Entretien de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, avec "LCI", le 30 janvier 2001, sur le coût de la crise de la vache folle, les relations franco-allemandes, la coopération entre les deux pays dans la construction européenne et la cohabitation.

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Texte intégral

Q - Je vous reçois au lendemain d'un Conseil agricole difficile à Bruxelles et à la veille d'une rencontre franco-allemande à Strasbourg qui ne sera peut-être pas seulement placée sous le signe de la gastronomie. A Bruxelles hier, il a surtout été question de la vache folle. On a évalué le coût de ce problème qui touche toute l'Europe maintenant : 9 milliards d'euros et on n'a pas de quoi payer. La situation est, dit-on, alarmante. Que va-t-il se passer ?
R - Nous sommes en train chaque jour de découvrir les conséquences de cette maladie qui est d'abord un problème de santé publique, un problème financier ensuite, et de société avant tout. Donc, on constate effectivement que l'état de la situation est préoccupant, notamment du fait de la montée des stocks de viande, suite au changement de consommation. Et tout cela a, bien sûr, des coûts dans une politique agricole commune européenne, qui doit les assumer. De premières évaluations ont été faites. Il faudra les confirmer. Mais elles montrent effectivement qu'il y a un problème de financement important. Il va falloir l'examiner. Ce ne serait pas honnête de vous donner une réponse aujourd'hui, alors que le constat a été fait seulement hier. Mais on peut penser à quelques pistes. Je les prends par ordre, simplement par esprit de logique : l'augmentation des recettes, c'est-à-dire, face à un coût une nouvelle recette ...
Q - C'est à dire augmentation des impôts ....
R - Non, pas exactement. Je vous rappelle qu'il y a un plafond de recettes pour le financement de l'Union européenne qui est de 1,27 % du PIB et nous sommes aujourd'hui à 1,09 % . Donc, nous sommes encore assez loin du plafond. On pourrait faire cela, mais évidemment, on encourt immédiatement la critique de l'augmentation des impôts. Deuxième solution : on peut déplacer certaines ressources du budget de l'Union européenne vers cela.
Q - Si je traduis, on reventile les subventions...
R - Cela peut être deux choses. Cela peut être d'autres rubriques. Mais on comprendrait mal que l'on retire de l'argent de notre politique envers les pays de l'Est ou envers le Kosovo pour le diriger vers le dossier la vache folle. Ou encore, on peut effectivement bouger à l'intérieur du budget agricole, c'est-à-dire aller des céréales vers la viande. Mais cela a aussi des conséquences. Il faut examiner tout cela mais il y a une chose que l'on ne peut pas examiner : il y a un an et demi, nous sommes parvenus à Berlin à une solution sur le financement futur de l'Union européenne jusqu'en 2006, élargissement compris. C'est ce que l'on a appelé l'agenda 2000. Cela a été une discussion extrêmement serrée. On ne peut pas la remettre en cause.
Q - On ne peut pas la remettre en cause ?
R - Non, on ne peut pas la remettre en cause. Il y avait eu justement un débat sur la Politique agricole commune...
Q - On n'avait pas prévu la vache folle !
R - On n'avait pas prévu la vache folle, mais, encore une fois, on peut bouger à l'intérieur des différentes rubriques du budget. On ne peut pas dire que la politique agricole commune peut être pénalisée par cela et du coup, remettre en cause sa structure même et le financement des productions agricoles et de nos marchés.
Q - Ce sera fait à l'intérieur de l'agenda 2000, et rien que cela ?
R.- Pour la France, l'agenda 2000 est la règle qui vaut de l'année 2000 à l'année 2006. C'est notre loi commune en matière de financement de l'Union européenne. Il ne peut pas y en avoir d'autre. Il peut y avoir des adaptations, il peut y avoir des mouvements, mais on ne va pas remettre sur la table l'ensemble du paquet financier. Je vous assure, pour l'avoir négocié, que ce serait quelque chose de pratiquement infaisable.
Q - Demain, dîner à trois : Jacques Chirac, Lionel Jospin, Gerhard Schröder, aux environs de Strasbourg, pour une rencontre informelle qui sera, paraît-il, une grande explication car le moteur franco-allemand n'en finit pas de redémarrer... il est en panne, il redémarre... actuellement, il a l'air tout à fait stoppé. Comment faire pour que la relation franco-allemande retrouve un rythme normal ?
R - D'abord, on ne peut pas dire que le moteur soit stoppé. Si nous regardons nos relations qui sont tellement denses ...
Q - Bien sûr, elles ne sont pas inexistantes.
R - Non seulement elles ne sont pas inexistantes, mais elles sont fondamentales ! Quand nous avons fait l'euro, nous l'avons fait ensemble. Quand nous coopérons au sein de l'Eurogroupe, cela se fait ensemble. Laurent Fabius et Hans Eichel travaillent vraiment la main dans la main. Quand nous parlons d'industrie de défense, nous en parlons ensemble. Quand nous parlons de défense européenne, nous sommes ensemble...
Q - Alors qu'est-ce-qui ne va pas ?
R - Ce qui est vrai, c'est qu'au cours de deux des dernières présidences de l'Europe, la présidence allemande et la présidence française, les Français et les Allemands, pour des raisons qui tenaient à des choses profondes, n'ont pas eu les mêmes positions sur des sujets importants. Par exemple, nous parlions de la vache folle : c'est sous présidence allemande que nous avons adopté l'agenda 2000. L'Allemagne était favorable à ce que l'on appelle le co-financement de la politique agricole, qui aurait été une forme de renationalisation de celle-ci. Nous étions contre. Et pendant la présidence française, nous n'avons pas eu la même position sur la CIG.
Cela a un peu désorienté nos partenaires, qui sont habitués à ce qu'il y ait des positions communes franco-allemandes. Donc, je crois qu'il faut être capable, lors de cette réunion, de se dire des choses très franchement, de faire l'état des lieux, de voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas, et de décider ensemble comment redéfinir une coopération politique franco-allemande, qui est absolument indispensable à l'Europe, car il n'y a pas d'alternative à ce moteur franco-allemand. Quand ce moteur ne fonctionne pas à plein régime, l'Europe balbutie. Donc, nous avons besoin d'une explication franche , amicale, qui débouche sur une redéfinition de notre coopération et sur une véritable relance pour qu'à nouveau, nous soyons capables d'avancer ensemble dans cette Europe qui va s'élargir et qui est confrontée à des défis sans précédent.
Q - Actuellement, le Chancelier Schröder aurait plutôt les yeux de Chimène pour les Etats-Unis. Il a publié une tribune dans un journal allemand qui a été également publiée dans le Monde où il dit : "George Bush peut compter sur nous" et où il chante les louanges de la relation germano-américaine et non pas euro-américaine...
R - Ce n'est pas une novation. Les pays d'Europe ont une position différente par rapport aux Etats-Unis. Nous sommes tous les amis des Etats-Unis. La France aussi a une relation très forte avec les Etats-Unis. Mais c'est une relation qui est marquée par plus d'autonomie, notamment sur le plan militaire ou de la défense, dans ses rapports à l'OTAN. Je ne suis pas choqué par cela et ce ne sera pas le sujet qui sera évoqué demain. Le sujet qui va nous occuper est le suivant : quelle Europe voulons-nous ? Comment sommes-nous capable de penser politiquement une Europe qui souhaite à la fois...
Q - Une Europe fédérale ?
R - Fédérale et nationale, cette fédération des Etats-nations dont parlait Jacques Delors et qui résume bien ces deux caractéristiques : une Europe communautaire et une Europe qui tient compte des réalités nationales. D'ailleurs, les Allemands savent aussi défendre leurs intérêts nationaux.
Q - On dit que c'est à cause de la cohabitation que les choses ne fonctionnent pas bien entre la France et l'Allemagne, que finalement, ces blocages français agacent les Allemands . Vous, vous avez l'air de porter un chapeau puisqu'on vous qualifie d'arrogant.
R - D'abord, sur la cohabitation, je ne crois pas, sincèrement, qu'elle soit pour la moindre chose dans ces dysfonctionnements...
Q - Vous n'en croyez pas un mot !!!
R - Non, non !! Permettez-moi de développer : pendant la Présidence française, toutes les décisions, je dis bien toutes, ont été prises ensemble. La France a parlé d'une seule voix, y compris à Nice. Donc, non, ce n'est pas la cohabitation qui influe en quoi que ce soit sur notre politique européenne. Je dirais que c'est un sujet un peu préservé de la cohabitation, et heureusement, puisqu'il s'agit de politique extérieure.
Quant aux qualificatifs dont on m'affuble, ce sont des chapeaux ou des stéréotypes. Serais-je à moi tout seul un stéréotype national, à ajouter au "dictionnaire des idées reçues" de Flaubert ? Car vous savez bien que les Italiens sont paresseux, les Espagnols ombrageux, les Allemands hégémoniques et les Français arrogants....

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 février 2001)