Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, sur les liens entre la France et les Etats-Unis, les conflits au Proche-Orient, la sécurité nucléaire, la protection de l'environnement, et la situation au Darfour, Washington le 12 septembre 2006.

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Circonstance : Voyage aux Etats-Unis du 9 au 12 septembre 2006-intervention devant la Fondation franco-américaine à Washington le 12

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Nous sommes le 12 septembre 2006. C'est un moment particulier pour l'Amérique. Il y a cinq ans jour pour jour, l'Amérique et le monde se sont réveillés, comme le chante Bruce Springsteen, "face à un ciel vide". Je veux vous dire que les Français ont été profondément choqués par l'horreur des attentats qui ont frappé New York et l'Amérique. Leur coeur a battu au même rythme que celui de tous les Américains.
A l'invitation de la French American Foundation, je suis venu aux Etats Unis parler de l'amitié entre nos peuples. C'est le jour pour le faire. Aujourd'hui vous vous recueillez dans le souvenir de vos compatriotes, peut-être de vos amis, de vos proches, qui sont restés dans les tours jumelles. J'ai voulu être au milieu des New Yorkais pour commémorer les victimes de cette tragédie, j'ai voulu rencontrer les héros du 11 septembre : les policiers, les pompiers, tous ceux qui ont fait la fierté et l'honneur de cette ville meurtrie. J'ai décoré au nom de la République Française les pompiers et le chef de la police de New York, car au-delà des dissensions qui alimentent parfois la relation entre nos deux pays, il y a la compassion des Français pour la souffrance des Américains et leur respect pour l'énergie et la combativité dont ils ont fait preuve. Et les Français de New York, que j'ai rencontrés hier, n'ont pas oublié non plus que plusieurs d'entre eux ont péri dans les tours jumelles.
Il semble que la relation entre nos deux pays a toujours été particulière. Par particulière, vous pouvez comprendre compliquée. Et ce depuis George Washington. Au départ de tout il y a notre amitié. Elle précède tout le reste. Le 19 octobre 1781, c'est un jeune homme de 24 ans, Lafayette, qui mena l'assaut final sur le camp anglais de Yorktown. Il y avait autant de soldats français sur le champ de bataille que de soldats américains. Mais lorsque le général anglais O'Hara, l'adjoint de Cornwallis, tendit son épée au comte de Rochambeau, chef du corps expéditionnaire français, celui-ci refusa et c'est à George Washington, le chef des rebelles américains, que le vaincu dut remettre son épée et se rendre. Et les Français ont montré il y a deux ans en Normandie qu'ils n'avaient pas oublié et qu'ils n'oublieraient jamais le sacrifice de centaines de milliers de jeunes Américains qui ont traversé l'Atlantique pour sauver par deux fois, en 1917 et en 1944, notre continent au bord du suicide.
La relation entre les Etats Unis et la France occupe une place à part. On me dit que la France bénéficie d'une large couverture dans la presse américaine, et, disons-le, rarement positive. Je vais vous faire une confession : les Etats-Unis sont traités de la même manière dans la presse française. Inutile donc de faire l'analyse de ce que les journalistes français et américains écrivent sur nos pays respectifs. Ils sont souvent si loin de la vérité ! La vérité, c'est que les Français écoutent Madonna après avoir aimé Elvis et Sinatra, vont comme moi au cinéma voir Miami Vice et revoient avec plaisir le Faucon maltais ou la Liste de Schindler, lisent James Ellroy et relisent comme moi Hemingway, portent des jeans américains, et adorent manger des hamburgers et des pizzas américaines. Rien ne les rend plus fiers que de voir un acteur français dans un film américain ou un musicien français travailler avec les plus grands d'outre-atlantique. Et chaque parent en France rêve d'envoyer son enfant dans une université américaine.
Vous devez comprendre la virulence de la presse et d'une partie des élites françaises contre les Etats Unis comme une forme de jalousie devant votre réussite éclatante. Car derrière les critiques si souvent fondées sur des a priori voire des inexactitudes, personne en France n'ose nier la vérité. Les Etats-Unis sont la première puissance économique, militaire et monétaire du monde. Votre économie est florissante, votre vie intellectuelle est riche, la recherche aux Etats Unis est organisée de telle façon que les meilleurs chercheurs du monde travaillent dans vos universités et deviennent rapidement des patriotes américains. Ce qui montre par là même que le modèle d'intégration américain est toujours aussi efficace, puisque plus de la moitié des Prix Nobel américains sont des immigrés. Quant aux arts, qu'il s'agisse de musique, de cinéma ou de spectacle vivant, les productions dites populaires, que par ailleurs nous aimons (presque) tous, n'empêchent pas une création artistique originale, exigeante, profondément moderne, de vivre et d'influencer la création dans tout le reste du monde. Je pense notamment à l'art contemporain, dont New York est depuis longtemps la capitale mondiale, et qui bénéficie d'une politique fiscale incitative particulièrement intelligente.
Allons donc plutôt de l'avant.
Il y a quelque chose que les Français n'ont pas assez clairement perçu. La crise que nos deux pays ont traversée en 2003 est sans doute la plus grave depuis 1966 et le départ des forces américaines des bases de l'OTAN en France. Ce fut une crise grave car ce fut une crise émotionnelle qui a rencontré un écho très profond dans le peuple américain. Vous les Américains avez été atteints au coeur le 11 septembre 2001 et vous n'avez pas compris l'opposition française à l'intervention en Irak, que vous avez alors ressentie comme une trahison.
Fallait-il que vous nous ayez détestés à ce moment-là, pour que la France ait à subir une campagne de presse aussi hostile ! Au plus fort de la guerre, la France était censée avoir donné un passeport et un visa à Saddam Hussein, et livré des armes à l'Irak. Alors même qu'au pire de cette confrontation politique, nos services secrets travaillaient tous les jours ensemble. Je suis bien placé pour le dire, j'étais déjà ministre de l'Intérieur. Notre collaboration était parfaite, et c'était bien normal, car nos adversaires sont les mêmes. Ben Laden a visé New York comme il aurait pu viser Paris. Alors, même si cette période difficile est derrière nous, je me dois de vous le dire en ami. Si vous avez été indignés de l'attitude de la France, sachez que les Français, et pas seulement les 300 000 qui vivent en Amérique, ont souffert d'être à ce point calomniés.
Je crois que nous commençons à surmonter cette crise. Heureusement, car la cote de popularité de la France aux Etats Unis était à cette période-là inférieure à celle de la Libye. En contrepoint, je me dois de vous dire que l'Amérique était vue à l'époque en France et dans toute l'Europe comme une menace à la paix du monde. Mais les faits sont là : nous sommes frontaliers du même océan, et nos deux pays sont très engagés l'un avec l'autre. Avec un stock de 150 milliards de dollars, la France vient au second rang des investissements étrangers au Etats Unis. 3 000 sociétés françaises sont installées aux Etats-Unis, qui emploient directement ou indirectement 600 000 travailleurs américains. 1 milliard de dollars est échangé tous les jours entre la France et les Etats-Unis. Et surtout, et c'est une fierté pour nous, je veux rappeler que les meilleurs soldats français paient le prix du sang en Afghanistan en combattant depuis plusieurs années aux côtés des soldats américains contre les Talibans.
Mais il est juste de dire que cette crise a provoqué une réapparition dans chacun de nos pays de toutes les idées fausses colportées sur nos deux peuples. D'où vient donc que cette relation est si complexe et si passionnée ?
Les Etats Unis et la France sont à peu près l'un pour l'autre le seul pays avec lequel ils n'ont jamais été en guerre. Et pourtant chacun sait que dans leur histoire nos deux pays ont fait la guerre avec presque tous les grands pays qui composent aujourd'hui la communauté internationale. Mon attachement à la relation avec les Etats-Unis est connu; il me vaut bien des critiques en France. Mais je ne suis pas lâche. Cette amitié, j'en suis fier, et je la revendique. N'ayons pas peur de le dire, les relations entre la France et les Etats-Unis sont souvent difficiles. Il ne faut pas le nier. Pour autant nos désaccords m'ont toujours paru secondaires par rapport à ce que nous partageons.
Car le paradoxe, c'est que nos deux peuples sont séparés par des valeurs communes. Les valeurs de liberté que nous portons sont les mêmes. Les Etats-Unis et la France se sont chacun donnés une mission universaliste : celle de la promotion de la démocratie, la défense de la liberté et des droits de l'Homme. Certains font l'analyse que nous nous ressemblons. En conséquence, nous nous détesterions en même temps que nous nous admirerions.
Pouvons-nous en attendre une issue positive ? J'en suis sûr.
Je crois que cet universalisme que nous partageons doit nous renforcer et nous unir au lieu de nous séparer. On nous dit incompatibles, rivaux. Je ne partage pas cette perception : notre vision commune doit nous rassembler pour travailler à assurer un monde de paix, de tolérance et de sécurité. Est-ce que ça veut dire que nous devons aligner nos positions sur les vôtres ? Certainement non. Que la France ait une position autonome vis à vis des Etats-Unis, tant mieux, c'est souvent nécessaire ! Mais il n'y a pas d'avenir dans l'opposition entre vous et nous.
Je suis convaincu que nos relations souffrent de trop d'incompréhensions causées par un manque de dialogue et parfois, de la mauvaise foi. Je ne veux pas chercher de coupable, mais trouver des solutions. Nous devons rebâtir la relation transatlantique sur un socle de confiance et de responsabilité partagée.
On doit pouvoir échanger, dialoguer sans être d'accord sur certains points. Il y aura de nouveaux désaccords, d'autres mésententes dans le futur. Elles sont inévitables, même entre alliés. Mais elles ne doivent pas se transformer en crises. Elles doivent au contraire être l'occasion d'un dialogue constructif, sans arrogance, sans mises en scène. On peut parfaitement avoir des désaccords, mais on doit se souvenir, dans l'expression de ces désaccords, que nous sommes amis depuis longtemps et pour longtemps. Je reconnais que la France n'est pas exempte de reproches : bien qu'il me semble que nos désaccords aient souvent été légitimes, il y a différentes façons de les exprimer. Il n'est pas convenable de chercher à mettre ses alliés dans l'embarras, ou de donner l'impression de se réjouir de leurs difficultés. J'ai toujours préféré l'efficacité dans la modestie plutôt qu'une grandiloquence stérile. Et je ne veux pas d'une France arrogante et pas assez présente.
Nous sommes les enfants d'un même combat, celui contre les totalitarismes nazi et soviétique dans lesquels le rôle des Etats-Unis fut si déterminant, voire existentiel. Je considère notre relation avec les Etats-Unis comme l'un des piliers de la politique étrangère au côté d'une Europe politique forte. Il est temps à mes yeux d'ouvrir une nouvelle ère dans les relations transatlantiques, débarrassée des malentendus et des grands discours qui bloquent tout vrai dialogue. Nous devons refonder une alliance autour des nouvelles menaces du XXIème siècle et défendre nos valeurs et nos intérêts communs.
Les défis auxquels nous faisons face nous imposent de travailler ensemble. Partageant des valeurs communes, une même vision, ce n'est qu'ensemble que nous pourrons faire face à de nouveaux fléaux transnationaux : la prolifération d'armes de destruction massives, le terrorisme, les Etats faillis, les catastrophes écologiques, humanitaires ou encore les pandémies.
Dans tous ces combats, l'Amérique est le partenaire évident et naturel de l'Europe. Et celle-ci doit être forte, présente dans le monde, responsable. Après des siècles de guerre et de haine, après la Shoah, les nations européennes se sont engagées dans l'une des entreprises les plus ambitieuses de leur histoire : la construction d'une aire de paix, d'union, de solidarité. Les Etats-Unis furent toujours au premier rang de cette construction, la soutenant, la finançant par le Plan Marshall, la protégeant de l'impérialisme communiste.
Aujourd'hui, les Etats-Unis ne doivent pas, ne peuvent pas, s'inquiéter de cette nouvelle étape que les Européens veulent atteindre : la constitution d'une Europe politique forte et influente sur la scène internationale. Ne vous y trompez pas : celle-ci ne se veut pas un adversaire de l'Amérique. Il est impensable que l'Europe bâtisse son identité en opposition aux Etats-Unis, ni à qui que ce soit d'ailleurs. Que l'on croie ou non au concept de civilisation, il est évident que les liens qui unissent l'Europe aux Etats-Unis sont uniques et irremplaçables.
C'est de l'intérêt des Etats-Unis que cette Europe politique soit gouvernable et cohérente. Elle doit répondre aux besoins quotidiens de ses citoyens. C'est pourquoi je m'oppose avec vigueur à la vision d'une Europe étendue sans fin, une Europe sans frontière, donc sans identité. A cet égard, le rejet de la constitution européenne l'an dernier ne doit satisfaire personne : il retarde considérablement l'émergence de l'Union européenne comme une puissance responsable sur la scène internationale. Nous devons donc sans attendre nous donner des règles de fonctionnement qui nous permettent à nouveau de prendre des décisions.
Renouveler la relation transatlantique est une nécessité si nous voulons atteindre nos objectifs de long terme en matière internationale. Quels sont ces objectifs ?
Nous devons d'abord assurer la protection de nos intérêts vitaux, c'est-à-dire avant tout la sécurité de nos territoires et de nos compatriotes. Nous devons ensuite assumer nos responsabilités de membres permanents du conseil de sécurité et promouvoir nos valeurs démocratiques sur la scène internationale. Parce que c'est un devoir moral, mais aussi parce que c'est la seule manière d'assurer une stabilisation en profondeur des Etats fragilisés par des conflits internes ou externes, en favorisant leur développement économique, et en les aidant à créer de véritables Etats de droit et des sociétés civiles ouvertes.
A ces deux objectifs de long terme répondent deux nouveaux types de défis auxquels nous sommes confrontés ensemble.
1/ D'abord, nous faisons face à de nouvelles menaces. L'Empire soviétique n'existe plus, et l'Europe a pu retrouver ses frères de l'Est trop longtemps abandonnés derrière le rideau de fer. Le monde d'aujourd'hui est complexe, ses dangers nombreux et multiformes. Il est souvent plus inquiétant : certains sont même parfois nostalgiques d'un ordre ancien supposé plus stable et plus rassurant. Je ne suis pas de ceux là. Il faut se réjouir de l'effondrement du totalitarisme et je ne regrette en rien les jours de l'équilibre de la terreur et de la destruction mutuelle assurée.
Ministre de l'intérieur depuis plusieurs années, je ne suis cependant que trop conscient des nouvelles menaces auxquelles nos démocraties font face. Lorsque les terroristes attaquent New York, Londres, Amman, Madrid, Alger, Tel Aviv, Le Caire, Nairobi, Jakarta et d'autres capitales encore, je sais que demain, Paris pourrait être à nouveau victime de cette nouvelle forme de barbarie. Cette idéologie de la haine de la démocratie, de la liberté, de la modernité, de l'égalité hommes femmes ne fait pas de distinction, pas de classement entre ses ennemis.
Ignorer ce danger serait une folie. La perspective d'un nouvel attentat, cette fois avec des armes chimiques voire nucléaires ne peut être écartée que par le renforcement de notre coopération en matière de renseignement. Je l'ai dit, je suis bien placé pour souligner que celle-ci fut jusqu'ici exemplaire, et qu'elle a résisté à toutes les crises politiques. J'ai d'ailleurs rappelé à Condoleezza Rice, Alberto Gonzales et Michael Chertoff la détermination de la France dans cette lutte commune. La tragédie du 11 septembre nous a rappelé à tous la fragilité de notre mode de vie, la nécessité de le défendre à tout instant. Cette lutte sera longue, incertaine, mais un nouveau drame est inévitable si nous ne consacrons pas toutes nos ressources à travailler ensemble.
Bien sur, la crise stratégique majeure à laquelle nous faisons face aujourd'hui est la question du nucléaire iranien. La position de la France est claire, sans ambiguïté : dans le cadre du traité de non-prolifération nucléaire, l'Iran n'a pas le droit de chercher à se doter de l'arme nucléaire. Bien que les Iraniens aient le droit souverain de se doter d'une capacité nucléaire civile, chacun sait que les soupçons pèsent trop lourd sur les réelles intentions de Téhéran. Nous ne pouvons pas courir ce risque.
Le régime iranien, par son soutien au Hezbollah, par les propos inacceptables de son président sur l'Holocauste et l'existence d'Israël s'est mis lui-même au ban des nations. La perspective d'un tel régime doté d'armes aussi destructrices que des missiles nucléaires est terrifiante. Elle ouvrirait la voie à une course aux armements meurtrière dans la région car d'autres pays pourraient souhaiter sauter le pas. Elle serait aussi une menace constante pour l'existence d'Israël. L'Histoire nous a montré les conséquences de la complaisance face à l'agression et au fondamentalisme. Nous devons faire preuve de la plus grande fermeté et d'unité pour régler cette question. La diplomatie doit être notre arme principale mais il faut laisser toutes les options ouvertes.
Le débat sur le programme nucléaire iranien, relayé dans d'autres pays qui envisagent eux-aussi de se doter de programmes d'enrichissement de l'uranium, doit inciter la communauté internationale à agir fortement sur le marché nucléaire mondial. J'ai la conviction que cette source d'énergie continuera de s'imposer comme une solution majeure pour l'avenir, face à la pénurie des énergies fossiles. Je veux donc faire ici une proposition : pourquoi ne pas créer, sous l'égide de l'AIEA, une Banque mondiale du combustible nucléaire ? Celle-ci serait abondée financièrement ou en nature par les puissances nucléaires et garantirait la livraison de combustible nucléaire civil ainsi que le retraitement des matières fissiles à tous les Etats désireux de développer l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, mais qui naturellement renonceraient à l'option nucléaire militaire. Ainsi, me semble-t-il, la communauté internationale, représentée par l'AIEA, offrirait-elle toutes les garanties d'accès sécurisé aux bienfaits de l'énergie nucléaire, sans risque de détournement militaire. Elle ôterait en outre à certains pays potentiellement proliférateurs le prétexte du droit à accéder à l'énergie nucléaire civile ou de l'indépendance énergétique.
Nous ne pourrons pas non plus esquiver longtemps entre nous le débat sur les menaces environnementales. C'est un sujet de débat avec l'actuelle administration américaine. Il faut sauver la planète des conséquences d'une suractivité humaine. La moitié des forêts primitives ont déjà disparu de la surface du globe, les glaces du Groenland fondent, les émissions mondiales de gaz carbonique vont augmenter d'au moins 75 % dans les 25 ans à venir alors que la situation est déjà critique. L'effet de serre, la pollution des océans, le pillage des ressources naturelles n'auront pas pour seuls effets que le changement climatique, la désertification, l'appauvrissement de la biodiversité, la dégradation de la santé ou la mise en péril de la vie des plus fragiles. Les guerres de la faim et les guerres de l'eau qui menacent le monde à venir pourraient bien être les plus terribles que l'humanité ait connues parce que ce seront des guerres désespérées. Le problème de l'environnement n'est plus seulement désormais le problème de la qualité de la vie mais le problème de la vie tout court. Nous devons cesser de tirer des traites écologiques sur les générations à venir. Car cette dette a ceci de tragique qu'elle n'est pas remboursable. La vie détruite ne ressuscitera pas. Je défends donc l'idée qu'à côté du droit international du commerce, il doit exister avec la même force juridique un droit international de l'environnement.
2/ Ensuite, dans le monde d'aujourd'hui, nous agissons sous le regard informé et curieux de l'opinion publique nationale et mondiale. De ce fait, nous ne pouvons plus échapper à notre devoir moral de promotion de nos valeurs démocratiques. Avec la mondialisation, c'est une banalité, le monde est devenu un village. Mais puisqu'on est rapidement informé de tout, le silence devient davantage coupable. Le silence peut être expliqué et excusé par l'ignorance. Le silence n'est pas acceptable quand on sait. Or, la caractéristique du monde d'aujourd'hui, c'est qu'on sait tout et en temps réel. Dans le passé, on finissait par tout savoir, mais il y avait un décalage entre l'événement et la connaissance de l'événement. Ce décalage pouvait prendre des mois ou des années. Désormais, il se compte en heures. La conséquence de la mondialisation, c'est que le silence est devenu inacceptable.
Il est donc de notre devoir de tenter de mettre fin ensemble aux conflits qui mettent le feu aux poudres au Moyen Orient. Nous ne pouvons pas accepter de rester impuissants devant la montée des tensions et l'agressivité de certaines forces régionales. Or l'expérience des derniers mois montre que lorsque nous travaillons ensemble, Américains et Français, nous sommes efficaces.
Ainsi en a-t-il été avec le vote de la résolution 1559 du conseil de sécurité de l'ONU sur le Liban, qu'ensemble, Américains et Français, nous avons inspirée. C'est cette unité et cette détermination qui nous ont permis de soutenir la réaction nationale des Libanais et de provoquer le départ des troupes syriennes.
Aujourd'hui, je me réjouis du vote de la résolution 1701 et soutiens sans réserve la décision du président Chirac d'envoyer 2000 soldats au Liban pour servir au sein de la FINUL. On peut juger maladroite et disproportionnée l'intervention israélienne au Liban. La vérité est qu'il n'y a eu qu'un agresseur et c'est le Hezbollah. Israël avait le droit et le devoir de défendre ses citoyens. Le Hezbollah, quant à lui, a décidé de prendre en otage le peuple libanais dans une aventure insensée.
Je crois également indispensable que nous continuions à travailler ensemble à tenter de résoudre les conflits en Afrique. Je pense en particulier à la situation au Darfour. L'horreur quotidienne qui s'y est installée a rendu ce nom tristement familier. Le degré de violence et de cruauté à l'oeuvre rappelle les pires tragédies que le continent africain ait connues au cours des dernières décennies. Je connais l'implication du président Bush sur cette question. Il y a maintenant urgence à agir, pour que le Darfour ne reste pas une page honteuse de notre propre histoire, parce que notre indifférence, notre aveuglement, notre manque de courage, ou peut-être un peu tout cela à la fois, nous aurait fait détourner le regard du premier crime contre l'humanité du 21ème siècle.
Je l'ai dit, les défis sont nombreux, complexes. Nous nous heurterons probablement à de nouveaux échecs, à de nouvelles déconvenues. Mais le plus grand échec serait celui de l'inaction. Nous saurons faire face si nous sommes ensemble, forts de ce qui nous rapproche, et enrichis de nos différences. La division signifierait la reculade. Divisés nous perdrons. Alors c'est au nom de notre amitié vieille de plusieurs siècles que je vous dis, Mesdames et Messieurs, que les Français continueront à être pour vous des amis, c'est-à-dire des amis exigeants, des amis debout. Si nous sommes couchés, nous ne sommes pas des amis. Comptez sur moi pour continuer à vous dire notre part de vérité, mais en ami. Source http://www.u-m-p.org, le 13 septembre 2006