Déclaration de M. Pascal Clément, ministre de la justice, sur la coopération internationale contre le terrorisme et la mise en place d'un réseau international de magistrats spécialisés, à Paris le 8 mars 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Première réunion du Réseau international des magistrats anti-terroristes, Paris le 8 mars 2007

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
La lutte contre le terrorisme est un enjeu majeur pour nos démocraties.
La menace se mondialise et s'étend à tous les pays. Les motifs les plus divers conduisent des individus à se livrer à toutes sortes d'exactions.
Le terrorisme qu'il repose sur des fondements nationalistes, philosophiques ethniques ou religieux n'est pourtant jamais justifié. Il a le plus souvent pour
conséquence de multiplier les victimes ou de déstabiliser les pays sans jamais permettre l'obtention d'évolutions politiques tangibles et durables.
Le terrorisme est d'autant moins admissible quand il frappe des pays qui autorisent et garantissent l'expression démocratique de toutes les opinions.
Les terroristes visent alors non seulement à causer des dommages physiques aux personnes mais cherchent également à porter atteintes aux fondements
politiques des pays qu'ils frappent.
Par ailleurs, la mise en oeuvre de législation d'exception mal supportée par les populations est souvent l'objectif des terroristes qui ne peuvent espérer
prospérer dans des sociétés équilibrées.
C'est dire que le combat contre le terrorisme ne peut se résumer à une rhétorique guerrière ou policière mais doit intégrer une dimension supplémentaire qui
est celle de la compatibilité de nos dispositifs de lutte contre le terrorisme avec nos principes juridiques fondamentaux.
C'est pourquoi, nous sommes particulièrement fiers malgré les menaces existantes et les actes terroristes commis contre nos pays de pouvoir traiter les
auteurs de ceux-ci dans des cadres juridiques qui permettent de garantir les droits de chacun, les droits des victimes bien sur mais également ceux des
auteurs d'actes de terrorisme.
S'il faut rendre hommage aux agents des forces de sécurité qui mènent quotidiennement des actions courageuses et déterminées contre les réseaux terroristes,
je souhaite également saluer par votre intermédiaire, le rôle déterminant joué par tous les juges et procureurs qui dirigent et coordonnent les enquêtes,
portent l'action publique aux audiences ou jugent les affaires de terrorisme.
Ce travail exemplaire réalisé démontre bien que l'on peut tout à la fois allier efficacité et respect du droit.
Cette efficacité passe je le crois par des rencontres régulières entre ceux qui confrontés aux mêmes difficultés, partagent les mêmes valeurs.
C'est donc, un immense plaisir pour moi que de procéder à l'inauguration de ce nouveau réseau qui rassemblera les magistrats en charge de la lutte contre le
terrorisme provenant de nombreux pays.
L'utilité de sa mise en place m'est apparue évidente face à une actualité terroriste toujours aussi importante, et compte tenu du constat qu'une telle
rencontre n'avait jamais été jusqu'alors organisée, les réunions multilatérales sur le sujet ayant principalement une vocation opérationnelle.
Je tiens à saluer à ce propos le Président d'Eurojust qui anime avec son équipe ces échanges opérationnels et qui pourra compléter utilement vos échanges par
l'approche globale que permet un point de vue à l'échelle de l'Europe.
Je souhaite pour ma part que ce réseau de Paris ne fasse pas double emploi avec ce qui existe déjà mais soit un outil supplémentaire à la disposition des
professionnels qui disposeront ainsi d'une structure légère et permanente d'échange sur les problématiques de la lutte judiciaire contre le terrorisme.
A l'instar de ce qui peut exister au sein de la communauté internationale du renseignement, je souhaite qu'il forme un groupe informel de professionnels de
bonne volonté qui cherchent ensemble les meilleurs moyens de collaborer et ainsi de mieux lutter contre le terrorisme.
La mise en oeuvre des systèmes de centralisation des procédures en matière terroriste dans nos différents pays m'a semblé pouvoir être un axe fort de vos
premiers échanges dans le cadre de ce réseau.
La France forte de son expérience, souhaite faire partager au plus grand nombre sa conviction à savoir qu'une lutte judiciaire efficace contre le terrorisme
passe par cette centralisation. Mais je sais que vous êtes nombreux autour de cette table à déjà partager cet avis.
Si l'initiative de sa création en revient à la France, ce réseau, à mes yeux, doit devenir un cercle de réflexion et d'échange permettant aux professionnels
de la lutte judiciaire contre le terrorisme de se rencontrer dans une enceinte spécialement dédiée à cet effet.
Son périmètre est bien évidemment susceptible de s'élargir à d'autres pays qui sont déjà dotés d'un système centralisé pour lutter contre ce fléau ou qui
seraient désireux de mettre en place un tel système.
Cette première réunion a pour objectif de dégager des pistes de réflexion sur les apports de la centralisation des poursuites, de l'instruction et du
jugement des faits terroristes. Le système français a désormais vingt ans et il est régulièrement réactualisé afin de s'adapter au mieux à l'état de la
menace.
Sur un plan interne, une réflexion a déjà été menée par la France sur la lutte contre le terrorisme grâce au travail interministériel entamé en 2005, qui a
permis la rédaction d'un livre blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme dont un exemplaire est à votre disposition aujourd'hui.
Cette réflexion française a abouti à des mesures concrètes intégrées dans la loi du 23 janvier 2006 :
- aggravation des peines de l'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme afin d'assurer une répression adaptée face à des
agissements qui sont au plus près de l'accomplissement d'une action meurtrière,
- centralisation de l'application des peines, qui constitue l'achèvement de la centralisation des poursuites et de l'instruction et du jugement précédemment
mise en place par la loi du 9 septembre 1986.
Cette centralisation post sentencielle est apparue indispensable afin d'assurer l'homogénéité du traitement de la détention des terroristes condamnés. En
effet, au stade de l'application des peines, un regard unique doit être porté sur les membres d'une organisation démantelée, afin que des décisions
cohérentes soient rendues, sans considération du lieu de détention des intéressés.
La présence aujourd'hui du juge de l'application des peines français en charge des détenus terroristes permettra, si vous le voulez, un échange sur la mise
en oeuvre de cette nouvelle centralisation.
Les initiatives prises au cours de ces dernières années ne doivent pas faire oublier que la réflexion sur le sujet doit toujours être en mouvement.
A ce titre, la mise en place d'un réseau de magistrats de différents pays en charge de la lutte contre le terrorisme m'est apparu être un nouveau vecteur
indispensable.
Par cette ouverture, par cet échange, par cette réflexion commune qui aujourd'hui, grâce à votre présence, rassemble diverses régions du monde, j'ai souhaité
que nos différences soient dépassées, que notre cohésion soit renforcée.
Nous serons plus forts dans la lutte contre le terrorisme en étant ensemble et en acquérant une meilleure connaissance de l'organisation de la lutte dans
chacun de nos pays.
Aujourd'hui, doivent être abordés les sujets techniques que sont l'association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et l'exploitation du
renseignement en procédure judiciaire.
L'association de malfaiteur terroriste, permet de poursuivre les terroristes avant la commission d'actions violentes, c'est à mon sens le socle même de la
prévention du terrorisme. Les magistrats français sont prêts sur ce point à faire partager leurs expériences.
Concernant le deuxième thème vous serez sans doute nombreux à vous interroger sur les conditions dans lesquelles il est possible d'intégrer les
renseignements obtenus par divers canaux dans des procédures judiciaires. Cette question est en effet fondamentale. Il n'y a pas de lutte efficace contre le
terrorisme sans renseignement, mais l'exploitation de celui-ci dans un cadre judiciaire doit concilier la protection des sources, le principe du
contradictoire et le respect des droits de la défense, c'est dire combien cette question est fondamentale et mérite débat.
D'autres questions pourront être évoquées à l'avenir si vous le décidez, dans le cadre de ce réseau, comme le financement du terrorisme ou le prosélytisme en
milieu carcéral.
J'ai pris 'initiative de cette rencontre mais j'aimerais que la prochaine réunion de ce nouveau réseau puisse être organisée dans un de vos pays.
Je vous souhaite des échanges les plus fructueux et les plus riches.
Et vous remercie de votre attention.Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 mars 2007