Texte intégral
A l'occasion de la première réunion du conseil d'administration d'UNITAID, nous avons franchi une étape majeure dans la mobilisation de la communauté internationale contre les grandes pandémies qui affectent les pays en développement. Cette étape est le fruit d'une volonté collective. Grâce aux efforts des Etats fondateurs et à ceux des organisations partenaires : l'OMS, l'ONUSIDA, l'UNICEF, le Fonds mondial de lutte contre le sida, grâce aussi au soutien des organisations non gouvernementales et des fondations privées telles que la Fondation Clinton, ce qui n'était encore qu'un projet, il y a quelques mois, devient une réalité.
Le 2ème message que je voudrais vous faire passer, c'est que le fonctionnement d'UNITAID répond à trois mots d'ordre : simplicité, transparence et ouverture.
Le fonctionnement d'UNITAID sera d'abord, avant tout, simple. Nous avons voulu éviter de créer une nouvelle bureaucratie en mettant en place des structures simples et légères. C'est l'objet de l'accord que nous avons passé, le 19 septembre dernier, avec l'OMS afin de permettre à cette structure d'héberger le Fonds fiduciaire d'UNITAID ainsi que son secrétariat et une dizaine de personnes dédiées à l'action d'UNITAID sur le coût des médicaments.
Le fonctionnement d'UNITAID sera transparent et ouvert. Le conseil d'administration réunit, pour moitié, des représentant des Etats à l'origine de l'initiative, et pour moitié des représentants des pays en développement et des organisations partenaires.
Ce matin, j'ai été élu président du Conseil d'administration d'UNITAID. Je suis très sensible à cet honneur et je remercie les membres du Conseil de leur confiance. Je vous confirme ma détermination à lancer très rapidement les premières actions d'UNITAID. En tant que président, j'appelle tous les pays à nous rejoindre dans cette entreprise historique. 19 pays se sont déjà engagés à mettre en oeuvre une contribution de solidarité sur les billets d'avion et à en affecter le produit à l'achat de médicaments dans le cadre d'UNITAID. Nous devons, nous pouvons, être encore plus nombreux.
Les premières actions d'UNITAID vont être lancées avec 50 millions d'euros, en 2006, et d'environ 300 millions d'euros en 2007. Elles porteront sur deux types de formulations pédiatriques pour mettre 100.000 enfants sous traitement anti-rétroviral et 150.000 enfants sous traitement anti-tuberculeux avant la fin 2007.
Voilà ce que nous voulons vous dire. Nous ne voulons surtout pas créer une nouvelle structure qui viendrait en redondance avec les autres organisations internationales. Nous voulons simplement mener des actions complémentaires à celles du Fonds mondial, de l'ONUSIDA et de l'OMS. Nous serons là où nous pourrons être le plus utile : la préqualification et le contrôle de la qualité des médicaments et puis, surtout, la négociation permettant d'obtenir les coûts les plus bas. Nous serons un levier, comme la fondation Clinton avant nous.
Ces recettes ont la caractéristique d'être pérennes. Elles ne peuvent pas être remises en cause par tel ou tel ministre du budget et elles s'additionnent aux financements que les pays accordent déjà à l'aide au développement.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - Pouvez-vous réagir à l'essai nucléaire nord-coréen et me donner votre opinion sur l'impact que la militarisation peut avoir sur la santé de l'humanité ?
R - Ce sont des sujets qui ne sont pas des sujets d'UNITAID. Nous sommes beaucoup plus centrés sur les pandémies, même si le sujet d'UNITAID est un sujet majeur de politique internationale.
A propos du sujet dont vous parlez, il est terrible de constater qu'il y a une course permanente à l'armement et j'ai envie de dire que l'essai nucléaire qui a eu lieu aujourd'hui en Corée du Nord est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Je l'ai condamné ce matin avec force. J'ai déclaré que cela posait un problème de sécurité internationale majeur. Je rappelle que, le 6 octobre dernier, le Conseil de sécurité avait manifesté sa préoccupation à la Corée du Nord. Il s'agit maintenant pour la France et les autres pays de demander à la communauté internationale de réagir fermement. Nous allons nous-même nous tourner vers le Conseil de sécurité, avec nos partenaires, pour réagir le plus vite possible.
Q - La France a établi une taxe sur les billets d'avion billets d'avion, je voudrais savoir quelle est la somme qui a été récoltée par ce biais ? Et vous avez mentionné qu'il y a 19 pays qui vont appliquer cette taxe : combien de pays l'ont déjà effectivement mise en place ?
R - D'abord, en ce qui concerne la France, nous avons prévu en effet, il y a maintenant à peu près un an et demi, que nous déciderons par une loi à l'Assemblée nationale et au Sénat français de mettre en place une contribution de solidarité obligatoire. Celle-ci est de 1 euro par billet d'avion pour les vols domestiques, de 1 euro pour tous les vols européens et de 4 euros pour les vols internationaux en dehors de l'Union européenne. Et elle peut être multipliée par 4 lorsque vous allez en business class ou en première classe. Cela a commencé le 1er juillet en France. Depuis le 1er juillet, chaque personne qui prend un billet d'avion, quelle que soit la compagnie, paie cette contribution. Cela va s'élever à environ 70 millions d'euros, je crois, pour l'année 2006, et cela représentera 200 millions d'euros en année pleine à partir de 2007. Nous avons en effet obtenu du Ministère des Finances que 95 % de cette contribution revienne à UNITAID. Et je conseillerais à tous mes collègues des Affaires étrangères qui parviendront à être suffisamment persuasif pour que leurs chefs d'Etat et de gouvernement mette UNITAID en place, qu'ils s'assurent bien que le ministre du Budget redonne à UNITAID les sommes perçues et qu'il ne le récupère pas au passage pour le budget de leur pays.
Ensuite, pourquoi d'autres pays ne nous ont pas encore rejoint ? Je crois qu'il reste tout un effort de persuasion à faire, je crois qu'il y a beaucoup de craintes dans les opinions publique, beaucoup de craintes parce que les compagnies d'aviation, parfois, font du lobbying pour dire que cela perturberait la concurrence... Il ne peut pas y avoir de concurrence puisque dans un pays qui décide d'accorder des fonds destinés à la solidarité, cette mesure s'applique pour toutes les compagnies sans aucune distinction. Il n'y a donc pas de phénomène de concurrence. Et je ne veux pas croire un seul instant qu'il y aura moins de billets d'avion vendus parce que l'on va payer un euro de plus par billet d'avion. Ce n'est pas vrai. En outre, il y a une augmentation annuelle, on le sait, de 5 % du nombre de billets d'avion vendus dans le monde. Je pense donc que la mondialisation aidant, il est normal de prendre un produit de la mondialisation comme le billet d'avion pour réguler les effets de celle-ci, qui aboutissent à un fossé de plus en plus important entre les pays riches et les pays pauvres.
Ces financements sont évidemment pérennes, et c'est la valeur ajoutée d'UNITAID par rapport aux fonds existants. Nous avons en effet trouvé, pour ceux qui ne veulent mettre en place des contributions de solidarité sur les billets d'avion, des solutions transitoires. Comme par exemple le Royaume-Uni qui s'est engagé à garantir une contribution budgétaire sur 20 ans, allant de 20 millions d'euros en 2007 à 60 millions d'euros à partir de 2010 jusqu'en 2027.
Q - Comment allez-vous répartir cette aide. Par exemple, si le gouvernement haïtien veut en profiter, quelle démarche doit-il entreprendre ?
R - Nous avons un Conseil d'administration pour une durée de 6 mois. Ce Conseil est composé de 10 membres, avec un secrétariat, qui va évidemment étudier en accord avec le Fonds mondial et l'OMS, tous les pays qui ont besoin de ce mécanisme. Et bien évidemment, l'élément le plus important pour nous, c'est d'avoir un système qui vient non pas se superposer mais qui est, je dirais, tout à fait conforme et complémentaire déjà des conseils scientifiques de l'OMS, du Fonds mondial, de l'UNICEF ou d'autres. Il ne faudra pas le faire sans les ministres de la Santé, sans les Etats, il faudra le faire avec l'accord des Etats. Je suis persuadé que pour ces différentes raisons, nous pouvons en effet travailler avec Haïti sans aucun problème, qu'Haïti participe ou ne participe pas à cette contribution.
Ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que c'est révolutionnaire. Ce n'est pas bilatéral. J'ai vu certains pays s'intéresser à la santé par des programmes bilatéraux. UNITAID, c'est exactement le contraire : c'est un programme multilatéral. C'est donc en fonction des besoins des pays que nous allons leur donner l'aide nécessaire. Si vous prenez l'avion un jour en France pour aller n'importe où dans le monde, vous êtes Monsieur X d'un pays Y qui allez donner à un autre monsieur ou une autre dame sur la planète dont on ne connaît pas le nom, dont on ne connaît pas non plus le pays. C'est ça qui est beau, c'est une démarche citoyenne mondiale. Ce n'est pas un pays qui aide un autre pays. C'est ce que vous disiez ce matin, cher amie de Norvège, lorsque vous disiez que c'était une sorte d'idée de taxe Tobin qu'il n'a jamais été possible de mettre en place. Mais c'est en effet la première fois qu'on arrive à mettre en place une taxe mondiale, une contribution mondiale, qui n'appartienne pas à un pays, ni en ce qui concerne les recettes, ni en ce qui concerne les dépenses. C'est ça l'idée. Et même si Haïti ne participe pas à UNITAID, parce qu'il n'a pas mis en place la contribution, il peut évidemment en bénéficier.
Q - (Inaudible)
R - La question qui se pose sur le financement de ces maladies se pose de manière globale. Si nous restons à ce niveau d'aide au développement aujourd'hui dans le monde, nous savons qu'il manque globalement 50 milliards de dollars par an pour lutter contre la pauvreté, la faim et les maladies. Voilà à peu près l'ordre de grandeur. Et lorsqu'on regarde les échanges financiers mondiaux dans une journée, vous allez me dire que 50 milliards, ce n'est strictement rien. Bien sûr, sauf qu'on ne les a pas trouvés. Donc il faut trouver de nouvelles voies. La question est donc la suivante : comment arriver à trouver de nouvelles voies ? Nous avons travaillé. En particulier le président Lula et le président Chirac avaient commandé à l'époque avec le Secrétaire des Nations unies Kofi Annan, un rapport. Ce rapport, le rapport "Landau" que je vous conseille de lire, est intéressant, il avance des idées. Parmi ces idées, il peut très bien y avoir la perception de 1 dollar par baril de pétrole. Pourquoi pas ? Il peut très bien avoir aussi 1 euro par billet d'avion. Il y a 10 ou 15 idées de financements innovants. Nous nous sommes arrêtés sur les billets d'avion parce qu'il fallait bien commencer par un mécanisme. Mais l'idée est qu'il ne s'agit que du début d'une expérience. C'est la raison pour laquelle nous avons une responsabilité majeure. Si elle fonctionne, il peut y avoir alors après d'autres idées pour que les effets de la mondialisation soient moins durs. Donc le chiffre, il est de 50 milliards, mais ça veut tout dire et rien dire. Il faut commencer par avoir quelque chose.
De plus, l'idée compassionnelle de pays du Nord qui donnent aux pays du Sud me paraît être aujourd'hui révolue. Nous devons rentrer dans une attitude de partenariat avec les pays du Sud. C'est la raison pour laquelle dans UNITAID, nous avons le plaisir et l'honneur de vous dire qu'il y aura autant de pays du Sud qui participeront que de pays du Nord, même si ce n'est pas à la même hauteur. Mais le fait qu'un pays accepte, même lorsqu'il est du Sud et lorsqu'il a des difficultés financières, de taxer un petit peu ses billets d'avions, est une bonne chose parce que cela fait partie d'une chaîne de solidarité internationale.
Enfin, avant de laisser la parole au directeur général de l'OMS, je voudrais ajouter quelque chose. Evidemment, il faudra associer à la démarche d'UNITAID sur les médicaments d'autres formes de développement comme le micro-crédit. Il fallait bien commencer par quelque chose. Il nous a paru que le médicament était quelque chose de tellement concret qu'il parlait à tous les citoyens du monde. Mais il est évident que ce n'est que le début, le premier pas d'une démarche nouvelle mondiale.
(...)
Q - Pourquoi la France n'a-t-elle pas choisi les billets de train ou les croisières de luxe. Pourquoi l'aviation ? Est-ce que vous pourriez nous donner une raison, pourquoi avez-vous ciblé l'aviation et pas les TGV ou d'autres secteurs, avez-vous une explication technique de ce choix ?
Deuxièmement, les gouvernements de manière générale, avec cette mesure que vous prenez, me donnent l'impression qu'ils renvoient la responsabilité du financement de la lutte contre toutes ces maladies vers le citoyen et donc se défaussent de cette responsabilité. C'est moi qui vais payer la taxe finalement de votre initiative. Et troisièmement, avez-vous pensé à ces 50 milliards de dollars nécessaires, comme vous le disiez. Si j'ai bien compris, le budget de l'Union européenne de subvention est de 40 milliards d'euros chaque année. Avez-vous pensé à utiliser ces subventions pour l'agriculture peut-être ?
R- D'abord pourquoi l'avion et pas le TGV ? Alors prenez le billet d'avion et prenez un billet de train et vous verrez que vous êtes sûr d'avoir un billet d'avion beaucoup plus cher qu'un billet de train et il est évident que lorsque vous demandez 1 dollar ou un demi-dollar lorsque vous prenez un billet d'avion Paris - Rio, je vous assure que je ne vois pas qui va remettre en cause le billet d'avion pour un euro ou 4 euros. Ce n'est pas possible quand on voit les prix. Et au départ, nous avions proposé de ne le faire que pour les billets d'avion transatlantiques ou transpacifiques pour d'autres pays.
Vous dites également "ne croyez-vous pas que l'on pourrait faire cela au niveau des budgets" ? De toute façon, in fine, ce sont les citoyens qui paient. Que ce soit par l'impôt ou par les Etats. Mais si vous remettez en cause chaque fois, chaque année, par chaque budget annuel, les financements de lutte contre les pandémies, vous n'arrivez pas à faire un levier suffisant sur le prix des médicaments. Alors si vous n'êtes pas sûr 3 ans après de ce que vous allez faire, vous ne pouvez pas faire un contrat, et vous ne pouvez donc pas baisser ces prix. Toute l'idée de la pérennité d'UNITAID est là. C'est dans la possibilité de pouvoir enfin avoir une vision à long terme.
Sur les agriculteurs et sur l'Union européenne, je veux simplement dire une chose : c'est que 80 % des exportations des produits agricoles des pays du Sud vont dans l'Union européenne. Alors avant qu'un pays nous fasse une leçon, et en particulier à la France qui est le premier pays exportateur, je voudrais simplement que les frontières soient poreuses aussi pour ceux qui nous donnent des leçons et qui ferment leurs frontières à ces produits. L'Union européenne a justement décidé d'ouvrir ses frontières aux produits agricoles africains. Je le dis parce que c'est quelque chose qui est répété partout et je préfère le dire tout de suite une bonne fois pour toute.
Q - Combien de pays africains aujourd'hui sont dans la liste et est-ce que vous comptez travailler avec les entreprises pharmaceutiques dans le cadre de cette initiative qui est aussi une très bonne aubaine pour eux ?
R - Il y a une dizaine de pays du Sud pour l'instant qui ont dit qu'ils participeraient. Il faut maintenant que cela passe au niveau des parlements mais j'ai rencontré le président Obasanjo récemment, le président de l'Union africaine et nous avons eu des contacts avec le Mali, avec le Sénégal... Je ne vais pas tous les citer mais nous avons aujourd'hui, à terme, je dirais, une dizaine de pays africains, plus d'autres pays du Sud, je pense à Madagascar, à Maurice...
Concernant l'industrie pharmaceutique, cela peut apparaître comme vous dites une aubaine pour elle. Moi je pars du principe que l'industrie pharmaceutique n'est pas une industrie comme les autres. Il s'agit bien sûr d'une industrie et elle est par définition amenée à faire des bénéfices ; mais elle est aussi une industrie au profit des malades Il faut donc qu'il y ait toujours un pourcentage d'argent qui puisse être donné à la recherche et au développement, je le comprends, qui est compris entre 20 et 25 %. Mais je dis aussi à l'industrie pharmaceutique que tous ces pays du Sud sont par définition des non-clients puisqu'ils ne peuvent pas acheter. Ce ne sont pas des clients. Et comme ils ne sont pas des clients et qu'ils n'ont pas de médicaments, ils meurent.
Il me paraît tout à fait normal que l'industrie pharmaceutique participe à l'opération UNITAID, non pas pour gagner de l'argent mais pour faire en sorte qu'on puisse soigner toute personne, qu'elle soit riche ou pauvre, sur la planète. A partir de là, il y a une concurrence qui va se mettre en place et nous allons avec l'argent que nous avons, mettre systématiquement en concurrence tous les groupes pharmaceutiques et en particuliers profiter des médicaments génériques et, que ce soit en Chine ou en Inde, des produits des matières premières qui permettent de faire des génériques. A une condition : c'est qu'il puisse y avoir avec les ministres de la Santé un travail de préqualification et que nous soyons à même, nous aussi, d'effectuer les contrôles nécessaires, afin d'être sûrs de pouvoir acheter les médicaments au meilleur prix.
Q - Il y a quelque instant, le Haut Représentant de l'OMS nous a dit que l'Europe n'arrivera pas à respecter l'objectif de développement concernant la tuberculose alors que la résistance des médicaments à la tuberculose est la pire des situations pour l'Afrique. Je me demande donc ce que vous avez l'intention de faire avec l'argent que vous récolterez de la part des citoyens européens. Enfin, pourquoi n'avez-vous pas choisi de taxer les transactions de l'Euronext ?
R - Si vous arrivez à nous aider à taxer d'autres produits internationaux, je veux bien. Mais quand je vois déjà les difficultés qu'il y a à expliquer aux différents gouvernements qu'un euro ou un dollar sur un billet d'avion, c'est indolore...
S'agissant de la tuberculose, nous avons une responsabilité particulière qui est de faire en sorte le plus vite possible qu'il y ait dans notre programme 2007 un accès plus aisé aux médicaments antibiotiques antituberculeux. Mais il faut également faire un travail tout à fait particulier envers les tuberculoses antibiorésistantes et cela a été présenté ce matin lors de notre Conseil d'administration. C'est une niche spécifique d'UNITAID.
Q - Appelez-vous de vos voeux l'inscription à l'agenda du prochain Sommet du G8 de la question du plein financement du Fonds mondial ?
R - Absolument ! C'est un appel qu'il faut faire d'urgence au G8 afin d'inscrire à son agenda la lutte contre le sida et de mettre en oeuvre les promesses de financement qui n'ont pas encore été tenues.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2006
Le 2ème message que je voudrais vous faire passer, c'est que le fonctionnement d'UNITAID répond à trois mots d'ordre : simplicité, transparence et ouverture.
Le fonctionnement d'UNITAID sera d'abord, avant tout, simple. Nous avons voulu éviter de créer une nouvelle bureaucratie en mettant en place des structures simples et légères. C'est l'objet de l'accord que nous avons passé, le 19 septembre dernier, avec l'OMS afin de permettre à cette structure d'héberger le Fonds fiduciaire d'UNITAID ainsi que son secrétariat et une dizaine de personnes dédiées à l'action d'UNITAID sur le coût des médicaments.
Le fonctionnement d'UNITAID sera transparent et ouvert. Le conseil d'administration réunit, pour moitié, des représentant des Etats à l'origine de l'initiative, et pour moitié des représentants des pays en développement et des organisations partenaires.
Ce matin, j'ai été élu président du Conseil d'administration d'UNITAID. Je suis très sensible à cet honneur et je remercie les membres du Conseil de leur confiance. Je vous confirme ma détermination à lancer très rapidement les premières actions d'UNITAID. En tant que président, j'appelle tous les pays à nous rejoindre dans cette entreprise historique. 19 pays se sont déjà engagés à mettre en oeuvre une contribution de solidarité sur les billets d'avion et à en affecter le produit à l'achat de médicaments dans le cadre d'UNITAID. Nous devons, nous pouvons, être encore plus nombreux.
Les premières actions d'UNITAID vont être lancées avec 50 millions d'euros, en 2006, et d'environ 300 millions d'euros en 2007. Elles porteront sur deux types de formulations pédiatriques pour mettre 100.000 enfants sous traitement anti-rétroviral et 150.000 enfants sous traitement anti-tuberculeux avant la fin 2007.
Voilà ce que nous voulons vous dire. Nous ne voulons surtout pas créer une nouvelle structure qui viendrait en redondance avec les autres organisations internationales. Nous voulons simplement mener des actions complémentaires à celles du Fonds mondial, de l'ONUSIDA et de l'OMS. Nous serons là où nous pourrons être le plus utile : la préqualification et le contrôle de la qualité des médicaments et puis, surtout, la négociation permettant d'obtenir les coûts les plus bas. Nous serons un levier, comme la fondation Clinton avant nous.
Ces recettes ont la caractéristique d'être pérennes. Elles ne peuvent pas être remises en cause par tel ou tel ministre du budget et elles s'additionnent aux financements que les pays accordent déjà à l'aide au développement.
Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
Q - Pouvez-vous réagir à l'essai nucléaire nord-coréen et me donner votre opinion sur l'impact que la militarisation peut avoir sur la santé de l'humanité ?
R - Ce sont des sujets qui ne sont pas des sujets d'UNITAID. Nous sommes beaucoup plus centrés sur les pandémies, même si le sujet d'UNITAID est un sujet majeur de politique internationale.
A propos du sujet dont vous parlez, il est terrible de constater qu'il y a une course permanente à l'armement et j'ai envie de dire que l'essai nucléaire qui a eu lieu aujourd'hui en Corée du Nord est un exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Je l'ai condamné ce matin avec force. J'ai déclaré que cela posait un problème de sécurité internationale majeur. Je rappelle que, le 6 octobre dernier, le Conseil de sécurité avait manifesté sa préoccupation à la Corée du Nord. Il s'agit maintenant pour la France et les autres pays de demander à la communauté internationale de réagir fermement. Nous allons nous-même nous tourner vers le Conseil de sécurité, avec nos partenaires, pour réagir le plus vite possible.
Q - La France a établi une taxe sur les billets d'avion billets d'avion, je voudrais savoir quelle est la somme qui a été récoltée par ce biais ? Et vous avez mentionné qu'il y a 19 pays qui vont appliquer cette taxe : combien de pays l'ont déjà effectivement mise en place ?
R - D'abord, en ce qui concerne la France, nous avons prévu en effet, il y a maintenant à peu près un an et demi, que nous déciderons par une loi à l'Assemblée nationale et au Sénat français de mettre en place une contribution de solidarité obligatoire. Celle-ci est de 1 euro par billet d'avion pour les vols domestiques, de 1 euro pour tous les vols européens et de 4 euros pour les vols internationaux en dehors de l'Union européenne. Et elle peut être multipliée par 4 lorsque vous allez en business class ou en première classe. Cela a commencé le 1er juillet en France. Depuis le 1er juillet, chaque personne qui prend un billet d'avion, quelle que soit la compagnie, paie cette contribution. Cela va s'élever à environ 70 millions d'euros, je crois, pour l'année 2006, et cela représentera 200 millions d'euros en année pleine à partir de 2007. Nous avons en effet obtenu du Ministère des Finances que 95 % de cette contribution revienne à UNITAID. Et je conseillerais à tous mes collègues des Affaires étrangères qui parviendront à être suffisamment persuasif pour que leurs chefs d'Etat et de gouvernement mette UNITAID en place, qu'ils s'assurent bien que le ministre du Budget redonne à UNITAID les sommes perçues et qu'il ne le récupère pas au passage pour le budget de leur pays.
Ensuite, pourquoi d'autres pays ne nous ont pas encore rejoint ? Je crois qu'il reste tout un effort de persuasion à faire, je crois qu'il y a beaucoup de craintes dans les opinions publique, beaucoup de craintes parce que les compagnies d'aviation, parfois, font du lobbying pour dire que cela perturberait la concurrence... Il ne peut pas y avoir de concurrence puisque dans un pays qui décide d'accorder des fonds destinés à la solidarité, cette mesure s'applique pour toutes les compagnies sans aucune distinction. Il n'y a donc pas de phénomène de concurrence. Et je ne veux pas croire un seul instant qu'il y aura moins de billets d'avion vendus parce que l'on va payer un euro de plus par billet d'avion. Ce n'est pas vrai. En outre, il y a une augmentation annuelle, on le sait, de 5 % du nombre de billets d'avion vendus dans le monde. Je pense donc que la mondialisation aidant, il est normal de prendre un produit de la mondialisation comme le billet d'avion pour réguler les effets de celle-ci, qui aboutissent à un fossé de plus en plus important entre les pays riches et les pays pauvres.
Ces financements sont évidemment pérennes, et c'est la valeur ajoutée d'UNITAID par rapport aux fonds existants. Nous avons en effet trouvé, pour ceux qui ne veulent mettre en place des contributions de solidarité sur les billets d'avion, des solutions transitoires. Comme par exemple le Royaume-Uni qui s'est engagé à garantir une contribution budgétaire sur 20 ans, allant de 20 millions d'euros en 2007 à 60 millions d'euros à partir de 2010 jusqu'en 2027.
Q - Comment allez-vous répartir cette aide. Par exemple, si le gouvernement haïtien veut en profiter, quelle démarche doit-il entreprendre ?
R - Nous avons un Conseil d'administration pour une durée de 6 mois. Ce Conseil est composé de 10 membres, avec un secrétariat, qui va évidemment étudier en accord avec le Fonds mondial et l'OMS, tous les pays qui ont besoin de ce mécanisme. Et bien évidemment, l'élément le plus important pour nous, c'est d'avoir un système qui vient non pas se superposer mais qui est, je dirais, tout à fait conforme et complémentaire déjà des conseils scientifiques de l'OMS, du Fonds mondial, de l'UNICEF ou d'autres. Il ne faudra pas le faire sans les ministres de la Santé, sans les Etats, il faudra le faire avec l'accord des Etats. Je suis persuadé que pour ces différentes raisons, nous pouvons en effet travailler avec Haïti sans aucun problème, qu'Haïti participe ou ne participe pas à cette contribution.
Ce que je voudrais vous faire comprendre, c'est que c'est révolutionnaire. Ce n'est pas bilatéral. J'ai vu certains pays s'intéresser à la santé par des programmes bilatéraux. UNITAID, c'est exactement le contraire : c'est un programme multilatéral. C'est donc en fonction des besoins des pays que nous allons leur donner l'aide nécessaire. Si vous prenez l'avion un jour en France pour aller n'importe où dans le monde, vous êtes Monsieur X d'un pays Y qui allez donner à un autre monsieur ou une autre dame sur la planète dont on ne connaît pas le nom, dont on ne connaît pas non plus le pays. C'est ça qui est beau, c'est une démarche citoyenne mondiale. Ce n'est pas un pays qui aide un autre pays. C'est ce que vous disiez ce matin, cher amie de Norvège, lorsque vous disiez que c'était une sorte d'idée de taxe Tobin qu'il n'a jamais été possible de mettre en place. Mais c'est en effet la première fois qu'on arrive à mettre en place une taxe mondiale, une contribution mondiale, qui n'appartienne pas à un pays, ni en ce qui concerne les recettes, ni en ce qui concerne les dépenses. C'est ça l'idée. Et même si Haïti ne participe pas à UNITAID, parce qu'il n'a pas mis en place la contribution, il peut évidemment en bénéficier.
Q - (Inaudible)
R - La question qui se pose sur le financement de ces maladies se pose de manière globale. Si nous restons à ce niveau d'aide au développement aujourd'hui dans le monde, nous savons qu'il manque globalement 50 milliards de dollars par an pour lutter contre la pauvreté, la faim et les maladies. Voilà à peu près l'ordre de grandeur. Et lorsqu'on regarde les échanges financiers mondiaux dans une journée, vous allez me dire que 50 milliards, ce n'est strictement rien. Bien sûr, sauf qu'on ne les a pas trouvés. Donc il faut trouver de nouvelles voies. La question est donc la suivante : comment arriver à trouver de nouvelles voies ? Nous avons travaillé. En particulier le président Lula et le président Chirac avaient commandé à l'époque avec le Secrétaire des Nations unies Kofi Annan, un rapport. Ce rapport, le rapport "Landau" que je vous conseille de lire, est intéressant, il avance des idées. Parmi ces idées, il peut très bien y avoir la perception de 1 dollar par baril de pétrole. Pourquoi pas ? Il peut très bien avoir aussi 1 euro par billet d'avion. Il y a 10 ou 15 idées de financements innovants. Nous nous sommes arrêtés sur les billets d'avion parce qu'il fallait bien commencer par un mécanisme. Mais l'idée est qu'il ne s'agit que du début d'une expérience. C'est la raison pour laquelle nous avons une responsabilité majeure. Si elle fonctionne, il peut y avoir alors après d'autres idées pour que les effets de la mondialisation soient moins durs. Donc le chiffre, il est de 50 milliards, mais ça veut tout dire et rien dire. Il faut commencer par avoir quelque chose.
De plus, l'idée compassionnelle de pays du Nord qui donnent aux pays du Sud me paraît être aujourd'hui révolue. Nous devons rentrer dans une attitude de partenariat avec les pays du Sud. C'est la raison pour laquelle dans UNITAID, nous avons le plaisir et l'honneur de vous dire qu'il y aura autant de pays du Sud qui participeront que de pays du Nord, même si ce n'est pas à la même hauteur. Mais le fait qu'un pays accepte, même lorsqu'il est du Sud et lorsqu'il a des difficultés financières, de taxer un petit peu ses billets d'avions, est une bonne chose parce que cela fait partie d'une chaîne de solidarité internationale.
Enfin, avant de laisser la parole au directeur général de l'OMS, je voudrais ajouter quelque chose. Evidemment, il faudra associer à la démarche d'UNITAID sur les médicaments d'autres formes de développement comme le micro-crédit. Il fallait bien commencer par quelque chose. Il nous a paru que le médicament était quelque chose de tellement concret qu'il parlait à tous les citoyens du monde. Mais il est évident que ce n'est que le début, le premier pas d'une démarche nouvelle mondiale.
(...)
Q - Pourquoi la France n'a-t-elle pas choisi les billets de train ou les croisières de luxe. Pourquoi l'aviation ? Est-ce que vous pourriez nous donner une raison, pourquoi avez-vous ciblé l'aviation et pas les TGV ou d'autres secteurs, avez-vous une explication technique de ce choix ?
Deuxièmement, les gouvernements de manière générale, avec cette mesure que vous prenez, me donnent l'impression qu'ils renvoient la responsabilité du financement de la lutte contre toutes ces maladies vers le citoyen et donc se défaussent de cette responsabilité. C'est moi qui vais payer la taxe finalement de votre initiative. Et troisièmement, avez-vous pensé à ces 50 milliards de dollars nécessaires, comme vous le disiez. Si j'ai bien compris, le budget de l'Union européenne de subvention est de 40 milliards d'euros chaque année. Avez-vous pensé à utiliser ces subventions pour l'agriculture peut-être ?
R- D'abord pourquoi l'avion et pas le TGV ? Alors prenez le billet d'avion et prenez un billet de train et vous verrez que vous êtes sûr d'avoir un billet d'avion beaucoup plus cher qu'un billet de train et il est évident que lorsque vous demandez 1 dollar ou un demi-dollar lorsque vous prenez un billet d'avion Paris - Rio, je vous assure que je ne vois pas qui va remettre en cause le billet d'avion pour un euro ou 4 euros. Ce n'est pas possible quand on voit les prix. Et au départ, nous avions proposé de ne le faire que pour les billets d'avion transatlantiques ou transpacifiques pour d'autres pays.
Vous dites également "ne croyez-vous pas que l'on pourrait faire cela au niveau des budgets" ? De toute façon, in fine, ce sont les citoyens qui paient. Que ce soit par l'impôt ou par les Etats. Mais si vous remettez en cause chaque fois, chaque année, par chaque budget annuel, les financements de lutte contre les pandémies, vous n'arrivez pas à faire un levier suffisant sur le prix des médicaments. Alors si vous n'êtes pas sûr 3 ans après de ce que vous allez faire, vous ne pouvez pas faire un contrat, et vous ne pouvez donc pas baisser ces prix. Toute l'idée de la pérennité d'UNITAID est là. C'est dans la possibilité de pouvoir enfin avoir une vision à long terme.
Sur les agriculteurs et sur l'Union européenne, je veux simplement dire une chose : c'est que 80 % des exportations des produits agricoles des pays du Sud vont dans l'Union européenne. Alors avant qu'un pays nous fasse une leçon, et en particulier à la France qui est le premier pays exportateur, je voudrais simplement que les frontières soient poreuses aussi pour ceux qui nous donnent des leçons et qui ferment leurs frontières à ces produits. L'Union européenne a justement décidé d'ouvrir ses frontières aux produits agricoles africains. Je le dis parce que c'est quelque chose qui est répété partout et je préfère le dire tout de suite une bonne fois pour toute.
Q - Combien de pays africains aujourd'hui sont dans la liste et est-ce que vous comptez travailler avec les entreprises pharmaceutiques dans le cadre de cette initiative qui est aussi une très bonne aubaine pour eux ?
R - Il y a une dizaine de pays du Sud pour l'instant qui ont dit qu'ils participeraient. Il faut maintenant que cela passe au niveau des parlements mais j'ai rencontré le président Obasanjo récemment, le président de l'Union africaine et nous avons eu des contacts avec le Mali, avec le Sénégal... Je ne vais pas tous les citer mais nous avons aujourd'hui, à terme, je dirais, une dizaine de pays africains, plus d'autres pays du Sud, je pense à Madagascar, à Maurice...
Concernant l'industrie pharmaceutique, cela peut apparaître comme vous dites une aubaine pour elle. Moi je pars du principe que l'industrie pharmaceutique n'est pas une industrie comme les autres. Il s'agit bien sûr d'une industrie et elle est par définition amenée à faire des bénéfices ; mais elle est aussi une industrie au profit des malades Il faut donc qu'il y ait toujours un pourcentage d'argent qui puisse être donné à la recherche et au développement, je le comprends, qui est compris entre 20 et 25 %. Mais je dis aussi à l'industrie pharmaceutique que tous ces pays du Sud sont par définition des non-clients puisqu'ils ne peuvent pas acheter. Ce ne sont pas des clients. Et comme ils ne sont pas des clients et qu'ils n'ont pas de médicaments, ils meurent.
Il me paraît tout à fait normal que l'industrie pharmaceutique participe à l'opération UNITAID, non pas pour gagner de l'argent mais pour faire en sorte qu'on puisse soigner toute personne, qu'elle soit riche ou pauvre, sur la planète. A partir de là, il y a une concurrence qui va se mettre en place et nous allons avec l'argent que nous avons, mettre systématiquement en concurrence tous les groupes pharmaceutiques et en particuliers profiter des médicaments génériques et, que ce soit en Chine ou en Inde, des produits des matières premières qui permettent de faire des génériques. A une condition : c'est qu'il puisse y avoir avec les ministres de la Santé un travail de préqualification et que nous soyons à même, nous aussi, d'effectuer les contrôles nécessaires, afin d'être sûrs de pouvoir acheter les médicaments au meilleur prix.
Q - Il y a quelque instant, le Haut Représentant de l'OMS nous a dit que l'Europe n'arrivera pas à respecter l'objectif de développement concernant la tuberculose alors que la résistance des médicaments à la tuberculose est la pire des situations pour l'Afrique. Je me demande donc ce que vous avez l'intention de faire avec l'argent que vous récolterez de la part des citoyens européens. Enfin, pourquoi n'avez-vous pas choisi de taxer les transactions de l'Euronext ?
R - Si vous arrivez à nous aider à taxer d'autres produits internationaux, je veux bien. Mais quand je vois déjà les difficultés qu'il y a à expliquer aux différents gouvernements qu'un euro ou un dollar sur un billet d'avion, c'est indolore...
S'agissant de la tuberculose, nous avons une responsabilité particulière qui est de faire en sorte le plus vite possible qu'il y ait dans notre programme 2007 un accès plus aisé aux médicaments antibiotiques antituberculeux. Mais il faut également faire un travail tout à fait particulier envers les tuberculoses antibiorésistantes et cela a été présenté ce matin lors de notre Conseil d'administration. C'est une niche spécifique d'UNITAID.
Q - Appelez-vous de vos voeux l'inscription à l'agenda du prochain Sommet du G8 de la question du plein financement du Fonds mondial ?
R - Absolument ! C'est un appel qu'il faut faire d'urgence au G8 afin d'inscrire à son agenda la lutte contre le sida et de mettre en oeuvre les promesses de financement qui n'ont pas encore été tenues.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2006