois en faveur d'une politique ambitieuse de report modal ou, pour être plus précis, de co-modalité.
Vous êtes tous, je le sais, dans cette salle, convaincus de l'importance stratégique du transport de fret, du transport de marchandises pour la France. Je pourrais être intarissable sur le sujet, vous parler des autoroutes ferroviaires, des autoroutes maritimes, du fret ferroviaire à grande vitesse... Ce matin, je veux centrer mon propos sur la place stratégique qu'occupe, que devrait occuper le transport fluvial dans toute politique gouvernementale ambitieuse. Je vous ferai part également des 3 pistes de travail, très concrètes, que je poursuis aujourd'hui et sur lesquelles je souhaiterais que le Gouvernement s'engage.
* Pourquoi un tel retour en force du transport fluvial aujourd'hui ?
Il n'est pas inutile, je crois, de rappeler les quelques évolutions fondamentales qui font que le transport fluvial effectue à l'heure actuelle un retour en force remarqué.
Avec un baril à 70 dollars, on ne peut pas continuer à favoriser le "tout routier". Les transports représentent les 2/3 de la consommation des produits pétroliers en France. Le routier représente à lui seul 80 % de cette consommation.
On ne peut pas continuer comme cela. La solution à l'engorgement de nos autoroutes ne peut pas être d'élargir toujours plus les autoroutes existantes ou de construire encore de nouvelles autoroutes. Ceci est particulièrement valable pour l'axe Nord - Sud avec les goulets d'étranglement que sont le couloir rhodanien et le pourtour méditerranéen.
A cet égard, il suffit de regarder les premiers enseignements du débat public sur la politique des transports dans la vallée du Rhône et l'arc languedocien. Qu'est-ce qui remonte du terrain ? Des nuisances vécues comme insupportables par nos concitoyens, un état des lieux environnemental préoccupant, une opposition ferme aux nouvelles autoroutes, une demande pour un autre choix de société, en particulier une demande forte de report modal des marchandises de la route vers le fer, le fleuve et la mer.
L'enjeu est évidemment celui du développement durable : la réduction de la congestion routière, la lutte contre l'émission des gaz à effet de serre, la réduction de la pollution de l'air, la diminution de l'insécurité routière...
Vous le savez, le transport fluvial consomme 4 fois moins d'énergie que la route et 2 fois moins que le fer. Et il y a cette image, très parlante, que j'aime rappeler : 1 convoi fluvial toutes les 30 minutes, c'est 1 camion toutes les 18 secondes.
Mais attention! Je n'oppose pas un mode de transport à un autre. Ils sont complémentaires. Simplement, je ne veux pas du "tout routier", du "tout fer" ou du "tout fluvial". Il est absurde de passer son temps à opposer les modes de transport les uns aux autres. Il vaut mieux exploiter leur complémentarité qui est réelle. Il vaut mieux additionner les talents plutôt que de les diviser. D'ailleurs, plus que d'intermodalité, je parle aujourd'hui de co-modalité.
Il y a aussi l'impact de la mondialisation sur le transport de marchandises, la tendance lourde à l'allongement des distances moyennes de transport de fret. Mais ce qui accompagne généralement cet allongement des distances, c'est une tendance à la concentration spatiale des activités logistiques. La mondialisation fait émerger des points de regroupement, des noeuds d'échanges, des carrefours, en particulier autour des ports et des aéroports. Et autour s'agrègent de vastes plate-formes logistiques qui irriguent toute une économie territoriale.
La prise en compte de ces noeuds logistiques est, à mes yeux, l'un des enjeux majeurs de la politique des transports en Europe pour les années à venir. Avec une double question : que deviennent les marchandises qui arrivent dans nos ports ? Comment repenser les liens entre nos ports et leur hinterland ?
L'enjeu pour la France est simple : notre pays ne doit pas se résigner à être un simple corridor de passage pour le trafic de marchandises. Il doit s'affirmer comme une plaque tournante du fret au sein de l'Europe d'une part, une portée d'entrée incontournable entre l'Europe et le reste du monde d'autre part. Avec, à l'arrière plan, le cercle vertueux de la création d'emplois car, aujourd'hui, l'offre logistique devient un facteur puissant - pour ne pas dire déterminant - de la localisation des activités. La diversité et la qualité des services logistiques figurent donc parmi les premiers facteurs clés d'attractivité d'un territoire pour attirer des activités de transformation ou de distribution.
Et, dans ce contexte, le transport fluvial représente un intérêt évident. Les pouvoirs publics ont un devoir d'intervention. Je ne peux me résigner au déséquilibre actuel dans la répartition modale des flux. Les chiffres sont connus de tous et cités à l'envi. Ils sont pourtant parlants. En 20 ans, la route est passée de 58 % de parts de marché à 80 %. Le fer a diminué et le fluvial a stagné à 2 ou 3 %.
Face à ces évolutions majeures, la France dispose d'atouts importants et je veux prendre ma part dans le renouveau d'une politique fluviale ambitieuse.
* Quelles sont les pistes de travail que je cherche à concrétiser dans les prochains mois ?
J'ai une grande ambition. Faire en sorte que notre pays s'intéresse autant au transport de marchandises qu'il s'intéresse au transport de voyageurs. Et ce qui en découle : rééquilibrer les masses financières consacrées par le Gouvernement entre le transport de voyageurs et le transport de marchandises. Mais c'est un objectif de moyen terme qui nécessite de faire évoluer les esprits. En effet, le fluvial n'a pas bonne presse dans certains cénacles. On dit que cela coûte trop cher. On dit que le fluvial n'est pas compétitif. On dit qu'il faut préférer le train. En France, ce qui est difficile, ce n'est pas de construire des lignes à grande vitesse ou des autoroutes, c'est de parvenir à changer les esprits, à faire évoluer les mentalités, à bousculer les a priori.
Comme je suis un homme pragmatique, comme je sais aussi la durée incertaine de la vie ministérielle, je veux vous exposer les 3 pistes que je poursuis à court terme pour faire avancer les sujets qui nous tiennent à coeur.
1ère piste : soutenir nos deux grands ports nationaux, Le Havre et Fos - Marseille
Je veux que le Gouvernement tienne un discours fort sur le devenir de nos ports et sur la qualité de nos services portuaires. Je considère l'enjeu comme stratégique pour notre pays. Dans la concurrence que se livrent les Etats membres de l'Union, la France doit s'affirmer comme une porte d'entrée incontournable du continent européen. Elle est en mesure de le faire sur l'aérien avec cet exceptionnel outil qu'est Roissy - Charles de Gaulle. Elle doit en revanche transformer l'essai sur les ports, à la fois sur la façade atlantique avec Le Havre et sur la façade méditerranéenne avec Fos - Marseille. Si nous ne faisons rien, dans quelques années, nous aurons perdu la course face à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou à l'Espagne.
Concrètement, pour Le Havre, j'ai proposé au Premier Ministre d'inscrire le programme Port 2000 comme "grand projet" dans la génération 2007-2013 du contrat de projet de la Haute-Normandie.
Ce grand projet s'inscrit dans la volonté d'augmenter la compétitivité du pôle portuaire normand en y développant des services logistiques d'excellence et des connexions en matière de transport.
Cela passe notamment par la promotion de la compétitivité des équipements portuaires du Havre et de Rouen ainsi que la fluidification et la diversification des modes de transport des marchandises. Il s'agit :
- D'augmenter et de moderniser les capacités portuaires, de moderniser les accès maritimes, d'adapter les voies ferrées portuaires ;
- De développer le transport fluvial notamment avec l'écluse de Port 2000 ;
Pour moi, cet engagement de principe doit aussi s'accompagner d'un engagement financier fort de l'Etat.
Je sais que cela répond en partie aux interrogations de votre association. J'ai bien noté que vous vous interrogiez sur le dimensionnement futur de l'écluse de Port 2000. Je me ferai le relais de vos préoccupations auprès de Dominique PERBEN afin que la décision qui sera prise par le Gouvernement réponde aux besoins du marché et aux attentes des acteurs privés.
Concernant le port de Fos - Marseille, j'ai proposé au Premier Ministre que le mandat de négociation du préfet de région pour le contrat de projet 2007-2013 comporte comme "grand projet" le développement et la modernisation des infrastructures du port de Fos-Marseille. Cela doit se faire en priorité par le développement de nouveaux terminaux à conteneurs prolongeant l'opération Fos 2XL, la percée fluviale en darse 2, la réhabilitation du patrimoine portuaire et l'adaptation des voies ferrées portuaires.
Le fret combiné ferroviaire devra être amélioré, notamment par la restructuration des chantiers, mais également dans sa composante fluvio-maritime. J'ai également insisté pour que la modernisation et le développement des infrastructures d'interface entre le maritime et le fluvial à Fos ainsi que l'aménagement et l'équipement des ports fluviaux de la basse vallée du Rhône soient une priorité gouvernementale, y compris et surtout financière.
2ème piste : faire du canal Seine - Nord une réussite exemplaire
Le canal Seine - Nord - dont les travaux devraient être achevés d'ici 2012 - est un puissant stimulant pour l'avenir. C'est notre priorité absolue du moment. Nicolas SARKOZY a, lors d'un déplacement en avril dernier dans le Nord - Pas - de - Calais, apporté tout son soutien à ce projet.
Le canal Seine - Nord, c'est l'exemple de ce qu'il fallait faire.
- sur le plan économique : il permet de relier Le Havre à Rotterdam et de connecter le bassin parisien à l'ensemble de l'Europe fluviale ;
- sur le plan territorial : le tracé est truffé de zones logistiques, de zones d'activité, de plates-formes agricoles d'expédition qui innervent les territoires ;
- sur le plan environnemental : le projet répond d'abord à la congestion routière du corridor nord - européen entre Paris et Amsterdam avec un report de 300 à 400 000 poids-lourds. C'est ensuite un transfert d'eau d'un bassin hydrographique à un autre ce qui permet de limiter les risques d'inondation ;
- sur le plan de la concertation : avec les collectivités territoriales, avec les associations, avec les acteurs socio-économiques... C'est près de 70 réunions de concertation entre mars et septembre 2005. Près de 450 avis recueillis.
Je sais que les besoins de financement ont augmenté. Je sais aussi que la participation de l'Europe n'est finalement pas aussi élevée que prévue à l'origine. Pour moi, ainsi que pour Nicolas SARKOZY, cela ne doit pas être l'occasion de remettre en cause l'engagement gouvernemental sur ce grand projet.
3ème piste : relancer un grand débat national sur une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée
La France, j'en suis de plus en plus convaincu, se doit de renouer avec une grande politique fluviale. Les enjeux sont immenses : économiques bien sûr pour nos ports et nos territoires, environnementaux aussi, territoriaux également, géostratégiques surtout. La façade orientale de la France ne doit pas être à l'écart des grands flux de marchandises à l'heure où le centre de gravité de l'Europe se déplace vers l'est.
Je le disais, il faut encore se battre pour le canal Seine Nord. Mais ce "grand" projet doit nous inspirer pour passer à une autre étape, celle d'une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée.
Ce projet, ancien, initié par le président POMPIDOU, a été injustement caricaturé par la décision polémique de Mme Dominique VOYNET de mettre un terme en 1997 à une liaison Rhin - Rhône par la vallée du Doubs. Pourtant, l'enjeu demeure. Même si je pense qu'une option par la vallée du Doubs est désormais irréaliste.
J'ai proposé au Premier Ministre d'ouvrir à nouveau la réflexion sur cet axe d'importance européenne. Des études, en grande partie financées par les collectivités locales, ont déjà été réalisées sur la pertinence d'une liaison fluviale Rhin - Rhône via la Saône et la Moselle. Je sais toute la part que votre association y a prise. Elles ont le mérite d'exister mais l'inconvénient d'être partielles.
C'est pourquoi j'ai proposé qu'à l'occasion de la prochaine génération des contrats de projets 2007-2013 soit inscrite une étude globale sous maîtrise d'ouvrage de l'Etat portant sur l'intérêt d'une liaison fluviale à grand gabarit entre la Mer du Nord et la Mer Méditerranée. Cette étude aborderait tous les thèmes - économique, environnemental, technique, budgétaire - et associerait les 6 grandes régions concernées : Provence - Alpes - Côte d'Azur, Rhône - Alpes, Bourgogne, Franche - Comté, Lorraine et Alsace. Elle s'intéresserait évidemment à la mise à grand gabarit de la liaison Saône - Moselle mais aussi à l'opportunité d'un nouveau barreau fluvial reliant la Saône - au niveau de Port-sur-Saône - au Doubs - au niveau de Montbéliard par exemple. La coordination de cette étude interrégionale pourrait être confiée au préfet de région Bourgogne.
Au passage, je souligne que le sujet est essentiel pour Marseille, une opportunité unique de donner à Marseille deux façades : une façade maritime - cela va sans dire - mais aussi une façade terrestre, une ouverture phénoménale vers l'Europe du Nord.
* Pour conclure, la France possède certes le 1er réseau fluvial d'Europe devant l'Allemagne et les Pays-Bas, mais elle ne représente que le 3ème trafic fluvial européen, très loin derrière l'Allemagne (9 fois moins de trafic) et loin derrière les Pays-Bas (6 fois moins). L'explication, vous la connaissez : elle tient en partie au manque de développement de nos ports et à la faible interconnexion entre nos bassins fluviaux et ceux du reste de l'Europe.
En matière de transports de marchandises et de logistique, notre pays est à la croisée des chemins. Le risque territorial que je perçois est que la France se transforme en une extrémité, une sorte de Finistère d'une Europe recentrée à l'Est.
Quand je discute avec des acteurs du fret, du transport de marchandises, de la logistique, la 1ère chose qu'ils me demandent, ce n'est pas de l'argent. Rassurez-vous! Cette demande arrive quand même rapidement. En général, c'est la deuxième. Mais ce qu'ils veulent, avant toute chose, c'est un discours clair de la part de l'Etat. Les acteurs du secteur sont attachés au rôle de l'Etat en tant que stratège. Ils veulent un discours transparent, éclairé, justifié. En d'autres termes, ils veulent savoir où ils mettent les pieds.
Pour ma part, je pense qu'il est temps que la France ait un discours beaucoup plus ambitieux sur le fret, en particulier sur le fret fluvial. Le fret est un formidable outil de compétitivité pour notre pays. Et je veux que la France saisisse cette opportunité. Je veux que la France soit à la hauteur de son rôle historique qui a toujours été d'être un carrefour dans les flux de marchandises en Europe.
Merci de votre attention. Source http://www.interieur.gouv.fr, le 30 juin 2006