Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le rôle, les missions et la composition du Comité d'éthique du ministère des affaires étrangères, Paris le 20 novembre 2006.

Prononcé le

Circonstance : Installation du comité d'éthique du ministère des affaires étrangères le 20 novembre 2006 à Paris

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les Membres du Comité d'éthique,
Monsieur le Secrétaire général,
Messieurs les Secrétaires généraux adjoints,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Représentants des organisations syndicales,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Permettez-moi tout, tout d'abord, de vous dire combien je suis heureux de vous accueillir, aujourd'hui, au Quai d'Orsay et, pourquoi le cacher, combien je suis heureux de la circonstance qui nous réunit. C'est-à-dire l'installation du Comité d'éthique du ministère des Affaires étrangères.
Il y a quelques mois, j'avais souhaité que l'on étudie la création d'une instance qui aurait pour mission d'aider l'Administration, d'aider les agents de ce ministère, à agir en toutes circonstances dans le respect de l'éthique qui s'impose à tous les agents qui travaillent au service de l'Etat.
L'ambassadeur, M. Dejammet, que je salue, a bien voulu défricher ce sujet austère. Il m'a fait des propositions, que j'ai intégralement retenues, et je voudrais le remercier pour son rapport dont la clairvoyance a très largement inspiré l'arrêté du 21 juillet 2006 qui formalise la création du Comité d'éthique.
Je souhaite également témoigner ma vive reconnaissance à celles et à ceux qui, en acceptant de devenir les tous premiers membres de ce nouveau comité, apporteront leur autorité et leur expérience : Mme Hélène Gisserot, procureur général honoraire auprès de la Cour des Comptes, qui a bien voulu accepter la présidence du Comité d'éthique ; M. Michel Gentot, président de section honoraire au Conseil d'Etat ; M. Jean-François Burgelin, procureur général honoraire auprès de la Cour de Cassation ; M. Pierre Achard, inspecteur général honoraire des Finances ; M. Noël Copin, président d'honneur de Reporters sans Frontières, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous.
Votre expérience de l'action administrative, de ses contraintes, de ses réalités et parfois aussi de ses dérives, votre connaissance de la vie économique et plus généralement des évolutions de notre société, sont le gage de l'autorité et de l'impartialité du comité qui voit le jour aujourd'hui.
Cinq des plus hauts fonctionnaires du Département, en raison des charges qu'ils occupent, siègeront à vos côtés. Ils connaissent plus particulièrement les questions d'ordre déontologique qui peuvent se présenter dans l'exercice du métier de diplomate.
Le Comité d'éthique me paraît ainsi bien armé pour remplir sa mission, avec la hauteur de vue nécessaire et la perception appropriée des problèmes et des réalités.
Pourquoi un Comité d'éthique au Quai d'Orsay ? Tout simplement parce que la vie administrative change. Les exigences morales qui pèsent sur les agents de l'Etat sont légitimement fortes. Les carrières sont moins linéaires qu'autrefois dans les parcours individuels des fonctionnaires. La séparation entre le secteur privé et le secteur public est moins nette. Dans le cadre de leur activité professionnelle, les rencontres entre les agents de l'Etat et le monde de l'entreprise sont plus nombreuses.
Il n'y a là ni critique ni regret, bien au contraire. La société est plus ouverte. La mobilité est grande. Les secteurs privés et publics oeuvrent plus souvent ensemble. D'ailleurs, qui s'en plaindrait, dès lors que l'intérêt général et l'intérêt de la nation sont les objectifs de ces efforts conjoints.
En conséquence, il faut, plus qu'avant, fixer ou rappeler les règles, tracer des frontières, marquer ce qui peut ou non se faire et, surtout, ce qui ne peut se faire que dans certaines conditions. Ce qui relevait autrefois du simple bon sens, parce que les mondes publics et privés étaient très clairement distincts, nécessite aujourd'hui des avis plus détaillés et circonstanciés, adaptés au cas par cas.
Pour les agents de ce ministère, ces évolutions rendent plus utiles que jamais d'avoir la possibilité de se référer à une doctrine clairement établie, connue de tous et, dans certains cas, de pouvoir obtenir une réponse précise face à une situation donnée.
Pour ceux d'entre eux qui sont en poste à l'étranger, cette possibilité de pouvoir s'informer et plus essentielle encore car le chef de poste n'a pas toujours, là où il se trouve, les moyens de se faire un jugement complet. Parce qu'une situation donnée, anodine dans un pays, semblera malvenue ou inopportune dans un autre.
Je pense notamment à l'association de moyens publics et privés pour organiser une manifestation, aux parrainages que les entreprises proposent parfois aux acteurs publics, aux demandes d'utilisation des bâtiments diplomatiques pour promouvoir les produits français. Il n'y a rien de plus normal pour un ambassadeur que d'ouvrir son ambassade pour faire la promotion de produits français. Il n'est nullement question ici de faire la chasse à ces pratiques, de s'arc-bouter sur une séparation étanche entre le public et le privé. Pourquoi d'ailleurs refuser ce qui peut concourir aux intérêts de la France en démultipliant les moyens de notre influence. Mais en rappelant les règles, en les faisant connaître de manière simple et claire, on permettra aux agents, en France et en poste, d'adapter et d'adopter, en toute sérénité les comportements qui conviennent.
Il en va de même pour les carrières. La mobilité apporte au secteur public comme au secteur privé un enrichissement précieux offrant la possibilité de comparer des manières différentes de travailler et de mieux comprendre des préoccupations et des impératifs qui gouvernent la décision publique, d'un côté, l'action du secteur privé, de l'autre. Pourtant à l'évidence, le départ temporaire ou définitif d'un agent de l'Etat vers une entreprise doit respecter des principes élémentaires de déontologie inscrits dans les textes en vigueur et mis en oeuvre par la Commission nationale de déontologie de la fonction publique de l'Etat. C'est pour moi l'occasion de remercier son président, le conseiller d'Etat Michel Bernard pour le concours qu'il a apporté à notre réflexion.
Mais, au-delà de ces nouveaux rapports existant entre le public et le privé, il est une autre considération plus fondamentale encore : l'exigence d'éthique correspond en effet aux attentes des citoyens qui sont aussi des contribuables. La Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, à laquelle se réfère notre Constitution, nous le rappelle. La société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration.
Cette attente s'exprime sous une forme particulière à l'égard des acteurs de notre politique étrangère. L'action publique, menée au-delà des frontières est, en effet, porteuse de l'image de notre pays et de ses valeurs. Pour ceux qui ont la charge de représenter la France dans le monde, c'est une obligation ardente que d'être irréprochable aux yeux de tous. Il en va de la crédibilité de l'action de l'Etat, et de celle des principes que notre action extérieure entend promouvoir.
Je dois d'ailleurs dire que les premiers à demander une aide dans leur action quotidienne et des repères précis, sont précisément les agents du Département, qui partagent avec les autres fonctionnaires de l'Etat, l'héritage d'une très ancienne tradition administrative française qui remonte aux origines-mêmes de l'Etat en France et qui, très tôt à lié fonction publique et dévouement, fonction publique et intégrité, fonction publique et vente publique.
Dans un monde plus complexe, où, comme je le rappelais, les acteurs privés et publics, nationaux et internationaux, se mêlent chaque jour davantage, les points de repères sont, plus que jamais, indispensables pour conserver le meilleur de cette tradition : le désintéressement, la neutralité, la soumission au Droit.
Voilà ce que je souhaitais vous dire pour commencer cette journée. Je dirai également que ces points de repères sont d'autant plus nécessaires que nos agents sont sollicités, bien davantage que par le passé, par les médias. Il leur est couramment demandé d'expliquer leur action, de répondre rapidement aux interrogations des journalistes ou du public. Le fonctionnaire, longtemps protégé de cette évolution, y est désormais soumis. A juste titre, le Département encourage depuis plusieurs années nos diplomates à intervenir davantage dans les médias locaux pour présenter, mettre en valeur, et si besoin, défendre les positions de la France. Leurs collègues d'autres pays le font depuis longtemps et il est bien naturel que les Représentants de la France à l'étranger fassent également entendre leur voix.
Que peut dire publiquement un fonctionnaire en poste à l'étranger ? Que peut-il écrire lorsqu'il appartient à l'Administration puis, lorsqu'il l'a quittée ? Ces questions, là encore, impliquent un aggiornamento des critères qui s'appliquaient autrefois et qui, aujourd'hui, sont peut-être plus compliqués à définir. Ils avaient auparavant le mérite de la simplicité puisque, sauf rarissime exception, un fonctionnaire ne s'exprimait jamais publiquement. Au demeurant, ce réexamen doit rester fidèle aux principes immuables que sont l'obligation de réserve, la loyauté et le respect du secret. Car, si la liberté d'opinion des fonctionnaires est garantie par la loi, elle s'exerce à l'évidence dans un cadre particulier qui est celui de l'action de l'Etat. S'y ajoute, pour les diplomates, un impératif particulier de discrétion à l'égard des acteurs de la vie internationale. Et si l'appréciation a priori de ces obligations relève de la responsabilité des agents, il devient chaque jour plus nécessaire de les aider à cerner la latitude dont ils disposent.
Notre Comité aura donc la tâche essentielle, à partir des textes applicables et de la jurisprudence, de proposer des principes à caractère général ou des solutions spécifiques qui concilient le meilleur de la tradition de notre Fonction publique et les nombreuses évolutions que je viens d'évoquer en matière de partenariat public-privé, de diversification des carrières ou de communication publique. Il va de soi que le Comité n'est pas, et n'a pas vocation à devenir, une instance nouvelle en matière de création de règles ou en matière de cas individuels, car les textes applicables existent déjà. Le Comité n'a pas besoin de formation normative ou disciplinaire. Sa force réside justement en son rôle de conseil et d'avis rendus en totale indépendance, sans empiéter sur les compétences de l'Administration ou celles des structures paritaires qui demeurent entières.
Au moment où vous entamez vos travaux, Madame La présidente, Mesdames et Messieurs les Membres du Comité, il me semble que votre action pourrait s'articuler, dans un premier temps autour de trois grands axes.
D'abord, mener une réflexion sur la notion même d'éthique et de déontologie dans le cadre particulier des activités des agents du ministère des Affaires étrangères, en France et en poste à l'étranger, et formuler des propositions visant à en assurer la promotion, tant au stade de la formation des agents que durant leur carrière, puis, surtout, lorsque celle-ci s'achève.
Le deuxième axe consiste à mettre à la portée de tous les agents les règles applicables en matière de déontologie à travers un document simple et concret, une sorte de vade-mecum de l'éthique du Département. Ce document permettra aux agents de connaître les règles et les principes auxquels ils doivent se conformer tout au long de leur carrière comme au-delà. Cela permettra pour l'agent concerné de connaître les moyens d'obtenir des orientations de la part de l'Administration, éclairé chaque fois que possible par votre Comité lorsqu'il se trouve confronté à des situations qui suscitent des interrogations en matière de déontologie.
Enfin, votre Comité pourra rendre des avis à la demande de l'Administration sur les questions relatives à l'application des règles de déontologie.
Pour conclure, je souhaite ajouter un dernier commentaire. Je connais les hautes compétences et le dévouement remarquable des agents de ce ministère. J'ai pu constater, Monsieur le Secrétaire général, leur sens de l'Etat, leur attachement aux valeurs du Service public, la rigueur avec laquelle ils accomplissent leur mission. Je sais aussi qu'ils font un métier qui peut les exposer à des situations nouvelles, parfois inattendues, d'autant plus difficiles à traiter que l'on est éloigné de l'administration centrale. C'est pourquoi je suis heureux d'installer aujourd'hui ce Comité dont j'ai souhaité la création. Je sais qu'il répond à une vraie attente de la part du Département dans son ensemble et des agents individuellement, afin qu'ils continuent d'agir selon l'exigence de probité, de dévouement au bien public et de désintéressement qui fait l'honneur de notre Administration.
Mme Catherine Colonna, qui est ici, se joint à moi pour former des voeux très sincères de succès à votre Comité. Je tiens, une fois encore, à remercier Hélène Gisserot et tous les membres du Comité d'avoir accepté cette responsabilité, et je leur dis bien sûr : "bon travail". En installant ce nouveau Comité, je voudrais enfin vous dire que je pense à cette évolution de la société et de l'espérance de vie. Plus l'espérance de vie va augmenter, plus il y aura une vie après la vie professionnelle. Il est évident, lorsque l'on connaît l'intelligence, la rigueur, la probité, la culture des personnes qui ont fait une des plus belles carrières dans cette Maison, qu'ils seront appelés, ici ou là, à avoir d'autres responsabilités, ne serait-ce que des activités de conseils dans un autre secteur, qui est le secteur privé. Je pense donc qu'il est nécessaire que vous réfléchissiez à un certain nombre de règles, que vous les déterminiez et que vous les écriviez pour l'avenir, sachant que cette Maison pourrait un jour évoluer vers des carrières plus rapides pour les jeunes et des retraites prises plus tôt, pour ceux qui seront plus expérimentés.
Merci beaucoup d'avoir accepté ce difficile travail.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2006