Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur "France Inter" le 6 mars 2007, sur les suppressions d'emplois prévus chez Airbus, les problèmes engendrés par la gouvernance franco-allemande ainsi que sur la nécessité de diminuer la dette publique de la France.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- "Le fleuron de l'industrie européenne", "Airbus la merveille du monde"... est en grève aujourd'hui. Cela vous inspire quoi ?
R- D'abord, je dirais que ce qui se passe sur Airbus n'est pas une surprise. C'est difficile, c'est un sujet complexe, c'est un sujet sur lequel les salariés sont mobilisés car ils veulent comprendre leur avenir, mais c'est un sujet qui n'est pas nouveau. Vous savez, en effet, que depuis plusieurs mois, il a été rendu public qu'Airbus, comme l'avait fait en son temps Boeing, devait impérativement, pour se préparer à la nouvelle génération des avions qui sont en composite, c'est-à-dire des matériaux nouveaux, une génération qui va voir le jour entre 2012 et 2027, le nouveau cycle, eh bien Airbus devait se préparer à cette échéance. Se préparer cela veut dire...
Q- Dégraisser ? Cela veut dire dégraisser ?
R- Non ces mots ne font pas partie de mon vocabulaire, car il s'agit de salariés.
Q- Bon, ça veut dire se séparer de 10.000 personnes alors ?
R- Ces mots ne font pas partie de mon vocabulaire car il s'agit de salariés. Cela veut dire faire en sorte que sur les quatre ans qui viennent, je dis bien sur les quatre ans qui viennent, sans licenciement sec, je dis bien sans licenciement sec, on puisse donner de la visibilité sur l'ensemble des sites européens et faire en sorte qu'Airbus, qui comporte aujourd'hui 55.000 salariés, plus 30.000 sous-traitants en direct sur les sites, à l'horizon 2010 on portera par des départs en retraite, par des départs négociés sans licenciement sec, de 55.000 à 50.000 salariés et les sous-traitants de 30.000 à 25.000. Avec de la visibilité parce qu'il faut donner de la visibilité et faire en sorte que les sites puissent se préparer à cette échéance et faire en sorte enfin qu'Airbus puisse aborder la phase 2012-2027, en position de leader comme il l'a été jusqu'à présent.
Q- Rien de nouveau sous le soleil, disiez vous donc, on était au courant et on savait. D'où vient alors le sentiment que le rideau se déchire et le désarroi des salariés d'Airbus qui manifestent, on en a vu certains émus aux larmes, dans des reportages à la télévision et qui ont l'impression de tomber de très très haut.
R- D'abord, vous savez, des plans de cette nature, ils sont toujours extrêmement préoccupants, angoissants, tant qu'ils ne sont pas connus. Or, tout le monde savait que L. Gallois, le président directeur général d'Airbus, travaillait depuis des mois et des mois sur ce plan. Je le redis parce qu'il n'est pas le seul. Vous savez, Boeing a traversé une crise similaire il y a trois ans, cela a coûté la tête à trois présidents directeurs généraux successifs en quatre ans. Et puis également, parce qu'aux Etats-Unis, on n'est pas en Europe et heureusement qu'en Europe on est comme nous sommes, 30.000 suppressions d'emplois chez Boeing. Alors, ce n'est pas pareil, nous on donne de la visibilité, nous on prend soin de faire en sorte que personne ne soit laissé sur le bord de la route. Et pus surtout, vous savez, le pire dans des cas comme ceux-ci, c'est l'attente. Maintenant au moins, on sait qu'il n'y aura personne qui sera laissé sur le bord de la route. En France par exemple, sur les sites qui sont concernés, il y a trois sites qui sont concernés : le site de Méaulte dans la Somme, le site de Saint-Nazaire Ville qui va fusionner avec Saint-Nazaire Bron à 4 km, donc sans problèmes majeurs, et puis, le siège, à Toulouse, qui va passer de 4.000 salariés à 3.000 salariés sur 4 ans et où tout le monde trouvera une solution.
Q- Vous en êtes certain de ça ? On entendait les reportages ce matin dans les différents journaux de France Inter, il y a une inquiétude très forte, il y a du désarroi ?
R- Cette inquiétude est compréhensible et légitime, je vous dis, oui j'en suis certain car j'ai confiance en L. Gallois. Je rappelle d'abord que l'Etat français est actionnaire indirect, et je le dis pour nos auditeurs, pas pour nous défausser mais pour qu'ils comprennent, l'Etat français est un actionnaire indirect issu d'un pacte qui a été mis en oeuvre - je ne jette la pierre à personne - mais il faut comprendre l'histoire et notre histoire. Ce pacte a été mis en oeuvre par D. Strauss-Kahn et L. Jospin en 1999, dans des négociations difficiles avec les Allemands. Normalement la France aurait dû avoir 60 % et la partie allemande 40 %, finalement, pour des raisons qu'il ne m'appartient pas de commenter, ils ont cédé en faisant du 50-50, ce qui ne simplifie pas les choses et puis surtout, parce que les Allemands ne souhaitaient pas que l'Etat soit actionnaire en direct, on a créé une holding dans laquelle l'Etat a logé ses actions avec - écoutez-moi bien - aucun pouvoir direct de l'Etat actionnaire, précisément filtré à travers cette holding et en faisant en sorte que l'Etat ne pouvait ni nommer d'administrateurs ni encore moins de dirigeants.
Q- On a senti une valse hésitation, que ce soit dans les propos de N. Sarkozy ou même dans les vôtres, sur le rôle précisément de l'Etat. Dans un premier temps, on a dit qu'il fallait recapitaliser cette entreprise et laisser les industriels faire de l'industrie ; assez de mélange des genres. Et depuis quelques heures, quelques jours, revirement ! Et maintenant c'est l'Etat qui est appelé à la rescousse. Alors où en est-on exactement ?
R- Mes propos ont toujours été les mêmes sur ce dossier depuis des mois et des années. Je le redis très clairement : à partir du moment où les deux actionnaires industriels, comme le pacte les y autorise, ont décidé de réduire un petit peu leurs participations, ils sont venus me voir et j'ai dit - on était en 2005 - au nom du Gouvernement français, que non seulement l'Etat ne vendrait pas ses actions mais qu'il était même prêt à augmenter sa participation et à suivre les augmentations de capital si celles-ci étaient nécessaires. Vous voyez ! Je vois que certains aujourd'hui - Mme Royal, elle appelle les Régions et puis après ça elle dit : "J'ai appelé les Régions", donc finalement on voit que ça ne marche pas parce que les Régions auraient pu prendre 0,6 %, je n'ai pas dis 6 %, je dis 0,6 % du capital ! Ce qui est, pardon de le dire, et ce n'est pas insultant, mais ce qui est ridicule, au regard du sujet, elle dit : "Puisque j'ai appelé les Régions, maintenant au moins l'Etat va se mobiliser". Mais Mme Royal, cela fait des mois et des semestres que le Gouvernement français dit très clairement que si une augmentation de capital est proposée, eh bien nous la suivrons !
Q- On a l'impression tout de même que vous redécouvrez les vertus de l'Etat, monsieur le ministre de l'Economie !
R- Non, pas du tout, je le dis depuis deux ans. Et c'est du reste rappelé dans certains journaux ce matin, je n'en tire aucune gloire. Sauf que certains voient que nous avons une position cohérente depuis deux ans. Elle est cohérente à double titre. Premièrement, lorsqu'il s'est agi de remplacer M. Forgeard, bien que nous n'ayons pas le pouvoir de nomination, j'ai rencontré à de très nombreuses reprises l'ensemble des parties prenantes d'Airbus et je leur ai dit, parce que je suis moi-même un ancien chef d'entreprise, qu'il valait mieux avoir le même dirigeant chez EADS et chez Airbus. Et j'ai obtenu, in fine, qu'enfin on mette chez Airbus M. Gallois qu'il soit président directeur général d'Airbus mais également directeur général d'EADS. Cela m'a pris du temps, je vous l'accorde, j'aurais peut-être pu faire plus vite, mais je n'avais pas les pouvoirs.
Q- Alors on critique beaucoup aujourd'hui dans ce dossier Airbus, la gouvernance franco-allemande de l'entreprise, on critique beaucoup aussi dans la vie politique, le bipartisme et vous-même, dans votre livre ! Alors, êtes-vous devenu bayrouiste, soudainement ?
R- Alors moi non. Je suis un économique (sic) et un social. Toute ma vie, vraiment je me suis battu à la fois pour l'économie et pour le social. Alors, vos me posez la question de savoir par rapport au livre que je viens de publier...
Q- Vous dites que la gauche et la droite n'arrêtent pas de se tirer dans les pattes, sortons de ces clivages !
R- Je dis tout simplement qu'on ne peut pas réformer dans notre pays sans avoir à la fois vraiment un tropisme très fort pour l'économie parce que c'est l'économie qui crée la richesse - avant de la distribuer il faut la créer - c'est l'économie qui crée la croissance, mais qu'on doit le faire avec un finalité sociale. Non, F. Bayrou que je connais bien et depuis très longtemps, F. Bayrou vient de se convertir à la dette et je m'en réjouis, car j'ai été je crois l'un des premiers à dire à nos compatriotes que la France vivait au-dessus de ses moyens et qu'il fallait nous donner les moyens de désendetter la nation. Alors, maintenant, il rejoint cette préoccupation. Il n'avait pas voté le budget que j'ai présenté en 2006 et celui que j'ai présenté en 2007, qui sont les deux premiers budgets de la France qui désendettent la nation. Je me réjouis que désormais il rejoigne des préoccupations qui sont des préoccupations de tous les Français puisqu'on voit que le sujet de la dette est l'un des sujets de préoccupation...
Q- Donc c'est lui qui vous rejoint, ce n'est pas vous qui le rejoignez ?
R- Oui, aujourd'hui, c'est clair que sur la dette, oui. Par contre, il ne met pas les solutions en face, encore moins Mme Royal. Mme Royal, elle... J'ai fait calculer son programme, si son programme se mettait en oeuvre, la dette de la France passerait à la fin du prochain quinquennat de 64 % à 80 %.
Q- Et vous avez fait le même travail sur le programme de N. Sarkozy ?
R- C'est l'objet de ce livre du reste et vous verrez effectivement page 51, je vous invite à vous y référer, et vous le voyez effectivement, c'était tout l'objet de ce livre, de mettre en évidence toutes les mesures qui sont des mesures économiques créatrices de croissance, de montrer comment on peut les intégrer dans le plan de désendettement de la nation. Eh bien, je vais vous dire, ce programme, c'est un programme crédible qui ramènera la France sous la barre des 60 % et à la fin de la législature, à l'équilibre budgétaire. C'est vraiment ce qu'il faut pour redonner la confiance à notre pays.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 mars 2007