Texte intégral
Q - Je crois que le moment est venu, Monsieur le Ministre, de nous dire quelles leçons ou quelles orientations vous avez perçues dans cette discussion, et dans ces témoignages.
R - Pour moi, cela a été très enrichissant. J'ai appris beaucoup de choses. Je ne voudrais pas répéter ce qu'a dit M. Severino, qui a souligné l'émergence du monde de l'entreprise dans cette conscience sociale collective. C'est nouveau. Ce qui m'a beaucoup intéressé dans cette table ronde, c'est que je me suis rendu compte que l'entreprise pouvait, en réalité, intervenir de plusieurs manières.
D'abord, par rapport à son personnel, à son personnel exposé, par exemple, s'agissant du contact avec les seringues. Ou même, et personne ne l'a dit, en termes de communication interne. Je pense qu'il y a de plus en plus de personnes qui vivent aujourd'hui de manière citoyenne, à l'échelle mondiale. Pour eux, leur vie ne se limite pas aux frontières de leur quartier. Je dirais même qu'il y a d'un côté leur quartier, et de l'autre le monde aujourd'hui. Une entreprise se doit aussi de répondre à ce rendez-vous.
Ensuite, une entreprise peut s'impliquer par son ou ses métiers : j'ai été très intéressé par ce qu'a dit mon voisin (groupe Accor). Lorsqu'il y a des centaines de milliers de gens dans des chambres d'hôtel, on peut mener une action extraordinaire sur la prévention et sur les préservatifs. C'est vrai que c'est difficile de le faire, mais il faut le faire.
Je ferais une autre remarque. On ne l'a pas dit tout à l'heure, mais il faut savoir que Sanofi-Aventis traite la tuberculose, ou une grande partie des malades de la tuberculose, Monsieur le Président, en Afrique du Sud. Personne ne le sait. Mais c'est une entreprise privée qui agit, par le choix de son président, qui pourrait très bien ne pas le faire. Cela fait partie des initiatives qui jouent un rôle important.
Enfin, il faut replacer l'entreprise dans son environnement politique. J'ai été passionné par cette question. D'un côté il y a l'environnement global, par exemple, la vision culturelle qu'un pays a du sida. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, quelqu'un qui a le sida est déclassé socialement, il devient un sous-citoyen. De l'autre, il y a les aspects de santé publique. C'est le grand sujet. Est-ce que votre action, ou l'action même de ceux qui veulent réduire le prix des médicaments, a un intérêt s'il n'y a pas un minimum de système de santé publique dans le pays ? J'ai vu que vous travaillez - comme Areva au Niger, ou Péchiney au Cameroun- avec des gouvernements, et c'est fondamental. Je trouve que la Banque mondiale ne travaille pas suffisamment sur les sujets de santé publique. C'est la raison pour laquelle j'espère que les 34 pays qui auront la responsabilité de voter pour désigner le prochain directeur général de l'OMS, choisiront un responsable politique. Car je crois à la politique, à la politique de santé publique. Je pense que c'est bien d'être un technicien, mais ce sont les responsables politiques qui doivent mener l'action.
Enfin, j'ai appris, par la représentante de Total, qu'il y avait en Angola 60 médecins formés par an pour 15 millions de personnes. C'est un sujet politique de santé publique. Notre action ne sert à rien s'il n'y a que 60 médecins formés par an en Angola.
Je crois, comme l'a souligné le représentant de l'ONUSIDA, que le secteur privé peut nous aider en termes d'efficacité. Et il faut reconnaître qu'il a des habitudes d'efficacité, Monsieur l'Ambassadeur, que le secteur public n'a pas, même si M. Severino prouve tous les jours le contraire.
Pour conclure, je demanderais : quand est-ce qu'un énorme plan Marshall pour les pays du Sud va être mis en place? Quand va-t-on se décider à empêcher une énorme catastrophe, et à mener un travail non pas compassionnel mais de partenariat, avec en particulier l'Afrique ? Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 octobre 2006