Tribune de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Défense nationale" du 1er mars 2007, sur les priorités de la construction européenne dans le cadre de la mondialisation, intitulée "L'Europe dans la mondialisation".

Prononcé le 1er mars 2007

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Média : Défense nationale

Texte intégral

L'Europe dans la mondialisation
Depuis bientôt 50 ans et la signature du Traité de Rome le 25 mars 1957, l'Europe s'est construite avec succès. Elle a ainsi ancré la paix, la liberté et la démocratie sur le continent, à tel point que cette incroyable réussite semble si naturelle qu'elle est parfois oubliée des jeunes générations. N'oublions jamais de rappeler que ces biens si précieux ne sont jamais acquis si on ne les défend pas. Mais prenons conscience aussi de ce que les aspirations de nos peuples à l'égard de l'Europe, loin de décroître, se sont élargies et diversifiées à des domaines pour lesquels elle n'avait pas été conçue à l'origine. Indépendance énergétique, lutte contre le changement climatique, réduction des inégalités de développement dans le monde, lutte contre le terrorisme : à chaque fois, tous se tournent spontanément vers l'Europe, à juste titre d'ailleurs, pour en attendre l'impulsion ou l'action décisive.
Dans ce contexte, il me semble que le fil d'Ariane de ces nouvelles attentes, la nouvelle mission que nous devons assigner à l'Europe, aux côtés de la paix et de la démocratie, c'est de faire de l'Europe une puissance dans la mondialisation. Le 21ème siècle est pour l'Europe une chance à saisir.
1. La mondialisation n'est pas une idéologie mais un fait, qui métamorphose les échanges internationaux, le travail, les équilibres, mais aussi notre vie quotidienne. Or l'Europe est bien le cadre qu'il nous faut pour nous adapter à la mondialisation : c'est sa taille, son espace, sa population - 3ème groupe humain après la Chine et l'Inde - et sa place de 1ère puissance économique mondiale, qui la font écouter et respecter dans les enceintes internationales, telles que l'Organisation mondiale du Commerce ou les conférences environnementales.
Sur le plan économique, la France bénéficie tous les jours de l'ouverture de l'Europe au monde. Avec 1 % de la population mondiale, elle est le 5ème exportateur mondial de marchandises, le 4ème exportateur de services, et, au sein de l'OCDE, la 3ème terre d'accueil des investissements étrangers. Le marché intérieur européen, qui représente les 2/3 du chiffre d'affaires de nos entreprises, constitue pour celles-ci une base solide. Les nouveaux Etats membres y contribuent chaque jour davantage : nos exportations y ont quadruplé en 10 ans pour atteindre 13 milliards d'euros en 2005. Contrairement à bien des idées reçues, ce sont donc d'ores et déjà des milliers d'emplois qui se sont créés ou ont été maintenus en France grâce à l'élargissement.
Les politiques communes mises en oeuvre par l'Europe contribuent aussi à son dynamisme. Sur la scène internationale, la politique commerciale commune nous aide à défendre nos intérêts commerciaux : intérêts défensifs pour nous protéger contre les pratiques commerciales déloyales ; intérêts offensifs pour conquérir de nouveaux marchés dans les pays tiers, et spécialement les pays émergents. L'Europe contribue aussi à la cohésion sociale et territoriale : les fonds structurels, qui représenteront au total 308 milliards d'euros entre 2007 et 2013, permettent à ceux qui en ont le plus besoin de refaire leur retard et de se développer. Cette politique de cohésion devient, dans le nouveau budget, la première politique de l'Union. La création prochaine d'un fonds d'ajustement à la mondialisation, qui sera doté de 500 millions d'euros par an, et que la France a fortement soutenu, va également dans la bonne direction.
Enfin, avec la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, l'Europe s'est dotée des bons objectifs : relancer les taux d'activité dans les Etats membres, faire les réformes nécessaires, investir massivement dans la recherche et le développement, pratiquer le développement durable. Une fois cette stratégie énoncée, il faut l'appliquer résolument ; le budget communautaire pour 2007-2013, qui atteindra 864 milliards d'euros, en est une bonne illustration : les dépenses liées à la stratégie de Lisbonne devraient représenter jusqu'à 30 % de ce montant. Mais il reste encore beaucoup à faire pour reprendre cette stratégie dans nos politiques nationales. Nous nous y efforçons, notamment grâce à l'élaboration des Programmes nationaux de Réforme transmis depuis un an par chaque Etat membre à la Commission et donnant lieu à évaluation. Il faut poursuivre ces efforts de réforme nationaux en nous encourageant mutuellement à avancer : c'est aussi cela, l'Europe.
Car, alors même que la France a bénéficié largement du nouveau jeu économique mondial, nous ne devons pas mésestimer les inquiétudes que la mondialisation continue de susciter. Nombreux sont ceux qui redoutent ces évolutions, sans toujours bien les connaître d'ailleurs, ou qui pensent que la mondialisation de l'économie entraîne une remise en cause sans précédent de notre modèle social, où les plus faibles risquent de rester à l'écart. Dans ce contexte, l'Europe elle-même a pu apparaître à certains non comme une chance pour tirer le meilleur parti de ces réalités nouvelles, mais comme le symbole de notre impuissance, voire comme le symbole des excès de la mondialisation. C'est inexact. C'est injuste. Mais il faut tenir compte de cette perception.
Nous ne devons pas non plus nous voiler la face sur la réalité de notre performance collective : l'Europe est encore loin d'être la zone la plus compétitive du monde, comme les chefs d'Etat ou de gouvernement s'en étaient donné l'objectif en 2000 à l'horizon 2010. Sa croissance est inférieure sur le long terme à celle de ses concurrents, ses investissements de recherche et développement trop modestes, sa population est vieillissante : autant d'indicateurs d'une certaine faiblesse de notre continent face au dynamisme de l'économie mondiale et notamment à celui des grands pays émergents. Cette atonie économique fait écho à la langueur politique qui menace le projet européen. De fait, elles ne sont pas étrangères l'une à l'autre.
2. Que devons-nous faire pour répondre à cette nouvelle donne ? Les réponses sont connues et des actions ont été engagées depuis un certain temps déjà. Elles mériteraient d'être rapidement approfondies.
Au plan économique, pour gagner et réussir la mondialisation, l'impératif pour l'Europe, c'est de jouer en équipe. Ceci passe par le renforcement de la coordination des politiques économiques, la poursuite de la construction du marché intérieur fondé sur des règles, l'harmonisation lorsqu'elle est nécessaire, par exemple en matière fiscale, le renforcement du dialogue de l'eurogroupe avec la Banque Centrale Européenne, dans le respect de son indépendance.
L'adaptation économique de l'Union européenne passe aussi par l'accélération de sa politique d'innovation et de recherche. L'Union européenne ne consacre en effet à ses dépenses de recherche et développement qu'un peu moins de 2 % de son PIB, contre plus de 2,5 % pour les Etats-Unis et de 3 % pour le Japon. Nous sommes conscients des efforts qu'il reste à produire, tant sur les dépenses privées que sur les dépenses publiques. Et nous nous sommes engagés dans la bonne direction : en France, au niveau national, la loi de programme sur la recherche adoptée en avril 2006 prévoit un effort de 19,4 milliards d'euros supplémentaires entre 2005 et 2010. Au niveau européen, le budget de la recherche de l'Union dépassera 54 milliards d'euros pour la période 2007-2013, soit une augmentation moyenne pour la période de plus de 36 % par rapport à 2006. Nous devrons aussi améliorer les règles européennes en matière d'innovation, y compris en matière de brevets : au Conseil européen de Lahti en octobre 2006, le président de la République a fait des propositions pour sortir du blocage actuel et prendre appui sur le cadre communautaire pour unifier le contentieux des brevets en Europe.
De même, chacun est maintenant conscient de la nécessité d'une mise en place aussi rapide que possible de l'Europe de l'énergie, avec trois objectifs principaux : la sécurité d'approvisionnement, la compétitivité, le respect de l'environnement. Depuis un an, la France a formulé des propositions pour avancer sur ce dossier. La Commission européenne a adopté le 10 janvier 2007 une proposition pour un plan d'action européen pour les trois prochaines années, dans lequel figurent de nombreuses idées portées par la France : développement des investissements en infrastructures, mesures destinées à réduire de 20 % la consommation énergétique à horizon 2020, réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre, développement des énergies renouvelables et des biocarburants, contribution essentielle du nucléaire à la réduction des gaz à effet de serre, prévisions pluriannuelles en matière de production et de transport d'électricité et de gaz, renforcement de la coordination des régulateurs nationaux : tout ceci, qui est loin de se réduire à la seule libéralisation des marchés, est essentiel pour bâtir une politique de l'énergie pour l'Europe.
Enfin, nous devons également muscler nos entreprises plongées au coeur de la mondialisation. Cela passe par l'évolution du droit de la concurrence, qui doit aller de pair avec la mise en place de véritables champions européens de taille mondiale. Cela passe aussi par une réorientation de la politique commerciale européenne vers de nouveaux partenaires (les grands pays émergents, l'Asie, l'Amérique du Sud), de nouveaux sujets (les services, l'investissement, la propriété intellectuelle) et de nouveaux équilibres (avec en particulier la promotion des normes sociales et environnementales). Cela passe enfin par le soutien aux PME - c'est tout le sens du projet de Small Business Act européen que soutient la France, et qui permettrait d'améliorer l'accès des PME aux marchés publics et serait donc favorable à l'innovation comme à l'emploi. D'autres, comme les Etats-Unis, le Canada, la Corée, le font déjà. Pourquoi pas l'Europe ?
3. Mais l'Europe doit faire plus et mieux que d'adapter ses forces vives à la réalité de la mondialisation. Elle a l'opportunité de devenir une puissance globale dans un monde en pleine mutation, qui n'est plus bipolaire ni unipolaire et cherche ses nouveaux équilibres. Elle doit s'assumer comme une idée d'avenir, porteuse d'un modèle de développement économique et social propre. En réalité, elle a même pour vocation de contribuer à définir les règles du jeu d'une mondialisation maîtrisée.
L'équilibre entre ouverture et règles était d'ailleurs au coeur du Traité de Rome : aux quatre grandes libertés (de circulation des personnes, des capitaux, des marchandises et des services) répondait, dès l'origine, l'élaboration de politiques communes destinées à poser des règles du jeu : politique de la concurrence, politique commerciale, harmonisation des règles du marché intérieur. Et l'intégration progressive du continent est allée de pair avec la poursuite de l'harmonisation, le développement de nouvelles politiques (protection des consommateurs, environnement, justice et affaires intérieures, défense) et, pour maintenant 13 Etats membres, l'adoption de la même monnaie, là encore sur la base de règles communes.
Cette capacité réglementaire de l'Union, lorsqu'elle respecte le principe de subsidiarité, n'est pas un fardeau supplémentaire destiné à compliquer la vie des citoyens, mais, au contraire, une chance pour en finir avec les zones de non-droit de la mondialisation. De fait, le seul poids du marché unique donne un écho planétaire aux normes industrielles définies par l'Europe. Ainsi, le règlement REACH, destiné à enregistrer et à évaluer tous les produits chimiques en circulation dans l'Union, a-t-il été adopté en décembre 2006 et constituera-t-il une législation de référence qui s'imposera aux entreprises du monde entier. En un mot, l'Union doit savoir exporter ses règles.
Bien plus : au-delà de sa capacité normative, l'Union européenne représente une expérience sans précédent de 50 ans de vie commune. Quelles que soient ses difficultés actuelles, l'Europe peut ainsi faire bénéficier d'autres ensembles régionaux et les institutions multilatérales de son expérience unique à faire vivre concrètement une souveraineté commune à plusieurs Etats. Car la construction européenne, modèle d'intégration inter-étatique sans égal dans le monde, constitue une forme partielle, mais exemplaire, d'humanisation de la mondialisation à l'échelle d'un continent.
C'est d'ailleurs l'une des marques de fabrique de l'Union européenne sur la scène internationale que de contribuer activement à l'élaboration de règles internationales et, par-dessus tout, d'oeuvrer au respect de celles-ci par les Etats qui composent la communauté internationale. L'Union européenne a ainsi joué un rôle déterminant dans la négociation et l'entrée en vigueur des principaux grands traités internationaux de ces dernières années, qu'il s'agisse des Accords de Marrakech de 1994 créant l'OMC, du Protocole de Kyoto en 1997, ou encore de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle signé à Paris, à l'Unesco, en 2005. L'Union européenne joue aussi un rôle essentiel pour faciliter au quotidien la recherche d'un consensus autour des textes qui sont adoptés à l'ONU.
Exemple d'une paix retrouvée entre les nations grâce à un système juridique original, l'Union européenne a naturellement vocation à être le promoteur du recours à la négociation et au droit comme moyen de régler les différends entre Etats. Surtout, l'Europe est engagée pour ancrer dans le corpus juridique international les valeurs universelles qui ont présidé à la construction européenne, notamment dans les domaines des Droits de l'Homme, du droit du travail et de la défense de l'environnement.
Devenir un acteur global dans la mondialisation est un bel objectif pour l'Europe. Il suppose volonté, conviction et courage. Il suppose aussi de réussir rapidement une réforme des institutions. L'Europe devra bien sûr se donner les moyens de fonctionner mieux. Elle devra aussi apprendre à mieux cibler et à mieux coordonner son action vers tout ce qui prépare l'avenir. De même, la mise en place d'un véritable ministre des Affaires étrangères européen, s'appuyant sur un service européen d'action extérieure est une réforme indispensable dans le contexte nouveau créé par la globalisation, car la voix de l'Europe est attendue dans le monde. Sur toutes les questions portant sur l'avenir des institutions, la Présidence allemande de l'Union européenne ouvre au cours de ce premier semestre 2007 une période qui devra s'achever au plus tard fin 2008, sous présidence française, afin de doter l'Union des institutions rénovées dont elle a besoin. Je forme le voeu que la Déclaration de Berlin, qui sera adoptée le 25 mars par les 27 pour commémorer le cinquantième anniversaire du Traité de Rome, permette aussi de réaffirmer nos valeurs et notre ambition commune à relever ensemble les défis du XXIème siècle.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 mars 2007